Intervention de Michelle Meunier

Commission des affaires sociales — Réunion du 20 mars 2013 : 1ère réunion
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe — Examen du rapport pour avis

Photo de Michelle MeunierMichelle Meunier, rapporteure pour avis :

Ce projet de loi apporte une réponse républicaine aux attentes des couples de personnes de même sexe, en leur accordant la liberté de choisir la nature juridique du lien qui les unit. Il reconnaît qu'ils sont des citoyens comme les autres, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs, sans réduire en quoi que ce soit les droits des couples de sexe différent.

Le droit de la famille, ou plutôt des familles, n'est pas une matière figée : il a évolué pour reconnaître et encadrer les évolutions de la société. Christiane Taubira, garde des Sceaux, l'a souligné dans son discours à l'Assemblée nationale, « le mariage civil porte l'empreinte de l'égalité. Il s'agit d'une conquête fondatrice de la République ».

Le mariage n'est plus cette institution inégalitaire où le masculin prime le féminin, l'égalité des droits a remplacé la hiérarchie des sexes. Chacune des réformes du mariage civil au XXe siècle a fait avancer l'égalité entre les femmes et les hommes, en dotant les femmes de libertés individuelles et collectives : suppression du régime matrimonial de la dot en 1966, remplacement de la puissance paternelle par l'autorité parentale en 1970, divorce par consentement mutuel en 1975, instauration d'une autorité parentale conjointe après la séparation des parents en 2002.

Cette évolution est allée de pair avec la dissociation progressive du lien entre mariage et filiation, traduite notamment par la reconnaissance, en 1972, du principe d'égalité des droits entre les enfants légitimes et naturels. Le mariage n'est plus aujourd'hui le cadre privilégié de la procréation, puisque 56 % des premiers enfants des couples naissent hors mariage, contre 8,5 % en 1974. D'institution organisant la filiation au sein du couple, le mariage est devenu union de deux personnes qui se sont choisies et qui souhaitent officialiser leur relation devant la société et la République.

Dans ce contexte, pourquoi l'union entre personnes du même sexe ne pourrait-elle s'exprimer dans le même cadre juridique et bénéficier de la même reconnaissance sociale ? En quoi serait-elle moins légitime que celle qui existe entre deux personnes de sexe différent ? Au nom de quel principe la République peut-elle continuer à fermer les portes de l'une de ses institutions les plus symboliques à certains de ses citoyens ? En ouvrant le mariage aux couples homosexuels dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels, ce projet de loi marque une étape historique dans la longue marche vers l'égalité d'une institution qui, enfin, devient universelle.

Le mariage ouvert à tous les couples illustre la devise de notre République : liberté pour tous les couples de choisir le régime juridique de leur union ; égalité de tous les couples dans l'accès à la norme juridique ; fraternité entre tous les membres de la société quelle que soit leur orientation sexuelle. Le choix d'inclure les couples de même sexe dans l'institution du mariage a une portée symbolique beaucoup plus forte que ne l'aurait eue une simple amélioration du pacte civil de solidarité (Pacs), ou l'instauration d'un nouveau contrat d'union civile réservé aux couples homosexuels.

L'ouverture du mariage aux couples de même sexe a pour corollaire, à défaut de disposition législative contraire, la possibilité d'adopter un enfant dans les mêmes conditions que les couples hétérosexuels. Les couples homoparentaux existent, mais sont privés d'une pleine responsabilité à l'égard de leurs enfants. Il s'agit donc de corriger, par la loi, une situation en décalage avec les réalités sociales. Les couples de même sexe ne peuvent adopter conjointement un enfant ; un seul de leurs membres peut être parent : celui ayant réussi en tant que personne célibataire une procédure d'adoption.

Or lorsqu'une personne homosexuelle vivant en couple souhaite adopter, elle est contrainte à dissimuler sa vie de couple. Cette situation n'est satisfaisante ni pour l'adoptant, obligé de taire une partie de sa vie privée, ni pour l'enfant, puisque la réalité du projet parental est tronquée. Dans l'intérêt de celui-ci, il est fondamental que le partenaire du parent avec lequel il va vivre soit partie prenante du projet d'adoption. En ouvrant l'adoption conjointe aux couples homosexuels, le projet met fin à une hypocrisie.

