Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le peuple de France attend beaucoup du Sénat ; il attend qu’une prise de conscience et une véritable justice émergent de nos discussions.
En effet, la réforme des retraites ne passe pas, car les Français ont le sentiment qu’elle est en rupture avec les principes fondamentaux de notre pacte social.
C’est d’ailleurs ce qui motive le dépôt par le groupe socialiste de la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. À nos yeux, votre texte est celui d’une double rupture avec les principes de notre organisation sociale.
Il y a d’abord rupture en termes d’égalité entre les citoyens, puisque, à l’issue de cette réforme, la situation des femmes et des travailleurs aux carrières précaires ou pénibles se trouvera dégradée et les inégalités seront accrues.
Il y a ensuite rupture en termes de pérennité financière du régime général, puisque votre projet ne corrigera qu’une partie des déséquilibres budgétaires et seulement à court terme, sans permettre d’atteindre un équilibre des comptes sincère, une fois dissipé l’écran de fumée que constitue le décaissement du Fonds de réserve des retraites, le FRR.
Le Préambule de la Constitution de 1946 dispose pourtant que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ». Nous en sommes loin, et nous nous éloignerons encore de cet objectif dans les faits si votre texte est adopté en l’état. Ce même texte constitutionnel prévoit en outre que « la Nation garantit à tous, notamment […] aux vieux travailleurs, […] la sécurité matérielle […]. Tout être humain […] a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » Si le système croule sous les pertes et si le niveau général des pensions diminue, il deviendra vite impossible de tenir cet engagement.
Par ailleurs, pour les dépenses communes, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoit qu’une « contribution » est « indispensable » et qu’elle doit être « répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Monsieur le ministre, dans votre texte, les questions de proportionnalité et de progressivité fiscale sont passées sous silence ; les salariés paieront 90 % de l’addition, tandis que les privilégiés dormiront tranquilles tout en s’enrichissant.
Enfin, toujours aux termes du Préambule de la Constitution de 1946, « tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail […] ». Si j’en juge par la position des syndicats représentatifs des salariés, aucun d’entre eux n’estime avoir été réellement consulté.
Sur le fond, sur la forme, au regard des conséquences de l’application du texte, nous estimons donc que la question de l’irrecevabilité de votre projet de loi se pose.
En une quinzaine d’années, l’actuelle majorité aura présenté quatre textes portant sur les retraites, en formulant chaque fois la même promesse : « nous faisons tout cela pour équilibrer les comptes ».
Mais, à l’arrivée, le démenti est cruel : en 2010, le déficit de la branche vieillesse du régime général devrait s’élever à 9 milliards d’euros. Aujourd’hui, monsieur le ministre, comme frappé d’amnésie quant aux échecs d’hier, vous reprenez le chemin des mesures comptables, en jouant cette fois sur le nouveau paramètre des mesures d’âge.
Cette nouvelle réforme technocratique, guidée par l’urgence, va déboucher sur une double déroute : financière d’abord, puisque le report des seuils d’âge et l’augmentation des durées d’assurance ne remédieront qu’en partie aux déséquilibres ; sociale surtout, puisque des millions de Français verront leur vie bouleversée par des changements soudains dictés d’en haut.
Mais en réalité, peut-on véritablement parler de réforme ? Étant donné les erreurs du passé, nous attendions une transformation ou, à tout le moins, un peu d’imagination. Nous n’aurons pourtant qu’un rafistolage comptable supplémentaire.