Intervention de Silicani

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 13 mars 2013 : 2ème réunion
Aménagement numérique du territoire et feuille de route « très haut débit » — Audition de M. Jean-Ludovic Silicani président de l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes arcep

Silicani, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) :

Je m'exprimerai avec prudence car le projet du gouvernement n'est pas totalement finalisé. Dans la feuille de route rendue publique le 28 février, le gouvernement a fait le choix de s'appuyer sur des dynamiques existantes, en les complétant. Cette méthode pragmatique, qui intègre les travaux réalisés depuis cinq ans par les collectivités territoriales, les opérateurs et les régulateurs, est plus efficace que la tabula rasa qui aurait bloqué les investissements pendant un ou deux ans et été source d'incertitude.

Si ce plan comporte des mesures nouvelles, il s'inscrit aussi dans la continuité avec, d'abord, le maintien du cadre réglementaire édicté par l'Arcep en 2010 et 2011, en application de la loi de modernisation de l'économie de 2008 et de la loi Pintat contre la fracture numérique de 2009. Le gouvernement a fait le choix de la lutte contre la fracture numérique, à la différence des pays de l'Est, qui affichent des taux de couverture du haut débit en apparence très supérieurs alors que certains territoires roumains, bulgares ou russes sont totalement dépourvus de couverture par des réseaux fixes, ou des États-Unis, dont le modèle repose sur l'initiative privée.

Ce modèle ambitieux, choisi par notre pays, qui combine l'initiative publique et privée pour parvenir à atteindre une couverture haut débit dans des délais rapides - d'ici à 2025 auparavant, d'ici à 2022 désormais -, a pour objet de construire le réseau de communication du XXIe siècle. Il implique des investissements de l'ordre de 25 milliards d'euros. Ne nous laissons pas impressionner par les chiffres : en part de PIB, cela représente trois fois moins que les investissements consentis pour la construction du réseau de chemins de fer à la fin du XIXe siècle.

Le cadre règlementaire de l'Arcep n'interdit aucun déploiement à aucun opérateur. Nous procéderons à une analyse de marché du haut et très haut débit en juillet, qui s'appliquera pour trois ans. Nous apprécierons alors si le cadre réglementaire mérite d'être infléchi.

Autre élément de continuité, le déploiement du réseau doit s'accompagner d'actions complémentaires et cohérentes des acteurs publics et privés. Là encore, la situation est différente dans d'autres pays. Le gouvernement entend conserver les schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique, rendus obligatoires par la loi Pintat et réalisés avec une célérité exceptionnelle par les départements. Il s'agit de les conforter pour éviter les investissements redondants entre collectivités ou entre les acteurs publics et privés. Ces documents constituent la cheville ouvrière de la stratégie territoriale d'aménagement numérique définie par les départements.

Les innovations de la feuille de route s'inspirent largement des réflexions parlementaires, formulées dans la proposition de loi Leroy-Maurey, dans les rapports des députées Corinne Erhel et Laure de La Raudière, ou des sénateurs Yves Rome et Pierre Hérisson, ainsi que de propositions d'associations de collectivités locales. La première inflexion tient au renforcement du pilotage par le gouvernement du programme d'investissement stratégique. Nous l'appelions de nos voeux. Il était nécessaire que l'Arcep ne soit pas seule. Une mission de pilotage a été mise en place auprès de Mme Fleur Pellerin.

La deuxième nouveauté est la volonté de généraliser les conventions passées entre opérateurs et collectivités, dans chaque plaque territoriale, dans les zones AMII, où des investissements privés sont programmés. Il importe que les opérateurs définissent précisément leurs engagements, sur le calendrier des études et des travaux, comme sur le montant des investissements programmés zone par zone. Bien que leur valeur juridique soit discutée, elles constitueront un gage de visibilité.

L'extinction du réseau cuivre a également été décidée. Ses modalités seront précisées au terme de l'expérimentation en cours à Palaiseau. L'Arcep veillera à ce que cette opération ne porte pas atteinte à l'équilibre concurrentiel, en reconstituant un monopole au profit de l'opérateur historique. Les opérateurs privés, qui ont accès au réseau cuivre grâce au dégroupage, devront avoir accès à un prix raisonnable au nouveau réseau constitué par la fibre.

Enfin l'aide de l'État au financement des réseaux a été pérennisée : l'État soutiendra le déploiement des réseaux notamment dans les territoires les moins denses, où les investissements locaux et privés sont les plus faibles. Le coût de la boucle locale est estimé à 22 milliards, hors réseaux de collecte et hors raccordement final, deux milliards ayant déjà été engagés. Reste que l'engagement public semble sous-estimé et qu'il faudra sans doute le réévaluer. Alors que, selon la feuille de route, les investissements seront financés pour un tiers par des fonds publics, et pour deux tiers par les opérateurs privés, l'Arcep estime que la part de financement public se montera à 40 %. Le financement public s'élèvera à huit milliards au cours des dix prochaines années. Les collectivités territoriales devront débourser pour le très haut débit entre 400 et 450 millions par an, soit autant que pour le haut débit depuis 2005. L'État devra trouver le même montant. Le président de la République a évoqué une hausse des redevances acquittées par les opérateurs, au titre des fréquences : la redevance variable s'établit à 200 millions par an, tandis que la partie fixe annualisée pourrait rapporter, après refarming de la bande 1800 MHz, 200 millions supplémentaires.

Il est important que la méthode retenue de concertation et de recherche du consensus, qui a présidé à la rédaction de la feuille de route se poursuive. Le consensus est nécessaire à la réalisation des objectifs ambitieux fixés : permettre à 50 % des foyers de devenir éligibles au très haut débit, soit un débit supérieur ou égal à 30 mégabits par seconde, en 2017, 100 % en 2025, au lieu de 25 % aujourd'hui, 8 % étant éligibles à la fibre optique et les autres au câble.

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