Séance en hémicycle du 26 mars 2013 à 14h30

Résumé de la séance

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La séance

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La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Bel.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour un rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Pozzo di Borgo

Monsieur le président, mes chers collègues, ce rappel au règlement, que je fais au nom du groupe UDI-UC, se fonde sur l’article 29 de notre règlement et porte sur l’attitude du ministre de l’intérieur au sujet de la manifestation qui a eu lieu avant-hier, dimanche, à Paris, à l’occasion de la discussion au Parlement du projet de loi sur le mariage.

En l’occurrence, ce n’est pas le fond qui est en cause, chacun exprimant ses positions comme il l’entend.

Élu de Paris, je puis témoigner que la préfecture de police de Paris est une très belle machine, une structure très efficace – l’une des meilleures du monde –, rodée au maintien de l’ordre. Les fonctionnaires qui y travaillent sont d’une grande qualité et n’ont été que très rarement impliqués dans des dérapages.

D’ailleurs, lors de la manifestation du 13 janvier, qui avait rassemblé sensiblement le même nombre de manifestants que celle du 24 mars, aucun incident – je dis bien aucun ! – n’avait été déploré. Selon la préfecture elle-même, il s’agissait pourtant de la manifestation la plus importante depuis 1984, année qui a vu des foules extrêmement nombreuses défiler pour défendre l’école libre.

Le dimanche 24 mars, l’ambiance était tout autre : tensions lors des négociations sur le parcours de la manifestation ; blocage de la place de l’Étoile ; tenues anti-émeute généralisées pour les CRS et les gendarmes ; dotation exceptionnellement large des unités de maintien de l’ordre en aérosols et gaz lacrymogènes ; consignes données – beaucoup d’officiers, de gendarmes et de CRS que nous avons rencontrés nous l’ont confirmé – de « taper fort ».

Comme d’autres élus, j’étais sur place. J’ai vu des familles avec des poussettes ainsi que des personnes âgées atteintes par des gels lacrymogènes alors qu’elles regagnaient les transports en commun. J’ai vu des jeunes matraqués à terre par la police après avoir été bousculés par la foule paniquée, et j’ai ensuite appris que l’inspection générale des services avait refusé d’enregistrer leurs plaintes. J’ai vu des élus en état de choc.

Il se peut que quelques provocateurs se soient glissés dans la foule pacifique… Trente, selon la préfecture de police. En tout cas, sur plusieurs centaines de milliers de manifestants, la police n’a placé que six personnes en garde à vue.

On est donc en droit de s’interroger sur la teneur des consignes données par le ministre de l’intérieur à la préfecture de police : n’ont-elles pas été disproportionnées ? N’a-t-il pas, par son énervement, par sa volonté, peut-être, de dévaloriser cette manifestation, provoqué tout ce qu’il s’est passé ?

Il ne m’appartient pas de répondre à ces questions. Je ne fais que les formuler et je pense qu’il serait bon que les parlementaires puissent s’intéresser à ces incidents, en dehors du débat de fond sur le mariage.

Je demande donc, au nom groupe UDI-UC, la constitution, sinon d’une commission d’enquête, au moins d’une mission d’information sur ces événements, qui auraient pu très mal se terminer, et sur la responsabilité éventuelle du ministre de l’intérieur dans les débordements qui ont été constatés.

Le ministère de l’intérieur et la préfecture de police de Paris sont, je l’ai dit, de très belles machines, mais il faut que ces machines soient bien conduites. Or nous avons eu le sentiment que, lors de la manifestation de dimanche dernier, on avait induit chez les forces de l’ordre un état d’esprit tel que, s’il ne fait pas de doute que les fonctionnaires concernés ont avant tout cherché à bien faire leur travail, ils n’ont pas eu la réaction adéquate.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Mon cher collègue, acte vous est donné de votre rappel au règlement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

L’ordre du jour appelle la suite du débat sur les conclusions de la mission commune d’information sur les conséquences pour les collectivités territoriales, l’État et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale (rapport d’information n° 611 [2011-2012].)

Mes chers collègues, je vous rappelle que nous avions entamé ce débat lors de notre séance du 30 janvier dernier.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Conformément à la décision de la conférence des présidents, la parole est à M. le rapporteur.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Guené

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà quelques semaines, à travers l’étroite « fenêtre de tir » consentie par les amis des loups, j’avais pu brosser devant vous le tableau détaillé des conséquences de la réforme de la taxe professionnelle. Mais la plupart d’entre vous étaient sortis frustrés d’un débat tronqué.

Aujourd’hui, grâce à la pugnacité du groupe RDSE, nous pouvons mener notre exercice à bonne fin. Aussi, je tiens à remercier le président Jacques Mézard de m’avoir donné la possibilité de m’exprimer de nouveau, fût-ce de manière légèrement réduite, pour introduire la reprise attendue de ce débat.

Après avoir rappelé les insuffisances de la réforme et les ajustements qui restent à lui apporter après plusieurs lois de finances, je tenterai d’expliquer comment les textes affectent profondément le paysage fiscal et notre conception même des finances publiques.

Il est indéniable que la réforme de la taxe professionnelle a renforcé la compétitivité des entreprises, ainsi que l’établissent tous les rapports. Rappelons que seules 20 % des entreprises ont été reconnues perdantes, alors que 20 % d’entre elles ont connu la stabilité et que les 60 % restantes, relevant essentiellement du secteur industriel, ont enregistré une évolution favorable de leur imposition – l’allégement allant de 30 % à 80 % –, certes au détriment des services et au prix de quelques désagréments pour l’intérim.

Pour l’État, la réforme a eu un coût de l’ordre de 4, 5 milliards d’euros en régime de croisière, après une année charnière qui lui en aura coûté le double. En revanche, l’État a « fixé » l’hémorragie que lui imposaient les contreparties aux collectivités locales au titre de cet impôt et dont il était le principal pourvoyeur : c’est là le gain essentiel qu’il en a retiré. Il a, en quelque sorte, « payé pour solde de tout compte ».

Enfin, s’agissant des collectivités locales, si elles ont été indemnisées à l’euro près, ce que plus personne ne conteste, la réforme a profondément affecté leur relations avec l’État ; j’y reviendrai.

D’un point de vue pratique, l’incidence majeure de la réforme est le rebasage de la ressource sur les ménages, notamment pour le bloc communal, et sur une part d’impôt économique considérablement diminuée, qui évolue désormais au même rythme que la richesse nationale. Cela induit une dynamique nouvelle, corrélée à l’évolution économique et aux capacités contributives des habitants.

Les parlementaires ont, à cet égard, dû affiner considérablement les critères, de manière à corriger les anomalies et à tenir compte du poids de l’histoire. Nous ne reviendrons pas sur ce travail fastidieux, mais nous soulignerons les résultats obtenus et la nécessité de poursuivre la tâche.

Les deux dernières lois de finances ont procédé à des ajustements afin de mieux prendre en compte les établissements industriels et leurs spécificités, tout comme leurs effectifs, et introduit certaines mesures préconisées par notre rapport sénatorial, telle l’indexation de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux, l’IFER.

À l’heure actuelle, subsiste la problématique liée à la poursuite de la mise en place de la péréquation, corollaire essentiel du nouveau système, car le fondement de la ressource nouvelle des collectivités et son dynamisme asymétrique exigent une appréciation de la richesse en stock, mais aussi une appréciation des charges des collectivités.

La mise en œuvre de ces corrections est l’un des chantiers essentiels sur lesquels le Parlement est appelé à travailler.

Il importe que la montée en puissance programmée puisse suivre le calendrier fixé, mais en prenant garde au contexte contraint que nous traversons et en liant l’effort aux flux annuels.

S’agissant du bloc communal, nous pouvons nous féliciter du cap maintenu par le Gouvernement quant à la progression du fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales, le FPIC, voire son rattrapage.

Comme la répartition sur la base du coefficient d’intégration fiscale – CIF – à l’échelon intercommunal, l’introduction du revenu des habitants – il vient modifier le prélèvement à hauteur de 20 % – constitue une correction utile apportée par la loi de finances pour 2013 au profit de certains territoires urbains.

Le dossier de l’appréciation des charges de centralité reste également ouvert. Il conviendra sans nul doute d’introduire des correctifs en déplafonnant progressivement le prélèvement du FPIC et du FSRIF – fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France –, mais nous devons aussi attendre que l’Île-de-France puisse ajuster son propre système en tenant compte des besoins spécifiques et différenciés de son territoire, qui n’a pas encore, rappelons-le, opéré sa mutation intercommunale.

Il reste beaucoup plus de travail au sujet des mécanismes de solidarité concernant les régions et les départements, ces collectivités ayant apporté moins d’attention auxdits mécanismes. Elles auraient sans doute intérêt à faire rapidement des propositions concrètes à cet égard.

Sur le plan technique, monsieur le ministre, il convient d’insister sur les trois pierres d’achoppement subsistant autour de la CET, la contribution économique territoriale.

Il s’agit tout d’abord du dossier de la cotisation minimale au titre de la contribution foncière des entreprises – ce qu’on appelle la « CFE minimale » –, que le Gouvernement n’a pas voulu régler définitivement dans la dernière loi de finances. Nous avions proposé un plafonnement sur la valeur ajoutée, à l’instar de ce qui existe pour les autres contribuables. Il est indispensable de le décider pour 2014, en temps utile, dans un cadre constitutionnel durable.

Il sera également impératif d’adapter la répartition de la CVAE, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, aux caractéristiques des groupes. En effet, actuellement, les décisions d’organisation juridique des groupes permettent de déterminer largement les lieux de répartition de la valeur ajoutée. Sachant que ces groupes réalisent plus de la moitié de la valeur ajoutée au niveau national et qu’ils sont concentrés sur certaines zones, le mécanisme n’est pas neutre...

Il a été proposé, dans le rapport parlementaire, que cet aspect soit corrigé pour ramener les principes à ceux qui régissent les entreprises multi-établissements classiques. Tant Valérie Pécresse que son successeur, Jérôme Cahuzac, ont prétexté le besoin de simulations pour envisager d’en modifier l’approche. Mais le phénomène est maintenant parfaitement identifié.

Enfin, subsistera la mesure des incidences de la revalorisation des valeurs locatives, dont le calendrier est désormais établi. Cette dernière révolution fiscale produira de nouvelles modifications sur la géographie fiscale locale, mais aussi sur la fiscalité locale, car elle porte également en germe une nouvelle carte des richesses et, par là même, des critères qui sont utilisés pour la péréquation de ces mêmes richesses sur le territoire.

Cette réforme est d’autant plus nécessaire que la perte du levier fiscal impose la revalorisation permanente de la matière fiscale, de manière différenciée.

Convenons à cet égard que la mise en place d’une nouvelle fiscalité locale qui ne s’appuie plus pour l’essentiel sur le levier fiscal doit pouvoir bénéficier d’un renseignement, d’une expertise et de rapports permanents qui ne soient pas à la seule discrétion du Gouvernement.

Il faut que les parlementaires puissent disposer en permanence des simulations et des états nécessaires, de façon qu’ils n’aient pas à s’en remettre à la seule expertise de leurs associations d’élus, dont les rapports de prospectives sont au demeurant très intéressants. Il est urgent de mettre à la disposition des parlementaires les outils et les sources nécessaires à une veille et à une mise à jour permanentes de la fiscalité locale.

Venons-en maintenant à l’aspect prospectif et aux conséquences les plus durables de cette réforme.

La taxe professionnelle a vu le jour à la fin des Trente glorieuses, sur des bases conceptuelles liées à une ère de croissance, ainsi qu’à une volonté d’autonomie fiscale des collectivités locales et de transfert de compétences à ces dernières, de façon à leur permettre d’assumer elles-mêmes, en lieu et place de l’État, les besoins de reconstruction et de développement.

Le texte sur la taxe professionnelle, dont les fondements remontent à 1959, arriva à maturité alors que nous venions juste de changer d’époque, avec le choc pétrolier de 1974 et, en 1975, la fin des budgets en équilibre : ces deux événements vont placer le pays en situation de crise, laquelle ira crescendo avec la mondialisation.

La taxe professionnelle en subira très rapidement les conséquences avec la suppression de la part salaires en 1987, avec sa compensation relative en 1999, au grand dam d’un État soucieux de ses finances, avec la prise en compte de la valeur ajoutée à travers les modifications de 1979 et 2006, qui portaient déjà en germe la réforme de 2009.

Comme l’indique le rapport Fouquet, dès lors que la taxe professionnelle n’était plus portée que par les seuls investissements, elle était condamnée.

Alors que les collectivités se réjouissaient de la liberté fiscale acquise, ailleurs, on réfléchissait à de nouvelles étapes. L’État était déjà en période de contrainte, et l’on va assister à un chassé-croisé de mesures contradictoires, avec l’illusion d’une autonomie fiscale, les collectivités étant en fait, à travers des dégrèvements croissants, de plus en plus financées par l’État.

Il faudra attendre la charnière de 2002-2004, avec l’inscription de l’article 72-2 dans la Constitution, pour que l’horizon bascule. Cependant, sur le moment, le monde élu n’a pas perçu la portée de cette disposition. Le Gouvernement et l’administration venaient d’imposer définitivement la norme de référence : exit l’autonomie fiscale ; l’autonomie financière était née !

En 2009, la réforme de la taxe professionnelle, a priori à destination des entreprises, vient porter le coup de grâce en diminuant le poids de l’économie dans la ressource locale, en figeant les taux et en réaffectant les impôts par niveaux, souvent sous forme de parts d’impôt national.

Pour être tout à fait complète, cette réforme exigeait un second pilier, celui de la péréquation horizontale : en effet, si elle a réduit le poids de la richesse économique dans la ressource, elle n’en a pas moins laissé subsister les inégalités territoriales accumulées. En même temps, la réforme permet à l’État de substituer la péréquation horizontale à la péréquation verticale dont il était comptable, dernier verrou posé sur le dispositif, avant que ne vienne s’ajouter la rationalisation des compétences, qui nous occupera dans les deux mois à venir.

Il est important de souligner ce double mouvement contradictoire, où le cheminement des élus s’est heurté à une radicalisation de l’administration et des gouvernements, et où les élus ont accusé un temps de retard par rapport à l’évolution de l’histoire fiscale.

Cela ne veut pas dire que ce mouvement est inéluctable et ne peut être inversé ; cela signifie seulement que les circonstances l’imposent pour quelques décennies et qu’il importe d’en prendre acte, à l’instar de nos collègues européens.

Je formulerai une interrogation supplémentaire, en lien avec la réduction drastique des dotations qui vient de nous être annoncée : 4, 5 milliards d’euros sur deux ans, soit 6 % de leur montant.

Si l’on peut comprendre une telle décision dans le contexte que je viens d’évoquer, il importe que sa nécessité soit rapidement et largement admise et que, en outre, la répartition de l’effort au sein des niveaux de collectivités soit équitablement répartie.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser quelles sont les intentions du Gouvernement à ce sujet, dans le cadre de la nouvelle gouvernance qui s’installe ?

Pour terminer sur une note prospective, je souhaite dire que la taxe professionnelle ne correspond pas seulement à une grande réforme fiscale technique ; elle doit aussi être lue, selon la formule du professeur Michel Bouvier, comme « le basculement tangible d’un monde quasi révolu, fondé sur une régulation par des États nationaux maîtres de leurs choix financiers, à un autre, fondé sur des espaces supranationaux intégrant des espaces territoriaux et fonctionnels à autonomie financière limitée ».

La crise que nous traversons accélère cette évolution avec une violence inaccoutumée, en poussant à une plus forte intégration des acteurs publics locaux, nationaux et européens, et à la mise en place d’outils nouveaux, comme le Conseil des exécutifs, hier, ou, demain, le Haut Conseil des territoires, auquel nous devons donner force opérationnelle au plus vite, dans le cadre d’un véritable dialogue.

C’est l’équilibre de la société et du lien social qui est en jeu, avec une nouvelle forme de gouvernance qui intégrera démocratie, solidarité et liberté. Le seul risque que comporte l’exercice, c’est que cette intégration prenne la voie d’une recentralisation.

Aussi, souhaitons que le Parlement ne se contente pas de considérer cet épisode comme celui d’une réforme réalisée à la hâte ou souffrant d’improvisation, où les uns et les autres auraient failli, car il passerait alors à côté de l’histoire fiscale de nos collectivités. §

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme cela a été rappelé par Jacques Mézard le 30 janvier, dans l’espace réservé du RDSE, le débat sur les suites de la suppression de la taxe professionnelle a été organisé sur l’initiative de notre groupe, qui est aussi à l’origine de la constitution de la mission commune d’information que présida notre ancienne collègue Anne-Marie Escoffier, mission dont les conclusions et le rapport en deux tomes ont été rendus public au mois de juin 2012.

Un tel débat avait toute sa place dans une semaine sénatoriale de contrôle. C’est pourquoi nous nous réjouissons qu’il puisse être poursuivi précisément dans ce cadre-là aujourd’hui.

La tenue de ce débat dans notre hémicycle ne pouvait plus attendre, car les conclusions de la mission commune d’information sur les conséquences pour les collectivités territoriales, l’État et les entreprises de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale méritent que le Gouvernement fournisse certains éclaircissements, informe la Haute Assemblée de ses intentions en la matière et, plus largement, nous dise comment il appréhende la question de plus en plus sensible des finances des collectivités territoriales.

Sur cette question, mon groupe s’enorgueillit d’être en pointe et de remplir ainsi la mission que nous confère, à nous sénateurs de la République, l’article 24 de la Constitution.

Désormais, les vingt-cinq propositions formulées par la mission d’information sont autant de pistes pour « limiter les dégâts », dont les effets se font toujours sentir, causés par la réforme de la taxe professionnelle, mais aussi pour apporter des compléments utiles sur des points qui n’ont pas été traités jusqu’à présent.

Malheureusement, l’évaluation des conséquences de la réforme s’est révélée particulièrement délicate compte tenu des difficultés rencontrées par les membres de la mission pour obtenir certains chiffres et informations.

En effet, un des éléments les plus frappants, à la lecture de ce rapport, est bien le déficit d’informations qu’ont constaté les auteurs et dont ils ont eux-mêmes souffert. Je citerai quelques passages très révélateurs.

Le rapport rappelle, par exemple, qu’«aucune estimation n’a été fournie par le Gouvernement s’agissant des conséquences de [la] nouvelle définition des potentiels fiscal et financier, sur le classement des communes et des EPCI en fonction de leur potentiel par habitant ».

À propos des fonds de péréquation de la CVAE, on peut lire : « Votre rapporteur regrette que, malgré les travaux approfondis menés par la commission des finances sur ce sujet, le Gouvernement n’ait procédé à aucune évaluation détaillée des conséquences de ces dispositifs de péréquation pour les départements et les régions. »

Ce constat a conduit les membres de la mission à recommander de « renforcer les dispositifs départemental et régional de péréquation de la CVAE et [de] simuler leurs effets en amont de l’examen de la loi de finances pour 2013 » ; il s’agit de leur seizième proposition.

De telles simulations ont, certes, été partiellement fournies avec le projet de loi de finances pour 2013, dont l’article 69 revoyait en profondeur le fonctionnement et les modalités de répartition des fonds de péréquation de la CVAE, qui doivent être mis en place cette année. Cependant, le rôle des parlementaires est nécessairement contraint par le fait qu’ils n’ont pas les moyens de réaliser leurs propres simulations, donc d’élaborer des propositions alternatives de manière éclairée, ce qui est tout à fait regrettable. Il me semble en effet indispensable que, dans une démocratie parlementaire moderne, le Parlement dispose de toutes les simulations nécessaires pour éclairer les décisions qu’il prend.

Mais nous n’avons pas tous la même préoccupation si l’on en juge par le vote des députés, qui ont, lors de l’examen en deuxième lecture du projet de loi de finances pour 2013, adopté un amendement gouvernemental modifiant à nouveau totalement les modalités de fonctionnement des fonds de péréquation de la CVAE, et ce sans aucune simulation.

Je pourrais citer de nombreux autres passages du rapport qui relèvent l’absence d’information et de simulation sur tel ou tel point. C’est significatif du peu de cas qui est fait du rôle et des droits du Parlement et des parlementaires. Nous regrettons qu’il en soit ainsi et, monsieur le ministre, puisque vous êtes nouveau à ce poste, nous espérons que vous faciliterez au maximum la diffusion des informations demandées par les parlementaires, notamment à vos services de Bercy, qui font parfois de la rétention…

Je reviens maintenant aux conclusions du rapport de la mission. Que nous apprend-il ?

Tout d’abord, que l’effet « positif » attendu de la réforme de la taxe professionnelle sur les entreprises n’est pas aussi évident qu’il y paraît et, surtout, pas aussi mirobolant que ce qu’on nous avait laissé entrevoir.

Certes, cette réforme a été bénéfique pour un nombre non négligeable d’entreprises, notamment dans le secteur industriel, mais trois ans après sa mise en œuvre, la situation n’a pas fondamentalement changé, car les ressorts de notre perte de compétitivité, qui se poursuit depuis plus de dix ans, comme l’a rappelé l’excellent rapport de Louis Gallois, se trouvent ailleurs.

En outre, cette réforme a été pénalisante pour un certain nombre de petites entreprises, notamment des artisans et des commerçants.

Elle ne s’est pas non plus traduite par des créations d’emplois, contrairement à ce qui était prévu et annoncé. De nouvelles mesures doivent donc être mises en place d’urgence pour restaurer la compétitivité, la croissance et l’emploi. Le Gouvernement s’y attache et le groupe RDSE lui apporte tout son soutien à cet égard.

Pour ce qui concerne les collectivités territoriales, le principal constat du rapport est sans appel : la réforme de la taxe professionnelle a eu pour conséquence de les maintenir dans un état d’incertitude quant à leurs ressources fiscales et budgétaires.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Certes, du chemin a été fait depuis, mais l’incertitude a laissé la place à un très grand scepticisme, car la réforme de la taxe professionnelle, c’est bel et bien, pour reprendre les mots employés par notre rapporteur Charles Guené le 30 janvier, le « coup de grâce » porté à l’autonomie financière des collectivités.

Les élus rencontrés par les membres de la mission lors de leur déplacement à Toulouse ont très bien résumé, me semble-t-il, le « sentiment général » des collectivités quant à cette réforme. Ils ont en effet déploré « le manque d’informations et de simulations concernant leurs recettes au moment de la réforme, qui a pu conduire certains d’entre eux à prendre des décisions inadaptées ».

Ils avaient également évoqué, à juste titre, le risque d’une augmentation du poids de l’imposition sur les ménages, un risque qui est aujourd’hui devenu réalité, comme l’a montré le rapport présenté le 6 novembre 2012 par le Gouvernement devant le Comité des finances locales.

Pour conclure, je dirai que la réforme de la taxe professionnelle n’a que très partiellement atteint ses objectifs qu’étaient l’amélioration de la compétitivité des entreprises françaises, d’une part, la simplification et la clarification de la fiscalité locale, d'autre part. Aujourd’hui nous sommes toujours face aux mêmes défis.

Je tiens, pour terminer, à insister sur un point auquel tous les membres du RDSE sont très attachés : pour réduire les inégalités entre les territoires, inégalités qui ne cessent de s’accroître depuis la réforme de la taxe professionnelle, il est urgent de mettre en place un système de péréquation verticale et horizontale véritablement juste et efficace. Beaucoup de chemin reste à parcourir pour y arriver, mais nous espérons que le Gouvernement ne ralentira pas le pas au premier obstacle. En tout cas, il peut compter sur le Sénat et sur le RDSE pour lui rappeler à la fois ses engagements et ses obligations envers les collectivités territoriales de notre pays.

Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste . – M. Christian Favier applaudit également.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Vincent Placé

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme la fiscalité nationale, la fiscalité locale constitue certes un enjeu pragmatique – les moyens dont on dispose pour agir –, mais également un enjeu démocratique, puisque le citoyen doit pouvoir juger les élus en fonction de leur gestion des deniers publics. Or, de ce point de vue, eu égard au manque de lisibilité de la fiscalité locale, il y a de quoi s’inquiéter !

En tant que sénateur, je me réjouis que nous puissions avoir ce débat. J’en remercie le groupe RDSE, et spécialement son président, Jacques Mézard. Nous écologistes, nous aimons envisager le Sénat comme la « future chambre des régions ». Aussi, je crois que notre assemblée est l’endroit idéal pour soulever cette question, particulièrement en amont de notre réflexion sur la réforme des collectivités territoriales.

Le rapport d’information de notre collègue Charles Guené, fait au nom de la mission commune d’information sur la taxe professionnelle, présidée en son temps par Anne-Marie Escoffier, qui est depuis entrée au Gouvernement et à laquelle je tiens à rendre hommage, établit un remarquable tableau de la situation et des conséquences de la réforme de la taxe professionnelle.

Il est un point sur lequel nous serons probablement tous d’accord, c’est que la taxe professionnelle n’était pas un impôt satisfaisant. Cette taxe donnait en réalité lieu à de nombreuses exonérations, permanentes ou temporaires, son assiette était à revoir puisqu’elle reposait sur une valeur locative obsolète des immeubles et terrains et elle pénalisait l’investissement des entreprises. On avait même parlé de « taxe imbécile »… Enfin, elle coûtait très cher aux finances de l’État dans la mesure où la puissance publique se substituait bien souvent aux entreprises, grâce à des compensations et dégrèvements, pour devenir, au final, le premier contribuable à la taxe professionnelle.

Ces dérives ont profondément remis en cause le principe constitutionnel selon lequel les « ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l’ensemble de leurs ressources ». Nous pouvons en effet déplorer que l’autonomie financière des collectivités ait radicalement diminué depuis l’acte II de la décentralisation.

La fin de la taxe professionnelle était inévitable, mais elle a mis beaucoup de temps, beaucoup trop de temps, à s’opérer, rendant cette taxe encore plus illisible et absurde. Cependant, sa suppression n’a pas forcément permis d’aller dans le sens d’un meilleur respect des principes de la décentralisation.

La nouvelle contribution économique des territoires, mise en place, sinon dans la précipitation, à tout le moins très rapidement, est assez opaque et accroît encore davantage la perte d’autonomie fiscale des territoires.

Tandis que les collectivités prennent en charge le quotidien des Français, l’aménagement du territoire, les transports, les dépenses de la solidarité, l’accompagnement économique des territoires, la formation professionnelle et, de plus en plus, les politiques culturelles, sanitaires, etc., elles continuent de vivre avec des budgets étriqués, dont elles ne maîtrisent quasiment pas les taux ni l’assiette.

Les collectivités constituent, on le sait, un véritable rempart en faveur de la protection des services publics, elles assurent près de 80 % de l’ensemble des investissements publics et elles assument toujours plus de compétences en raison du désengagement de l’État. Or la part des recettes fiscales correspondant à des impôts dont les collectivités territoriales votent les taux devient de plus en plus en marginale. Élu régional, je suis en mesure de le constater tous les jours : nous ne contrôlons plus guère de ressources fiscales.

Je vois le président Patriat opiner. Je suis d’autant plus sensible à son approbation qu’il connaît cette question bien mieux que moi !

Par ailleurs, il existe une véritable incohérence dans cette réforme puisqu’elle rompt le lien entre l’implantation d’entreprises et les collectivités territoriales, notamment la région, pourtant chef de file en matière économique.

Cette réforme a d’ailleurs eu des conséquences néfastes sur la situation économique de nombreuses entreprises, notamment les plus petites, qui doivent, au titre de la cotisation foncière minimale des entreprises, acquitter des sommes trop lourdes pour elles.

La CFE ayant été particulièrement mal pensée, les collectivités locales qui ont voté une augmentation de la cotisation minimale n’ont pas eu les moyens de calculer les conséquences financières de leur décision pour les assujettis.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Vincent Placé

C’est pourquoi le Sénat, par la voix de notre rapporteur général de la commission des finances, François Marc, a proposé de revenir sur les modalités de fixation des bases de calcul de la cotisation minimale de la CFE. Je me réjouis que l’actuel gouvernement, notamment votre prédécesseur, Jérôme Cahuzac – je rends hommage à ses qualités et à son talent, et je suis certain, monsieur le ministre, que vous marcherez dans ses pas –, ait accepté la disposition qui donne à ces collectivités la possibilité de revenir sur des délibérations déjà prises.

À l’instar de la taxe professionnelle, la contribution économique territoriale révèle chaque année ses effets pervers ; nous nous devons de les corriger.

Il nous faut envisager une réforme ambitieuse et consensuelle, qui préserve les intérêts des uns et des autres, qui respecte tout à la fois l’efficacité économique, l’égalité des territoires, le principe de libre administration et d’autonomie fiscale des collectivités territoriales.

De plus, la fiscalité locale doit être enfin pensée comme un instrument politique et marquer une rupture avec la conception administrative des collectivités territoriales, héritée du passé. La situation actuelle suscite notre interrogation sur le fonctionnement démocratique de notre République que nous, écologistes, souhaitons la plus décentralisée possible. Comment encourager par son vote ou, au contraire, sanctionner la politique des élus locaux lorsque ces derniers, en fait, ne sont pas responsables de l’évolution de la fiscalité locale ?

Pour une meilleure lisibilité, et en ma qualité d’écologiste, je crois également qu’il est essentiel de respecter le principe « décideur-payeur » : l’instance qui décide de la dépense doit être la même que celle qui engage cette dépense sur les ressources dont elle est responsable. Cela peut apparaître comme une lapalissade, mais ce rappel ne m’en paraît pas moins utile.

Enfin, je soulignerai l’importance qu’il y a à envisager une taxe qui ne favorise pas l’étalement urbain, pour un meilleur respect de l’environnement et de la biodiversité. Grâce à la fiscalité locale, nous pouvons aussi promouvoir des comportements écologiques. Nous pourrions, par exemple, réfléchir à l’établissement d’une fiscalité locale spécifique afin d’empêcher que les terrains agricoles ou non constructibles fassent l’objet d’une spéculation, ou encore à une modulation de la dotation générale de fonctionnement en fonction des actions relevant de l’ensemble des critères du développement durable.

La fiscalité locale, ce n’est pas simplement de la comptabilité : c’est avant tout un levier au service de nos politiques publiques et de la démocratie.

En conclusion, je tiens à remercier le président du groupe RDSE d’avoir proposé cette réflexion sur la taxe professionnelle et féliciter M. Guené de la qualité de ses travaux. J’espère que nous pourrons élargir ce débat à l’ensemble de la fiscalité locale. Ce serait utile à notre pays.

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Hélène Des Esgaulx

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai mon propos par un constat : la réforme de la taxe professionnelle et la mise en place de la contribution économique territoriale par Nicolas Sarkozy n’ont pas été remises en cause par François Hollande.

Le 7 mars 2012, l’actuel Président de la République, alors candidat, reconnaissait : « Cette réforme de la taxe professionnelle a pu avoir des effets positifs sur un certain nombre d’entreprises [...], et tant mieux. [...] Nous n’allons pas rétablir la taxe professionnelle. Nous prendrons cette réforme pour ce qu’elle est, [mais] nous la corrigerons pour ses excès. »

Le groupe UMP ne dit pas mieux.

Je pense que nous pouvons presque tous nous retrouver, de manière consensuelle, sur un tel sujet.

La création de la contribution économique territoriale n’est pas un aboutissement, elle est une étape importante de la réforme de notre impôt économique local, mais cette réforme est encore appelée à évoluer : elle est perfectible.

La partie « salaires » de la taxe professionnelle avait été progressivement supprimée entre 2000 et 2002 par Dominique Strauss-Kahn et n’existe plus depuis le 1er janvier 2003. Avec la création de la CET, c’est la partie « investissements productifs » qui a été enlevée de l’assiette.

Si cette réforme était nécessaire, sa conception fut complexe : rappelons-nous le travail crucial qui fut mené ici, au Sénat, et qui permit de remanier profondément la réforme initialement proposée par le Gouvernement.

Notre travail fut transpartisan.

Nous introduisîmes notamment une clause de revoyure, qui signifiait bien que la réforme n’était pas achevée et qu’elle était sans doute perfectible, au vu des conséquences de son application concrète, susceptibles de diverger des simulations.

C’est ainsi que notre commission des finances s’est emparée voilà quelques semaines du problème de la cotisation foncière des entreprises, dont le relèvement en 2012 de la cotisation minimale par certaines collectivités, qui ne disposaient pas alors de simulations, a entraîné une taxation excessive de certains artisans et commerçants. Sur l’initiative de notre commission, nous avons adopté à l’unanimité un amendement autorisant les communes à délibérer de nouveau sur la cotisation minimum de CFE pour 2012.

Au final, c’est à l’Assemblée nationale, dans le collectif budgétaire de fin d’année, qu’un dispositif a été adopté définitivement : divers amendements de la majorité et de l’opposition ont ainsi autorisé les EPCI à revenir sur leur délibération de 2012 en prenant une nouvelle délibération jusqu’au 21 janvier 2013 : cela donnait la possibilité aux collectivités territoriales de diminuer ou d’annuler une part de la CFE votée.

Cette difficulté fut donc résolue de manière consensuelle.

La réforme, si elle doit être encore améliorée, ne sera pas remise en cause, car ses effets positifs ont été indéniables pour notre industrie.

À l’heure où le Gouvernement parle de réindustrialisation, de redressement productif, de compétitivité, la réforme de la taxe professionnelle a eu des effets bénéfiques dans ce domaine.

La suppression des investissements productifs de l’assiette de l’impôt économique local a favorisé la compétitivité des entreprises industrielles.

Selon Bercy, elle a donné lieu à 7, 5 milliards d’euros d’allégements pour les entreprises en 2010, puis à 4 milliards d’euros par an.

Au total, 2 millions d’entreprises sont sorties gagnantes de la réforme, contre moins de 800 000 qui ont constaté une augmentation de leur cotisation de plus de 10 % et plus de 500 euros.

Selon Bercy, le premier bénéficiaire de la réforme en 2010 est le secteur de l’industrie, qui a profité d’une baisse d’impôt de près de 2 milliards d’euros, soit 26 % de l’allégement global.

Mais il est faux de dire que cette réforme a favorisé les grandes entreprises.

Les PME s’en sortent en effet mieux : alors que les grandes entreprises, dont le chiffre d’affaires excède 250 millions d’euros, qui produisent au total 33 % de la valeur ajoutée nationale, ne représentent que 19 % du gain global, , les entreprises réalisant moins de 1 million d’euros de chiffre d’affaires bénéficient, selon Bercy, de 36 % des allégements. C’est donc parmi les plus grandes entreprises que les perdants sont proportionnellement les plus importants.

Par ailleurs, l’effet d’aubaine a été évité pour certaines grandes entreprises non délocalisables, avec l’instauration de l’IFER, qui neutralise pour les entreprises de réseaux les bénéfices de la réforme.

Ainsi, l’effet jugé parfois quelque peu « anti-économique » de la taxe professionnelle, dans la mesure où cet impôt était fondé sur la valeur des investissements et sur la masse salariale, a été en grande partie corrigé.

Plus précisément, il s’agit d’un rééquilibrage : en effet, lorsque la taxe professionnelle a remplacé la patente en 1975, 15 % des assujettis, notamment des entreprises industrielles, virent leur cotisation à l’impôt économique local augmenter de plus de 70 %. Les principaux bénéficiaires de cette réforme furent les petites entreprises commerciales et artisanales.

D’une disposition fiscale de quelques lignes les corrections apportées au fil des années firent un texte de plusieurs pages, extrêmement complexe.

Pour autant, cet impôt économique local est indispensable.

Comme l’ancienne taxe professionnelle, l’actuelle CET est une ressource essentielle des collectivités territoriales et revêt une grande importance pour le développement de la coopération intercommunale.

Par ailleurs, la CET occupe une place centrale dans les politiques de péréquation des inégalités de richesse fiscale entre les collectivités.

La suppression d’une partie de l’assiette de la taxe professionnelle lors de la création de la CET n’a pas pour autant affecté les ressources des collectivités : une compensation relais leur a été versée par l’État en 2010, avant la mise en place, à compter de 2011, de mécanismes de garantie et l’attribution d’un nouveau panier de ressources. Ce dernier est composé de nouvelles recettes fiscales rétrocédées par l’État, comportant la taxe sur les surfaces commerciales, le solde de la taxe sur les conventions d’assurance, la fraction de DMTO – droits de mutation à titre onéreux – qui était encore perçue par l’État, ainsi qu’une partie des frais de gestion de la fiscalité directe locale revenant auparavant à l’État.

Ainsi, la réforme de la taxe professionnelle a profondément modifié non seulement le panier des ressources des collectivités, mais aussi la répartition de celles-ci sur le territoire.

Les départements et les régions furent les catégories de collectivités les plus affectées par cette réforme du fait de la quasi-disparition du levier du taux pour les premiers et de sa suppression totale pour les secondes.

Toutefois, plusieurs mécanismes ont été établis, qui ont permis d’améliorer fortement la péréquation : un fonds de péréquation de la CVAE a été institué pour les deux niveaux de collectivités et un fonds de péréquation des DMTO a été tout particulièrement créé pour les départements.

Pour ce qui concerne les DMTO, les écarts étaient auparavant élevés : en 2008, leur montant pouvait varier de 50 euros par habitant pour la Haute-Marne à 300 euros par habitant pour les Alpes-Maritimes, soit un rapport de un à six. Je prends cet exemple au hasard, sur une question que notre excellent rapporteur Charles Guéné connaît bien ! §Ces écarts ont été réduits grâce à la création du fonds de péréquation des DMTO, dont le mécanisme de redistribution a été amélioré au fil des lois de finances, notamment sous l’impulsion du groupe UMP du Sénat.

En effet, la péréquation est un enjeu essentiel, sur lequel nous nous sommes fortement engagés depuis la réforme de la taxe professionnelle.

Le Sénat a notamment obtenu de nouvelles avancées en faveur des territoires ruraux et des territoires défavorisés. Je songe, par exemple, au dispositif voté lors de l’examen de la loi de finances pour 2011.

Parallèlement, la création du fonds de péréquation des recettes intercommunales et communales a constitué une avancée décisive en matière de péréquation.

En résumé, la réforme de la taxe professionnelle, quoique complexe à mettre en œuvre, était nécessaire. Elle a été très substantiellement modifiée par le Sénat, et la clause de revoyure permet d’en corriger les imperfections.

Elle reste encore très certainement perfectible, mais ses effets positifs, notamment sur les entreprises industrielles et sur les PME, sont essentiels dans un contexte de déliquescence de notre industrie et de déclin de notre compétitivité.

Grâce à des mécanismes de garantie et de compensation, les ressources des collectivités territoriales n’ont pas été affectées. Le panier de ressources fiscales dont celles-ci disposent a été très opportunément diversifié et la péréquation, améliorée.

Au total, le groupe UMP, qui a soutenu cette réforme et participé à son amélioration, juge donc avec le recul que, si celle-ci reste perfectible, elle était nécessaire et a eu des effets positifs pour notre pays. §

Debut de section - PermalienPhoto de Frédérique Espagnac

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a un peu plus de trois ans, le Sénat engageait la discussion relative à la réforme de la taxe professionnelle. L’ampleur de cette réforme, les conséquences profondes qu’elle a entraînées pour nos territoires et la complexité des dispositifs concernés nécessitent, à l’heure où nous souhaitons débattre des perspectives, que nous dressions un bilan étayé de la suppression de la taxe professionnelle.

Il y a trois ans, un de nos collègues avait eu cette phrase, au moment d’aborder l’article 2 du projet de loi de finances pour 2010, qui portait suppression de la taxe professionnelle : « Cette réforme, née par surprise à l’Élysée, n’a connu que les couloirs de Bercy pour grandir. Or ce sont bien les territoires qui, demain, mourront de votre fausse réforme ! »

Alors que des rapports comme celui remis en novembre 2012 au Parlement par le Gouvernement établissent désormais des bilans objectifs, réfléchis et fondés sur les trois années d’exercice qui ont suivi réforme, je ne peux résister à l’envie de vous rappeler la réponse de Philippe Marini, alors rapporteur général de la commission des finances : « Tout ce qui est excessif est insignifiant ! »

Citer Talleyrand n’est pas toujours opportun, et cet échange semble aujourd’hui bien douloureux pour la majorité de l’époque. Cependant, cette douleur est éprouvée par l’ensemble des acteurs locaux, les départements comme les régions, les communes comme les intercommunalités.

De fait, dans cette réforme, tout a été excessif.

Tout d’abord, l’impréparation était manifeste, pour une mesure annoncée par surprise, un soir de février, par Nicolas Sarkozy ; aucune concertation, aucune simulation n’ont accompagné la suppression de la taxe professionnelle.

Quant à la précipitation, elle était évidente s’agissant d’un texte déposé en toute hâte à l’Assemblée nationale, puis transmis au Sénat et discuté dans des conditions indignes du Parlement, dont beaucoup d’entre vous se souviennent.

La taxe professionnelle représentait une masse de plus de 30 milliards d’euros en 2009, soit près de 18 % des recettes de fonctionnement de l’ensemble des collectivités locales. Cela équivaudrait, pour l’État, à remplacer l’impôt sur le revenu, qui lui procure près de 17 % de ses recettes fiscales.

Nous pouvons le dire, maintenant que nous sommes aux responsabilités et que nous avons la charge de redresser ce qui a été cassé : il y a eu une part d’irresponsabilité dans la manière de mener la réforme fiscale des territoires. Or, dans le cas qui nous intéresse, ce qui est excessif est loin d’avoir été insignifiant.

Bien entendu, l’effet de ciseaux que subissent les finances départementales depuis plusieurs années s’explique en partie par le rythme de croissance des dépenses sociales que les conseils généraux doivent assumer.

Toutefois, cette réforme a largement aggravé la possibilité pour les départements de se ménager des marges de manœuvre : levier fiscal étouffé, ressources peu dynamiques, dispositifs de péréquation tardant à voir le jour. À ce titre, la réforme territoriale de 2010 a constitué un leurre dès lors qu’était abordée la clause de compétence générale des collectivités locales. Quel département peut, aujourd’hui, envisager sérieusement de mener des actions sur des projets dépassant son « cœur de métier », à savoir les prestations de solidarité ?

Dans quelques instants, François Patriat évoquera le sort des régions. Sur ce sujet, je ne ferai qu’un constat : les impositions sur lesquelles les régions peuvent moduler les taux ne portent plus que sur un peu plus de 10 % de leurs ressources, contre 30 % avant la réforme. Soyons sérieux ! Quelle est l’autonomie fiscale, quel est l’avenir pour des collectivités locales dont le pouvoir de déterminer et de moduler l’impôt porte presque exclusivement sur les cartes grises ?

Et le bloc communal n’a pas été épargné : dans mon département, les Pyrénées-Atlantiques, j’ai eu l’occasion de suivre la progression des discussions relatives au schéma départemental de coopération intercommunale, le fameux SDCI. Chacun d’entre nous a son expérience de ces négociations. Toutefois, force est de constater que les discussions entre les intercommunalités et les communes achoppent bien souvent sur les facteurs financiers et fiscaux. L’épouvantail de la réforme fiscale de 2009 est dans tous les esprits lorsqu’il s’agit d’imaginer les mariages censés aboutir à cette fameuse rationalisation de la carte intercommunale.

La réforme de la taxe professionnelle a rendu illisibles les enjeux et les relations financières entre l’intercommunalité et les communes, là où elle était censée permettre une simplification de l’ensemble. À ce titre, je ne citerai que deux exemples.

D’une part, il convient d’évoquer le basculement généralisé vers la fiscalité touchant les ménages : pour les collectivités de proximité que sont les communes et les intercommunalités, le lien qui existait avant la réforme entre l’entreprise et le territoire a pour partie disparu. Aujourd’hui, pour ces territoires, ce sont les zones résidentielles qui paient, et non plus les zones d’activité accueillant des entreprises. Pour une réforme intervenue en pleine crise, et qui avait notamment pour objet de remettre au centre du jeu les acteurs économiques, le constat est cruel !

D’une part, la réforme territoriale, lancée dans la foulée de la suppression de la taxe professionnelle, s’est révélée un véritable jeu de dupes : en bouleversant les équilibres financiers entre collectivités, entre territoires, la droite ne pouvait que transformer les discussions sur les périmètres intercommunaux en batailles rangées. Celles-ci se sont déroulées dans un épais brouillard, qui, aujourd’hui, n’est pas encore dissipé. Chaque année, les « clauses de revoyure » que la droite nous avait tant vantées, ont en réalité fourni le prétexte de dizaines d’ajustements techniques, parfois essentiels, qui n’avaient pu être opérés au moment de la réforme.

Chers collègues de l’opposition, le bilan est une étape obligée. À ce stade, nous n’adoptons pas une posture, nous avons suffisamment eu l’occasion de vous faire part de nos critiques à l’encontre de cette réforme bâclée : les faits nous donnent hélas largement raison aujourd’hui.

Comme dans d’autres domaines, nous avons l’ambition de redresser ce qui avait été mal conduit ces dernières années, par des mesures contre lesquelles nous nous étions érigés. Depuis l’élection de François Hollande, de nombreuses mesures ont d’ores et déjà été prises, discutées et votées par le Parlement, dont certaines sur l’initiative du groupe socialiste du Sénat.

Pour les centaines de milliers de petites entreprises, qui, à l’automne dernier, ont été les victimes collatérales d’un énième épisode de la fin de la taxe professionnelle et qui ont subi des hausses d’impôt injustifiées, nous avons pris l’initiative de faire voter une disposition permettant aux collectivités de réparer cette injustice.

Pour les territoires, nous avons appelé de nos vœux la révision des valeurs locatives, que nous avons fait progresser, en décembre, dans cet hémicycle. Ce serpent de mer est une réforme majeure puisqu’elle touchera la substance même de l’ensemble des ressources fiscales perçues par les collectivités. Cependant, alors que la réforme fiscale de 2009 avait été menée en quelques semaines, nous souhaitons pour notre part un calendrier réaliste, raisonnable et efficace, qui laisse la place à l’expérimentation et à la concertation.

Enfin, pour les collectivités territoriales, les débats que nous avons consacrés, à l’automne dernier, à la péréquation des ressources entre territoires, continueront tout au long de 2013. Là encore, le but est de combattre des injustices qui ont été figées par la suppression de la taxe professionnelle.

La précédente majorité n’a eu de cesse de nous rappeler ce mot de François Mitterrand qualifiant la taxe professionnelle d’« impôt imbécile ». Bien entendu, cette taxe exigeait une vaste réforme de la fiscalité locale ! Qui le nierait, pour une imposition qui avait été modifiée près de soixante-dix fois par voie législative ? Mais cet impôt imbécile n’appelait pas une réforme ratée.

