Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la diffusion culturelle au sens large est plus que jamais un enjeu politique et économique que l’on ne peut ignorer. Figurant parmi les premiers pays pratiquant une diplomatie culturelle depuis le XVIIIe siècle, la France conserve une place de choix dans ce domaine, mais elle doit s’adapter aux nouveaux défis contemporains.
Notre pays attache depuis longtemps une grande importance aux échanges culturels – cinéma, théâtre, arts, livres, idées, médias –, à la promotion de la langue française et au plurilinguisme. C’est pourquoi, je le rappelle, la France s’est battue pour obtenir de l’UNESCO, en 2005, une convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Elle entretient également un important réseau d’instituts culturels, d’Alliances françaises et de lycées français à travers le monde. Elle contribue au renforcement de la présence de ses médias avec TV5 Monde, France 24 et RFI, au sein de l’Audiovisuel extérieur de la France.
Nos principaux moyens d’actions sont la mobilité des étudiants, le développement de la recherche et des échanges de scientifiques et, bien entendu, la langue, avec l’expansion et l’affirmation de notre politique en faveur de la francophonie.
La construction d’équipements phares et le développement d’offres événementielles à portée internationale, comme les capitales européennes de la culture ou les expositions universelles, sont autant d’exemples de moyens d’influence et de diffusion de la culture.
Néanmoins, il est nécessaire de s’interroger sur notre stratégie de rayonnement culturel, ainsi que sur les moyens que l’on souhaite, et peut, y consacrer. Ce débat est donc le bienvenu.
Plus que jamais, nous vivons dans un monde globalisé et standardisé. Plus que jamais, la diffusion massive, de par le monde, de la culture mainstream nord-américaine met, d’une certaine manière, en péril notre identité culturelle, et pas seulement la nôtre au demeurant ! Ainsi, plus que jamais, la France et l’Europe ont besoin d’affirmer et de défendre les valeurs qui leur sont propres, valeurs que notre collègue Louis Duvernois a fort bien rappelées.
Telles sont les conclusions du rapport sur la gouvernance européenne du numérique, que je viens de terminer au nom de la commission des affaires européennes.
L’avènement de l’internet représente un potentiel énorme de promotion de la richesse et de la diversité culturelles française et européenne. Mais elle peut également, si nous n’y prenons garde, être synonyme d’homogénéisation culturelle. On le sait, internet déstabilise les modalités actuelles du financement de la culture, à la fois par son apparente gratuité et son absence de territorialité, qui lui permet d’échapper aux régulations nationales.
Si l’expression des contenus émane des territoires nationaux, il revient à l’Europe d’organiser la stimulation de la création et la transition numérique de l’ère industrielle. En ce domaine, plusieurs instruments que j’évoque dans mon rapport sont mobilisables, mais l’Union doit savoir si elle veut poursuivre cette politique culturelle ou se livrer, pieds et mains liés, à quelques géants, principalement américains, qui ambitionnent d’organiser l’information du monde.
Un débat au sein de l’Union est en cours. Douze États, dont la France, ont appelé en novembre dernier la Commission à soutenir la culture, par une lettre conjointe adressée aux commissaires Vassiliou, Barnier et Kroes, dans laquelle ils les invitaient à faire de la création culturelle en Europe un enjeu majeur.
Dans ce domaine principalement, nous avons besoin de renouveler totalement notre stratégie, faute de quoi nous sommes voués au sous-développement et à n’être qu’une colonie du monde numérique.
Cela étant dit, j’aimerais revenir sur quelques autres aspects de notre rayonnement culturel.
Tout d’abord, il me semble opportun de pouvoir faire un bilan des deux premières années de fonctionnement de l’Institut français, présidé par Xavier Darcos, et chargé, dans le cadre de la politique et des orientations arrêtées par l’État, « de porter une ambition renouvelée pour la diplomatie d’influence et de contribuer au rayonnement de la France à l’étranger dans un dialogue renforcé avec les cultures étrangères ».
Comme l’a rappelé Louis Duvernois, l’Institut a vocation à s’imposer comme l’opérateur central de notre action culturelle extérieure, en déclinant selon les zones géographiques les priorités stratégiques de notre politique d’influence. Pour ce faire, il doit articuler et soutenir la programmation culturelle développée par notre réseau de 98 établissements à autonomie financière culturels et le réseau associatif des 445 Alliances françaises conventionnées. Il lui appartient, en particulier, de professionnaliser les leviers de notre dispositif d’influence culturelle à l’étranger, en mettant l’accent sur la formation de nos agents culturels et le développement des outils numériques de diffusion culturelle et d’enseignement du français. L’Institut a d’ailleurs commencé à s’acquitter de cette mission.
En revanche, comme le soulignait le rapporteur pour avis sur la mission budgétaire, Louis Duvernois, les « relations avec les Alliances françaises mériteraient d’être clarifiées ». Celles-ci ne doivent en effet pas être marginalisées parallèlement au développement de l’Institut français.