Ne soyons pas naïfs, l'adoption conjointe d'un enfant par deux personnes de même sexe risque de voir sa portée limitée en raison du faible nombre d'enfants adoptables en France et à l'étranger, ainsi que du refus de certains pays de confier des enfants à des couples homosexuels. Dans de nombreux pays en effet, 1'homosexualité est toujours considérée comme un crime, un délit, ou une déviance. Ce fut le cas en France jusqu'en 1982. Même si, pour les couples de même sexe, les chances d'accéder à l'adoption internationale seront objectivement faibles, parions sur l'évolution des mentalités et l'introduction d'une plus grande tolérance dans les législations nationales.

Le projet de loi veut simultanément sortir de la précarité juridique les familles homoparentales existantes. Bien qu'insérées socialement, celles-ci vivent dans une situation que certains juristes qualifient d'« apesanteur juridique » : elles existent sans que soient reconnus les droits du parent dépourvu de lien de filiation avec l'enfant mais participant à son éducation au même titre que le parent légal. Celui-ci ne peut sans autorisation préalable aller chercher l'enfant à l'école, prendre une décision médicale importante ou l'emmener à l'étranger. En cas de séparation du couple ou de décès du parent légal, les conséquences sont dramatiques et douloureuses.

Le projet de loi ouvre également le droit à l'adoption de l'enfant du conjoint du même sexe, une modalité qui sera probablement davantage utilisée par les couples homosexuels que l'adoption conjointe. L'égalité et la protection de tous les enfants, de toutes les familles, sont ainsi garanties. Comme l'a déclaré à l'Assemblée nationale la ministre chargée de la famille, Dominique Bertinotti, « cette loi répond à une vision généreuse de la famille, une vision qui inclut et non qui exclut ».

Ce texte s'inscrit dans la lignée des grandes lois qui ont marqué l'histoire de la lutte contre les discriminations, ici celles fondées sur l'orientation sexuelle : la loi de 1982 dépénalisant l'homosexualité et celle de 1985 interdisant les discriminations homophobes. En reconnaissant aux couples homosexuels les mêmes droits que les couples hétérosexuels, ce texte contribuera à combattre les stéréotypes et à changer le regard de la société sur 1'homosexualité, à l'instar de la loi de 1999 instituant le Pacs.

Que constate-t-on dans les pays qui ont ouvert le mariage et l'adoption aux couples de même sexe depuis plusieurs années, comme la Belgique, l'Espagne ou les Pays-Bas ? Les mariages de couples homosexuels y représentent entre 2 et 5 % de l'ensemble des mariages. Le taux de nuptialité en France étant relativement proche de celui de ces pays, il y a tout lieu de penser que le nombre de mariages entre personnes de même sexe y suivra globalement la même tendance. Le droit des couples homosexuels de recourir à l'adoption est relativement peu mis en application du fait de la crise que traverse l'adoption internationale.

Ces éléments de comparaison mettent à bas l'idée selon laquelle l'ouverture du mariage et de l'adoption aux personnes de même sexe provoquerait un bouleversement de la société ou mettrait à mal un équilibre supposément naturel. Les réformes intervenues dans ces pays ont simplement autorisé une normalisation de la situation des familles homoparentales.

Le texte initial comportait vingt-trois articles. Les députés en ont supprimé quinze et introduit douze.

L'article 1er ne définit pas plus le mariage que ne le faisait le code civil, mais y insère un nouvel article qui met explicitement fin à l'exigence de la différence des sexes comme condition sine qua non du droit au mariage : il dispose que « le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ». Cette ouverture se fait à droit constant, c'est-à-dire dans les mêmes conditions de consentement et d'âge, et avec les mêmes prohibitions relatives à l'inceste et à la polygamie que pour le mariage entre personnes de sexe différent.

Les articles 1er bis A à 1er bis D contiennent des dispositions à forte portée symbolique : l'une précise que les officiers d'état civil exercent leurs fonctions sous le contrôle du procureur de la République ; une autre rappelle que la célébration du mariage est une cérémonie républicaine.

Les articles 1er bis à 1er quinquies étendent les possibilités d'adoption intrafamiliale, facilitent l'exercice en commun de l'autorité parentale en cas d'adoption simple, et permettent au juge d'intervenir pour maintenir les liens entre l'enfant et le tiers ayant résidé avec lui et l'un de ses parents après séparation du couple.

