Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, madame la présidente, mesdames, mes chers collègues, véritable graal récompensant toute une vie, la retraite devrait à elle seule compenser, voire panser, les inégalités et les vicissitudes d’un parcours professionnel. Sans doute est-ce en raison de cette approche très « affective », et donc quelque peu irrationnelle, que toute tentative de réforme devient douloureuse, voire explosive.
Système par répartition, le dispositif français est censé traduire la solidarité générationnelle, ainsi qu’une forme de témoignage de la part de la société du respect dû aux aînés.
Conçu à une époque où l’espérance de vie était moindre, la société plus jeune, les femmes au foyer, la reconstruction à venir, les technologies moins développées, le plein emploi presque assuré et la pénibilité physique du travail une « donnée commune », ce système se trouve à terme remis en cause du fait des évolutions de la société et de l’environnement économique.
En dignes héritiers de Descartes, nous devrions comprendre, dans notre esprit logique, que les changements intervenus depuis lors entraînent nécessairement une évolution du régime de retraite actuel.
Cette nécessité, Gérard Longuet l’a dit tout à l’heure, s’est fait sentir il y a déjà plus de vingt ans. En 1990, en effet, neuf ans seulement après avoir instauré la retraite à 60 ans, François Mitterrand, alors Président de la République, demandait à son Premier ministre, Michel Rocard, d’envisager les scénarios, ce qui conduisit à la rédaction d’un livre blanc dont la lecture est toujours très instructive.
Or, à ma connaissance, et sauf erreur de ma part, il a fallu attendre la réforme du gouvernement Balladur en 1993 et la loi Fillon de 2003 pour que des mesures, certes impopulaires mais indispensables au maintien et à la survie de notre système, soient prises.
Aujourd’hui, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, vous faites preuve de courage politique et manifestez un grand sens des responsabilités en proposant d’aller encore plus loin et en nous soumettant une réforme globale.
Néanmoins, sans dramatiser, il faut entendre les inquiétudes de nos concitoyens, notamment les plus fragiles et les plus précaires d’entre eux.
Si je suis, vous vous en doutez, favorable au report de l’âge légal de départ à la retraite, ainsi qu’à l’ambition générale du texte, je crois qu’il est des situations qui nécessitent une attention particulière afin de garantir l’équité dans le traitement. Aussi, des mesures transitoires pourraient être adoptées, le temps que soient mises en œuvre des réformes connexes. Il s’agirait, monsieur le ministre, d’une sorte de discrimination positive temporaire.
Nous avons jusqu’à présent beaucoup parlé des femmes. Je tiens seulement à ajouter que, pour éviter de creuser les inégalités dont elles sont victimes, et surtout de les conforter dans une précarité croissante liée également au fait qu’elles vivent plus longtemps, vieillissent plus que les hommes et risquent donc davantage de devenir dépendantes, il conviendrait de leur assurer une retraite décente en maintenant l’âge de taux plein à 65 ans. M. le rapporteur a d’ailleurs laissé la discussion sur le sujet ouverte.
Eu égard aux disparités dont les femmes sont victimes, le Gouvernement entend agir sur l’inégalité salariale. Effectivement, à terme, c’est un paramètre intéressant, mais il ne prend peut-être pas suffisamment en considération la situation actuelle. Aujourd’hui, en effet, il est avéré que l’égalité n’est pas atteinte dans toutes les entreprises.
Il faut à mon sens, monsieur le ministre, rééquilibrer avant d’égaliser. Il est des moments où l’équité est préférable à l’égalité.
Il conviendrait par ailleurs de prendre en considération la situation des jeunes. Ces derniers rentrent de plus en plus tardivement dans le monde du travail, sont souvent une variable d’ajustement et seront, pour beaucoup d’entre eux, confrontés à des situations de rupture professionnelle.
Dans ce contexte, les jeunes sont frappés de ce que l’on pourrait appeler, certes de façon un peu provocante, je m’en excuse, d’une double, voire triple peine. Bien rares sont ceux d’entre eux qui parviendront à avoir une carrière longue sans interruption.
Dès lors, à défaut de pouvoir prétendre à une retraite par répartition suffisante, les jeunes devront anticiper et se constituer une retraite de substitution. Cela équivaut à cotiser deux fois.
Dans ce parcours aléatoire où adaptation et mobilité seront obligatoires, des périodes de formation seront indispensables. Seront-elles prises en compte dans le calcul de la retraite ?
Quelle promotion sociale ? Quelles cotisations ? Quel avenir ?
Il convient, me semble-t-il, d’intégrer ces paramètres, car, dans une société en mouvement, l’approche linéaire ne répond plus aux exigences actuelles, et a fortiori ne répondra pas plus aux exigences futures.
Certes, ces considérations dépassent le cadre de la réforme des retraites mais doivent, je crois, faire l’objet d’une réflexion, avec les partenaires sociaux et le monde de l’entreprise, pour que les jeunes générations ne soient pas les laissées-pour-compte et retrouvent confiance en l’avenir.
La situation du travailleur handicapé et celle des parents d’enfants atteints d’un handicap retiennent également notre attention. Nous devons, me semble-t-il, veiller à apporter une réponse adaptée.
Maintenir pour ces personnes un départ « anticipé » correspond à une réalité physique et à une nécessaire solidarité sociale.
Leur permettre de partir plus tôt avec une retraite à taux plein, c’est leur reconnaître une place pleine et entière dans notre société ; c’est les traiter en acteurs économiques de plein exercice dans notre société ; c’est tout simplement être équitable.
De même en est-il pour les parents d’enfants handicapés qui, souvent, ont dû renoncer, au moins pour l’un des deux, à des carrières entières pour s’occuper de leur enfant. Ils ont, de ce fait, payé un tribut supplémentaire, tribut qu’il paraît légitime de reconnaître à sa juste valeur :
Ces différentes catégories, monsieur le ministre, nous obligent à réfléchir à notre modèle social et certaines réponses ne peuvent pas être apportées par cette seule réforme. À l’instar de tout édifice, toutefois, l’intervention faite sur une partie résonne parfois sur la globalité, et contraint à agir ultérieurement sur d’autres parties.
La réforme proposée, dans ses dimensions économique et sociale, s’inscrit dans cette logique. Si son bien-fondé est, me semble-t-il, largement admis par nos concitoyens, elle soulève des interrogations et des débats qu’il conviendra d’analyser pour apporter des réponses adéquates.
À travers la question des retraites, et par-delà les querelles politiciennes, c’est celle de notre modèle social, voire sociétal qui est posée. Si paradoxal que cela puisse paraître, traiter des retraites nous renvoie au commencement de notre vie professionnelle et à la capacité de chacun à s’insérer, à s’intégrer dans notre société.