Intervention de Christian Leyrit

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 12 mars 2013 : 1ère réunion

Christian Leyrit, candidat à la présidence de la Commission nationale du débat public :

Je suis honoré d'être auditionné par votre commission.

J'ai passé quarante ans au service de l'État et de l'intérêt général. Mon parcours a été marqué par la continuité, mais aussi la diversité et l'alternance entre le terrain et les services centraux. J'ai d'abord été ingénieur de terrain pendant quinze ans, puis conseiller technique, pendant près de deux ans, dans les cabinets des ministres de l'équipement Maurice Faure et Michel Delebarre, en 1988 et 1989, avant d'exercer la fonction de directeur des routes de 1989 à 1999, sous l'autorité de huit ministres successifs. J'ai enfin été préfet pendant onze ans : en Charente-Maritime, dans le Val d'Oise, puis préfet de région, en Corse et en Basse-Normandie. Depuis trois ans je suis vice-président du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), né de la fusion en 2008 entre le Conseil général des Ponts et Chaussée et l'Inspection générale de l'environnement. Le CGEDD a une mission de conseil au gouvernement, d'évaluation et d'inspection, afin de promouvoir les thématiques du développement durable, en s'appuyant sur des équipes pluridisciplinaires. Ce Conseil comprend aussi l'Autorité environnementale nationale, qui entretient de nombreux contacts avec la CNDP, et l'Autorité pour la qualité des services dans les transports, créée en 2012.

Un fil rouge a guidé ma carrière : l'écoute des citoyens et le dialogue dans l'action, dans le cadre d'une approche pluridisciplinaire et collégiale. Ecoute et dialogue avec les riverains des autoroutes de Seine-Saint-Denis, au début de ma carrière, pour la réalisation de projets d'isolation phonique ; comme, ensuite, pour le plan d'exposition au bruit autour de l'aéroport Charles-de-Gaulle dans le Val-d'Oise ; ou encore, écoute des victimes de la tempête du 27 décembre 1999 en Charente-Maritime. Ecoute et dialogue encore avec les habitants de dix-huit quartiers sensibles du Val-d'Oise, pour dresser concrètement, sur le terrain, un an après la crise des banlieues de 2005, un bilan des mesures prises : j'ai organisé de nombreuses réunions publiques avec les maires, associant tous les chefs des services de l'État, du ministère de l'Equipement jusqu'à celui de l'Éducation nationale, qui bien souvent n'avaient jamais pénétré dans ces quartiers. En Corse également, j'ai conduit des négociations pour régler des conflits dans des entreprises privées lorsque l'ordre public était menacé, en réunissant tous les acteurs jour et nuit à la préfecture pour discuter. J'ai travaillé avec les citoyens, les associations et les élus dans l'élaboration de projets autoroutiers au début des années quatre-vingt dix et joué un rôle actif dans la rédaction de la circulaire Bianco en 1992, une innovation suivie par la loi Barnier de 1995. Ecoute et dialogue enfin pour traiter de nombreuses situations de crise : neige en vallée du Rhône ou en Ile-de-France, catastrophe du Mont-Blanc ou crise laitière en Normandie, plus récemment.

Pluridisciplinarité et collégialité également. J'ai créé, à mon arrivée à la direction des routes, un collège d'experts « Environnement et paysage », regroupant à la fois des paysagistes, des architectes, des urbanistes, des historiens, etc. Sa composition lui a permis de porter une approche nouvelle : les autoroutes sont un sujet trop sérieux pour être confié aux seuls ingénieurs ! J'ai participé à la création du « 1% paysage et développement » et à la conception du viaduc de Millau : j'ai lancé la compétition internationale et présidé le jury en 1995. Ecoute, dialogue et collégialité encore, pour organiser un conseil des ministres en Corse en 1997, ou à l'occasion du 65e anniversaire du débarquement de Normandie marqué par la visite de cinq chefs d'État étrangers, dont le président Obama, même si le désir de participation du public a dû, à cette occasion, être tempéré...

Ces expériences d'ingénieur, de directeur-maître d'ouvrage, de préfet, ou de responsable d'inspection générale m'ont préparé à exercer la présidence de la CNDP qui, depuis sa constitution comme autorité administrative indépendante en 2002, a organisé soixante-trois débats publics, dont trois débats sur des « options générales », concernant les déchets radioactifs, les nanotechnologies,... En 2013 neuf débats sont prévus. Deux sont en cours, concernant le périphérique ouest de Lyon et le projet de Port-la-Nouvelle en Languedoc-Roussillon. Quatre ont trait aux projets d'éoliennes off-shore de Fécamp, Courseulles-sur-Mer, Saint-Nazaire et Saint-Brieuc. Les autres concerneront le projet Cigéo, centre industriel de stockage géologique profond de déchets radioactifs, à Bure, deux projets de canalisation et de transport de gaz naturel entre la Drôme et l'Ain et l'Ain et la Haute-Marne, et, enfin, le projet de grand stade de rugby à Ris-Orangis dans l'Essonne. En outre la CNDP a recommandé cinq concertations à des maîtres d'ouvrage et a désigné des garants pour des projets comme le tram-train de Lille ou la ligne orange du Grand Paris Express.

