Notre commission s'est saisie pour avis du projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, qui constitue l'un des principaux engagements pris par le Président de la République pendant la campagne électorale. Cette saisine porte sur le volet bancaire et le volet relatif à la protection des consommateurs de services bancaires.
La réforme a pour objectif de renforcer la sécurité du système bancaire et de le recentrer sur sa mission fondamentale, le financement de l'économie réelle, notamment des entreprises. Il faut, pour en appréhender les apports, revenir sur les causes de la crise financière de 2007-2008. Elle s'explique en grande partie par la propension des acteurs financiers à prendre des risques excessifs. Leur déresponsabilisation tient à une multitude de raisons : les modes de rémunération, la complexité des instruments financiers, l'opacité des circuits financiers qui fait obstacle à une perception exacte du risque, l'inadaptation des critères micro-prudentiels de régulation, l'absence d'analyse macro-prudentielle et, enfin, l'existence d'une garantie implicite des pouvoirs publics.
La réforme bancaire comporte une série de mesures, souvent techniques, peu spectaculaires, mais qui constituent un levier puissant pour infléchir les comportements des acteurs. Elles rendront les activités spéculatives beaucoup plus risquées et coûteuses pour les banques. Celles-ci sont placées devant leurs responsabilités ; on ne fait pas appel à leur sens éthique ou à leur autodiscipline, on crée des mécanismes concrets de surveillance et de sanction.
Sont désormais interdites les opérations de négoce à haute fréquence et les opérations sur instruments à terme dont le sous-jacent est une matière première agricole. Cela n'a certes jamais été le coeur de l'activité des banques françaises, mais c'est une mesure symbolique forte.
Le texte oblige en outre chacune des quatre grandes banques systémiques françaises à cantonner au sein d'une filiale ad hoc les opérations sur compte propre sans utilité avérée pour le financement de l'économie, ainsi que les opérations avec les organismes de placement collectif à effet de levier, les hedge funds. Cette filiale ad hoc sera clairement séparée du groupe bancaire sur le plan prudentiel et capitalistique. Il ne pourra lui accorder ni garantie, ni refinancement. Elle devra respecter individuellement les ratios de solvabilité et de liquidité. Cela exige une immobilisation importante de fonds propres et d'actifs liquides qui rendra très coûteuses les activités de compte propre « pur ».
En outre, les pouvoirs du régulateur seront considérablement renforcés. Les banques devront communiquer à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) la description précise et le compte rendu motivé de leurs activités de marché. Le régulateur disposera ainsi d'une cartographie précise des « desks » et de leurs mandats. Il pourra mesurer quantitativement les risques pris, mais aussi vérifier que les opérations menées correspondent bien à des opérations utiles au financement de l'économie.
L'ACPR pourra également interdire les opérations susceptibles de porter atteinte à la stabilité financière ou au bon fonctionnement et à l'intégrité des marchés financiers. En cas de risque systémique, les banques pourront se voir interdire d'investir dans un produit ou de le commercialiser.
En ce qui concerne la résolution bancaire, les établissements devront préparer, sous le contrôle du régulateur, un testament bancaire définissant les modalités de liquidation des actifs et de mise à contribution des actionnaires et des créanciers en cas de défaillance.
Dans la procédure de résolution, l'ACPR disposera de pouvoirs extrêmement étendus : elle pourra changer les dirigeants, nommer un administrateur provisoire, transférer ou céder d'office de tout ou partie de l'établissement, confier les actifs toxiques à un « établissement-relais », impliquer les créanciers dans le sauvetage en annulant ou en convertissant leurs titres. Les pertes des banques seront donc désormais épongées en priorité par les banques elles-mêmes, en application du principe « qui faute, paie », diminuant ainsi l'attrait des opérations spéculatives.
Un fonds national de résolution est créé, qui sera financé par les établissements de crédit et doté à terme de 10 milliards d'euros. Il compensera les pertes résiduelles, après mise à contribution des actionnaires et des créanciers.
Ces dispositions forment un dispositif pragmatique et novateur pour lutter contre les dérives spéculatives. Son efficacité dépendra de la diligence et de la compétence du régulateur et des services du Trésor. À cet égard, les banques étant influentes et les phénomènes de capture du régulateur n'existant pas seulement dans la littérature économique, j'aurais vu d'un bon oeil que le texte comporte quelques dispositions claires et fortes sur ce point, mais proposer un dispositif simple et efficace n'est pas facile.