Bref, il faut rendre justice aux territoires. Cette valeur cardinale est au cœur de notre engagement socialiste, a fortiori au sein de la chambre des collectivités locales.

À l’injustice fiscale qui transparaît désormais, accrue par la réforme, succéderait, si rien n’était fait, la restriction des libertés locales. C’est contre le fatalisme d’une réforme bâclée que nous travaillons, que nous alimenterons le débat et que nous défendrons nos propositions durant les prochains mois, au sein de la Haute Assemblée. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, force est de constater que la réforme de la taxe professionnelle constituait, à première vue, une bonne initiative. En effet, elle s’inscrivait a priori dans une démarche de simplification de la fiscalité économique locale, l’objectif étant de développer la compétitivité des entreprises en allégeant leur charge fiscale à traversla suppression de la taxation sur les investissements productifs.

Cette démarche vient de loin : il y a une dizaine d’années, l’association des grandes villes de France, que je présidais alors, débattait déjà de cette question avec les entreprises et le gouvernement de l’époque. Par la suite, le rapport Lambert a été publié, des tables rondes ont été organisées. Bref, cette réforme n’est pas soudain tombée du ciel en 2009 : on en comprend mieux l’esprit lorsqu’on se réfère à toutes les réflexions qui l’ont précédée.

La taxe professionnelle représentait 45 % des recettes fiscales des collectivités territoriales dans leur ensemble et 18 % de leur budget de fonctionnement. Le produit payé par les entreprises était de l’ordre de 30 milliards d’euros. C’est dire si cette réforme a bouleversé le paysage de la fiscalité locale, sans pour autant donner aux acteurs locaux les outils nécessaires à leur dynamisme.

En 2010, les collectivités ont perçu une compensation relais qui s’est substituée à la taxe professionnelle. Très bien ! Toutefois, en 2011, leurs ressources ont subi d’importants changements, en raison de l’instauration du nouveau panier fiscal perçu en lieu et place de la taxe professionnelle. C’est alors que les difficultés se sont fait jour.

De fait, à l’origine, la réforme se fondait sur le principe de la compensation intégrale et de l’équilibre. Qu’en est-il aujourd’hui ? Que peut-on attendre de l’évolution à venir ? La contribution économique territoriale a-t-elle vocation à devenir une ressource dynamique pour soutenir l’investissement public, ou s’agit-il simplement de garantir un équilibre fixé pour la seule année 2010 ? À l’époque, la réforme nous semblait financièrement neutre. Néanmoins, à moyen et long terme, les transferts de ressources auront bien des effets différents selon le poids des diverses composantes du nouveau panier fiscal de chaque collectivité, notamment dans leurs potentiels de croissance respectifs.

Le risque est alors de créer des situations à géométrie variable en fonction des territoires et des collectivités, au point de rompre la solidarité de ces espaces et de creuser une fracture territoriale difficilement supportable, tant pour nos concitoyens que pour les collectivités.

En somme, le nouveau panier fiscal ne connaît pas une croissance aussi soutenue que la progression enregistrée par les bases de la taxe professionnelle. Dès lors, les leviers fiscaux dont disposent les collectivités sont moins importants qu’auparavant, avec une autonomie fiscale réduite et une perte de dynamisme des bases, le tout dans un contexte économique général particulièrement tendu, que nous avons tous mentionné.

Pour ma part, je m’attacherai à certains aspects de la situation actuelle.

Tout d’abord, la CET est plafonnée à 3 % de la valeur ajoutée des contribuables, au lieu de 3, 5 % pour la taxe professionnelle, ce qui réduit le recours au levier fiscal. La collectivité vote le taux de la CFE, mais celui de la CVAE est, lui, établi au niveau national et figé à 1, 5 %. Il est lié aux évolutions nationales et internationales : voilà pourquoi sa progression est, naturellement, fortement ralentie.

Monsieur le ministre, dans le contexte actuel de crise économique et de mutation profonde de nos territoires, ces mécanismes ne sont-ils pas de nature à affecter le dynamisme des collectivités locales, en amputant leur capacité à investir – à une époque où on attend beaucoup de leurs investissements, notamment dans le monde de l’entreprise – tout en accroissant leur dépendance à l’égard de l’État ?

Nous avons tous un vécu local particulier. J’ai à l’esprit, quant à moi, le devenir de mon agglomération mulhousienne. En 2011, nous avions modérément actionné le levier des taux d’imposition. Nous avions également agi sur la fiscalité additionnelle et mis en place notre propre politique d’abattement de taxe d’habitation, afin d’atteindre le niveau de ressources nécessaire pour couvrir nos dépenses. Nous avions dû agir sur deux postes, la CFE et les impôts-ménages, car les autres recettes étaient figées. Bien entendu, cela a entraîné une perte de dynamisme, que, par rapport aux évolutions antérieures à la réforme, nous avons évaluée à 1, 5 million d’euros par an, chiffre indiscutablement important.

Les limites de ce levier fiscal sont apparues en 2012, dans le contexte de crise touchant aussi bien les entreprises que les ménages. Nous nous sommes alors engagés dans une politique d’économies – c’est toujours possible ! – et de modération de la fiscalité. Elle pèsera naturellement sur nos investissements et sur les services à la population. Certes, nous essayons de procéder de manière raisonnable et équilibrée, mais nos décisions ne sont évidemment pas neutres.

Voilà pourquoi, comme tous mes collègues, je m’interroge sur le bilan de cette réforme. Tout n’est pas noir ou blanc, comme pourrait le laisser penser le propos quelque peu manichéen de notre collègue Frédérique Espagnac.

Nous comptons sur vous pour, dans les mois ou les années qui viennent, améliorer la méthode, dont je reconnais qu’elle était perfectible, prendre en compte la situation économique et les attentes des collectivités ainsi que la défense de la justice fiscale. Peut-être, alors, porterez-vous un jugement plus nuancé sur l’exercice auquel nous nous sommes confrontés. Il était difficile hier et avant-hier, il l’est aujourd’hui et il le sera toujours demain ! Dans ce domaine, en effet, l’art est difficile…

Nous hésitons, bien sûr, à agir sur le levier fiscal. Nous nous contentons donc de limiter les dépenses et les investissements. Ces choix auront certainement des conséquences préjudiciables, qui doivent être évoquées avec le Gouvernement, dans un esprit ouvert.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Comme sous le précédent gouvernement ? Faites un effort de mémoire !

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Marie Bockel

On le sait bien, en effet, l’essentiel des investissements créateurs d’emplois, en particulier dans le secteur du BTP, qui est en crise, provient des collectivités locales.

Nous attendons donc beaucoup du dialogue à venir entre le Parlement et le Gouvernement, afin de parfaire cette méthode, d’en éliminer les effets pervers et de retrouver l’esprit originel de cette réforme, qui était très positif. §

Debut de section - PermalienPhoto de François Patriat

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette discussion sur la taxe professionnelle a commencé il y a quelques semaines, avec Jérôme Cahuzac. Je voudrais à mon tour lui rendre hommage pour le travail accompli avec compétence et énergie, et saluer ses efforts pour le rétablissement des comptes publics. Monsieur le ministre, je connais votre énergie, votre clairvoyance et votre intelligence, et je vous souhaite bonne chance dans cette fonction exigeante à un moment difficile pour notre pays !

Debut de section - PermalienPhoto de François Patriat

Nous sommes réunis aujourd'hui pour dresser le bilan d’une réforme dont certains vantent les mérites, tandis que d’autres la jugent totalement négative. Au passage, je me permets de dire que tel n’était pas le sens de l’intervention de Mme Espagnac, qui a mesuré ses propos en décrivant une réforme que je considère, moi, comme à la fois brutale, coûteuse et inefficace.

Pour autant, je ne nie aucunement la nécessité qu’il y avait de réformer un impôt qu’on était effectivement allé jusqu’à qualifier d’imbécile.

La réforme à laquelle il a été procédé était censée avoir deux vertus : mettre un terme à des iniquités et à des transferts vers l’État ; fonder un impôt sur les entreprises qui soit juste, efficace, et qui procure aux collectivités locales les ressources dont elles ont besoin.

Elle dissimulait cependant une arrière-pensée, que personne n’a encore évoquée aujourd’hui : il s’agissait aussi de régler des comptes avec des collectivités considérées comme non amies, auxquelles on faisait assumer de nouvelles charges, certes nécessaires, mais en leur interdisant de bénéficier des ressources afférentes.

Cette réforme a été brutale parce que sa mise en place n’a été précédée ni d’évaluations véritables ni d’une concertation digne de ce nom. Elle a été menée à la hussarde, un peu comme de la loi TEPA, celle qui devait, souvenez-vous, créer un « choc de confiance », un « choc de croissance » et faire croire que le problème de la compétitivité était résolu.

Cette réforme a été coûteuse : elle a induit, la première année, selon Gilles Carrez lui-même, une dépense représentant plus du double des 3, 6 milliards d’euros prévus au départ. Avec la loi TEPA, elle a fait partie de ces mesures qui ont accru le déficit de la France, dont nous sommes aujourd’hui comptables et que nous devons effacer.

Cette réforme a été en outre injuste. Mme Des Esgaulx a prétendu tout à l'heure que les plus grands groupes n’en avaient pas vraiment bénéficié. Mais si ! Et à quoi servait-il de diminuer la taxe professionnelle d’Areva, d’EDF, de Carrefour et d’autres, alors que cela allait évidemment fragiliser les collectivités ?

Elle a aussi été injuste parce qu’elle s’est attaquée aux entreprises de travail temporaire d’insertion. Dans ma région, j’en connais auxquelles s’adressent des centaines, voire des milliers de jeunes, et qui ont vu leur taxe multipliée par sept ! Aujourd’hui, elles se plaignent de ne plus pouvoir remplir leur fonction sur le territoire. Or il s’agit là de l’aide directe à l’emploi pour des jeunes sortis du système !

En ce qui concerne les collectivités, je me souviens du cynisme d’un ancien membre du Gouvernement qui, rencontrant avec moi des élus locaux de la Puisaye, en Bourgogne, avait dit à peu près ceci : « Cette réforme, elle est vraiment bien pour les communes. Pour les intercommunalités, elle est bien. Pour les départements, ça va. Mais les régions, c’est vrai, elles n’auront rien ! »

Parlons donc un peu des régions. Avant la réforme, nous bénéficiions de 30 % d’autonomie fiscale. Elle a été ramenée à 9 % à l’issue de la réforme, et il faut voir à quels impôts elle a été cantonnée : les cartes grises et la TIPP ! On nous disait que celle-ci était un impôt porteur… Mais chacun voit bien où est aujourd’hui le problème pour les régions : les immatriculations sont en baisse, et nous faisons tout pour diminuer la consommation de produits pétroliers, et donc la recette de la TIPP !

Nos ressources autonomes sont donc en baisse et, parallèlement, nous n’avons plus aucun pouvoir ! Car vous auriez pu laisser le choix des taux aux collectivités, afin de leur donner une part de responsabilité. Mais vous ne l’avez pas fait, vous les avez confiés à l’État.

Aujourd’hui, les régions ont, en réalité, un budget affecté : on leur dit de combien elles disposent, on leur annonce que la somme va encore diminuer dans les années à venir, mais qu’avec ça il faudra faire plus ! Parce que, tout en leur disant qu’elles doivent s’en tenir à leurs compétences, on les invite à participer au financement des lignes de TGV, des autoroutes, de l’innovation, au plan Campus, au développement industriel, à l’aménagement du territoire, au déploiement du très haut débit, etc. D’où l’effet de ciseaux qui a été évoqué tout à l'heure et qui met nos collectivités en grande difficulté !

Il est vrai que les temps ont changé. Cette réforme n’a pas eu que des effets négatifs, mais nous sommes unanimes pour en demander l’amélioration. Aujourd’hui, il faut aller au-delà de ce qui a été fait et repenser à la fois les missions et les ressources des collectivités locales : il faut que nous ayons des ressources qui correspondent à nos compétences.

Les régions, par exemple, sont désormais en charge des TER. On s’accorde à dire que ce transfert a eu des effets très bénéfiques sur les dessertes locales, où la fréquentation est d’ailleurs en hausse de 30 %. Il y a cependant quelque chose d’incongru à accorder aux régions la responsabilité des TER tout en asseyant leurs ressources sur la TIPP ! Il nous faut corriger cela.

Les compétences des collectivités doivent donc être redéfinies. Ce sera l’objet de la loi future. Il faudra aussi repenser leurs ressources, en mettant l’accent sur les compétences et les responsabilités de chaque niveau de collectivités. Pour ce qui est des régions, nous avons des ressources potentielles avec les opérateurs de télécommunications, avec les moyens de transport, sur lesquels nous pouvons vraiment agir. Elles pourront permettre, demain, aux collectivités d’assumer leurs fonctions.

Je suis convaincu, monsieur le ministre, que vous êtes conscient de nos difficultés. Comme l’État, comme les communes, nous sommes confrontés à des problèmes quotidiens, tels que des fermetures d’entreprises, face auxquels nous tentons de continuer à investir. C’est le cas également avec le monde associatif.

Le budget total des communes s’élève en moyenne à 128 milliards d’euros, celui des départements à 70 milliards d’euros, alors que celui des régions n’atteint même pas 35 milliards d’euros. Dans ce domaine, nous devons donc avancer avec raison et modération, mais également faire preuve d’innovation, afin d’élargir l’horizon de nos territoires.

J’ai débattu un jour avec l’ancien Président de la République dans une usine travaillant pour l’industrie nucléaire au sein de la Metal Valley du nord de la Côte-d’Or. Il avait déclaré vouloir défendre les usines, pas les collectivités locales. Je refuse, quant à moi, d’opposer entreprises et collectivités locales ! À chaque difficulté dans les entreprises, ce sont les collectivités locales qui, prenant leurs responsabilités, sont là pour réparer les dégâts ! Après-demain encore, je recevrai des salariés d’entreprises qui s’apprêtent à fermer des sites dans quelques semaines, brutalement. Ce sont les collectivités locales qui prennent en charge les difficultés qui découlent de telles décisions. Alors, ne les opposons pas aux entreprises !

Je fais confiance au Gouvernement pour engager une réforme des collectivités et une réforme des finances locales qui tiendra compte des succès des réformes fiscales précédentes comme de leurs échecs, en menant les évaluations nécessaires, afin d’offrir aux collectivités les moyens d’assumer leurs missions dans le dynamisme, la sérénité et l’égalité ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Bérit-Débat

Je voudrais à mon tour rendre hommage à Jérôme Cahuzac et vous dire, monsieur le ministre, tout le plaisir que j’éprouve personnellement à vous voir occuper, avec vos compétences et votre pugnacité, cette fonction à la tête d’un ministère particulièrement important.

La question de la suppression de la taxe professionnelle fait partie, à plusieurs titres, de ces sujets auxquels le Sénat, représentant des collectivités locales, doit s’intéresser. Les orateurs précédents ont d’ailleurs montré l’importance de leur fonction élective dans leur approche de la situation, en mettant l’accent sur tel ou tel aspect.

Ce débat est d’autant plus important pour le Sénat que cette réforme n’a pas eu les effets économiques escomptés. Ce premier point mérite que nous nous y arrêtions. En tant que parlementaires, nous devons nous interroger sur la pertinence de cette réforme. On sait plus ou moins ce qu’elle coûte à l’État et aux collectivités, mais on ignore ce qu’elle leur rapporte, notamment en termes économiques.

Par ailleurs, les conséquences du remplacement de la taxe professionnelle par la CET doivent être précisément établies ; c’est l’objet du rapport qui est à l’origine de ce débat.

La fiscalité locale a été, pour le moins, profondément bouleversée par cette réforme. Les bouleversements sont de deux ordres.

La réforme de la taxe professionnelle a d’abord affecté la composition du panier fiscal des collectivités. Cela a eu d’importantes répercussions sur leur action et, notamment, sur leurs stratégies de développement. J’étais de ceux qui, lors de l’adoption de la réforme, avaient exprimé la crainte que la suppression de la taxe professionnelle n’engendre une perte de dynamisme des ressources fiscales. Cette crainte était fondée : j’en veux pour preuve que le bloc communal, dont il est admis qu’il a été le moins maltraité, en a tout de même été profondément affecté. C’est notamment vrai pour les EPCI dont la seule ressource fiscale était la taxe professionnelle unique, la TPU.

La communauté d’agglomération que je préside avait fait, au départ, le choix de la TPU, sans impôts-ménages additionnels. Cette simplicité fiscale relative avait deux avantages. Elle avait d’abord favorisé le renforcement du lien intercommunal. Elle avait ensuite permis d’élaborer un plan de développement fondé sur un dynamisme prévisible des recettes fiscales, sans peser sur les ménages. Cette époque, qui m’apparaît rétrospectivement comme particulièrement favorable, est bien révolue.

Notre recette unique a été remplacée par sept autres lignes de recettes d’origine économique ou en provenance des ménages, de recettes transférées d’autres collectivités, pour certaines appuyées sur la variable d’ajustement constituée par le FNGIR, le fonds national de garantie individuelle des ressources.

La conséquence de tout cela – le rapport l’établit très bien –, c’est que l’autonomie fiscale des communautés s’est dégradée. La réforme a en effet conduit à une forte augmentation de la part des impôts-ménages dans les ressources fiscales du bloc communal.

Ainsi, dans ma communauté d’agglomération, nous sommes passés d’un financement à 100 % par la TPU à un financement provenant à hauteur de 45 % des taxes- ménages. Dans ces conditions, l’autonomie financière et fiscale dont je suis, en théorie, censé disposer est, en pratique, très réduite.

Se pose un second problème qui est, lui, non plus fiscal, mais financier et économique : comment définir une stratégie d’investissement aussi efficace que celle dont nous avions pu bénéficier avec la seule TPU ?

Très concrètement – en témoigne le débat d’orientation budgétaire que nous avons eu au sein de ma communauté d’agglomération et le budget que nous allons mettre aux voix vendredi prochain –, alors que la recette de notre TPU augmentait en moyenne, sur notre territoire, de 4, 5 % par an, nous avons connu, avec la suppression de la taxe professionnelle, deux années de « gel », entre 2009 et 2011, par l’effet du FNGIR. La dynamique de nos ressources a donc été rompue : notre produit fiscal a augmenté, entre 2009 et 2012, de 0, 4 %, contre 4, 5 % par an auparavant.

Or, dans le même temps, les attentes en matière d’investissements n’ont pas diminué, et je crois que tout le monde en est conscient. De fait, a fortiori en période de crise, les collectivités constituent une source d’investissements indispensable au soutien de l’activité économique et aux besoins sociaux de nos concitoyens. Un certain nombre de mes collègues ont rappelé qu’environ 70 % des investissements publics sont en effet assurés par les collectivités territoriales. C’est dire le rôle que jouent celles-ci en la matière ; on peut notamment évoquer la part du chiffre d’affaires que réalisent, grâce à elles, les entreprises du bâtiment ou des travaux publics.

C’est donc toute une stratégie de développement économique et social qui doit être repensée, pouvant conduire à un réajustement forcément à la baisse de nos priorités d’action.

Compte tenu de la conjoncture économique, la suppression de la taxe professionnelle est intervenue au plus mauvais moment. Elle a rendu l’action publique prisonnière d’un carcan fiscal qui, de toute évidence, ne répond pas aux besoins des collectivités.

À ce titre, les mécanismes de péréquation qui ont été mis en place sont encore très insatisfaisants puisqu’ils ne permettent pas de corriger suffisamment les disparités territoriales. C’est d’autant plus inacceptable pour certains que la suppression de la taxe professionnelle n’a pas, en fin de compte, donné aux territoires le coup de fouet escompté en termes de développement économique.

Certaines professions ont indiscutablement bénéficié d’importants effets d’aubaine. Globalement, la plupart des secteurs d’activité ont tiré profit de la suppression de la taxe professionnelle, mais, s’il fallait mettre en balance ces bénéfices avec le coût induit pour la collectivité, je ne suis pas du tout certain que l’on parviendrait à un équilibre satisfaisant.

Aussi, la réforme des collectivités territoriales doit être l’occasion de rétablir une fiscalité équitable et dynamique, qui redonne tout son sens à l’idée d’autonomie financière et fiscale. Je fais mien le plaidoyer de notre collègue François Patriat pour les régions en le transposant aux EPCI, car, à une échelle certes différente, le problème est le même.

C’est à ces seules conditions que l’on pourra redonner aux collectivités les marges de manœuvre dont elles ont effectivement besoin. C’est en tout cas ce que je souhaite très vivement, monsieur le ministre. J’espère que nous serons entendus à l’occasion de l’examen des prochains textes qui seront présentés devant la Haute Assemblée. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

La parole est à M. le ministre délégué, à qui j’adresse, à mon tour, tous mes vœux de réussite. (Applaudissements sur les mêmes travées.)

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord vous remercier très sincèrement d’avoir pris l’initiative d’organiser ce débat.

Vos différentes interventions témoignent de l’importance de cette discussion dans la mesure où elles renvoient à un sujet central pour l’ensemble de ceux qui administrent des collectivités locales : je veux parler des relations financières entre les collectivités territoriales et l’État, qui leur garantit l’autonomie financière et fiscale afin qu’elles soient en situation d’assurer, dans la crise que nous connaissons, les investissements dont le pays a besoin pour créer les conditions de la croissance.

Le présent débat revêt une très grande importance, et cela pour au moins trois raisons.

Tout d’abord, il intervient à la veille de la redéfinition par l’État de ses relations financières et fiscales avec les collectivités territoriales, conformément à ce qu’a annoncé le Premier ministre dans sa déclaration du 12 mars dernier.

Ensuite, il a lieu à la veille de la troisième étape de la décentralisation, annoncée par le Président de la République et le Premier ministre.

Enfin, comme vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, il se déroule à un moment où l’État doit rendre compte devant la Haute Assemblée et l'Assemblée nationale des conditions dans lesquelles s’est accomplie la réforme de la taxe professionnelle de 2010, conformément d’ailleurs à la loi qui l’a introduite. Même si le précédent gouvernement n’a pas présenté les documents relatifs au bilan de la réforme à la fin de l’année 2011, l’actuel gouvernement a souhaité que cette photographie soit donnée aux parlementaires.

C'est la raison pour laquelle nous avons présenté au mois de novembre dernier, devant le Comité des finances locales, un rapport qui a fait l’objet d’un débat. Celui-ci a mis en évidence divers éléments et a débouché sur un certain nombre de conclusions qui rejoignent, en grande partie, celles du rapport d’information. À cet égard, je tiens à saluer, monsieur le rapporteur, tant la qualité de vos conclusions que la hauteur de vue qui a présidé à l’élaboration de ce document et dont a témoigné une fois de plus, s’il en était besoin, votre intervention d’aujourd'hui.

À l’instar de M. le rapporteur, relayé par l’ensemble des orateurs de tous les groupes qui se sont succédé à cette tribune, je veux évoquer trois sujets, ce qui me permettra, je l’espère, de répondre à la plupart des questions soulevées par les uns et les autres.

Le premier sujet concerne l’impact de la réforme de la taxe professionnelle pour le monde de l’entreprise.

