Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, sans ignorer l’importance du premier point inscrit au programme du Conseil européen de cette semaine – nous en avons parlé –, je centrerai mon propos sur le second item figurant au projet d’ordre du jour, qui porte sur les relations extérieures de l’Union européenne.
En effet, le Conseil européen sera l’occasion de procéder « à un échange de vues ouvert sur les relations avec les partenaires stratégiques », étant entendu qu’il « ne devrait pas adopter de conclusions écrites sur ce sujet ». Cette formulation n’a rien d’original ; elle est même assez habituelle pour les Conseils européens.
Cependant, le contexte actuel n’est pas anodin, en particulier s’agissant des « partenaires stratégiques » de l’Europe, entendus ici principalement au sens économique.
Je ne peux m’empêcher de faire le lien avec l’annonce du lancement prochain de négociations visant à instaurer un accord de libre-échange qui engloberait les deux rives de l’océan Atlantique, Union européenne et États-Unis, récemment faite par le Président Obama. Cet accord serait le plus important de ce type jamais conclu dans le monde. Il concernerait le tiers du commerce international et la moitié de la production économique globale ; autant dire que son rôle de régulation et son impact sur l’économie mondiale seraient centraux !
Certes, il est plus habituel d’évoquer ces sujets dans le cadre de discussions sur les questions commerciales qu’à l’occasion d’un point sur les affaires extérieures. Toutefois, il paraît difficile de ne pas prêter une dimension stratégique globale à ce nouveau partenariat éventuel avec les États-Unis.
Que savons-nous, à cette heure, du dialogue qui s’ouvre ?
D’abord, nous savons qu’il devrait débuter formellement cet été. En effet, c’est le Conseil européen du mois de juin qui devrait donner à la Commission européenne le mandat par lequel elle mènera les négociations, d’où l’intérêt des discussions informelles qui s’amorcent maintenant.
Ensuite, si l’on en croit les précédents, notamment la recherche d’un accord du même type avec le Canada, nous pouvons craindre que ce dialogue ne brille pas non plus tout à fait par sa transparence.
Enfin, les sujets abordés sont aujourd'hui loin d’être consensuels.
En l’occurrence, cet accord de libre-échange ne devrait pas diminuer drastiquement les droits de douane, déjà très faibles. On parle de taux moyens situés aux alentours de 3, 5 % pour les importations depuis l’Europe vers les États-Unis et de 5, 2 % en sens inverse. On peut toutefois remarquer – c’était le sens de l’intervention précédente – qu’une nouvelle restriction affaiblira d’autant le budget de l’Union : les droits de douane, déjà presque marginaux suite à d’autres accords similaires, représentent aujourd’hui environ 15 % de ce dernier. Il faudra quand même voir comment compenser cette diminution si nous voulons toujours donner une certaine ambition au budget européen et à sa capacité d’agir sur l’économie européenne !
Cela étant, c’est dans le domaine de la réglementation sanitaire, sociale ou environnementale que cet accord pourrait avoir le plus d’impact. Et ses conséquences pourraient bien s’avérer négatives pour les citoyens et les consommateurs européens !
Nous le savons, la conception que les États-Unis et l’Europe ont de la protection des données personnelles diffère radicalement l’une de l’autre, ce qui pose déjà des problèmes avec des géants comme Google ou Facebook, dont le modèle économique repose justement sur la commercialisation de ces données ; la presse s’en est largement fait l’écho ces derniers temps. Cette question promet d’être complexe.
Les États-Unis et l’Europe ont aussi une vision totalement différente des modes de production alimentaire et du principe de précaution. La politique agricole commune est déjà problématique sur un certain nombre de points. Mais on parle ici de la possible importation d’OGM, de volailles traitées au chlore ou de porcs soignés à fortes doses d’antibiotiques ! Les élus et le lobby agroalimentaire américains ont d’ores et déjà écrit à l’administration Obama pour réclamer que ces points précis soient compris dans les négociations. Or ce serait évidemment pour nous une évolution totalement inacceptable, dont l’éventualité même paraît absurde aujourd’hui, alors que nous nous trouvons au milieu de scandales sanitaires à l’ampleur non négligeable.
Monsieur le ministre, je tiens à dire cet après-midi que, sur ce point, vous trouverez, à l’échelle européenne, des écologistes particulièrement attentifs et mobilisés pour la défense de l’environnement et de la santé des consommateurs.
Au vu de ces enjeux, le débat se devra donc d’être transparent et d’associer les instances législatives et la société civile.
Les écologistes ne sont pas opposés a priori à l’idée d’accords commerciaux. Mais cette idée ne doit pas conduire à un nivellement par le bas de règles dont le seul but est de protéger la santé, la vie privée ou le bien-être des Européens.
En conclusion, les rapprochements entre législations sont évidemment possibles. Toutefois, un accord avec les États-Unis aussi étendu ne serait pertinent que dans la mesure où il instaurerait un terrain d’entente minimale qui constituerait déjà un mieux-disant par rapport aux pratiques actuellement en vigueur dans le monde sur toutes ces questions, mais aussi, plus globalement, sur les questions relatives au climat ou à la préservation de ressources. Il serait alors bien plus aisé d’influencer ces pratiques, compte tenu du poids qu’aurait un tel marché par rapport aux autres acteurs économiques. C’est véritablement dans ce cadre que nous devons appréhender l’ouverture d’une telle négociation.
Après les annonces de l’administration Obama sur la nécessité de répondre aux défis du changement climatique, engagement confirmé par la nomination de John Kerry, avec, en perspective, la fin du cycle de négociations climatiques entamées à Durban voilà maintenant un peu plus d’un an – négociations qui s’achèveront à Paris en 2015 –, nous devons plus que jamais lier négociations commerciales et climatiques pour aboutir à un accord de régulation globale, vital pour l’avenir de nos sociétés.
L’expérience nous montre que l’échec des précédentes négociations climatiques est justement venu de notre incapacité à lier le commercial et l’environnement ; tel a tout particulièrement été le cas à Copenhague. À partir du moment où les grandes négociations s’ignorent, elles sont condamnées à l’échec.
Cette fois, le calendrier de l’administration Obama est cohérent ou tout du moins compatible avec les échéances en matière de négociations environnementales. C’est une chance que nous ne devons pas laisser passer.
Le volontarisme européen sur le climat ne doit pas être limité aux discours de façade ; il doit s’insérer dans une logique cohérente de toute la diplomatie européenne. Les négociations commerciales bilatérales en font partie, avec les États-Unis mais aussi, évidemment, avec la Chine et les grands pays émergents.
En effet – soyons lucides –, l’aggravation des crises environnementales, qui se déclineront en crises alimentaires et sociales, conduira sans nul doute au repli et à la fin du libre-échange. Ceux qui pensent que l’échange économique mondial est globalement bénéfique doivent donc intégrer urgemment dans leurs propres logiciels les enjeux environnementaux, s’ils ne veulent pas, demain, assister impuissants aux replis nationaux dans un monde en souffrance.