Je conserve encore le souvenir ému de cette toute petite Alliance française, îlot de résistance, au cœur de la forêt amazonienne, à Manaus ! Dans le cadre de notre mission sur l’année de la France au Brésil en 2009, les membres de la commission de la culture avaient rencontré sa directrice, qui se sentait bien seule et démunie. Et pourtant, quel travail elle accomplissait ! L’activité des alliances est précieuse, comme notre commission le constate à chacun de ses déplacements.
Aussi, le travail de l’Institut français devrait se concentrer sur l’animation effective et efficace de tout le réseau culturel extérieur. Quelle est, à cet égard, monsieur le ministre, votre ambition ? Quelles missions nouvelles et innovantes souhaitez-vous confier à l’Institut français, pour qu’il rivalise avec ses concurrents britanniques ou néerlandais, très bien organisés ?
J’aimerais à présent revenir rapidement sur les crédits de la mission « Action extérieure de l’État ». On ne peut que constater et regretter les coupes budgétaires opérées dans le cadre de la loi de finances pour 2013, dans un secteur déjà très contraint. Naturellement, je partage la nécessité de maîtriser nos dépenses publiques ; néanmoins, la diplomatie culturelle et d’influence a déjà subi d’importantes contractions de ses moyens.
On peut regretter que les efforts de réduction des dépenses portent principalement sur des politiques fondamentales.
Les crédits dédiés à l’animation du réseau, qui comprennent non seulement les frais de communication, d’informatique, de missions et de représentation, mais également les moyens consacrés à la formation des agents, diminuent de 6, 4 %, les crédits de soutien au réseau culturel étant en particulier réduits de 5, 6 %.
Les crédits de la coopération culturelle et de promotion du français accusent pour leur part la baisse la plus importante du programme, de l’ordre de 6, 5 millions d’euros, soit une diminution de 7, 66 %. Or, concernant la francophonie, un appui politique fort et déterminé est nécessaire.
Je ne rappellerai pas le rôle fondamental que joue l’Organisation internationale de la francophonie, qui rassemble 63 États, dans la promotion de la langue française, notamment face à la prééminence de l’anglais. Tous les moyens doivent être mis en œuvre, y compris les plus innovants, pour maintenir, à travers le français, une nécessaire diversité linguistique et des idées. Quelle est la réflexion du ministère à ce sujet ?
Aussi, il est important que la France renforce sa position sur le marché international de l’économie du savoir, en exportant l’enseignement supérieur en français ou à la française et en cherchant à attirer et à fidéliser les jeunes générations, notamment les meilleurs étudiants étrangers, par des programmes d’échanges et de mobilité.
Là encore, il faudra s’appuyer sur l’Institut français pour moderniser l’enseignement du français dans les systèmes éducatifs locaux, à tous les niveaux d’enseignement.
Je voudrais également dire quelques mots des années croisées qui ont le bénéfice de l’échange et portent le dialogue des cultures.
En 2009, dans le rapport d’information que nous avions rédigé, à la suite du déplacement de la commission de la culture au Brésil, nous concluions que le bénéfice de tels investissements devait induire des prolongements en matière de coopération. En a-t-on aujourd’hui les moyens ?
On notera que le rayonnement extérieur de la France ne passe pas exclusivement par l’État et que les territoires développent souvent des politiques durables, comme nous avons pu le constater, voilà encore deux semaines, lors du déplacement de notre commission au Vietnam. La coopération entre la province de Hué et la région Nord-Pas-de-Calais a entraîné d’autres coopérations et des réflexes dans les échanges. Certains pays de la francophonie sont très demandeurs du renforcement de ce type de coopération.
Pour prendre un exemple concret, l’orchestre du troisième cycle du conservatoire de la ville de Rouen, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, est intervenu avec ses enseignants à Hanoï à l’occasion de son millénaire en 2010, en échange de quoi des étudiants vietnamiens sont venus dans notre ville apprendre la musique et la langue.
On constate donc que les bénéfices sont réciproques.
Pour terminer, il me semble indispensable, pour soutenir et mettre en avant toute cette politique de rayonnement et d’influence, que la France s’appuie sur un audiovisuel extérieur totalement imprégné par cette réflexion. Là encore, la concurrence avec les autres pays doit nous conduire à renforcer notre pôle audiovisuel extérieur.
Forte de l’expérience de TV5 Monde, la nouvelle présidente de l’Audiovisuel extérieur de la France, l’AEF, Marie-Christine Saragosse, a bien engagé son mandat. Il convient de saluer son travail.
Fin 2011, un rapport de l’inspection générale des finances sur la santé financière des chaînes de l’AEF soulignait que, si les chaînes avaient su s’imposer malgré un environnement fortement concurrentiel, l’application d’un principe de précaution budgétaire et le renforcement des synergies au sein du groupe devaient être mis en œuvre.
Sur ce sujet, je vous remercie de bien vouloir nous éclairer, monsieur le ministre.