Le précédent gouvernement avait pour objectif de procéder à une réforme visant à alléger la pression fiscale pesant sur les entreprises, de manière à améliorer leur compétitivité. Il est donc intéressant de voir si cet objectif a été atteint eu égard aux ambitions dont le texte de 2010 était porteur.

Le deuxième sujet a trait aux conséquences de cette réforme pour l’État. La compensation apportée par l’État n’est pas modique en termes de moyens mobilisés. Aussi nous faut-il considérer les conditions dans lesquelles elle est mobilisée et, surtout, celles dans lesquelles nous pouvons la maîtriser dans la durée. Personne ne comprendrait que le ministre chargé du budget, fût-il nouveau, ne se préoccupât point de cette question.

Enfin, le troisième sujet est relatif à l’impact de cette réforme pour les collectivités territoriales elles-mêmes.

S’agissant des conséquences de la réforme pour les entreprises, je veux tout d’abord souligner – le rapport de M. Guené est extrêmement précis sur ce point – l’effet de recomposition sectorielle qu’elle a engendré. Si l’on considère l’impact du nouveau dispositif sur les différents secteurs d’activité, on ne peut que constater qu’il les affecte de façon contrastée selon leur nature ou les activités concernées.

À cet égard, je prendrai quelques exemples très concrets.

L’impact de la réforme est très positif pour le secteur du bâtiment, qui voit ses contributions et sa pression fiscale diminuer de 46 % environ. Il est positif pour le secteur de l’industrie, qui bénéficie d’une diminution de ses contributions à hauteur de 29 %. Quant au secteur financier, il enregistre une stabilisation de sa contribution.

Si l’on s’attache plus particulièrement à certains secteurs industriels ou à certains services, on se rend compte que les entreprises ayant le plus bénéficié de la réforme sont celles du secteur automobile, ce qui n’est pas neutre au regard de la crise à laquelle il se trouve confronté, avec une diminution de près de 74 % de sa contribution, alors que les entreprises qui en ont le moins profité sont les entreprises financières, un certain nombre d’entre elles accusant une augmentation de leur contribution de l’ordre de 35 %.

L’effet de la réforme est donc très différent selon les secteurs d’activité.

Par ailleurs, je veux insister sur l’augmentation assez dynamique de la CVAE.

Il faut faire preuve de beaucoup d’honnêteté et de rigueur dans ce débat. Les chiffres ne mentent jamais lorsqu’il s’agit d’apprécier des évolutions.

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

Si l’on veut, comme vous l’avez tous manifesté, quelles que soient les travées sur lesquelles vous siégez, apporter une contribution honnête et rigoureuse à la réflexion menée sur les relations entre l’État et les collectivités locales en matière de finances publiques, il faut donc s’en tenir à ce que révèlent les chiffres.

Or ceux-ci établissent clairement que la CVAE a été dynamique pour les collectivités territoriales. La question n’est donc pas de savoir si elle a été dynamique ou pas ; ce que nous devons nous demander, c’est si cette dynamique ne risque pas, à terme, d’aboutir à un grignotage de l’effet de la réforme quant à la compétitivité des entreprises. Je citerai un chiffre simple : entre 2010 et 2011, le produit de la CVAE a augmenté de 9 %, …

Debut de section - Permalien
Bernard Cazeneuve, ministre délégué

… ce qui représente un produit supplémentaire de près de 1 milliard d’euros.

C’est pourquoi il conviendra d’examiner de très près l’effet de l’évolution plutôt dynamique de cette contribution sur les entreprises.

Au demeurant, je veux insister sur l’impact de cette réforme sur les petites et moyennes entreprises. Si nous voulons que cette réforme soit positive pour ces entreprises, nous devons être particulièrement attentifs à la manière dont la fiscalité s’applique à elles.

Vous l’avez remarqué, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons maintenu le dégrèvement barémique dont bénéficient un certain nombre de petites et moyennes entreprises. Je rappelle que le dégrèvement est total pour celles dont le chiffre d’affaires est inférieur à 500 000 euros et qu’il existe un mécanisme de dégressivité du dégrèvement pour celles dont le chiffre d’affaires est compris entre 500 000 euros et 50 millions d’euros.

Ce dispositif garantit que les mesures fiscales mises en œuvre en faveur des PME et des PMI tiennent compte de la nécessité d’encourager ce secteur à maintenir sa dynamique. En effet, nous savons que ces entreprises jouent, dans notre pays, un rôle important dans la croissance et dans la capacité d’innovation.

Je veux également insister sur un point qui est évoqué dans le rapport d’information, à savoir la nécessité de ne pas faire de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux un dispositif qui viserait à mettre en œuvre une contribution généralisée sur toute l’économie que représentent lesdites entreprises.

Il importe de veiller à ce que l’IFER n’intervienne qu’en cas de décalage très important entre le produit fiscal issu de la taxe professionnelle et celui qui est issu du dispositif fiscal actuellement applicable à ces entreprises.

De manière générale, les collectivités territoriales ont été raisonnables, faisant en sorte que l’IFER ne soit mobilisé qu’en cas de neutralité ou d’effet d’aubaine pour les entreprises de réseaux.

Monsieur Guené, vous soulignez dans votre rapport qu’il est nécessaire de ne pas appliquer un dispositif général et qu’il faut veiller à ce que l’IFER ne soit mobilisé qu’en cas de décrochage résultant du passage d’une imposition à une autre. Je veux dire que nous partageons votre préoccupation sur ce point et notre accord avec votre vision quant à l’application de l’IFER.

Permettez-moi de dire également quelques mots sur un sujet qui a été évoqué par tous les orateurs, à savoir les conséquences, pour un certain nombre de petites entreprises, de l’augmentation de la cotisation minimale de CFE à laquelle ont procédé, de façon imprudente, certaines communes. Cette décision a entraîné des augmentations absolument dramatiques pour des entreprises qui étaient déjà très fragilisées par la crise et a conduit le Gouvernement à prendre, dans le cadre d’une loi de finances rectificative, des dispositions destinées à corriger les effets de cette mesure.

C’est ainsi que, dans la loi du 29 décembre 2012 de finances rectificative pour 2012, nous avons donné la possibilité aux communes qui le souhaitaient de corriger, jusqu’au 21 janvier dernier, les effets de l’augmentation de cette cotisation minimale de CFE. Nous avons également permis aux communes, si elles le souhaitent, d’exonérer à hauteur de 50 % les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 10 000 euros. Ces mesures ont permis des corrections, mais il va de soi que nous devons rester vigilants pour l’avenir.

S’agissant des auto-entrepreneurs, je vous rappelle que, dans la même loi de finances rectificative, nous avons prorogé l’exonération de CFE dont ils bénéficient. Nous jugeons important de pouvoir examiner, avant de prendre des mesures définitives, les conclusions des inspections et des évaluations qui sont en cours. En effet, il importe de bien mesurer les effets de cette exonération pour apprécier l’opportunité de la pérenniser.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses que je souhaitais vous apporter en ce qui concerne les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle pour les entreprises. Soyez assurés que, dans les débats budgétaires des prochains mois, le Gouvernement fera preuve de la plus grande transparence au sujet de l’incidence de cette réforme sur notre tissu économique.

J’en viens aux conséquences de la suppression de la taxe professionnelle pour l’État. Plusieurs orateurs, parmi lesquels Mme Des Esgaulx et M. Bockel, ont insisté sur le volume de la contribution que l’État a apportée à la réforme : 4 milliards d’euros. Si l’État doit naturellement assumer ses obligations vis-à-vis des collectivités territoriales, conformément à un engagement fort du Premier ministre et du Gouvernement, je ne peux pas ne pas considérer qu’il est nécessaire de maîtriser cette contribution dans le temps. D’ailleurs, un certain nombre d’entre vous ont eu la sagesse de reconnaître que les parlementaires et le Gouvernement avaient l’obligation d’œuvrer de concert au rétablissement de nos comptes.

Je vous rappelle que la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2009 sur l’assiette applicable aux bénéfices non commerciaux pour les entreprises de moins de cinq salariés était susceptible d’avoir une incidence sur le volume de la contribution apportée par l’État à la réforme. Le Conseil constitutionnel ayant dit le droit, nous avons essayé de compenser les effets de sa décision sur le budget de l’État en mettant en place, entre 100 000 et 250 000 euros, une nouvelle tranche de CFE.

Par ailleurs, je trouve légitime la volonté qui s’est exprimée sur l’ensemble des travées de voir l’État rendre compte, de façon précise et en toute transparence, des conditions dans lesquelles il organise ses relations financières avec les collectivités territoriales, particulièrement en ce qui concerne les conséquences de la réforme dont nous parlons. À cet égard, soyez assurés que le « jaune » qui retrace les relations financières entre les collectivités territoriales et l’État sera suffisamment documenté pour que cette transparence soit garantie.

S’agissant, enfin, des conséquences de la réforme pour les collectivités territoriales, de nombreux orateurs ont montré que la situation des différentes catégories de collectivités territoriales était très contrastée.

Les communes et les intercommunalités bénéficient d’un panier de ressources très diversifié qui leur garantit, malgré la réforme, la possibilité d’agir sur les taux pour assurer la dynamique de leurs ressources.

En ce qui concerne les départements, la relation entre la ressource prélevée sur les ménages et celle qui est prélevée sur les entreprises n’a pas été modifiée au point que les ressources totales en auraient été affectées. Reste que les départements sont victimes d’un effet de ciseaux qui leur pose un réel problème, leurs ressources étant moins dynamiques que les charges auxquelles ils doivent faire face.

Pour ce qui est des régions, M. Patriat a décrit leur situation particulière en soulignant qu’elles avaient pu pâtir de la réforme dans la mesure où leur degré d’autonomie fiscale s’en est trouvé amoindri. C’est un fait que la disparition d’une grande partie des contributions foncières autrefois perçues par les régions a entraîné un accroissement de leur dépendance à l’égard de la dotation de l’État.

Ainsi, lorsqu’on examine les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle pour les collectivités territoriales, on ne peut pas ne pas tenir compte du fait que la situation est très contrastée, chaque catégorie de collectivités ayant ses spécificités.

Au sujet des collectivités territoriales, je tiens également à insister sur notre souci de faire en sorte que des mécanismes de correction et de garantie des ressources soient mis en œuvre.

Je vous rappelle qu’un fonds d’urgence de 170 millions d’euros a été mis en place pour permettre aux départements de faire face à leurs charges obligatoires. Nous devons regarder de très près les conditions dans lesquelles ce fonds est mobilisé et nous assurer qu’il permet de répondre à la situation des départements, dont nous savons bien que les charges sociales augmentent de façon significative.

Concernant les communes, le Gouvernement a pris l’engagement de lancer la révision des valeurs locatives. Nous verrons de quelle façon ce processus se déroule et s’il est de nature à garantir les ressources communales et intercommunales.

S’agissant de la situation particulière des régions, des expertises et des investigations sont en cours qui nous permettront d’examiner la demande formulée par certains acteurs d’un versement transport en faveur des régions.

Tout cela mérite expertise et attention. Une fois les analyses qui sont en cours terminées, le Gouvernement saura prendre les décisions qui relèvent de sa responsabilité.

Un certain nombre d’orateurs ont soulevé la question de la péréquation. Je vais la traiter en considérant successivement chaque catégorie de collectivités territoriales.

Pour ce qui est des communes et des intercommunalités, je vous rappelle que le critère du revenu par habitant est désormais pris en compte pour l’alimentation du FPIC. L’objectif est que ce fonds soit abondé par les intercommunalités et les communes qui sont plus que d’autres en état de le faire ; son alimentation mais aussi sa mobilisation doivent présenter toutes les garanties d’équité. Ce progrès peut en appeler d’autres, mais il convient de le noter à ce moment de la réforme.

Pour les départements, deux fonds de péréquation existent, dont les évolutions méritent aussi d’être signalées, car un certain nombre d’entre elles sont positives.

Le premier fonds concerne les droits de mutation à titre onéreux. Pour son alimentation, le critère du revenu par habitant a également été pris en compte : ainsi, ce sont bien les départements les plus riches, ceux dont la capacité de mobilisation est la plus forte, qui participent le plus à l’abondement de ce fonds. Pour la distribution de l’argent, d’autres critères ont été retenus, mais les départements qui bénéficieront de ce fonds sont ceux dont le revenu par habitant est inférieur à la moyenne nationale des revenus des départements. Par conséquent, à cet égard aussi, des progrès sont accomplis au regard des objectifs d’équité et de justice.

Le second fonds dont les départements peuvent bénéficier concerne la CVAE. Cette péréquation a permis la mobilisation de 60 millions d’euros sur le fondement de critères dont 80 % sont en correspondance avec les compétences « régaliennes » des départements ; je pense en particulier au nombre de personnes âgées de plus de 75 ans, au nombre de bénéficiaires du RSA et au revenu par habitant, qui mesure la situation socio-économique d’un département.

Enfin, pour répondre à la préoccupation exprimée par M. Patriat, nous devons nous interroger sur la péréquation concernant les régions. Dans la mesure où elles sont les collectivités territoriales dont l’autonomie financière a été le plus réduite au cours des différentes étapes de la réforme, elles doivent bénéficier du dispositif de péréquation le plus élaboré et le plus achevé.

À cet égard, des progrès ont été accomplis puisque l’assiette des ressources fiscales qui sert de base au calcul de la péréquation intègre désormais l’ensemble des ressources et impôts issus de la réforme, de sorte que les prélèvements opérés portent sur le flux cumulé de toutes ces ressources. Sans doute ce progrès n’est-il pas encore tout à fait suffisant ; mais il faut en tenir compte lorsqu’on cherche, comme le Sénat s’y est attaché, à évaluer la réforme et à définir les conditions dans lesquelles elle peut être optimisée pour aboutir à une relation transparente entre l’État et les collectivités territoriales et ne pas priver ces dernières de leurs ressources.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai tâché de vous présenter un exposé très objectif et assez peu passionnel, parce que c’est le ton qui me semble convenir à ces questions. J’ai voulu vous faire connaître l’état d’esprit du Gouvernement en ce qui concerne la suppression de la taxe professionnelle et, plus généralement, les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales.

Nous sommes à la veille d’un nouvel acte de décentralisation, destiné à donner aux collectivités territoriales les moyens de se mobiliser autour de l’objectif de redressement qui préside à la politique du Gouvernement. Cette démarche suppose que les collectivités territoriales puissent être raisonnablement appelées à participer à l’effort de redressement, car la difficulté est si grande que nous devons nous rassembler pour la surmonter.

De même que nous sommes ensemble pour surmonter les difficultés, nous devons être ensemble pour exiger la transparence. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a la volonté de garantir une information complète à la représentation nationale, notamment à vous-mêmes, mesdames, messieurs les sénateurs, qui représentez les collectivités territoriales de notre pays. Nous voulons approfondir avec vous la réflexion et le débat ; la Haute Assemblée le mérite, compte tenu de la qualité de ce débat et du rapport qui l’a précédé !

Applaudissements.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Bel

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-sept heures.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à seize heures quinze, est reprise à dix-sept heures, sous la présidence de M. Didier Guillaume.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

L’ordre du jour appelle le débat sur le rayonnement culturel de la France à l’étranger, organisé à la demande du groupe UMP.

La parole est à M. Louis Duvernois, pour le groupe UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Duvernois

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans mon rapport d’information présenté au Sénat en 2004 et intitulé Pour une nouvelle stratégie de l’action culturelle extérieure de la France : de l’exception à l’influence, je mesurais le poids des attentes envers l’autorité et la puissance publiques, attentes insatisfaites qui engendraient l’immobilisme.

Le déclin de la France se nourrit d’abord de conservatismes et autres corporatismes.

En 2010, rapporteur pour avis du projet de loi relatif à l’action extérieure de l’État, je faisais le constat de la dispersion des différents opérateurs de la diplomatie culturelle, trop nombreux pour être efficaces et estimais qu’il était urgent de remédier à ce problème. C’est à la suite de l’adoption de ce texte que trois établissements publics, l’Institut français, dont j’ai obtenu l’appellation de haute lutte, Campus France et France expertise internationale ont vu le jour, concentrant, chacun dans son domaine, différentes activités relatives à l’action culturelle extérieure.

Je me réjouis ainsi de l’organisation de ce débat sur les enjeux du rayonnement culturel de la France et remercie le groupe UMP du Sénat de cette initiative.

Lors d’une récente intervention, monsieur le ministre, à l’École normale supérieure, sur le thème « La France, une puissance d’influence », vous avez souligné l’importance du défi éducatif et culturel que doit relever notre pays dans un monde complexe, en constante évolution. Pour notre croissance économique et notre influence diplomatique, il s’agit d’un enjeu décisif.

La compétition est rude dans le domaine tant de l’éducation que de l’apprentissage de la langue française et de la diffusion de notre culture.

Si elle a largement perdu l’influence qu’elle exerçait au XIXe siècle, face à la concurrence des États-Unis et, désormais, des pays émergents, la France a néanmoins des atouts considérables pour assurer son rayonnement dans le monde : son histoire, ses musées de renommée internationale, sa création artistique, ses écoles et, bien évidemment, la langue française, qui reste parlée par plus de 220 millions de personnes dans le monde.

Pour développer notre influence, nous avons des instruments de qualité, dont nous devons ici vanter les performances face à ceux de nos compétiteurs tels le Royaume-Uni, avec le British Council, l’Allemagne, avec le Goethe Institut, l’Espagne, avec les instituts Cervantes ou la Chine, avec les instituts Confucius, qui se multiplient sur tous les continents.

Ces instruments, dont nous pouvons être fiers, sont l’Institut français, présidé par un homme de grande culture, universitaire et ancien ministre, Xavier Darcos, et le remarquable réseau des Alliances françaises, qui sont près d’un millier dans le monde. Je ne manque pas de visiter ses établissements à chacun de mes déplacements à l’étranger. N’oublions pas non plus Campus France, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, réseau de plus de 500 établissements scolaires, et la Mission laïque française, que nombre de pays nous envient.

J’évoquerai enfin notre présence en matière d’audiovisuel extérieur, avec TV5 Monde, France 24 et sa diffusion trilingue français-anglais-arabe, ainsi que Radio France internationale et son rayonnement multilingue.

Le premier vecteur d’influence culturelle est l’Institut français. La loi du 27 juillet 2010 a conduit à mettre en place un appareil législatif et réglementaire complet, conférant un statut, un mode de gestion et une gouvernance compatibles avec la LOLF, la loi organique relative aux lois de finances, et comparables à ceux du Goethe Institut ou du British Council.

Le ministère des affaires étrangères, son ministère de tutelle, est chargé de définir des stratégies et d’établir des priorités politiques. Le pilotage opérationnel du réseau est confié à l’Institut français, avec des objectifs précis.

L’expérimentation en cours a déjà contribué à démontrer, dans les douze premiers pays concernés, la cohérence d’une architecture dans laquelle chacun trouve son rôle.

En moins de deux ans, les modes de gestion ont connu une modernisation majeure, alors que, dix ans plus tôt, le réseau culturel faisait figure de mauvais élève aux yeux de Bercy : passage à une norme comptable plus efficace, mise en place d’une nomenclature budgétaire partagée entre l’Institut français et les douze pays d’expérimentation, mise en place de logiciels communs et formation intégrée des gestionnaires et des comptables.

Les conséquences positives et concrètes pour les postes sont importantes : fongibilité des crédits et souplesse de gestion, flux financiers plus rapides, possibilité d’accorder des subventions, jusqu’ici interdites par le décret de 1976. À noter que cette dernière disposition permet de recourir aux Instituts français pour mettre en œuvre la coopération universitaire et qu’aucune difficulté de gestion n’est depuis apparue dans ce secteur.

De la même manière, les bureaux locaux de l’Institut français verseront en 2012 près de 3 millions d’euros sous forme de bourses à des étudiants ou des universitaires étrangers. C’est un axe fort de la politique française d’attractivité.

Quelles que soient les décisions prises, les avancées ayant conduit un opérateur public de l’État à gérer des représentations pilotes à l’étranger devraient concerner maintenant l’ensemble du réseau. Pour mémoire, l’Agence française pour le développement international des entreprises, UBIFRANCE, a également créé une soixantaine de bureaux entre 2006 et 2009, mais l’ensemble des recettes est perçu auprès des entreprises à Paris, les postes se contentant de gérer des budgets limités de fonctionnement.

Autre avancée notoire, la mutualisation des processus professionnels. L’Institut français a pu bénéficier d’une identité partagée avec le réseau : la fusion des services de coopération et d’action culturelle, les SCAC, avec les établissements à autonomie financière, les EAF, a entraîné la création d’établissements à partir de 2009 et l’appellation « Institut français » s’est généralisée dès 2010, renforçant la notion d’appartenance à un réseau. En effet, le partage d’une « marque unique » a été le début d’un travail de mutualisation des outils et des bonnes pratiques, créatrices d’économies d’échelle entre membres du réseau : mise en place d’outils numériques, notamment de Culturethèque, plateforme de produits culturels en ligne.

Le ciment de la formation a, par ailleurs, été fondamental pour appuyer ce processus. Quelque 1 300 agents ont été formés en 2012, près de la moitié ayant été recrutés localement. Toutes les formes de mutualisation ont été encouragées, et l’Institut français, avec ses ateliers d’été, a rempli un rôle essentiel de modernisation et de cohésion.

Concernant la professionnalisation, axe fort de la loi de 2010, les acquis sont incontestables : préparation au retour, notamment par l’élaboration de passerelles professionnelles avec les structures d’origine, et mobilité professionnelle entre le réseau et l’Institut. La réforme connaîtra une réussite durable si les personnels exerçant des responsabilités sont accompagnés dans leur progression de carrière par l’État employeur.

Localement, la création des conseils d’orientation stratégiques, présidés par l’ambassadeur et compatibles avec la LOLF, s’est avérée efficace. La fonction de pilotage stratégique cadre en outre avec le rôle d’animation et de coordination des chefs de poste. Sans être décisionnaires, ces conseils d’orientation stratégiques prennent en compte les réalités du terrain et permettent de mener des réflexions sur des stratégies ou des priorités régionales, en accord avec les ambassadeurs.

De plus, un élargissement des compétences géographiques fait des bureaux locaux de véritables relais régionaux. C’est un acquis considérable pour la mise en œuvre de projets multilatéraux. La compétence nationale des établissements à autonomie financière leur interdisait en effet de participer à l’élaboration de projets régionaux. Des programmes adaptés seront ainsi organisés, notamment au Chili, en Serbie et à Singapour.

Enfin, en période de contrainte budgétaire forte, les compétences régionales des bureaux locaux de l’Institut français les autorisent à lever des fonds multilatéraux. C’est un aspect important pour le développement futur du réseau, comme le montre l’exemple du British Council, qui remporte tous les mois, dans toutes les régions du monde, des appels d’offres européens.

L’éducation constitue le deuxième axe majeur de la politique de rayonnement culturel de la France. Dans ce domaine, notre pays dispose d’une « force de frappe » puissante : un réseau de 480 établissements homologués par l’éducation nationale, dans 130 pays. Cette homologation en garantit à la fois la qualité et l’homogénéité. Au-delà du service majeur qu’il rend à nos compatriotes et à nos entreprises, ce réseau de l’AEFE, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, et de la Mission laïque française constitue aussi un levier de la politique d’influence, car il permet de contribuer à la formation des élites étrangères.

