Je vous remercie pour votre question, monsieur le sénateur, car elle renvoie à un sujet d’une extrême importance, et qui est cher au Sénat. Lors d’un débat récent organisé sur l’initiative du président de la commission des lois, M. Jean-Pierre Sueur, votre assemblée a en effet examiné et adopté sa proposition de loi visant à élargir la compétence territoriale des tribunaux français pour leur permettre de poursuivre et de juger des auteurs de génocides, crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis à l’étranger.
Vous savez, monsieur Détraigne, pour suivre ces travaux de près, que ladite proposition de loi visait à faire sauter quatre verrous limitant, dans le cadre du statut de la Cour pénale internationale, la compétence des juridictions françaises, et plus particulièrement trois d’entre eux : l’exigence de résidence habituelle sur le territoire français, la double incrimination, l’inversion du principe de complémentarité entre les juridictions nationales et la Cour pénale internationale.
Ces trois verrous ont été levés. Reste le quatrième : le monopole pour engager l’action publique dont dispose le ministère public qui, rappelons-le, peut toutefois être saisi par tout citoyen.
La compétence française était déjà établie par la loi du 9 août 2010. La loi du 13 décembre 2011, que vous avez citée, a créé un pôle judiciaire spécialisé en matière de crimes contre l’humanité, génocides, crimes et délits de guerre, mis en place le 1er janvier 2012 au sein du tribunal de grande instance de Paris.
Actuellement, quelque 33 procédures d’instruction sont suivies par le pôle spécialisé, dont 27 concernent le génocide commis au Rwanda en 1994. Enfin, s’ajoutent à ces procédures 9 enquêtes préliminaires concernant d’autres pays et confiées à la section de recherche de Paris.
Les procédures suivies pour crimes contre l’humanité et génocides commis à l’étranger, complexes et volumineuses, nécessitent du temps, ainsi que des effectifs et des moyens importants. Par exemple, les demandes d’entraide adressées au Rwanda imposent des déplacements d’une quinzaine de jours en moyenne, requérant une semaine de préparation.
Vous avez raison, monsieur le sénateur, il convient de veiller au niveau des effectifs et des moyens afin de garantir l’opérationnalité du pôle spécialisé.
Ce pôle, initialement composé d’un magistrat du parquet et d’un juge d’instruction, nous l’avons renforcé. Il comprend désormais deux magistrats du parquet, trois magistrats instructeurs, quatre assistants spécialisés issus des juridictions pénales internationales, dont un sociologue, étant précisé que deux autres assistants spécialisés devraient être recrutés au cours de l’année 2013.
Je vous propose que nous procédions à une évaluation de l’application de la proposition de loi de M. Jean-Pierre Sueur d’ici à la fin de l’année. Nous verrons bien si, en l’absence des trois verrous que je viens de citer, une masse de procédures vient s’ajouter, ou non, aux 33 informations judiciaires et aux 9 enquêtes préliminaires en cours.
Connaissant votre intérêt de longue date pour ces questions et votre compétence en la matière, je vous invite, monsieur le sénateur, à participer à cette évaluation.