Peut-être aussi aurait-on pu aller plus loin dans la filialisation des activités de compte propre en cantonnant également les opérations de tenue de marché, comme le préconise le rapport Liikanen remis l'an dernier à la Commission européenne. La loi cependant, aux termes d'un amendement adopté à l'Assemblée nationale, donne au ministre le pouvoir de le faire, plus tard, par un simple arrêté. La frontière réglementaire entre le spéculatif et le non-spéculatif n'est donc pas figée.
Au total, ce projet de loi assainit le monde de la finance, au moins à l'échelle nationale. Certains estimeront que les solutions sont trop timides ; qu'il aurait été plus simple d'interdire la spéculation ou de séparer franchement, comme autrefois, banque de dépôt et banque d'investissement. Certes. Mais si le financement de l'économie passe par le crédit bancaire, il repose aussi sur l'émission de titres financiers et sur les services financiers de couverture contre les risques de change, de taux d'intérêt, de cours, etc. Les activités de trading jouent ainsi un rôle croissant dans le financement des acteurs économiques. En outre, les banques ayant des activités diverses sont plus robustes, grâce à la diversification de leurs risques.
Ces deux éléments plaident pour le maintien d'un modèle de banque universelle, comme le recommande d'ailleurs le rapport Liikanen qui fixe le cadre général d'une future réforme européenne sur la séparation des activités bancaires. Sortir de ce cadre pourrait conduire la France à mettre en place une réforme incompatible avec la future architecture bancaire européenne.
Dès lors, la seule question porte sur le curseur : où placer la frontière entre les activités de trading utiles à l'économie et les activités de négociation spéculatives, qui doivent être interdites ou filialisées ? Les États-Unis ont tenté, à travers la règle de Volker, de poser une interdiction a priori de la négociation pour compte propre. Mais ils échouent à la mettre en pratique car les services financiers rendus à l'économie réelle impliquent presque toujours, par ricochet, des activités de trading pour compte propre.
Plutôt qu'une interdiction générale de la spéculation, il me paraît donc plus judicieux de « mettre des bâtons dans les roues » des spéculateurs : filialisation coûteuse, internalisation des pertes, contrôle drastique des opérations par une autorité prudentielle aux pouvoirs accrus, menace permanente d'une filialisation plus poussée en cas de dérapage. Grâce à ces mesures, la spéculation deviendra une activité moins fructueuse et les banques seront incitées à se consacrer à leur mission fondamentale, devenue plus intéressante que par le passé. La nouvelle règlementation entraînera une réallocation bienvenue des ressources bancaires.
J'en viens au second volet du projet de loi, qui contient 18 articles très divers, dont 10 ajoutés par l'Assemblée nationale. Les Français ont eu parfois le sentiment que l'on se préoccupait davantage, durant la crise financière de 2008, de la santé des banques que de celle de leurs clients. La défiance est durable et profonde vis-à-vis des établissements de crédit. Il est juste que les consommateurs perçoivent aujourd'hui les dividendes du soutien public aux banques, grâce à des mesures pour renforcer leur information et réduire leurs frais. Peu de dispositions spectaculaires, je l'ai dit, mais l'existant est amélioré.
Le droit au compte a été créé par la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions de 1998 ; la convention de compte, la médiation et la transparence des tarifs, en 2001. En 2010, une dénomination commune unique des principaux frais et services bancaires a été élaborée au sein du Comité consultatif des services financiers. Les banques doivent afficher leurs dix principaux tarifs. Enfin, toujours en 2010, la loi Lagarde a réformé le crédit à la consommation et les procédures du surendettement. Le texte améliore ces dispositifs, et les mesures nouvelles, par exemple pour accélérer les procédures, s'inscrivent dans la droite ligne des propositions de notre commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois. Également, un article vise à rendre plus effectif le libre choix de l'assurance emprunteur en vue de la souscription d'un emprunt immobilier.