Il faut le souligner, nos établissements scolaires à l’étranger constituent une autre grande valeur culturelle ajoutée. Au-delà du simple apprentissage du français, ils permettent un travail en profondeur de formation d’individus bilingues et biculturels, qui pourront être à leur tour des ambassadeurs de la culture française. Nombre d’entre eux font d’ailleurs de brillantes carrières dans le secteur privé, la haute administration, la politique ou les domaines des sciences, des arts et de la culture. Ils constituent tous des relais très précieux pour notre pays.

Il convient de relever un autre élément important. Au moment où des études internationales mesurent et comparent l’efficacité respective des systèmes éducatifs, le réseau des établissements français à l’étranger offre une vitrine de l’excellence éducative à la française, porteuse de valeurs reconnues et recherchées : laïcité, universalité, humanisme, développement de l’esprit critique, exigence intellectuelle. Le réseau s’attache aussi à promouvoir la dimension plurilingue et multiculturelle si essentielle aujourd’hui

Une table ronde, organisée récemment par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat et réunissant les principaux acteurs éducatifs et culturels a permis de mieux saisir l’articulation entre les différents opérateurs de la langue et de la culture françaises : Institut français, Alliance française, Mission laïque française, AEFE. Il est donc indispensable que des liens forts se tissent entre tous ceux qui œuvrent pour la même cause.

Ainsi, au moment où nous souhaitons attirer plus de jeunes vers les universités françaises, je pense que les chercheurs dans nos instituts de recherche – CNRS, École française d’Extrême-Orient, Institut de recherche pour le développement, etc. – peuvent jouer un rôle auprès des jeunes des lycées français en leur montrant en quoi nos universités et nos grandes écoles sont à la hauteur des meilleures institutions internationales et notamment nord-américaines.

Les lycées français sont des pépinières de futurs étudiants de choix pour nos filières d’excellence dans l’enseignement supérieur. Il faut aider l’AEFE à préserver cette richesse pédagogique et humaine et utiliser au mieux ce magnifique outil de développement que sont les lycées français à l’étranger.

Plus concrètement, nous devons continuer à aider l’opérateur public à remplir sa mission. L’AEFE organise la gestion de l’intervention de la puissance publique, en cofinancement avec les familles, selon un équilibre de plus en plus difficile à atteindre, mais qu’il faut néanmoins préserver entre ses différentes missions : assurer la continuité de la scolarité pour les familles françaises par le maintien prioritaire des bourses scolaires, contribuer au rayonnement de la culture française en accueillant aussi des élèves étrangers, participer aux actions de coopération avec les systèmes éducatifs étrangers.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Duvernois

C’est dans le droit fil de cette coopération que j’ai souhaité la tenue au Sénat, le 29 novembre dernier, des premières Rencontres internationales de l’enseignement bilingue francophone, événement qui a reçu l’approbation de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir.

S’y sont rencontrés pour la première fois des chefs d’établissements scolaires ayant reçu le label FrancEducation, accordé depuis 2012 à des établissements offrant à leurs élèves un enseignement renforcé de la langue française dans plusieurs disciplines.

Monsieur le ministre, ce label est décerné par votre ministère après avis d’une commission consultative interministérielle. Le programme est géré par l’AEFE, avec l’expertise spécifique du CIEP, le Centre international d’études pédagogiques de Sèvres.

Ont étroitement contribué au succès de ces premières Rencontres l’Institut français, le CIEP et l’AEFE, ainsi que, naturellement, la direction de la politique culturelle et du français du ministère des affaires étrangères.

Les Rencontres ont permis à plus de 200 intervenants de faire le point sur la situation de l’enseignement du français dans des filières bilingues d’excellence à travers le monde et d’envisager les perspectives offertes par le label FrancEducation » en termes de rayonnement de la langue et de la culture françaises sur les cinq continents. Il s’agit de favoriser la complémentarité et non de substituer ce label aux dispositifs existants.

Convaincu de l’utilité de ces missions, le Sénat se réjouit que vous ayez choisi, monsieur le ministre, de préserver les moyens dévolus à l’AEFE. La Haute Assemblée continuera d’accompagner cet opérateur, acteur référent d’une offre éducative française, singulière et performante.

Le troisième axe de l’influence française dans le monde est constitué par l’action audiovisuelle extérieure.

Dans ce domaine, la France est attendue. Dans un monde globalisé et qui a tendance à s’uniformiser, son avis est respecté, bien au-delà de son poids démographique ou de sa puissance économique.

L’audiovisuel français vers l’international occupe une place à part à côté des grandes chaînes anglo-saxonnes et des médias du monde arabe. À l’heure de la mondialisation, face à des populations en quête de repères et de compréhension, il offre un regard particulier sur l’information internationale.

Cette vision trouve son ancrage dans le monde francophone. Elle est porteuse de valeurs universelles attachées à la République qui nous gouverne : liberté, pluralisme des idées, confrontation des points de vue, indépendance de la presse, laïcité, égalité entre femmes et hommes, autant de principes qui restent à promouvoir, à tout le moins à conforter, dans une partie importante du monde.

Les médias audiovisuels français constituent de formidables caisses de résonnance. C’est une situation peu connue en France, et nous pouvons regretter que nos compatriotes sur le territoire national n’aient pas une meilleure idée de l’action extérieure de l’État au sein d’une société mondialisée.

Ces médias sont également pour nos 2, 5 millions de compatriotes expatriés un lien irremplaçable avec notre pays.

Face aux enjeux, l’État s’est trop longtemps épuisé dans des réformes de structures coûteuses et souvent mal comprises. Ces dernières années, deux plans de départs volontaires non ciblés ont touché 22 % des effectifs de l’Audiovisuel extérieur de la France, l’AEF. Une fusion et un déménagement conjoints se sont traduits par une profonde désorganisation des entreprises.

Monsieur le ministre, le pilotage fondé sur la recherche exclusive d’une réduction des coûts a marqué ses limites.

L’État consacre pourtant moins de 9 % du budget total de l’audiovisuel à son action audiovisuelle extérieure, comme s’il en mésestimait l’importance.

Au total, ce sont un peu plus de 300 millions d’euros chaque année, soit l’équivalent de la Deutsche Welle, la moitié des budgets d’Al Jazeera ou de CNN, 100 millions d'euros de moins que BBC World.

Ces 300 millions d'euros sont répartis entre France 24, qui regroupe trois chaînes d’information continue en trois langues – français, anglais, arabe –, RFI, radio internationale en treize langues, Monte Carlo Doualiya, radio arabophone de l’AEF, et TV5 Monde, chaîne généraliste francophone sous-titrée en plus de dix langues, qui réunit une audience hebdomadaire de plus de 50 millions de téléspectateurs.

Cet investissement est néanmoins insuffisant au regard des défis à relever dans un contexte mondial très concurrentiel.

Médias de référence, France 24, RFI et Monte Carlo Doualiya réalisent aussi des audiences en progression constante. RFI est écoutée par 40 millions d’auditeurs, Monte Carlo Doualiya par 8 millions et France 24 est regardée par 45 millions de téléspectateurs. En Tunisie, la chaîne en langue arabe devance légèrement Al Jazeera, preuve que France 24 sait répondre à l’envie de liberté et de modernité des téléspectateurs de ce pays.

Toutes chaînes confondues, les environnements nouveaux médias de l’AEF ont établi un record au mois de janvier dernier avec 25 millions de visites. Les nouveaux médias permettent de s’affranchir des frontières territoriales pour toucher les diasporas au-delà de leurs pays d’origine. C’est vrai tant pour les populations arabophones qu’aux États-Unis, avec 7 millions à 8 millions d’auditeurs, autant en Amérique latine et en Europe. C’est vrai aussi pour d’autres langues : le site en vietnamien de RFI est, en termes de visites, le deuxième site le plus visité de la radio mondiale.

Ces études ne mesurent cependant pas l’impact en termes d’influence de nos médias. L’information de RFI et de France 24 en français est écoutée ou regardée au quotidien par les chefs d’État africains de l’univers de la francophonie. Les versions arabophones de France 24 et de Monte Carlo Doualiya sont en passe de réussir le même exploit dans le monde arabe.

Enfin, depuis le 27 février dernier, France 24 en langue anglaise est disponible dans tous les bureaux du Département d’État des États-Unis, du Département de la sécurité intérieure et du Département de la justice. La qualité de la couverture éditoriale de l’intervention au Mali a motivé cette décision.

Monsieur le ministre, il s’agit aujourd’hui de conforter ce qui existe et de développer cette présence audiovisuelle indispensable de la France hors de ses frontières.

Les objectifs de croissance seront, bien entendu, fonction des moyens que l’État mettra à la disposition de son action audiovisuelle extérieure. Les entraves à la présence sur certains marchés sont multiples et souvent coûteuses : elles vont de la censure politique au protectionnisme économique, sans oublier la concurrence exponentielle, qui entraîne des coûts de distribution parfois prohibitifs.

Pour réussir, des virages doivent être négociés très rapidement, à commencer par celui de la télévision numérique terrestre. L’Afrique va basculer en TNT à partir de 2015. Si France 24 et TV5 Monde ne parviennent pas à profiter de la TNT, elles seront fortement pénalisées et rapidement marginalisées. Vient ensuite le virage de la haute définition. Là encore, France 24 comme TV5 Monde doivent bénéficier d’un financement spécifique pour ne pas se voir interdire demain l’accès à certains marchés.

L’objectif de notre action audiovisuelle extérieure est bien d’être présents mondialement, au-delà des zones d’influence traditionnelles de la France que sont l’Afrique et le monde arabe, en s’appuyant sur tous les leviers d’action existants et en jouant de la complémentarité des médias.

Nos médias doivent enfin disposer d’un point d’appui sur le territoire national. Il n’est pas concevable que France 24, seule chaîne d’information continue de service public, ne bénéficie pas d’une fenêtre de diffusion sur la TNT, qui doit être aussi une fenêtre ouverte sur le monde, le grand large.

Si la France a un rôle à jouer, elle doit s’en donner les moyens. Cela passe aussi par l’adhésion de la communauté nationale à une France de « nouveaux territoires » à conquérir en matière culturelle et économique.

En conclusion, nous pourrions dire que le monde change et que nous voulons changer avec lui, mais ce n’est pas si sûr ! En règle générale, les Français vivent mal la mondialisation. Ils admettent leur anxiété sondage après sondage. La question est pourtant de savoir si nous voulons être des « mondialisateurs » ou des « mondialisés ». La réponse n’est pas encore évidente.

Aux discours entretenus par des élites démissionnaires, convaincues que la conduite d’une globalisation profitable, à défaut d’être heureuse, se fait uniquement en anglais, nous n’avons pas encore de réponse affirmée et nous ne savons pas comment lutter contre les rigidités françaises. La recherche d’une meilleure compétitivité pour notre pays, grâce à l’innovation et à une confiance en soi retrouvée, est indissociable de la volonté de l’État de promouvoir une action culturelle extérieure. On cite souvent les États-Unis. Pourtant, sait-on que le deuxième poste d’exportation est constitué par les industries culturelles ?

Puissance d’influence, la France a des talents divers. Notre pays doit d’abord réapprendre – je pèse mes mots – à aimer sa langue, l’architecte de la pensée et de la créativité, ...

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Duvernois

... et s’ouvrir parallèlement à l’apprentissage d’autres langues vivantes.

Monsieur le ministre, votre volonté de développer une « diplomatie économique » au sein de la Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats aux côtés de la « diplomatie culturelle » et du français participe, me semble-t-il, de cette prise de conscience. N’avez-vous pas d’ailleurs été surpris par une récente étude, d’origine suisse me semble-t-il, qui démontre que les échanges commerciaux induits par l’appartenance à l’espace géographique francophone se sont traduits ces dernières années par un supplément de PIB par tête de 6 % en moyenne dans les pays concernés ?

Debut de section - PermalienPhoto de Louis Duvernois

Voilà de quoi méditer !

Au regard de ce fort « désir de France » observé à l’international, monsieur le ministre, le moment n’est-il pas venu de « ré-enchanter » à notre tour le « rêve de France » sur le territoire national ? §

Debut de section - PermalienPhoto de Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la diffusion culturelle au sens large est plus que jamais un enjeu politique et économique que l’on ne peut ignorer. Figurant parmi les premiers pays pratiquant une diplomatie culturelle depuis le XVIIIe siècle, la France conserve une place de choix dans ce domaine, mais elle doit s’adapter aux nouveaux défis contemporains.

Notre pays attache depuis longtemps une grande importance aux échanges culturels – cinéma, théâtre, arts, livres, idées, médias –, à la promotion de la langue française et au plurilinguisme. C’est pourquoi, je le rappelle, la France s’est battue pour obtenir de l’UNESCO, en 2005, une convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Elle entretient également un important réseau d’instituts culturels, d’Alliances françaises et de lycées français à travers le monde. Elle contribue au renforcement de la présence de ses médias avec TV5 Monde, France 24 et RFI, au sein de l’Audiovisuel extérieur de la France.

Nos principaux moyens d’actions sont la mobilité des étudiants, le développement de la recherche et des échanges de scientifiques et, bien entendu, la langue, avec l’expansion et l’affirmation de notre politique en faveur de la francophonie.

La construction d’équipements phares et le développement d’offres événementielles à portée internationale, comme les capitales européennes de la culture ou les expositions universelles, sont autant d’exemples de moyens d’influence et de diffusion de la culture.

Néanmoins, il est nécessaire de s’interroger sur notre stratégie de rayonnement culturel, ainsi que sur les moyens que l’on souhaite, et peut, y consacrer. Ce débat est donc le bienvenu.

Plus que jamais, nous vivons dans un monde globalisé et standardisé. Plus que jamais, la diffusion massive, de par le monde, de la culture mainstream nord-américaine met, d’une certaine manière, en péril notre identité culturelle, et pas seulement la nôtre au demeurant ! Ainsi, plus que jamais, la France et l’Europe ont besoin d’affirmer et de défendre les valeurs qui leur sont propres, valeurs que notre collègue Louis Duvernois a fort bien rappelées.

Telles sont les conclusions du rapport sur la gouvernance européenne du numérique, que je viens de terminer au nom de la commission des affaires européennes.

L’avènement de l’internet représente un potentiel énorme de promotion de la richesse et de la diversité culturelles française et européenne. Mais elle peut également, si nous n’y prenons garde, être synonyme d’homogénéisation culturelle. On le sait, internet déstabilise les modalités actuelles du financement de la culture, à la fois par son apparente gratuité et son absence de territorialité, qui lui permet d’échapper aux régulations nationales.

Si l’expression des contenus émane des territoires nationaux, il revient à l’Europe d’organiser la stimulation de la création et la transition numérique de l’ère industrielle. En ce domaine, plusieurs instruments que j’évoque dans mon rapport sont mobilisables, mais l’Union doit savoir si elle veut poursuivre cette politique culturelle ou se livrer, pieds et mains liés, à quelques géants, principalement américains, qui ambitionnent d’organiser l’information du monde.

Un débat au sein de l’Union est en cours. Douze États, dont la France, ont appelé en novembre dernier la Commission à soutenir la culture, par une lettre conjointe adressée aux commissaires Vassiliou, Barnier et Kroes, dans laquelle ils les invitaient à faire de la création culturelle en Europe un enjeu majeur.

Dans ce domaine principalement, nous avons besoin de renouveler totalement notre stratégie, faute de quoi nous sommes voués au sous-développement et à n’être qu’une colonie du monde numérique.

Cela étant dit, j’aimerais revenir sur quelques autres aspects de notre rayonnement culturel.

Tout d’abord, il me semble opportun de pouvoir faire un bilan des deux premières années de fonctionnement de l’Institut français, présidé par Xavier Darcos, et chargé, dans le cadre de la politique et des orientations arrêtées par l’État, « de porter une ambition renouvelée pour la diplomatie d’influence et de contribuer au rayonnement de la France à l’étranger dans un dialogue renforcé avec les cultures étrangères ».

Comme l’a rappelé Louis Duvernois, l’Institut a vocation à s’imposer comme l’opérateur central de notre action culturelle extérieure, en déclinant selon les zones géographiques les priorités stratégiques de notre politique d’influence. Pour ce faire, il doit articuler et soutenir la programmation culturelle développée par notre réseau de 98 établissements à autonomie financière culturels et le réseau associatif des 445 Alliances françaises conventionnées. Il lui appartient, en particulier, de professionnaliser les leviers de notre dispositif d’influence culturelle à l’étranger, en mettant l’accent sur la formation de nos agents culturels et le développement des outils numériques de diffusion culturelle et d’enseignement du français. L’Institut a d’ailleurs commencé à s’acquitter de cette mission.

En revanche, comme le soulignait le rapporteur pour avis sur la mission budgétaire, Louis Duvernois, les « relations avec les Alliances françaises mériteraient d’être clarifiées ». Celles-ci ne doivent en effet pas être marginalisées parallèlement au développement de l’Institut français.

Je conserve encore le souvenir ému de cette toute petite Alliance française, îlot de résistance, au cœur de la forêt amazonienne, à Manaus ! Dans le cadre de notre mission sur l’année de la France au Brésil en 2009, les membres de la commission de la culture avaient rencontré sa directrice, qui se sentait bien seule et démunie. Et pourtant, quel travail elle accomplissait ! L’activité des alliances est précieuse, comme notre commission le constate à chacun de ses déplacements.

Aussi, le travail de l’Institut français devrait se concentrer sur l’animation effective et efficace de tout le réseau culturel extérieur. Quelle est, à cet égard, monsieur le ministre, votre ambition ? Quelles missions nouvelles et innovantes souhaitez-vous confier à l’Institut français, pour qu’il rivalise avec ses concurrents britanniques ou néerlandais, très bien organisés ?

J’aimerais à présent revenir rapidement sur les crédits de la mission « Action extérieure de l’État ». On ne peut que constater et regretter les coupes budgétaires opérées dans le cadre de la loi de finances pour 2013, dans un secteur déjà très contraint. Naturellement, je partage la nécessité de maîtriser nos dépenses publiques ; néanmoins, la diplomatie culturelle et d’influence a déjà subi d’importantes contractions de ses moyens.

On peut regretter que les efforts de réduction des dépenses portent principalement sur des politiques fondamentales.

Les crédits dédiés à l’animation du réseau, qui comprennent non seulement les frais de communication, d’informatique, de missions et de représentation, mais également les moyens consacrés à la formation des agents, diminuent de 6, 4 %, les crédits de soutien au réseau culturel étant en particulier réduits de 5, 6 %.

Les crédits de la coopération culturelle et de promotion du français accusent pour leur part la baisse la plus importante du programme, de l’ordre de 6, 5 millions d’euros, soit une diminution de 7, 66 %. Or, concernant la francophonie, un appui politique fort et déterminé est nécessaire.

Je ne rappellerai pas le rôle fondamental que joue l’Organisation internationale de la francophonie, qui rassemble 63 États, dans la promotion de la langue française, notamment face à la prééminence de l’anglais. Tous les moyens doivent être mis en œuvre, y compris les plus innovants, pour maintenir, à travers le français, une nécessaire diversité linguistique et des idées. Quelle est la réflexion du ministère à ce sujet ?

Aussi, il est important que la France renforce sa position sur le marché international de l’économie du savoir, en exportant l’enseignement supérieur en français ou à la française et en cherchant à attirer et à fidéliser les jeunes générations, notamment les meilleurs étudiants étrangers, par des programmes d’échanges et de mobilité.

Là encore, il faudra s’appuyer sur l’Institut français pour moderniser l’enseignement du français dans les systèmes éducatifs locaux, à tous les niveaux d’enseignement.

Je voudrais également dire quelques mots des années croisées qui ont le bénéfice de l’échange et portent le dialogue des cultures.

En 2009, dans le rapport d’information que nous avions rédigé, à la suite du déplacement de la commission de la culture au Brésil, nous concluions que le bénéfice de tels investissements devait induire des prolongements en matière de coopération. En a-t-on aujourd’hui les moyens ?

On notera que le rayonnement extérieur de la France ne passe pas exclusivement par l’État et que les territoires développent souvent des politiques durables, comme nous avons pu le constater, voilà encore deux semaines, lors du déplacement de notre commission au Vietnam. La coopération entre la province de Hué et la région Nord-Pas-de-Calais a entraîné d’autres coopérations et des réflexes dans les échanges. Certains pays de la francophonie sont très demandeurs du renforcement de ce type de coopération.

Pour prendre un exemple concret, l’orchestre du troisième cycle du conservatoire de la ville de Rouen, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, est intervenu avec ses enseignants à Hanoï à l’occasion de son millénaire en 2010, en échange de quoi des étudiants vietnamiens sont venus dans notre ville apprendre la musique et la langue.

On constate donc que les bénéfices sont réciproques.

Pour terminer, il me semble indispensable, pour soutenir et mettre en avant toute cette politique de rayonnement et d’influence, que la France s’appuie sur un audiovisuel extérieur totalement imprégné par cette réflexion. Là encore, la concurrence avec les autres pays doit nous conduire à renforcer notre pôle audiovisuel extérieur.

Forte de l’expérience de TV5 Monde, la nouvelle présidente de l’Audiovisuel extérieur de la France, l’AEF, Marie-Christine Saragosse, a bien engagé son mandat. Il convient de saluer son travail.

Fin 2011, un rapport de l’inspection générale des finances sur la santé financière des chaînes de l’AEF soulignait que, si les chaînes avaient su s’imposer malgré un environnement fortement concurrentiel, l’application d’un principe de précaution budgétaire et le renforcement des synergies au sein du groupe devaient être mis en œuvre.

Sur ce sujet, je vous remercie de bien vouloir nous éclairer, monsieur le ministre.

Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées de l'UMP et du groupe écologiste.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues : « Tout a changé, nous ne sommes plus les rois du monde... » Voilà ce que déclarait Bernard Kouchner, alors ministre des affaires étrangères, en juillet 2010, lorsque fut lancé l’Institut français, la nouvelle agence pour l’action culturelle extérieure de notre pays.

C’est probablement, en partie, parce que nous avons cru trop longtemps que nous étions « les rois du monde » que notre diplomatie culturelle accuse un certain retard et souffre parfois d’un manque de légitimité.

L’anthropologue Philippe Descola, professeur au Collège de France, a bien résumé le défi auquel est confrontée notre diplomatie d’influence : « Incarner une civilisation singulière, sans pour autant présumer de la supériorité de sa culture. »

En ce sens, l’expression apparemment consensuelle de « rayonnement culturel de la France » mérite d’être questionnée. Ne fait-elle pas référence en creux à une certaine « splendeur passée », que d’aucuns aimeraient retrouver, sans pour autant remettre en question notre modèle ? Ne nous ramène-t-elle pas à une époque désormais lointaine où la culture française dominait, si ce n’est le monde, du moins l’Europe ?

Or, les choses ont bien changé, notamment depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, après laquelle Paris a perdu sa place de capitale des artistes et du marché de l’art. Il est sans doute temps d’en prendre véritablement conscience si nous voulons construire la diplomatie culturelle du XXIe siècle.

Quand on aborde l’action culturelle extérieure de la France, deux types de chiffres sont à distinguer.

Certains témoignent de la vitalité et de l’attractivité de la culture made in France dans le monde : 50 000 manifestations culturelles organisées chaque année par le réseau culturel français, 101 instituts français, plus de 8 000 artistes, auteurs ou professionnels de la culture soutenus dans plus de 150 pays.