Les articles 2 et 3 adaptent les règles de dévolution du nom de famille en cas de désaccord ou d'absence de choix des parents. Actuellement, en vertu de la règle subsidiaire patronymique, l'enfant porte automatiquement le nom du père. Initialement, le projet de loi ne modifiait cette règle que pour la filiation adoptive et prévoyait qu'en cas de désaccord ou d'absence de choix des parents adoptants, l'enfant porterait le premier nom de chacun d'entre eux accolés dans l'ordre alphabétique. Après de longs débats, les députés ont choisi d'étendre cette disposition à la filiation biologique. Le rapporteur de la commission des lois, Jean-Pierre Michel, proposera, pour sa part, une solution intermédiaire, consistant d'une part à maintenir la règle prévue par le texte initial pour la filiation adoptive, d'autre part à distinguer, pour la filiation biologique, le désaccord entre les parents de leur absence de choix : dans le premier cas, l'enfant portera le nom de chacun de ses parents accolés dans l'ordre alphabétique, tandis que dans le second, le nom du père s'appliquera automatiquement.

L'article 4, dans sa rédaction initiale, tirait les conséquences de l'article 1er en remplaçant dans le code civil, à chaque fois que nécessaire, des termes sexués par des termes généraux : « père » et « mère » par « parents », « mari » et « femme » par « époux », « aïeul » et « aïeule » par « aïeuls » par exemple. Le Gouvernement a choisi de n'opérer ces coordinations que lorsqu'elles étaient indispensables. Ainsi, les mots « père » et « mère » ne disparaissaient pas de la législation, contrairement à ce que l'on a pu entendre ici ou là. A l'initiative des rapporteurs de ses commissions des lois et des affaires sociales, l'Assemblée nationale a retenu deux dispositions interprétatives générales : une nouvelle version de l'article 4 pour le code civil, et un article 4 bis pour le reste de la législation. Celles-ci rendent les dispositions sexuées des différents codes expressément applicables aux couples de personnes de même sexe.

Le nouvel article 4 bis se substituant aux articles 5 à 13 et 15 à 20 du projet de loi initial, ceux-ci ont, par cohérence, été supprimés. Devant le risque d'insécurité juridique, Jean-Pierre Michel proposera une troisième voie consistant à énoncer un principe général selon lequel le mariage et la filiation produisent les mêmes effets de droit, que les époux ou les parents soient de même sexe ou pas. Cette disposition générale sera adossée à une habilitation donnée au Gouvernement pour réaliser les coordinations nécessaires dans l'ensemble de la législation.

L'article 4 ter complète la définition des associations familiales. Les articles 13 bis et 14 procèdent à des coordinations dans certains codes sociaux, qui n'entrent pas dans le champ de l'article 4 bis. L'article 16 bis porte sur la protection des salariés homosexuels en cas de mutation géographique. Enfin, les articles 21, 22 et 23 concernent des dispositions transitoires et l'application du projet de loi en outre-mer.

Du fait de ces dispositions, certains droits sociaux liés au mariage se trouvent automatiquement ouverts aux couples de personnes de même sexe sans qu'il soit besoin de disposition législative d'adaptation ou de coordination. C'est le cas, par exemple, des droits à la réversion, à la pension de veuf ou de veuve invalide, ou à l'assurance veuvage.

Ensuite, certains droits liés à la qualité de père ou de mère doivent être adaptés aux parents de même sexe. En premier lieu, la majoration de durée d'assurance pour enfant, qui comprend en fait deux majorations distinctes : quatre trimestres au titre de l'accouchement ou de l'adoption, et quatre trimestres au titre de son éducation. La majoration au titre de l'accouchement n'est pas concernée par le projet de loi puisqu'elle revient de droit à la mère biologique. Les majorations au titre de l'adoption et de l'éducation peuvent faire l'objet d'une répartition entre les parents s'ils en décident ainsi. En l'état actuel du droit, si le couple n'exprime aucun choix, il est réputé les avoir implicitement attribuées à la mère. L'article 14 propose un partage égal de ces majorations. Pour les couples hétérosexuels, le principe de l'attribution par défaut à la mère est maintenu.

En deuxième lieu, le congé d'adoption appartient aujourd'hui en propre à la mère adoptante, qui a toutefois la possibilité d'en céder tout ou partie au père. Il convient d'en faire bénéficier tout assuré, quel que soit son sexe : l'article 14 y pourvoit, sans exclure une répartition entre les parents.