Mais la principale mesure en faveur des particuliers est le plafonnement des commissions d'intervention que prélèvent les banques lorsqu'une opération a entraîné une irrégularité de fonctionnement du compte nécessitant un traitement particulier : présentation d'un ordre de paiement irrégulier, coordonnées bancaires inexactes ou encore - le plus souvent - absence ou insuffisance de provision.
Le coût de ce service, distinct du découvert lui-même, et l'importance de la part des commissions dans le produit net bancaire des établissements, sont révélateurs des déséquilibres profonds de l'économie de la banque de détail. Les tarifs globaux, emprunts immobiliers inclus, ne sont pas excessifs par rapport à la moyenne étrangère. Mais, si les emprunts immobiliers se révèlent particulièrement compétitifs grâce à des approches commerciales agressives destinées à séduire la clientèle solvable, les commissions d'intervention sont excessives et touchent les populations les plus fragiles financièrement. En cas d'incidents répétés, le montant peut atteindre plusieurs centaines d'euros par mois. Il existe presque dans tous les établissements un plafond journalier ou mensuel mais parfois très élevé : 160 euros en moyenne pondérée et jusqu'à 350 euros.
Les députés ont plafonné les commissions d'intervention, par opération et par mois, pour l'ensemble des clients des banques, et non seulement pour les personnes en situation de fragilité. Malgré les pressions du secteur bancaire, il me semble indispensable de préserver cet acquis. Les banques ont fait valoir que la mesure fragiliserait les banques de réseau au profit des banques en ligne. En fait, il n'y a pas de corrélation entre la taille du réseau bancaire et le montant des commissions pratiquées. La Banque Postale est dans la moyenne des frais bancaires, moins chère que la BNP... Les banques mettent aussi en avant les risques d'une automatisation du traitement des incidents bancaires : menaces pour l'emploi, rejets de paiement automatiques. Pourtant les interventions des banques sur les paiements par carte bancaire sans autorisation préalable sont déjà totalement automatisées et cela ne se passe pas si mal... Il est temps de limiter les abus de tarification, d'autant que ce sont les plus fragiles qui assurent ainsi une grosse part du produit net bancaire des établissements ! Je vous proposerai un amendement.
Je regrette que les avancées soient moins nettes pour les entreprises. Un soutien financier particulier est nécessaire en temps de crise, or il manque cruellement, alors qu'une part croissante des prêts aux entrepreneurs individuels et aux PME, notamment artisanales, est soumise à des garanties toujours plus nombreuses. Les montants prêtés sont plus faibles que ne souhaiteraient les demandeurs. Le texte est court sur ce point, mais la création de la Banque publique d'investissement et le crédit d'impôt compétitivité devraient améliorer la situation.
Des progrès sensibles sont réalisés sur la contractualisation des relations entre les banques et les plus petites entreprises : je songe à la convention de compte pour les personnes physiques agissant à titre professionnel, de même que pour les financements permanents. En outre, plusieurs amendements seront défendus sur cet aspect. J'ajoute que nous examinerons prochainement un projet de loi plus complet sur les questions de consommation.
Pour conclure, cette réforme bancaire s'inscrit dans un ensemble complexe d'initiatives, notamment européennes : transposition des accords de Bâle III, création d'un mécanisme de résolution bancaire européen et mise en place d'outils pour encadrer les rémunérations au sein de la finance. Les lignes bougent. À nous d'être à la fois audacieux et prudents.
Audacieux, parce que les initiatives prises par tel ou tel pays peuvent rapidement faire tâche d'huile : un amendement adopté à l'Assemblée nationale obligeant les banques à plus de transparence sur leurs filiales installées à l'étranger, notamment dans les paradis règlementaires, a été immédiatement repris au niveau européen. De la même manière, la spectaculaire initiative suisse concernant les rémunérations bancaires pourrait inciter les autorités européennes à relever le niveau d'exigence prévu. Donc l'audace peut être payante quand elle exerce un effet d'entraînement général. Mais elle peut également coûter cher : c'est le cas lorsqu'un pays se démarque trop et avance sans s'assurer que les autres le suivent. Gare, alors, aux arbitrages défavorable des opérateurs !
La réforme proposée s'inscrit dans cette double exigence et atteint un équilibre satisfaisant. Je vous invite à donner un avis favorable à son adoption.