D’autres en revanche, moins glorieux, reflètent le déclin apparemment irréversible de notre diplomatie culturelle traditionnelle : un tiers de nos centres et instituts culturels à l’étranger ont été fermés depuis l’an 2000, le budget de l’action culturelle extérieure a baissé de plus de 20 % depuis 2007…

Cela explique notamment que, dès 2007, un rapport d’information sénatorial s’interrogeait sur « les réponses [à] apporter à une diplomatie culturelle en crise ».

Le chercheur et journaliste Frédéric Martel a dressé un constat volontairement provocateur : « Notre réseau culturel est déprimé, ses moyens dilués, sa gouvernance obsolète, ses nominations politisées ou dictées par l’énarchie diplomatique – bref, il ne fonctionne plus. »

Même si je n’adhère pas à de tels propos, ils ont le mérite de soulever un certain nombre des difficultés réelles que rencontre notre diplomatie culturelle depuis plusieurs années.

Que pouvons-nous donc faire pour redynamiser ce ressort essentiel de toute politique étrangère complète et efficace ?

Les Chinois l’ont bien compris, eux qui investissent massivement dans leurs instituts Confucius, présents à ce jour dans une centaine de pays, alors que les premiers ont ouvert leurs portes voilà seulement quelques années.

Si les baisses drastiques des moyens accordés à notre réseau culturel à l’étranger ne sont pas acceptables, elles ne nous empêchent pas de nous interroger sur les alternatives possibles pour développer un véritable soft power à la française.

D’ailleurs, particulièrement en matière de diplomatie d’influence, l’argent n’est peut-être pas le « nerf de la guerre », si je puis m’exprimer ainsi. Ce n’est pas parce que l’Institut français a un budget supérieur à celui des instituts Goethe et Cervantes ou du British Council que notre diplomatie culturelle est nécessairement plus efficace.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Elle ne l’est pas nécessairement moins non plus !

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

D’ailleurs, comment mesurer la réussite et l’efficacité en la matière ? C’est une question délicate. Si la diplomatie culturelle est un aspect essentiel de la diplomatie, elle ne doit pas, pour autant, être laissée entre les mains des seuls diplomates, aussi brillants soient-ils.

Par exemple, si le British Council ou le Goethe Institut sont de véritables bras armés de la diplomatie culturelle, ils restent autonomes vis-à-vis des ministères des affaires étrangères de leurs pays respectifs. Est-ce ce qui fait leur force ?

Le mot « culture » est tout aussi essentiel que celui de « diplomatie ». C’est peut-être, non pas aux diplomates, non pas aux pouvoirs publics en général, mais avant tout aux artistes, aux professionnels de la culture et aux industries culturelles elles-mêmes qu’il incombe de faire vivre la culture française à travers le monde et de faire vivre, dans le même temps, la francophonie.

Le rôle de la puissance publique est alors d’encourager, d’accompagner, de favoriser les synergies plutôt que de définir elle-même les standards culturels qu’elle voudrait voir « rayonner » dans tous les pays. Il faut arrêter, comme c’est encore malheureusement le cas dans certains services culturels des ambassades, de vouloir imposer de façon unilatérale notre culture, nos artistes, nos œuvres.

Laissons au contraire les acteurs et les institutions étrangères venir elles-mêmes, naturellement, vers eux, grâce à une diplomatie d’influence subtile et véritablement efficace.

C’est au nombre de commissaires d’exposition étrangers qui présenteront des artistes français et de théâtres qui programmeront des auteurs ou collaboreront avec des metteurs en scène français que nous pourrons mesurer ce fameux rayonnement culturel.

Plutôt que de fournir à des professionnels des expositions d’artistes français « clés en main », aidons ces derniers à les construire. Il s’agit d’ailleurs d’une condition indispensable pour offrir à nos artistes une véritable légitimité internationale.

Un certain nombre d’initiatives de notre diplomatie culturelle vont d’ailleurs dans ce sens, tel l’échange entre galeries d’art contemporain françaises et allemandes à travers le projet Paris-Berlin, rendu possible grâce au soutien des services culturels de l’ambassade de France à Berlin.

Le numérique, encore trop souvent considéré comme un danger alors qu’il constitue également une chance incroyable pour le développement de notre soft power, présente un potentiel dont notre diplomatie culturelle devra également se saisir pleinement.

Enfin, le rayonnement de la France passe par la capacité de notre réseau diplomatique à susciter et à encourager le débat d’idées et les échanges avec les autres cultures. Cet axe essentiel de notre diplomatie culturelle, dont nous pouvons être particulièrement fiers, mérite d’être préservé et renforcé.

La diplomatie culturelle peut également se manifester par d’autres canaux, notamment ceux d’une diplomatie plus classique – ou hard power – dans le domaine commercial, par exemple.

L’annonce récente de l’engagement des négociations sur un accord de libre-échange historique entre l’Union européenne et les États-Unis a relancé le débat sur l’exception culturelle. Défendue par certains diplomates français dans les coulisses du GATT puis de l’OMC, dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, cette notion a finalement abouti à la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle, adoptée en 2005.

Constant sur ce point, le Président de la République a déclaré, le 15 mars dernier, que l’exception culturelle ne devrait donc plus faire partie des points de négociation de l’accord de libre-échange entre Union européenne et États-Unis.

Pour conclure, je souhaite insister sur la nécessité de donner une dimension européenne à la diplomatie culturelle. C’est en construisant avec nos voisins l’identité d’une culture européenne, dont la force réside dans la diversité et qui ne signifie en rien l’effacement des cultures nationales ou régionales, que nous pourrons construire un soft power véritablement puissant face aux États-Unis, qui demeurent pour l’instant les maîtres en la matière, et aux puissances émergentes, telles que la Chine ou les pays du Golfe. §

Debut de section - PermalienPhoto de Marie-Christine Blandin

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si la compétition est une réalité dans le monde actuel, la culture mérite mieux que l’exacerbation des rivalités. Même avec des moyens modestes, et particulièrement avec des moyens modestes, c’est la qualité des liens tissés qui importe.

Riche, de par son histoire, en ressources, compétences et institutions en charge de l’action extérieure, la France doit veiller à ne pas faire montre de supériorité face aux autres pays, qui ont bien compris l’importance de la diplomatie culturelle et de la sobriété de ton dans le monde d’aujourd’hui.

Une grande attention doit être portée à ce que nos opérateurs ou représentants ne se fassent pas de concurrence déconcertante sur le terrain.

La réforme de la précédente mandature a donné la main au Quai d’Orsay, qui a ses propres stratégies et qui s’inscrit dans des conflits mondiaux auxquels la France a décidé de prendre part. Mais la culture est un dialogue permanent entre les peuples, qui ne s’arrête ni aux frontières, ni aux conflits, dans lesquels elle doit rester le fil ténu qui permet encore de s’entendre et de faire résonner les atouts de la diversité culturelle.

Le rayonnement ne se décrète pas ; il s’apprécie a posteriori dans l’estime que nous gagnons chaque fois que nous ouvrons des espaces de formation, que nous faisons se rencontrer des artistes ou circuler des œuvres, dans les deux sens, bien sûr, ou chaque fois que des équipes mixtes de recherche travaillent pour répondre à de vrais besoins et partagent la signature de publications.

L’impératif de maîtrise des finances publiques ne doit pas nous faire perdre de vue que l’action culturelle extérieure de la France doit être appréhendée comme un investissement d’avenir. Nous sommes attendus sur la formation des formateurs en enseignement artistique, sur la francophonie et les échanges de professeurs et d’étudiants, sur les meilleures méthodes d’aide au cinéma, à l’édition, à la protection des droits des artistes, à la gestion du patrimoine...

Nous avons à apprendre et à nous émerveiller des cultures à découvrir.

Nous navrons nos amis quand, au nom de la prévention de l’immigration clandestine, nous bloquons aux frontières le violoniste du sextuor à cordes, les percussionnistes africains du festival de Bidon, un jeune chercheur en informatique qui sera accueilli à bras ouverts chez Apple. Et l’incompréhension est totale quand notre consulat de Yaoundé ne délivre pas de visa à la déléguée africaine de l’école Freinet, l’empêchant de participer au congrès mondial de cette institution, malgré son billet de retour payé, malgré son hébergement assuré, malgré l’invitation montrée et malgré les interventions de plusieurs parlementaires.

Tout cela, c’était avant 2012. Les écologistes attendent le changement et les preuves de ce changement...

Nous sommes convaincus que la réciprocité est davantage porteuse d’espoirs de retombées d’échanges plus marchands et durables que la simple volonté offensive de rayonnement motivée par la seule envie de conquérir de nouveaux marchés.

Malheureusement, les missions culturelles du ministère des affaires étrangères ont souffert d’une baisse significative de leurs crédits.

Si nous voulons repenser notre politique de coopération culturelle en sortant des vieux schémas hérités de la période postcoloniale, la culture ne doit pas être la « cerise sur le gâteau » de notre politique de développement.

Dans un monde en tension, la coopération culturelle constitue un moyen de prévention des conflits. Sans culture, pas de paix ; sans paix, pas de développement possible. Je pense donc que l’Agence française de développement gagnerait à soutenir de tels projets.

De retour d’un déplacement au Vietnam avec une délégation de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, j’ai noté que le financement de la saison croisée était assuré pour plus d’un tiers par des entreprises. De fait, l’attaché d’ambassade en charge des questions économiques gérait davantage ce dossier que le conseiller culturel. Le mécénat ne saurait dissimuler un désengagement financier de l’État. Il ne s’agirait pas d’un bon signal envoyé à nos partenaires

Savez-vous que l’École française d’Extrême-Orient ne compte plus qu’un seul chercheur en poste à Hanoï, contre trois auparavant ?

Toujours en matière de recherche, alors que l’Europe nous emmène vers une mutualisation de nos outils de coopération, notre Agence nationale de recherche ne finance pas les projets montés en collaboration avec des équipes étrangères. N’est-ce pas contradictoire ?

Pour éviter de vous dresser un tableau trop noir, je tiens néanmoins à saluer l’excellent modèle que constitue le laboratoire de recherche consacré à la génomique du riz, partenariat exemplaire de chercheurs français et vietnamiens, avec de jeunes étudiants, sur un sujet essentiel pour l’avenir et la sécurité alimentaire du Vietnam, et cela sans OGM ni brevets confiscatoires.

Je suis en revanche toujours déçue du peu d’importance accordée par l’État à l’action de nos collectivités territoriales, parfois réduites au simple statut de co-financeur, alors qu’elles savent souvent tisser des liens plus étroits dans la durée.

Enfin, je souhaite que la France fasse vivre partout la convention de l’UNESCO relative à la diversité culturelle. Ce texte de référence doit s’appliquer dans toutes ses dimensions et inspirer de multiples chantiers auxquels nous pourrons participer grâce à des coproductions et à une diffusion de qualité, en lien avec nos partenaires et dans le respect de leurs attentes. §

Debut de section - PermalienPhoto de René Beaumont

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons tous que la dimension culturelle et linguistique constitue un atout incontournable pour le développement de l’influence de notre pays et la promotion de nos intérêts.

Héritière d’un patrimoine prestigieux, d’une culture vivante et d’une certaine singularité dans l’expression de ses positions, la France bénéficie encore d’une forte attractivité. Cependant, sa place se banalise sur la scène mondiale. Dans le domaine de la culture et des idées, elle demeure bien évidemment une puissance qui compte, mais jusqu’à quand ?

Dans le contexte de la mondialisation, le rayonnement culturel de la France est soumis à des tensions contradictoires.

Toutefois, grâce aux nouvelles technologies de l’information qui offrent des capacités de diffusions considérables, le nombre de personnes pouvant avoir accès à la culture française n’a jamais été aussi important.

Nos opérateurs culturels nationaux publics et privés, dans le domaine des arts mais aussi des sciences, les utilisent largement. Les universités, les centres de recherche et les opérateurs en charge de l’action culturelle extérieure y ont recours également.

Leurs contenus, diffusés en langue française, font aussi l’objet, de plus en plus souvent, d’une traduction afin d’accroître leur diffusion. Ainsi, le nombre de personnes dans le monde susceptibles d’accéder à ces contenus est infini. Il n’est limité que par la capacité des individus à accéder aux technologies et par les obstacles posés par certains États soucieux de contrôler l’accès aux sites internet.

Les nouvelles technologies nous offrent donc un potentiel extraordinaire pour décupler nos efforts. Nous devons nous atteler à les développer, car la concurrence étrangère est sévère.

Non seulement nos concurrents traditionnels, Américains, Britanniques et Allemands, accentuent leurs efforts, mais on voit bien qu’avec le développement des nouvelles technologies d’autres puissances émergentes deviennent beaucoup plus offensives et mènent une action culturelle au-delà de leurs frontières, à l’image de la Chine, des pays du Golfe ou encore de la Turquie dans le monde arabo-musulman.

La capacité de rayonnement culturel d’un État à l’étranger va donc dépendre très largement de sa capacité à créer les conditions de promotion de sa culture et de sa langue, qui en est le premier vecteur. Or cette promotion suppose des investissements que, malgré le « désir de France » que l’on peut observer lorsque l’on est en déplacement à l’étranger, nous sommes parfois en mal de financer aujourd’hui.

Le budget voté pour 2013 dans le domaine de la diplomatie culturelle et d’influence est caractéristique de ces limites, puisqu’il se traduit par une stabilité apparente qui masque en fait une réduction continue des moyens. Les crédits du programme 185 sont en diminution de 0, 5 %, parce que leur composante majeure en termes budgétaires, l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger, n’est pas affectée par les règles de cadrage imposées aux autres secteurs.

Nombre de composantes se voient en effet appliquer des réductions de crédits pouvant aller jusqu’à 7 %. L’Institut français, dont la loi du 27 juillet 2010 a fait l’opérateur de l’action culturelle extérieure de la France, voit ainsi ses crédits diminuer de 7 %. Il en va de même des crédits pour opérations du réseau culturel dans ses deux composantes, en particulier les Alliances françaises.

Est-ce donner les meilleurs atouts à la rénovation de nos outils entreprise sous le gouvernement de François Fillon, il est vrai, mais sur la base d’un rapport conjoint des commissions de la culture et des affaires étrangères du Sénat adopté, il faut le rappeler, à l’unanimité ?

Sans doute des économies peuvent-elles être réalisées, mais je crains qu’à force de récurrence on n’en soit davantage à réduire la voilure plutôt qu’à rechercher des gains de productivité.

La dernière invention est l’appel à l’autofinancement, qui, il est vrai, est devenu un indicateur de gestion et de performance figurant en bonne place dans les instruments d’évaluation du projet annuel de performance et des contrats d’objectifs et de moyens. Il a cependant des limites.

D’abord, selon la nature des activités, la régularité de la ressource peut être plus ou moins certaine. Si en 2011 les établissements d’enseignement français ont réuni des cofinancements à hauteur de 174, 6 millions d’euros, essentiellement grâce aux cours de langue, le montant attendu pour 2012 ne devait être que de 150 millions d’euros.

Ensuite, des disparités existent non seulement selon les domaines d’activités, mais aussi selon les pays, leurs ressources, le degré d’implication des entreprises françaises et, bien sûr, selon la conjoncture économique.

Il ne faudrait pas que la quête d’autofinancement introduise des facteurs d’exclusion et se traduise par un désengagement dans les pays économiques les plus vulnérables.

J’ajoute que, en période de crise, les entreprises réduisent singulièrement les sommes qu’elles peuvent consacrer à des actions de mécénat et se tournent en priorité vers la préservation de leurs marges et de leurs emplois.

Dans un tel contexte budgétaire, la conciliation du développement de nos actions et des restructurations en cours est une équation impossible. C’est bel et bien à une réduction tant des activités de notre opérateur que des réseaux que nous allons assister.

En revanche, je me réjouis des efforts conduits en matière d’attractivité et de mobilité des jeunes, y compris dans le financement de notre système d’enseignement supérieur. C’est un enjeu important.

La population étudiante étrangère atteint près de 290 000 étudiants, soit une augmentation de 65 % en dix ans ; elle représente 12, 3 % des inscrits.

Il existe certes une demande forte, mais aussi une véritable concurrence internationale. Ainsi, selon les données de l’UNESCO, la mobilité étudiante à l’étranger devrait doubler dans les dix prochaines années et concerner environ 7 millions d’étudiants en 2025.

La France reste bien placée, mais la part relative des intervenants traditionnels commence à se réduire avec l’arrivée de nouveaux entrants, notamment en Asie.

Il est important que nous puissions maintenir nos capacités, car c’est un élément d’influence que de pouvoir former les élites des autres pays, non seulement dans le domaine des humanités, mais aussi dans les matières scientifiques et technologiques.

Notre attractivité doit d’abord se fonder sur l’excellence de nos cursus de formation ainsi que sur leur capacité à proposer des formations de standard international et adaptables aux besoins des publics.

La politique des bourses est évidemment un pilier important, mais à condition d’être vraiment sélective.

Enfin, il appartient à l’État d’être un facilitateur, en diffusant l’information, en favorisant les partenariats et en apportant des services.

À cet égard, je me réjouis de la rationalisation de nos outils et du développement par Campus France d’une capacité à proposer aux gouvernements étrangers, notamment à ceux des pays émergents, un système performant de gestion des bourses de leurs étudiants en France, en apportant, outre un suivi, les ressources nécessaires sans solliciter le budget de l’État.

En effet, nombre de gouvernements étrangers ont mis en place des modes de financement des études à l’étranger de leurs ressortissants, qu’ils considèrent comme un investissement d’avenir. De ce point de vue, le partenariat conclu récemment avec le Brésil dans le cadre de son programme Sciences sans frontière est exemplaire.

Néanmoins, le développement de cette politique suppose quelques moyens budgétaires. À observer l’utilisation des crédits de la diplomatie culturelle et d’influence comme une traditionnelle variable d’ajustement, je crains que nous ne puissions poursuivre nos efforts dans les années à venir. Mais peut-être me démentirez-vous, monsieur le ministre ? Je le souhaite en tout cas !

Par ailleurs, nous sommes toujours en attente du projet de contrat d’objectifs et de moyens de Campus France.

Dans l’actuel contexte économique et budgétaire difficile, j’ai l’impression que la limitation des crédits résulte d’une application quasi uniforme qui ne permet pas d’afficher les véritables priorités de notre action, ce qui me navre

On a un peu le sentiment, monsieur le ministre, d’un navire sur son aire dont on alimente de moins en moins le moteur, mais auquel on ne donne plus de véritables orientations. En l’occurrence, les orientations sont les priorités thématiques. Est-ce l’action culturelle ? Est-ce l’attractivité et la mobilité des jeunes ? Est-ce la coopération scientifique, puisque votre ministère vient d’annoncer une stratégie portant sur la diplomatie scientifique ? Est-ce le développement de l’enseignement français à l’étranger ? Faut-il continuer à conventionner et à créer des établissements dès qu’un État étranger le souhaite ?

Monsieur le ministre, à l’automne dernier, en commission, vous avez annoncé une réflexion sur ce sujet. Qu’en est-il ? Quelles sont les premières orientations ? Est-ce la diffusion de la langue française ?

Pouvez-vous nous dire où en est la rédaction du contrat d’objectifs et de moyens de l’AEFE ?

Des priorités géographiques doivent également être envisagées. Quels sont les pays cibles ? Dans quelles zones voulons-nous affirmer prioritairement notre présence ? Quels moyens affecterez-vous à ces priorités ?

Parce que, choisir, c’est aussi renoncer, en contrepartie nous devrons indiquer en quels lieux nous limiterons notre présence et nos efforts. Nous devons fixer le dispositif minimal que nous souhaitons conserver et restructurer à cette fin notre réseau.

Monsieur le ministre, je le reconnais, au cours de mon propos, je vous ai « soumis à la question ». En tout cas, je vous ai posé de nombreuses questions. Mais il est essentiel que la représentation nationale connaisse toutes les orientations envisagées pour pouvoir en apprécier la portée. Ainsi, votre présence dans cet hémicycle vous permettra de donner un peu plus de relief aux pistes que vous avez esquissées et dont la concrétisation est encore difficile à percevoir. §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Louis Carrère

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rayonnement culturel d’un pays ne se décrète pas. Il est un état, au sens physique du terme, qui résulte de la combinaison de plusieurs facteurs.

Il est d’abord fonction de l’intensité du patrimoine culturel. De ce point de vue, la France reste une référence, une matrice qui continue à produire, et c’est bien là l’essentiel : il faut poursuivre en ce sens.

En l’espèce, l’action de l’État consiste à maintenir un environnement favorable à la création culturelle, à son renouvellement, à son investissement sur de nouveaux supports et de nouveaux modes d’expression. Elle repose sur l’éducation et l’investissement public.

Dans la politique du Gouvernement, nous mesurons l’effort consenti dans le secteur de l’éducation. En revanche, nous sommes plus inquiets pour ce qui concerne l’investissement dans le domaine de la création.

S’agissant du rayonnement culturel à l’étranger, il me semble que les filières qui permettent de développer l’excellence française ne doivent pas être négligées, car elles tirent les secteurs concernés vers le haut et permettent l’exportation de modèles de référence.

Mais le rayonnement culturel, c’est aussi la capacité pour une culture de prétendre à l’universel. Cela suppose un pouvoir de dialoguer avec l’extérieur et à intégrer pour se renouveler sans perdre de son être. Là où la liberté d’expression culturelle est restreinte, là où les idées ne peuvent pas être confrontées, le rayonnement culturel s’étiole. Il est fondamental que notre pays continue à défendre la liberté de l’expression culturelle sous toutes ses formes, milite pour la liberté de diffusion des œuvres et accueille des artistes étrangers.

Il doit aussi préserver l’économie qui sous-tend la création artistique et donc faire en sorte que cette liberté ne se trouve pas absorbée par des lois du marché qui l’affaiblissent.

La mondialisation de la diffusion des productions culturelles est relativement paradoxale.

D’une part, les nouvelles technologies permettent de diffuser de façon quasi universelle et à moindre coût des données et de s’adresser directement aux individus. Certains l’ont bien compris, et pas seulement dans le domaine culturel ! De ce point de vue, le rayonnement culturel de la France à l’étranger est sans doute plus important qu’il ne l’a jamais été.

Mais, d’autre part, la concurrence plus vive entre producteurs et le dialogue entre les cultures peuvent aussi déboucher sur une uniformisation des goûts et une standardisation des produits et au mépris de la créativité.

Pour l’État, il convient donc, tant dans sa législation intérieure que sur la scène internationale qui s’empare progressivement de la régulation des industries culturelles, d’affirmer un modèle, sans pour autant s’isoler afin de continuer à diffuser nos productions originales.

Enfin, le rayonnement à l’étranger est fonction de notre capacité à promouvoir notre culture, à susciter, serais-je tenté de dire, un « désir de France ». L’intervention de l’État reste indispensable, car le secteur culturel est fragile, surtout lorsque la concurrence s’accroît, des puissances de plus en plus nombreuses déployant une diplomatie culturelle et y consacrant des moyens importants, y compris dans les zones traditionnelles d’influence de la France.

C’est dans ce cadre qu’a été entreprise une modernisation de nos outils par la mise en place d’opérateurs. Cette modernisation doit se poursuivre et gagner en autonomie, parce qu’elle professionnalise la gestion et pérennise des modes d’action. Le pilotage, par le biais de contrats d’objectifs, me paraît une solution intéressante si, toutefois, l’État se contente de fixer des objectifs réalistes, apporte les moyens adéquats et, surtout, réguliers, se dote enfin d’une véritable capacité d’évaluation des opérateurs, point très important.