L'article 4 ter, introduit à l'initiative des députés communistes, complète l'article 211-1 du code de l'action sociale et des familles. Actuellement, peuvent se voir reconnaître la qualité d'associations familiales les associations regroupant « des familles constituées par le mariage et la filiation, des couples mariés sans enfant ou toutes personnes physiques, soit ayant la charge légale d'enfants par filiation ou adoption, soit exerçant l'autorité parentale ou la tutelle sur un ou plusieurs enfants dont elles ont la charge effective et permanente ».

L'article 4 ter ajoute à cette liste les familles constituées par le Pacs, qui s'est imposé comme une modalité à part entière de « faire famille ». Je vous proposerai un amendement afin que les couples pacsés sans enfant puissent également adhérer à une association familiale reconnue, au même titre que les couples mariés sans enfant.

L'article 16 bis, introduit à l'initiative de la commission des affaires sociales, protège contre toute sanction, licenciement ou discrimination, les salariés mariés ou pacsés à une personne de même sexe qui refuseraient une mutation dans un État incriminant l'homosexualité. Celle-ci est encore passible de la peine de mort dans sept pays et pénalement sanctionnée dans une soixantaine d'autres. La France, par la voix du Président de la République et de la ministre des droits des femmes, a récemment exprimé devant l'ONU sa volonté d'agir en faveur d'une dépénalisation universelle.

Certes, la jurisprudence de la Cour de Cassation reconnaît déjà la possibilité pour un salarié de refuser une mutation qui porterait une atteinte injustifiée ou disproportionnée à son droit à une vie familiale et personnelle. Toutefois, il paraît préférable d'en affirmer le principe dans le code du travail. Or, dans sa rédaction actuelle, l'article ne couvre pas les salariés homosexuels non pacsés ou mariés, ce qui introduit une discrimination en fonction de la situation familiale et, par là-même, un risque de recul par rapport à la jurisprudence. C'est pourquoi je vous présenterai un amendement pour exclure toute dérive de ce type.

Je vous soumettrai en outre deux amendements portant sur des mesures de coordination malencontreusement supprimées par l'Assemblée nationale.

Les nombreuses auditions ont mis en lumière plusieurs sujets qui dépassent le champ du présent projet de loi. Certains, comme les nouvelles formes de parentalité, relèveront du futur projet de loi sur la famille ; d'autres nécessiteront un véhicule spécifique.

Ainsi, plusieurs éléments plaident en faveur d'une réforme globale du système de l'adoption : le manque de lisibilité et de pilotage de notre organisation institutionnelle, tandis que l'adoption internationale se fait plus difficile ; le déclin de l'adoption nationale, quand certains enfants pris en charge par l'aide sociale à l'enfance n'ont presque pas de relations avec leurs parents, ce qui conduit à s'interroger sur la notion de délaissement parental ; la difficulté de l'accès aux origines des enfants adoptés, notamment pour ceux nés à l'étranger ; l'impossibilité pour les couples non mariés de recourir à l'adoption, pourtant ouverte aux célibataires ; l'éventualité d'une nouvelle forme d'adoption plus adaptée au profil des enfants, sans pour autant remettre en cause l'adoption simple et l'adoption plénière. Lors de leur audition, les ministres de la justice et de la famille ont convenu de la nécessité d'une telle réforme. D'autres évolutions du droit de la famille nous attendent ...

Pour finir, je veux récuser quelques contre-vérités trop souvent entendues ces derniers mois. Ce projet de loi ne crée pas un mariage gay, il fait entrer les couples de même sexe dans l'universalité de la loi de la République et leur accorde enfin une citoyenneté pleine et entière. Ce projet ne signe pas la disparition de la famille, au contraire, il la renforce en faisant sortir de la pénombre des familles existantes. Il n'enlève rien aux hétérosexuels, il oblige simplement chacun à en finir avec les préjugés et à penser l'égale dignité des êtres humains.

Un dernier mot pour vous faire part du témoignage d'un jeune homosexuel qui nous a été rapporté par l'association « David et Jonathan » : « Si demain le mariage entre couples de même sexe est institué, imaginez ce que pourra se dire un adolescent homosexuel : un horizon social existe et je suis reconnu par la société dans laquelle je vis ». Je suis fière de contribuer, en tant que parlementaire, à rétablir la justice sociale, à ce que notre société renoue avec la tolérance et le respect des différences.

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