Intervention de Michel Billout

Réunion du 12 mars 2013 à 14h30
Débat préalable à la réunion du conseil européen des 14 et 15 mars 2013

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les auspices sous lesquels se prépare le Conseil européen de cette semaine sont bien sombres. Les nuages s'accumulent. Partout, en Espagne, au Portugal, en Grèce, en Bulgarie, en Italie et même dans notre pays, les conséquences des orientations européennes voulues et défendues par les gouvernements montrent les limites de leur efficacité économique et ont surtout des conséquences dramatiques pour les peuples. La croissance est partout en berne, et les prévisions pour cette année ne sont guère optimistes.

Les chiffres du chômage explosent. N'avons-nous pas dépassé ce trimestre, dans notre pays, la barre symbolique des 10 % de chômeurs indemnisés ? Sans compter celles et ceux qui n'ont pas droit aux allocations et qui, de ce fait, n'apparaissent pas dans les statistiques…

Cette politique « austéritaire », voulue et orchestrée par l'Union européenne et les États qui la composent, conduit à une impasse. Partout, elle provoque des crises sociales, économiques et politiques. Le pacte budgétaire ratifié en octobre dernier, que notre groupe a refusé de voter, portait en lui les germes des drames sociaux que nous vivons au sein de l'Union. Le volet de cet accord consacré à la croissance, qui devait nous apporter un « mieux » économique et social, n'a pas résisté aux dogmes libéraux qui sous-tendaient le traité.

L'austérité est bien pour maintenant. La croissance, elle, est pour plus tard, peut-être...

Monsieur le ministre, vous allez discuter avec vos collègues, pendant deux jours, de la coordination des politiques dans le domaine économique, budgétaire et de l'emploi ainsi que des orientations des programmes de stabilité et de convergence. Beau programme s'il en est ! Mais si l'on traduit la « novlangue » européenne, tout cela veut dire : accord sur la logique de récession et d'austérité.

Cette logique, nous le voyons bien, a aussi des conséquences sur le code du travail. L'accord national interprofessionnel sur la sécurisation de l'emploi en France est bien de la même veine. Ces recettes seront-elles aussi le fil conducteur de la future réforme des retraites et des allocations familiales ? Je vous pose la question.

Les mêmes recettes n'ont-elles pas déjà été appliquées en Espagne, en Italie, en Grèce, après l’avoir été en Allemagne même ? Avec quels résultats ?

Le patron de Renault expliquait récemment qu'il ne comprenait pas pourquoi l'accord de compétitivité dans son entreprise n'était pas accepté par tous en France, alors qu'il avait obtenu l’accord des salariés en Espagne. Mais croyez-vous que, lorsque l'on a le couteau sous la gorge, on est en mesure de négocier d'égal à égal ?

Cependant, cette crise n'est pas un moment difficile à passer pour tout le monde. Il y a cette année 200 milliardaires de plus dans le monde et la première fortune française, celle de Mme Bettencourt, s'est encore accrue cette année. Que doit-on en penser ? Que l'Europe qui aurait pu, qui aurait dû jouer le rôle de bouclier social, d’exemple mondial de mieux-disant social, a décidé au contraire de s'aligner sur le moins-disant social. Dans ces conditions, la course vers une meilleure compétitivité de l'économie européenne, face aux économies des pays émergents et de la puissance états-unienne, risque bien d’être perdue d'avance.

C'est exactement l'inverse qu'il faut faire. C'est par la relance du marché intérieur européen que l'on peut espérer un nouvel élan de l'économie. Et la relance passe non seulement par une politique d'investissements tant européens que nationaux, mais aussi par une politique salariale volontariste qui permettrait aux Européens de reprendre le chemin de la consommation, donc de la croissance et de l'emploi.

Est-ce à dire qu'il ne faut pas s'intéresser aux modes de production et aux choses produites ? Non, bien entendu ! L'Europe reste un espace où la recherche et l'inventivité sont encore une réalité, mais pour combien de temps ? À chaque fois que l’on ferme un laboratoire, on fait reculer notre capacité d'innovation et donc de réussite. Or il nous faut absolument développer la recherche, car la relance de l’économie européenne ne peut que passer par le respect des critères de développement durable et du progrès social.

Vous allez engager la discussion après-demain sur les orientations européennes pour une durée de sept ans. L'accord sur le budget européen, que vous avez négocié en février dernier et que vous avez qualifié de bon compromis, a été rejeté par la quasi-totalité des groupes au Parlement européen. Pervenche Berès, présidente de la commission de l’emploi et des affaires sociales au Parlement européen, a ainsi une tout autre lecture que la vôtre, monsieur le ministre. Au cours d'une récente réunion à Bobigny avec des élus et des acteurs départementaux de la solidarité, elle a annoncé qu'elle s'opposerait à sa ratification en l'état par le Parlement. Que faut-il en penser ?

Cet accord est en fait la consécration des égoïsmes de certains États. Croyez-vous sincèrement qu’il fallait réduire de 1 milliard d'euros les budgets de solidarité et élargir le nombre de pays éligibles alors que l'Europe s'enfonce dans la crise et que, partout, le nombre de bénéficiaires de ces aides ne cesse de croître ? C'est pourtant le message que la France et l'Europe envoient aux 25 % de la population de l'Union qui vit en dessous du seuil de pauvreté.

La confédération européenne des syndicats ne s'y est pas trompée. Pour la première fois, celle-ci a demandé aux parlementaires européens et nationaux de ne pas ratifier un traité européen. Croyez-vous que cela soit une nouvelle lubie de la gauche de la gauche ? Non, la confédération confirme dans son appel à manifester à Bruxelles le 14 mars que « l'Europe n'est pas une zone de libre-échange mais un espace dont l'objectif est le progrès économique et social ». Dans sa déclaration, elle ajoute qu’« une feuille de route sur la dimension sociale de l'UEM dans le cadre d'une coordination renforcée des politiques doit tendre à une convergence ascendante pour s'attaquer aux inégalités, à la pauvreté, au chômage et au travail précaire qui sont éthiquement inacceptables et créent une situation d'urgence sociale ».

Dans cette négociation, voilà quelle devrait être votre feuille de route, monsieur le ministre. Vous ne seriez pas isolés, car vous auriez le soutien du monde du travail, des exclus, des précaires et des forces vives européennes.

Si, en revanche, l'Union européenne poursuit le même chemin, elle contribuera à créer de la désespérance et, de fait, à renforcer les nationalismes, la xénophobie et les égoïsmes. Les résultats des élections en Italie devraient nous y faire réfléchir.

Bien sûr, le chemin est étroit et difficile, mais pensez que la France n'est jamais aussi grande que lorsqu'elle tient le discours de la justice et de l'égalité.

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