Monsieur le ministre, ces quelques observations générales devraient ou, à tout le moins, pourraient, me semble-t-il, contribuer à orienter notre réflexion.

Les rapporteurs pour avis de la commission des affaires étrangères, MM. Vallini et Besson, s’exprimeront sur leurs domaines de compétences respectifs.

Le rayonnement culturel est sans doute l’un des meilleurs atouts d’influence dont nous disposons. Vous trouverez dans cette assemblée des soutiens actifs, conscients des enjeux de long terme que représente l’action culturelle extérieure pour maintenir et développer l’influence de la France. §

Debut de section - PermalienPhoto de Michel Le Scouarnec

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rayonnement culturel international est une composante à part entière de la politique étrangère française. Dans un monde globalisé où intérêts économiques, culturels et diplomatiques paraissent plus que jamais liés, il est fondamental.

Il est la base de notre soft power, notre pouvoir doux, comme l’a théorisé Joseph Nye, et il est constitutif de la diplomatie d’influence.

Le rayonnement culturel permet non seulement d’influer indirectement sur un certain nombre d’acteurs internationaux par des moyens non coercitifs, contrairement au hard power, ou pouvoir dur, mais aussi de séduire et de convaincre d’autres États, sans utiliser la force.

Ainsi, la langue, les idées, la création artistique concourent au développement du positionnement et de l’influence générale et durable de notre pays à l’étranger. Le soutien des échanges artistiques et le développement de l’apprentissage de notre langue permettent de promouvoir intérêts politiques et économiques.

De ce point de vue, la France paraît assez bien positionnée sur la scène mondiale. Mais le modèle français ne doit pas cacher un certain nombre de problèmes et de faiblesses qui pourraient continuer à dégrader la situation de notre pays à l’avenir.

La France a un réseau encore puissant.

La diplomatie culturelle française s’appuie sur la coopération et les actions culturelles des ambassades. Avec ses 154 services de coopération et d’action culturelle, notre pays dispose du premier réseau mondial.

La France possède également le premier réseau scolaire à l’étranger. Elle est présente dans plus de 130 pays : 485 établissements accueillent environ 310 000 élèves, dont 115 000 Français, ce qui est positif.

Avec 175 espaces dans 110 pays, Campus France, créé en 2010, regroupe sous un statut unique d’EPIC, ou établissement public à caractère industriel et commercial, l’ensemble des moyens humains et financiers de l’enseignement supérieur français à l’étranger, dans un objectif de valorisation de l’image et de l’influence de notre pays.

À cette action s’ajoutent les 145 instituts et centres culturels dans 92 pays et les 1 075 Alliances françaises dans 134 pays, qui, si elles ne dépendent pas directement du ministère des affaires étrangères, bénéficient, pour 300 d’entre elles, d’une aide financière de ce ministère. Tous ces organismes contribuent, quel que soit leur statut, au rayonnement de la culture française, notamment par l’offre de cours de français à l’étranger, chapeautée depuis 2010 par l’Institut français, qui est chargé de coordonner l’action culturelle internationale.

Le réseau culturel français est donc puissant, mais il est déclinant, et ce déclin est accentué par un désengagement financier et humain. Si la France est toujours considérée comme un modèle en termes de rayonnement culturel à l’étranger, puisque nos partenaires d’Amérique latine et d’Asie du Nord-Est sollicitent encore notre expertise, le recul de l’influence française sur le terrain culturel, le déclin de la francophonie et l’étonnement des pays francophones lorsqu’ils voient la France en retrait dans le combat pour la promotion de sa langue et de sa culture, sont bien des réalités.

La culture française est moins présente sur la scène mondiale qu’il y a quelques décennies. La langue et la culture française sont en recul. L’anglais est la langue internationale et la langue officielle dans 94 pays, sans compter tous ceux où il est couramment parlé, tandis que le français n’est une langue officielle que dans 54 pays. L’influence culturelle de la France diminue en conséquence, alors même qu’elle est le fondement de notre action et de notre conception de la diplomatie.

Cette diminution de notre influence a une cause évidente : malgré son importance stratégique, la diplomatie culturelle a été durement soumise à la RGPP, la révision générale des politiques publiques, et donc à des suppressions d’empois et à une diminution drastique de ses moyens.

Force est de constater que le nouveau gouvernement n’a pas suffisamment inversé les orientations budgétaires. Nous le regrettons. Le budget pour l’année 2013 s’inscrit dans l’effort de réduction des dépenses publiques : 184 postes seront supprimés en 2013 ; les crédits budgétaires baissent de 7 % en 2013 et devraient baisser de 4 % en 2014 et en 2015. Au total, la réduction globale cumulée sera donc de 15 % sur la période 2012-2015. J’ajoute que les crédits du programme 185, consacré à la diplomatie culturelle et d’influence, s’élèvent à 665 millions d'euros pour l’année 2013, hors dépenses de personnel, ce qui représente une diminution de 0, 54 % par rapport à 2012.

Certains instruments de la diplomatie d’influence ont certes été préservés, conformément aux priorités et orientations gouvernementales, mais cela ne suffira sans doute pas à enrayer le déclin.

L’enseignement fait partie des secteurs préservés. Les bourses de mobilité des étudiants étrangers en France constituent le cœur du dispositif d’influence et d’attractivité de la France et du français : la dotation affectée à ce dispositif reste stable. Les crédits pour les échanges d’expertise et scientifiques sont également maintenus à leur niveau de 2012. La diplomatie culturelle est ainsi recentrée sur une vision plus utilitaire, dans la perspective très claire d’éventuels débouchés économiques.

Cette baisse de moyens intervient à un moment où les grands pays émergents, conscients du pouvoir qu’apporte le rayonnement culturel, commencent à investir pour imiter notre modèle. Lancé en 2004 par Pékin, qui a ouvert six établissements cette année-là, dont le premier implanté en France, le réseau Confucius a connu depuis lors une croissance exponentielle : il y avait 118 centres dès 2006, 249 en 2008 et 358 en 2010, l’objectif étant d’atteindre le nombre de 500 instituts dans le monde. La France, loin de s’implanter à des points stratégiques des pays en plein développement, consacre la majorité de ses effectifs et ressources à l’Europe ou à ses anciennes colonies, contrairement à l’Allemagne et au Royaume-Uni, qui n’hésitent pas à déléguer en Europe pour mieux s’imposer dans les pays émergents.

C’est dans ce contexte global que, ces dernières années, l’approche de la France a semblé plus timorée, puisqu’elle n’a consacré que des moyens et instruments plus modestes et moins efficaces à ce volet de sa politique extérieure. Ainsi, le Maroc demeure le premier budget du réseau français pour des raisons historiques – du fait de l’héritage colonial –, mais les investissements dans les pays émergents, notamment les pays dits BRIC – Brésil, Russie, Inde et Chine –, ne sont pas revalorisés.

Or, si le rayonnement culturel a pour finalité d’améliorer son attractivité, de promouvoir ses savoir-faire, sa culture et ses créations, la France doit développer sa présence dans les pays d’avenir. Le risque est en effet que la baisse de l’influence française continue, alors qu’elle a été à l’origine d’initiatives internationales fortes, telles que l’exception culturelle et la lutte contre l’impérialisme culturel.

Dans un contexte de mondialisation, l’enjeu va même au-delà de la stratégie politique et économique nationale : il y va de la survie des spécificités culturelles dans un monde globalisé et uniformisé. Notre culture est porteuse de paix et de solidarité. La France doit poursuivre ses efforts : notre avenir et de notre espoir commun en dépendent. §

Debut de section - PermalienPhoto de Christophe-André Frassa

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que sénateur représentant les Français établis hors de France, je serai naturellement tenté d’évoquer devant vous des sujets tels que la prise en charge des frais de scolarité ou l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, car ce sont des outils qui répondent aux besoins de nos expatriés tout en participant à notre rayonnement culturel.

J’ai entendu les différents et brillants orateurs qui se sont exprimés avant moi, et j’essaierai donc d’éviter les redites.

Chacun de nous sait que la France bénéficie de l’un des réseaux diplomatiques les plus denses et les plus anciens. Cependant, je me laisse aller à penser que, ça, « c’était avant ».

Notre réseau est le fruit du travail de personnalités issues de la société civile, qui, au fil des siècles et des expéditions, n’ont cessé de promouvoir les valeurs et les connaissances françaises dans le monde entier, de créer un besoin et de répondre à une immense attente de France.

Ce réseau est un héritage inestimable par son histoire, son ancienneté et sa diversité. Cependant, comme tout héritage, il importe de le faire fructifier : sinon, il serait dilapidé et risquerait de disparaître.

Or c’est malheureusement ce qui est en train de se passer. En effet, le rayonnement culturel et l’influence de la France reculent, quoi qu’on en dise et même si on le regrette. C'est la raison pour laquelle notre politique doit s’adapter aux nouveaux comportements et aux nouvelles attentes.

Cette situation résulte de la confluence de plusieurs phénomènes, à commencer par la concurrence féroce de pays qui n’ont plus rien d’émergents et par la mise en place de politiques très offensives par des pays comme les États-Unis ou la Chine.

En 2013, nous sommes bien loin des seules stratégies d’influence fondées sur le rayonnement culturel, l’héritage des philosophes des Lumières ou un style d’architecture.

Mes chers collègues, vous pardonnerez mon pragmatisme : face aux nouveaux défis de la mondialisation, nous ne sommes plus en mesure, tant budgétairement que structurellement, de répondre à la demande de France à l’étranger, mais c’est d’abord parce que nous la suscitons de moins en moins !

Nous faisons face à la concurrence d’instituts culturels emblématiques, très facilement reconnaissables et identifiables. Qu’il s’agisse du British Council ou des instituts Confucius et Goethe, ces établissements représentent bien plus qu’un patrimoine culturel : ils sont de véritables marques nationales.

Je me permets d'ailleurs de souligner que ces instituts ont un point commun : les pays qu’ils incarnent à l’étranger possèdent un gouvernement qui sait faire face à la crise. C’est cela, le véritable smart power qu’a souhaité mettre en place Hillary Clinton au cours du premier mandat de Barack Obama.

J’en profite pour rappeler que nous avons voté voilà deux ans une loi relative à l’action extérieure de l’État, dont l’objectif était de rendre notre action extérieure plus lisible et plus efficace. Cette ambition s’est traduite par la création de l’Institut français, et je m’en félicite.

Toutefois, la création d’EPIC et leur meilleure coordination ne suffisent pas à pallier le recul de l’influence de la France, même si nous possédons enfin un établissement à vocation culturelle facilement identifiable.

Il importe d’adopter une stratégie globale de diplomatie culturelle et d’influence qui ne soit plus conçue sous le seul prisme de l’action extérieure de l’État. Qu’en est-il aujourd’hui ? La diplomatie culturelle et d’influence, ou ce qu’il convient d’appeler le soft power, se mesure à l’aune du dynamisme d’un pays et de sa bonne santé économique et financière.

Or – peu d’entre vous me contrediront sur ce point –, notre pays est plongé dans un marasme économique dont nous ne sommes pas près de sortir. Il ne parvient à donner confiance ni aux Français en France ni aux investisseurs internationaux.

Selon une étude du cabinet PricewaterhouseCoopers publiée en janvier dernier, le nombre de jeunes Français expatriés devrait augmenter de 50 % dans les années à venir. Vous le voyez, mes chers collègues, les futurs exilés ne sont pas des milliardaires fuyant pour dissimuler des comptes bancaires, mais simplement des jeunes en quête d’un avenir meilleur, et d’abord d’un emploi qu’ils ne trouvent plus en France !

Du fait de leur attractivité, des pays tels que l’Australie, la Corée du Sud, le Canada, Singapour ou la Chine accueillent bon nombre de nos jeunes. À titre d’exemple, la moyenne d’âge des quelque 20 000 Français de Shanghai est de vingt-neuf ans.

À terme, cette tendance peut devenir inquiétante, car il ne faudrait pas que nous assistions à de trop nombreux départs de futurs actifs qualifiés. Si j’étais provocateur – mais je ne le suis pas –, je vous dirais que le rayonnement culturel de la France devrait d’abord s’exercer auprès des Français et à l’intérieur de nos frontières.

S'agissant du rayonnement culturel de la France à l’étranger, je souhaite rendre hommage à nos personnels diplomatiques, qui font avec ce qu’ils ont, c’est-à-dire avec peu, et qui œuvrent pour que la France maintienne son rang sur la scène internationale, à un moment où leur sécurité peut être compromise.

Je pense également à nos expatriés, qui, à côté de nos personnels diplomatiques et de coopération, sont les ambassadeurs « civils » de notre pays. Parce qu’ils continuent d’entreprendre et assurent la promotion de ce qu’il nous reste d’énergie malgré les trop lourdes charges financières et administratives qui pèsent sur notre pays, ils sont les premiers acteurs de la francophonie.

On ne peut que s’insurger quand on lit, de-ci de-là, que ce sont des exilés fiscaux ou qu’ils manquent de patriotisme : il est lamentable de lancer de telles accusations, qui sont plus qu’irrespectueuses envers ces pionniers de l’« envie de France » que nous souhaitons tant susciter.

Monsieur le ministre, vous me pardonnerez ces propos un peu vifs, parce que vous pensez comme moi à ce sujet et parce que nous voulons tous la même chose : plus de France et encore mieux de France à l’étranger ! §

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Besson

Monsieur le ministre, le président de notre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, Jean-Louis Carrère, vous a à l’instant appelé à actualiser notre démarche stratégique en matière de diplomatie d’influence.

Il y a cinq ans, nous avions engagé au sein de cette assemblée un travail de réflexion de grande ampleur, qui réunissait les commissions des affaires étrangères et de la culture. Ce travail a débouché sur un rapport adopté, chose rare, à l’unanimité.

J’ai relu hier les constats effectués et les propositions formulées en matière d’action culturelle : nous pourrions les reprendre aujourd’hui.

Sans doute la loi du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État a-t-elle mis en place les opérateurs que sont l’Institut français, Campus France et France expertise internationale, dont la vocation est de professionnaliser et de rationaliser la diplomatie culturelle et d’influence, conformément à notre souhait.

Cependant, nous sommes restés au milieu du gué, et les mêmes faiblesses continuent de peser sur le développement de notre action culturelle extérieure, alors que nous sommes confrontés à une concurrence de plus en plus vive, notamment de la part de pays émergents comme la Chine ou de pays du Golfe, singulièrement du Qatar.

En la matière, il faut aussi compter sur des opérateurs privés, organisations non gouvernementales, fondations ou entreprises.

Je remarque d’ailleurs que, si quelques opérateurs publics dans le domaine muséographique et quelques grandes écoles ou universités dans le secteur éducatif mènent des actions à l’étranger, nos opérateurs privés sont peu engagés dans ce domaine. C’est un constat. Il n’y a sans doute pas de marché suffisamment porteur pour soutenir leur action…

Je ne veux pas avoir une vision trop « décliniste », car les moyens modernes de communication permettent une diffusion importante de notre culture et de nos idées en nous affranchissant des barrières étatiques, encore que le perfectionnement des outils de contrôle de l’internet donne à certains États de puissants moyens d’obstruction.

Toutefois, la baisse tendancielle de nos moyens depuis de nombreuses années, quels que soient les gouvernements, est une source d’inquiétude très vive.

Le rayonnement culturel est une affaire de long terme, sans doute, mais à force de réduire notre investissement, nous perdons effectivement notre influence et retrouver un crédit est souvent très coûteux, parfois impossible.

Nous avons mis en place les opérateurs, mais leurs moyens sont en diminution. Pour 2013, la dotation budgétaire de l’Institut français est en baisse de 7 %, celle des réseaux de 4 %. Un constat identique vaut pour le soutien aux Alliances françaises. Le principal objectif est donc de réaliser des économies ou de rechercher des ressources propres.

Je veux bien admettre que la recherche de solutions moins coûteuses et plus efficaces soit un exercice vertueux. Je salue, à cet égard, la remise en ordre de la mobilité des étudiants étrangers grâce à Campus France, la modernisation de la diffusion culturelle par l’utilisation des nouvelles technologies par l’Institut français, ainsi que les réflexions engagées pour s’orienter vers une labellisation d’établissements enseignant le français à l’étranger, sans nécessairement les porter financièrement. Mais cela ne doit pas devenir la principale activité de ces opérateurs.

Souvent, on se berce d’illusions, lorsque, pour présenter des budgets en équilibre, on affiche des prévisions de ressources propres irréalistes, satisfaisant à court terme le ministère du budget, qui tient solidement les cordons de la bourse, et le ministère de tutelle, lequel admet mal de revoir ses ambitions à la baisse.

Monsieur le ministre, en dehors de quelques opérations de prestige, il n’y a pas d’énormes gisements de ressources propres pour les opérateurs et pour le réseau, si l’on excepte les cours de langue. Or le fait de trop augmenter les tarifs de ces cours a aussi un effet sur la fréquentation.

Quant au mécénat, il est florissant lorsque nos entreprises se portent bien, mais, en temps de crise, celles-ci sont confrontées aux mêmes difficultés que l’État. Aidons-nous les opérateurs en procédant de la sorte ?

Si la contrainte est rude et pour les opérateurs et pour le réseau, elle est aussi démotivante pour les personnels, qui ont besoin d’être professionnalisés et de voir s’ouvrir à eux des perspectives de carrière.

Lors de nos travaux, voilà cinq ans, nous avions constaté que les personnels appelés à diriger les centres culturels ne se voient proposer qu’une formation de cinq jours, alors que la formation initiale est de six mois en Allemagne.

Par ailleurs, la durée d’immersion dans un pays est relativement courte, de l’ordre de trois années, alors qu’elle est de cinq ans pour le British Council ou pour l’Institut Goethe. Enfin, l’Allemagne et le Royaume-Uni offrent de bien meilleures perspectives de carrière aux agents de leur réseau culturel à l’étranger.

Dans notre rapport, il y a cinq ans, nous affirmions déjà que la rénovation de la gestion des ressources humaines du personnel de notre réseau culturel à l’étranger devait être l’une de nos préoccupations centrales.

Qu’en est-il de nos objectifs en la matière ? Avons-nous véritablement progressé ?

Je voudrais aussi souligner, monsieur le ministre, l’importance que nous accordons, pour cette raison, au rattachement du réseau culturel des établissements à autonomie financière à l’Institut français.

Comment imaginer un pilotage de notre action en ayant, d’un côté, un opérateur avec des objectifs de long terme, définis par un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens, et, de l’autre, déconnecté, le personnel chargé de leur mise en œuvre ?

Il faut que l’administration du ministère se rassure : le pilotage par objectifs est souvent plus efficace qu’une tutelle tatillonne et de court terme. Il convient, dans cette perspective, de se donner les outils nécessaires à ce pilotage, de définir des priorités et non un catalogue, comme c’est le cas dans le contrat d’objectifs et de moyens de l’Institut français. Il faut aussi se doter de moyens d’évaluation et de contrôle et, surtout, mettre en place des équipes bien formées.

À la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, nous devons donc être particulièrement vigilants sur les modalités d’évaluation de l’expérimentation du rattachement du réseau culturel à l’opérateur Institut français.

Essayons de conforter nos opérateurs en leur assurant une continuité dans leur action et une régularité dans leur financement. La démarche stratégique du Gouvernement doit être plus explicite, car le pilotage du dispositif existant nous inquiète. En effet, nombre d’opérateurs, tels que Campus France et l’Audiovisuel extérieur de la France, restent sans contrat d’objectifs, les moyens publics se rétrécissent ; la capacité d’évaluation et de management au sein du ministère nous semble pouvoir être améliorée, et je sais que telle est votre volonté, monsieur le ministre. À mon sens, il est temps de faire l’autre moitié du chemin.

La situation doit surtout inviter le Gouvernement, mais aussi nos diplomates et les opérateurs, à un effort de réflexion pour redéfinir de façon plus exigeante nos ambitions et faire de véritables choix non seulement entre les objectifs, mais également entre les territoires vers lesquels nous devons faire porter nos efforts, en utilisant les leviers les plus efficaces.

Étant réaliste, je comprends bien qu’il est difficile de demander des moyens supplémentaires, mais, depuis trop d’années, les crédits de l’action culturelle extérieure sont une trop facile variable d’ajustement. Des efforts peuvent être conduits dans d’autres secteurs.

Soyez assuré, monsieur le ministre, que nous serons attentifs à vos efforts et que nous soutiendrons votre action pour redonner à notre pays une diplomatie d’influence à la hauteur de ses ambitions. §

Debut de section - PermalienPhoto de André Vallini

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le rayonnement d’un pays dépend, nous le savons tous, de multiples facteurs, au premier rang desquels figure sa culture, bien sûr, mais il dépend aussi de sa capacité d’ouverture sur le monde.

Or, aujourd’hui, de nombreux pays font preuve d’une volonté farouche de promouvoir leur culture hors de leurs frontières, notamment grâce à l’essor des nouvelles technologies de la communication.

Cette explosion de la diffusion culturelle sur la planète rend la concurrence de plus en plus vive, en particulier dans le domaine de l’audiovisuel et du multimédia.

Aussi, pour que notre culture continue à rayonner au-delà de nos frontières, il faut non seulement veiller à encourager et à soutenir sa créativité, et donc sa capacité de production, mais aussi être attentif à la promotion et à la diffusion de cette production.

Afin d’atteindre cet objectif, l’Audiovisuel extérieur de la France, l’AEF, peut et doit jouer un rôle de premier plan. En a-t-il les moyens ?

Monsieur le ministre, si le Gouvernement a commencé, depuis l’été dernier, à remettre de l’ordre dans une situation qui était devenue inextricable, il reste à valider les buts assignés à notre audiovisuel extérieur, et, surtout, à lui donner les moyens de les mettre en œuvre.

Cela entraîne plusieurs questions.

Première question : où en est l’élaboration du contrat d’objectifs et de moyens de l’AEF et celle du projet pluriannuel de TV5 Monde.

De ce contrat, et de ce projet, dépend en effet l’efficacité de notre audiovisuel extérieur comme outil de notre influence et, donc, de notre rayonnement.

Deuxième question : quel rôle le ministère des affaires étrangères entend-il jouer en la matière, notamment face au ministère de la culture qui, je veux le rappeler ici, a balayé notre souhait d’affecter à l’audiovisuel extérieur quatre petits millions d’euros issus du supplément de recettes de la redevance au profit de France Télévisions, qui a, pour sa part, reçu 50 millions d’euros ?

Pour mémoire, notre collègue Duvernois l’a dit avant moi, l’audiovisuel extérieur ne recevra donc en 2013 que 314 millions d’euros de contributions publiques, soit un peu plus de 8 % seulement des contributions à l’audiovisuel public de la France.

Troisième question : quelle stratégie pour les médias français au Maghreb et au Proche-Orient, où chacun connaît le rôle joué par les chaînes de radio et de télévision, notamment lors des printemps arabes, et où nous constatons aussi l’influence croissante de certaines chaînes de télévision du golfe Persique.

Ne devrait-on pas développer les médias en langue arabe pour offrir aux populations l’alternative d’une information objective et professionnelle, et dépasser la cible traditionnelle des élites locales afin de toucher une population plus large ?