Ainsi, dix ans après sa création et grâce à l'action de ses dirigeants, la CNDP s'est imposée dans le paysage institutionnel français. Le temps paraît venu de faire un bilan de la participation du public.

Le cadre du débat public a été fixé au Sommet de la Terre de Rio, en 1992 : 27 principes généraux ont été proclamés. L'article 10 de la déclaration souligne que « la meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés ». Ce droit à la participation et à l'information résulte à la fois d'une exigence internationale, avec la Convention d'Aarhus de 1998, d'une exigence européenne, depuis la directive de 2003, et nationale, puisque la Charte de l'environnement, en l'occurrence son article 7, a valeur constitutionnelle.

La culture du débat public s'est fortement développée, comme en témoignent l'apparition de nombreux professionnels de la concertation, la multiplication des programmes de recherche, des think tanks comme « Décider ensemble », ou les initiatives de collectivités territoriales comme Paris, la communauté urbaine de Bordeaux ou la région Nord-Pas-de-Calais. Ce n'est pas un hasard si le rapport public du Conseil d'État de 2011 s'est intitulé Consulter autrement, participer effectivement. Il formule des propositions pour parvenir à une « consultation délibérative ». La loyauté et la clarté du débat fondent la légitimité de la décision. Le sociologue Michel Callon montre que ce qui se joue dans ces débats, c'est la reconstitution du lien social à travers la reconnaissance des minorités. Egalement Georges Mercadal, ancien vice-président de la CNDP, explique que le débat n'a pas pour objectif de donner des leçons de rationalité mais de répondre aux interrogations des citoyens. Il ne s'agit pas de renoncer aux méthodes d'évaluation socio-économique mais de les articuler avec le débat public, afin de rendre la meilleure décision.

La réunion est suspendue à 14h30 en raison de l'éloge funèbre en séance publique de René Vestri. Elle reprend à 14h45.

Lors d'une consultation, la CNDP n'a pas pour vocation à donner un avis sur le fond, mais à veiller au respect des positions de chacun. C'est essentiel à une époque où le public nourrit à l'égard des institutions une méfiance, sinon une défiance, voire une révolte, comme des exemples récents le montrent. Le temps n'est plus où Paul Delouvrier pouvait redessiner, à lui seul, la carte de l'aménagement de l'Ile-de-France.

Dix ans après la création de la Commission nationale, il est nécessaire de réévaluer les enjeux. Je le ferai en prenant appui sur l'action de mon prédécesseur, avec une équipe renouvelée. Trois maîtres-mots guideront mon action : rénover, relégitimer, innover.

La CNDP doit affirmer son autorité. Il lui appartient d'articuler démocratie représentative et démocratie participative, processus d'implication et d'intéressement des citoyens à la chose publique, comme le soulignait Pierre Rosanvallon. En s'appuyant sur des chercheurs et des professionnels, elle doit actualiser sa doctrine, diversifier ses méthodes, être visible à l'international, mieux se faire connaître des citoyens. Il reste du travail !

Tout d'abord, en matière de fonctionnement, je souhaite améliorer la formation des nouveaux membres et les associer aux travaux de commissions particulières du débat public (CPDP), renouveler le vivier des présidents de CPDP - en veillant à éviter toute proximité excessive avec l'administration ou les maîtres d'ouvrage -, évaluer le déroulement de chaque débat, élargir les procédés d'expression du public grâce aux outils numériques, développer la concertation « garantie », depuis le débat jusqu'à l'enquête publique, parfois à plusieurs années d'écart. Je souhaite aussi multiplier les coopérations avec des professionnels, des chercheurs, des doctorants.

Ensuite, autre piste, il importe de mener une action volontariste en direction des futurs responsables de l'administration et des futurs maîtres d'ouvrages, issus des différents corps de l'État, des écoles de commerce, des écoles d'ingénieurs ou de l'ENA, afin que leur formation technique soit complétée d'une expertise en matière d'écoute et d'ingénierie sociale.

Enfin, il conviendra d'ouvrir notre Commission vers l'extérieur, en multipliant les contacts avec les collectivités territoriales et en favorisant l'émergence de commissions régionales ; en menant une action volontariste à l'égard des élus, des ONG, des associations professionnelles ou de la société civile ; en étudiant les pratiques des institutions étrangères afin d'améliorer nos méthodes ; en tissant un réseau à l'échelle européenne et mondiale.

A court terme le législateur a confié à la CNDP le soin d'organiser la mise en oeuvre de la loi du 27 décembre 2012 : elle doit désigner une personne qualifiée pour rédiger la synthèse des observations des citoyens sur tous les projets de décision ayant trait à l'environnement. Un décret est en préparation et une expérimentation de dix-huit mois sera lancée en avril. Un autre décret, sur les plans-programmes issus de la loi Grenelle II, est prévu également.

En 2011, le Conseil d'État proposait de confier à la CNDP une compétence générale pour contrôler l'organisation des débats publics à vocation nationale. Il appartiendra au gouvernement et au Parlement d'en décider.

C'est cet engagement de quarante ans que je souhaite poursuivre à la CNDP, pour une cause d'importance : que les citoyens retrouvent une plus grande confiance dans l'État, ses institutions, et ses représentants.

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