Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, encore une fois, un texte législatif majeur occulte la situation des 3 millions de nos concitoyens qui vivent à huit ou quinze heures d’avion de la capitale.
Je parle de lieux où l’espérance de vie est globalement inférieure de quatre ans à la moyenne nationale, où les carrières sont fatalement plus courtes du fait d’un chômage structurel trois fois plus élevé qu’en métropole, qui touche jusqu’à 55 % des jeunes actifs, lorsque le taux national est de 23 %.
Je parle de lieux où les prix sont fabriqués par des circuits commerciaux hérités de situations de comptoirs d’un autre âge ; de lieux où, proportionnellement à la population, les salaires et les retraites, hormis dans la fonction publique – et encore ! –, entraînent deux fois plus de personnes qu’en métropole sous le seuil de pauvreté.
Je parle de lieux où les femmes, procréant plus que dans l’Hexagone, et souvent matriarches, sont condamnées à des retraites de misère, du moins lorsqu’elles en ont une !
Voilà pourquoi je suis opposé au recul de l’âge du départ à la retraite, et surtout au recul de l’âge du départ sans décote, qui appauvrirait davantage qu’ici les petites retraites et les femmes des outre-mer.
En effet, messieurs les ministres, comment aborder sérieusement une réforme des retraites dans les outre-mer sans traiter des prix, de l’emploi, des revenus, de l’insertion des jeunes et du développement économique ? Savez-vous que les montants des retraites y sont indexés sur l’indice des prix tel qu’il est calculé en métropole ?
En fait, la question des retraites aujourd’hui, comme celle du SMIC DOM avant 1996 ou celle du RSA en 2008, fait partie de ces sujets qui révèlent, de façon récurrente, un véritable positionnement discriminatoire vis-à-vis des ultramarins, et ce au cœur même du processus législatif.
Ne voyez aucune provocation dans mon propos, chers collègues, car je me réfère ici à une définition simple : la discrimination se manifeste tant dans le traitement identique de situations différentes que dans le traitement différent de situations identiques. C’est ainsi que l’on peut prendre des décisions parfaitement inéquitables au nom même de l’égalité !
Or, s’agissant de l’outre-mer, on se comporte souvent comme si les différences étaient tellement incommensurables que l’on ne pourrait les évaluer objectivement.
Dès lors, on bute fatalement sur les deux écueils que sont l’inertie et l’arbitraire. Un exemple d’inertie ? La réforme de l’indemnité temporaire de retraite, l’ITR, adoptée en 2008. Pourtant, dès 1999, des rapports signalaient déjà combien il était important d’établir un indice des prix propres aux territoires concernés.
On créa alors des observatoires des prix ultramarins dans la loi d’orientation pour l’outre-mer, en 2000. Mais il aura fallu attendre mai 2007 pour qu’un décret en définisse les modalités de mise en œuvre. Et l’histoire se répéta ! La question des observatoires des prix dans les outre-mer a été à nouveau débattue en mai 2009, dans le prolongement de la crise sociale. Une loi fut votée en urgence, comme en 2000. De ce texte, on attend toujours les derniers décrets d’application…
Un exemple d’arbitraire ? Avant la présente réforme, la seule mesure récente du Gouvernement concernant les retraites en outre-mer a été la suppression progressive de l’indemnité temporaire de retraite. Cette indemnité avait été créée en 1952 pour les fonctionnaires d’État en poste dans l’océan Indien, l’océan Pacifique et l’océan nord-Atlantique.
Pourquoi ne viser que les seuls fonctionnaires d’État, dès lors qu’en 1983 la décentralisation s’appliquait à l’outre-mer ? Et pourquoi pas également dans les départements français d’Amérique, où la cherté de la vie culmine ?
Mais ce qui est arbitraire aussi, c’est cette réforme de 2008, qui n’a engagé aucun contrôle des prix. Une réforme par laquelle l’État règle ses comptes avec lui-même, en oubliant les salariés du privé, les artisans et les agriculteurs, les conjoints collaborateurs, ou encore les mères de famille, pour lesquelles je sollicite, à travers mes amendements, une attention particulière.
Par ailleurs, à quoi bon présenter les salariés du privé comme victimes des avantages consentis aux fonctionnaires si le revenu supplémentaire temporaire d’activité, le RSTA, est la seule réponse apportée aux premiers, et elle peine elle-même à remplir sa fonction compensatrice !
Enfin, trouvez-vous normal que, dans les départements français d’Amérique, les DFA, les fonctionnaires retraités, majoritairement de catégorie C, tardivement titularisés, subissent une double perte de revenus, soit les moins 20 % du salaire de référence auxquels il faut ajouter les moins 40 % d’indemnité de vie chère ?
Existe-il des prix « spécial retraités locaux » dans les grandes surfaces d’outre-mer ?
On le sait aujourd’hui, le rapport déposé discrètement au Parlement, au début de l’année, indique que le Gouvernement n’envisage pas le dispositif de substitution à l’ITR qu’il avait laissé espérer en 2008.
Que vaut la parole du Gouvernement ? Monsieur le ministre, mes chers collègues, osons aujourd’hui, sur cette question de société majeure, traiter les ultramarins comme des Français à part entière !
Cela implique de tenir compte des différences. Osons la vérité des chiffres et la rigueur des analyses, sans amalgame facile, sans cliché réducteur ! Ne laissons ni l’inertie, ni l’arbitraire décider du sort de presque 3 millions de citoyens, dont le seul tort est de vivre en outre-mer, loin, trop loin de Paris !
En l’état, je ne voterai pas ce projet de loi, non seulement inefficace et injuste sur le plan national, mais inéquitable pour les ultramarins !