Pourquoi ne pas enrichir aussi l’offre radiophonique sur notre territoire national par la diffusion de Monte Carlo Doualiya sur la bande FM dans certaines agglomérations, notamment face au développement d’une offre parfois orientée non seulement politiquement, mais aussi religieusement ?

Quatrième question : quelle utilisation faire de l’Internet, aussi bien dans les médias classiques que dans les médias spécifiques, ou encore des réseaux sociaux ?

Dans ce cadre, l’action audiovisuelle et l’action culturelle convergent largement. Ainsi, le développement d’une méthode d’apprentissage du français par le site internet de TV5 Monde constitue un outil utile pour les centres culturels français à l’étranger, comme cela a été dit par un des orateurs précédents.

On peut aussi imaginer la mise à disposition, à travers des opérateurs spécialisés, de livres sous format électronique, ce qui accroîtrait l’offre culturelle française à un moindre coût, au fur et à mesure de la diffusion des tablettes numériques.

En la matière, il importe de ne jamais oublier que le français est parlé sur toute la planète et que, d’ici à trente ans, le nombre de locuteurs francophones va être multiplié par trois pour atteindre un milliard.

Monsieur le ministre, l’action audiovisuelle extérieure est une composante importante, essentielle, non seulement de notre diplomatie d’influence, mais aussi de notre rayonnement. Nous continuerons d’y être attentifs. §

Debut de section - PermalienPhoto de Claudine Lepage

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous comptons 478 établissements d’enseignement français dans 130 pays, fréquentés par 310 000 élèves, dont les deux tiers sont étrangers, 101 instituts français, 125 antennes d’instituts français et 900 Alliances françaises dans 161 pays, 11 centres ou instituts franco-nationaux, 27 instituts français de recherche à l’étranger, 161 services de coopération et d’action culturelle, 10 services pour la science et la technologie, 135 espaces Campus France…

Inutile de poursuivre l’énumération : la France possède, encore, l’un des réseaux culturels les plus denses du monde. Il s’agit d’un atout formidable pour notre pays !

C’est bien la culture et la langue française qui font notre force à l’étranger, cette « influence douce », je n’ose dire soft power, qui contribue assurément à la place de la France dans le monde et constitue, avec notre politique d’exception culturelle, la « marque de fabrique » de la diplomatie française.

Mais, depuis plusieurs années, le cœur n’y est plus ; un profond mal-être est apparu. Certes, la présidence de Nicolas Sarkozy a pâti d’une absence de vision stratégique dans ce domaine essentiel. À cet égard, la réforme de l’action extérieure de l’État, en 2010, n’a pas rempli son objectif. Le nouvel Institut français peine à mettre en place une politique ambitieuse, notamment en matière de coopération. Je ne développerai pas plus avant ce sujet, notre collègue Jean Besson l’ayant déjà traité.

D’autres vecteurs permettent à la France de déployer sa culture, sa langue, mais aussi ses valeurs sur tous les continents. Je pense à la société Audiovisuel extérieur de la France, AEF, qui chapeaute la troisième radio internationale, RFI, la chaîne d’info internationale France 24 et Monte Carlo Doualiya, sans oublier la chaîne partenaire TV5 Monde, première chaîne mondiale de télévision en français.

André Vallini en a déjà très bien parlé, mais je ne résiste pas à l’envie d’évoquer la situation de AEF, que je connais particulièrement bien, en ma qualité d’administratrice de cette société, et de saluer le travail de sa nouvelle présidente, Marie-Christine Saragosse, qui, en quelques mois, a su redonner espoir aux salariés durement éprouvés par l’ère Sarkozy-de Pouzilhac.

Pour ce qui concerne l’enseignement français à l’étranger, nous revenons également de loin. En effet, la prise en charge des frais de scolarité mise en place par Nicolas Sarkozy n’a fait qu’accentuer les inégalités, excluant les familles des classes moyennes, mais aussi les familles étrangères, en fait toutes celles qui ne pouvaient effectivement pas supporter l’augmentation faramineuse des coûts de scolarité pour tous les autres élèves, ceux qui ne bénéficiaient pas de la gratuité et n’entraient pas dans le cadre d’attribution des bourses scolaires.

Dans le souci de redonner à l’enseignement français à l’étranger ses objectifs de justice et de mixité sociale, mais aussi d’universalité et d’influence, l’une des premières mesures de François Hollande a donc été la suppression de la prise en charge des frais de scolarité des Français de l’étranger, ou PEC.

Je terminerai en évoquant cependant une inconnue qui demeure quant aux suites qui seront réservées à l’arrêt Chauvet, rendu en mars 2012 par la cour administrative d’appel de Paris. Cette décision de justice souligne que l’AEFE a l’obligation, dans ses établissements en gestion directe, d’inscrire tout élève français dont la famille le demande et seulement une obligation dite « de moyens » pour les enfants non français. Ces derniers ne peuvent ainsi être accueillis que dans la limite des places disponibles, qui s’entendent alors comme les places non susceptibles d’être occupées par les petits Français.

Aux côtés de ces inconnues judiciaires, il nous faut aussi évoquer la position de la Commission européenne sur la non-discrimination entre citoyens des États membres de l’Union qui, si elle se confirmait, induirait de profonds bouleversements au sein de notre dispositif d’enseignement français à l’étranger et de notre système d’aides à la scolarité.

Compte tenu de ces différentes incertitudes, je me réjouis que Mme la ministre déléguée ait constitué une mission de réflexion et de proposition sur l’avenir de notre réseau d’enseignement français à l’étranger, à laquelle je souhaite, bien sûr, activement collaborer. Nous sommes tous conscients de la nécessité absolue de réfléchir à la mise en œuvre d’une nouvelle politique scolaire à l’étranger, capable de relever les défis auxquels est et sera confronté notre réseau tout en maintenant sa double fonction, la scolarisation des enfants français, bien évidemment, mais aussi sa mission d’influence, pour que de futurs Boutros Boutros Ghali, Jodie Foster ou Atiq Rahimi fréquentent encore nos établissements et deviennent ambassadeurs de notre langue et de notre culture ! §

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs qui avez eu la patience de rester jusqu’à cette heure tardive…

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

… et que je salue avec amitié et respect, je vais articuler mon propos en deux temps : je souhaite tout d’abord revenir sur l’intervention de chaque orateur, avant de développer un propos plus général, afin que personne ne soit oublié.

M. Duvernois, qui connaît admirablement ces questions, a centré son propos essentiellement sur l’Institut français, en portant un jugement positif sur le travail réalisé. Il a développé également un certain nombre de considérations sur l’enseignement français à l’étranger, passant en revue ses différents outils. Comme de nombreux orateurs, il a souligné l’importance de l’audiovisuel extérieur français, insistant sur le soutien dont celui-ci doit disposer. Je lui répondrai dans le cours de mon propos, mais je crois que vous avez mis l’accent, à juste raison, sur les principaux instruments de notre influence, monsieur le sénateur.

Mme Morin-Desailly, comme tous les autres intervenants, a souligné l’importance du rayonnement culturel de notre pays. Elle a insisté sur la nécessité d’une approche européenne et a regretté ce qu’elle a appelé des « coupes budgétaires ». Même si, comme tous les ministères, le ministère des affaires étrangères a été soumis à des coupes, certains d’entre vous ont eu l’équanimité de rappeler que toute la partie éducative du budget du ministère en avait été exclue. Ce rappel permet, à mon sens, de modérer le jugement que l’on peut porter.

Par ailleurs, Mme Morin-Desailly a insisté sur l’importance de l’Organisation internationale de la francophonie, l’OIF, elle m’a interrogé sur l’évaluation des « années croisées » et a également évoqué la situation de l’audiovisuel extérieur.

Mme Blandin a rappelé que la culture était un investissement d’avenir et souligné l’importance de la formation des professionnels. À partir d’un exemple précis, elle s’est interrogée sur les restrictions mises à l’octroi de visas, notamment pour des professionnels de la culture. Madame la sénatrice, je ne sais pas si vous avez pris connaissance de la décision que mon collègue Manuel Valls et moi-même avons adoptée – elle a été rendue publique il y a un ou deux jours –, tendant à faciliter la délivrance de visas courts à toute une série de catégories de personnes, notamment les hommes d’affaires et les professionnels de la culture, car nous souhaitons faciliter leurs déplacements. Après avoir étudié attentivement ce dossier, nous avons envoyé des instructions à l’ensemble de nos postes à l’étranger, ce qui devrait permettre de résoudre à l’avenir des questions du type de celle qui a été évoquée.

Mme Blandin a également insisté sur l’action des collectivités locales et souligné l’importance de la convention de l’UNESCO sur la diversité culturelle. Sur ce dernier point, nous n’avons aucune divergence et le Gouvernement souscrit à ces analyses.

(Sourires.) Ils le sont même tous, dans leur immense majorité ! C’est d’ailleurs avec désolation qu’ils ont vu arriver à leur tête un ministre qui n’apportait peut-être pas toutes les garanties nécessaires, mais il fait des efforts…

Nouveaux sourires.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Mme Laborde s’est demandé comment dynamiser notre réseau culturel. Elle a également abordé un sujet délicat, à savoir ce que j’appellerais la dialectique du diplomate et de l’artiste : faut-il que les artistes dirigent les choix culturels, ou cette mission revient-elle aux diplomates ? La bonne réponse consiste à établir un mélange harmonieux – et cette position n’est pas dictée par le fait que je suis Normand d’adoption ! Il n’est pas possible de mener une action culturelle sans faire appel aux artistes ni aux professionnels de la culture, mais je connais beaucoup de diplomates cultivés... §

Redevenons sérieux : c’est un bon brassage des diplomates et des artistes qui permet à notre politique culturelle extérieure d’avancer.

Enfin, comme beaucoup d’autres orateurs, Mme Laborde a soulevé la question de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les États-Unis. Le Président de la République a demandé instamment que l’audiovisuel et la culture soient exclus de cet accord, car la Commission européenne ne l’avait pas fait spontanément, vous l’aurez peut-être noté. La position de la France – qu’elle n’est pas seule à défendre – mérite donc d’être soutenue avec force et nous avons l’intention de la maintenir dans toute cette discussion. Je crois comprendre que le même souci de préservation de la diversité culturelle s’exprime sur toutes les travées de votre assemblée, ce qui sera un atout pour défendre notre position.

M. Beaumont a souligné que la France était une puissance culturelle qui comptait, tout en se demandant jusqu’à quand, manifestant ainsi son inquiétude. Cette interrogation est légitime, mais je ne suis pas pessimiste. Étant, par profession, amené à faire un tour du monde à peu près tous les mois, je mesure que nous avons non seulement un réseau – essentiel ! –, mais aussi un rayonnement culturel qui reste absolument exceptionnel.

Bien sûr, nous devons rester vigilants, en raison non seulement des contraintes budgétaires, mais aussi de la concurrence. Les nouvelles technologies nous imposent de changer un certain nombre de nos méthodes, mais elles rendent également possible le maintien de notre rang de puissance culturelle. Il n’y a pas de fatalité négative dans ce domaine et la France, à condition bien sûr que nous réfléchissions ensemble et que nous prenions les bonnes décisions, peut tout à fait se maintenir à la pointe avancée du rayonnement culturel.

M. Le Scouarnec a insisté, au début de son propos, dans une énumération parfaitement exacte, sur la place tout à fait éminente dans le monde de notre réseau culturel et scolaire. D’une façon plus prudente, il a évoqué un risque de déclin, se demandant si l’usage de notre langue ne serait pas en recul. Il a également souligné la baisse d’un certain nombre de crédits, même s’il sait que le secteur de l’enseignement a été entièrement préservé.

Sur une question que nous nous posons tous quant aux orientations à donner à notre politique culturelle, j’ai apprécié qu’il exprime son choix en faveur de ce qu’il appelle les « pays d’avenir ». Bien sûr, j’imagine que si l’on posait cette question à chaque pays, peu d’entre eux s’excluraient de la liste, mais vous avez tout à fait raison, monsieur le sénateur. Il faut que notre réseau, sur le plan culturel comme sur le plan diplomatique, s’adapte : le monde de 2030 n’est plus celui de 1980.

Nous nous retrouverons donc facilement sur la nécessité d’être présents en Afrique, grand continent potentiellement francophone. Plusieurs d’entre vous ont indiqué que nous étions aujourd’hui environ 230 millions de francophones, les chiffres sont discutés, mais ils ne le sont pas pour le futur : d’ici à une trentaine d’années, avec le développement de l’Afrique, nous pourrions être 800 millions et voisiner le milliard. Nous devons donc y travailler.

Enfin, monsieur Le Scouarnec, vous avez également insisté sur l’exception culturelle. Je compte donc sur le rassemblement de tous les groupes politiques de votre assemblée pour nous aider à faire prévaloir cette notion extrêmement importante.

M. Christophe-André Frassa, avec force et humour, s’est désolé du recul de notre influence culturelle. Je ne suis pas aussi pessimiste que lui et je ne suis d’ailleurs pas sûr qu’il le soit lui-même, puisqu’il connaît très bien nos compatriotes de l’étranger. Même si la situation est difficile, il voit bien que notre influence reste très importante, même si nous avons affaire à une très forte concurrence de la part des États-Unis ou de la Chine.

M. Frassa a aussi évoqué, comme un reproche, l’attractivité que les autres pays exercent sur notre jeunesse. S’il s’agissait d’une fuite de nos jeunes, le phénomène serait préoccupant, et il faut tout faire pour éviter d’en arriver là. En même temps, nous devons nous féliciter du fait que nos jeunes aillent à l’étranger, car ils sont nos ambassadeurs et ils portent beaucoup d’espoirs – beaucoup d’intervenants ont parlé de « l’envie de France », il ne faudrait évidemment pas que ces départs expriment un « dépit de France ». J’estime cependant que nous devons nous réjouir de la présence de nombreux Français à l’étranger, notamment de jeunes.

Enfin, M. Frassa a rendu hommage à l’action de nos diplomates et de nos expatriés ; je pense que nous devons tous nous retrouver sur ce point.

M. Jean Besson, qui, lui aussi, connaît très bien ces questions, a souligné la concurrence culturelle des BRICS, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Il s’est interrogé sur les opérateurs nouveaux, portant ce qui me paraît être un jugement positif. Mais il attire l’attention sur la baisse des moyens et il souligne que les gisements de ressources propres sont limités. Ils sont, certes, limités, mais ils ne sont pas nuls, loin de là ! Sans aller, bien évidemment, jusqu’à considérer que tout va se faire par autofinancement, il faut avoir à l’esprit, eu égard aux trajectoires budgétaires, dont il est improbable qu’elles deviennent spontanément merveilleuses dans les prochains mois, de faire flèche de tout bois.

J’évoquerai, dans le cours ultérieur de mon propos, l’Institut français, sur lequel il me paraît prématuré de porter un jugement. D’ailleurs, vous avez prévu, dans votre sagesse, de faire établir cette année un certain nombre de rapports et évaluations. De bonnes choses ont été faites. Ce qui reste en question, c’est l’opportunité d’une extension. En tout cas, nous disposons, grâce à vous, de premiers d’éléments d’évaluation, et je veux vous en remercier.

M. Vallini, qui connaît extrêmement bien notamment lessujets audiovisuels, m’a posé une série de questions. Faute de pouvoir répondre à toutes, ce dont je le prie à l’avance de bien vouloir m’excuser, j’en ai pris note. En effet, il y avait, comme souvent, d’ailleurs, la réponse dans la question

Sourires.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Il l’a dit, l’offre audiovisuelle est renforcée, y compris en France. J’ai demandé aux nouveaux responsables des différentes chaînes de travailler sur cette idée, qui est très juste, notamment pour les chaînes en arabe. Il reste à régler des questions techniques, qui ne sont pas simples. Cependant, compte tenu de la grande qualité de la plupart des chaînes diffusées à l’étranger – France 24, TV5 Monde, Radio France Internationale, Monte Carlo Doualiya, par exemple –, on doit creuser la possibilité de faire profiter très largement l’intérieur de notre pays de ces programmes. Les nouveaux responsables y travaillent actuellement.

M. Vallini a eu parfaitement raison d’insister sur l’importance des nouvelles technologies pour faire rayonner notre culture à l’extérieur.

Dernière à intervenir, Mme Lepage a souligné la densité de notre réseau culturel français à l’étranger. J’ai cru comprendre qu’elle était assez critique quant au fonctionnement de l’Institut français. Elle a décerné la mention « bien » à Mme Marie-Christine Saragosse. Comme dans The Voice, je me retourne et vote aussi pour elle. §

Elle a rappelé la réforme intervenue sur la PEC. Cette réforme était importante, à défaut d’être facile. Et je note que, une dizaine de mois après le changement de gouvernement, ce n’est tout de même pas, si je vous ai bien écoutés, votre souci principal. Cela prouve que vous avez, les uns et les autres, bien travaillé et que la réforme est maintenant passée dans les faits. Vous avez eu raison de rendre hommage – je le fais à mon tour – à notre ministre déléguée, votre ancienne collègue, Mme Conway-Mouret, qui a passé beaucoup de temps sur ce problème difficile.

Mme Lepage a soulevé une question que vous connaissez et dont la réponse déterminera beaucoup d’éléments. Car des décisions judiciaires sont intervenues, dont on ne connaît encore ni la portée exacte ni le degré d’extension. Si elles devaient avoir une extension maximale, cela remettrait en cause beaucoup de choses dont nous sommes en train de discuter, ce qui nous obligerait, bien sûr, à reprendre toute une série de ces sujets.

Après ces réponses aux orateurs, qui ne prétendent pas être exhaustives, je voudrais vous livrer quelques réflexions personnelles. Lorsque vous m’avez, sur l’initiative de M. Duvernois, posé la question du rayonnement culturel de la France à l’étranger, il m’est venu un souvenir. Nous avons tous un, voire plusieurs souvenirs de scènes ou d’éléments qui, tout à coup, vous sautent au visage ou à la mémoire et rendent évidente la réponse à la question.

J’ai effectué, il n’y a pas si longtemps, un voyage en Amérique du Sud, qui m’a conduit successivement au Panama, en Colombie et au Pérou.

À Bogota, l’ambassadeur m’a parlé d’une cérémonie traditionnelle qui allait se dérouler dans le lycée français, situé pas très loin de l’ambassade. Elle avait lieu assez tôt le matin, aux environs de sept heures, mais l’ambassadeur trouvait ma présence tout de même intéressante parce qu’il s’agissait de quelque chose de marquant.

Dans la cour du lycée, assez exiguë, il y avait 800 élèves, de toutes les classes, des plus petites à celles du baccalauréat. Ces élèves, en majorité des Colombiens, portaient, comme c’est l’usage là-bas, l’uniforme. Après nous avoir accueillis, ils ont chanté, dans un français absolument impeccable, non pas le premier couplet de la Marseillaise, mais ses cinq premiers couplets. Je ne demanderai pas de faire l’exercice dans cette enceinte. §Quoi qu’il en soit, cela veut dire un certain nombre de choses sur l’amour de la France, sur notre culture, sur la maîtrise de notre langue. Quand on assiste à cela, si loin de Paris, en la présence des professeurs et de nombreux représentants de parents d’élèves, on se dit que le rayonnement culturel de la France, ce n’est pas uniquement un sujet de discussion ! C’est vraiment quelque chose d’extrêmement fort !

Oui, la France c’est une puissance d’influence. Je n’identifie pas, pour ma part – nous n’allons pas entrer dans des querelles de vocabulaire – l’influence et le soft power. Je pense qu’il y a trois notions différentes. M. Joseph Nye, dont les travaux fort intéressants peuvent fournir l’objet de longues discussions, a inventé la notion de soft power et de hard power. Je pense, pour ma part, que la France est à la fois une puissance soft et une puissance hard et que l’ensemble de tout cela forme un troisième concept, qui n’est pas présent chez M. Nye et qui, pour moi, est une puissance d’influence. L’influence de la France est liée à l’ensemble de ces facteurs et notre influence culturelle fait évidemment partie de ce qui constitue notre puissance d’influence.

Ce rayonnement est une composante majeure de notre attractivité, de notre image, de notre réputation. Notre dernier prix Nobel, M. Serge Haroche, nous le prouve. De même, lorsque nous voyons la liste de nos médailles fields, lorsque nous voyons – même si cela se raréfie – la liste de nos prix Nobel de littérature, lorsque nous voyons la liste des Oscars remportés par des Français – qui, elle, tend à s’étoffer ! –, lorsque nous voyons les établissements prestigieux implantés en France, par exemple, le Louvre dans sa diversité, mais aussi leurs démembrements à l’étranger, la Sorbonne, nos écoles de commerce et leurs antennes extérieures, l’Institut Pasteur, nos intellectuels, nos écrivains, nous pouvons le dire, sans arrogance et sans chanter cocorico, nous avons une capacité de rayonnement culturel tout à fait remarquable !

Et ce rayonnement dépasse nos professions « traditionnelles ». Nos designers, nos architectes – vous voyez leurs réalisations lorsque vous vous déplacez à l’étranger –, nos cinéastes sont connus à travers le monde. Ce n’est pas un hasard si la France est le premier pays d’accueil de touristes internationaux, même si je pense, à titre personnel, que le tourisme pourrait donner beaucoup plus de choses qu’il ne donne en France. Ce n’est pas un hasard si Paris est la ville la plus visitée du monde. Et tout cela, causes et conséquences – parce que c’est un processus dialectique –, est à la fois créateur de culture et, en même temps, récepteur de culture.

Vous l’avez souligné, tout cela est indissociable de l’aspect économique puisque nos industries culturelles comptent déjà pour 5 % de nos exportations et, à mon sens, pourraient compter pour beaucoup plus.

Cela signifie que contribuer à notre rayonnement culturel, éducatif, linguistique, scientifique, c’est un volet très important de notre politique étrangère. Bien sûr, il ne dépend pas que de l’État, il dépend de beaucoup d’autres éléments. Cependant, comme responsables politiques, nous avons, à tous les niveaux, une mission essentielle d’appui. Le ministère des affaires étrangères a pour tâche de promouvoir cette culture à l’étranger, de développer nos échanges, de défendre notre modèle dans les enceintes multilatérales et les discussions bilatérales.

Pour cela, nous nous appuyons sur un réseau exceptionnel. Sans rappeler les chiffres que vous avez donnés, je voudrais simplement, à cette occasion, rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui le font vivre.

Ce n’est pas simplement un héritage ou une situation acquise. Vous l’avez souligné, il y a une compétition pour l’influence, une compétition qui est extrêmement rude, et pas seulement avec les très grands pays. Cette compétition concerne le Royaume-Uni, avec le British Council, l’Allemagne, avec notamment l’Institut Goethe qui, outre le fait de m’avoir permis d’apprendre l’allemand, m’a mis en contact avec ma première fiancée. À ce titre, je ne peux que saluer, avec une part de nostalgie, l’efficacité de cet institut… §Sont également concernés le Japon, qui s’est doté en 1972 d’une Fondation du Japon, l’Espagne, avec le réseau Cervantès. Parmi les autres acteurs, on cite toujours la Chine, qui, pour ne parler que d’elle, produit, si je peux m’exprimer ainsi, six millions de diplômés universitaires par an !

Il faut donc, de notre part, une action extrêmement forte pour développer notre rayonnement. Cela dépasse très largement la promotion de la culture et de la langue françaises. C’est la raison pour laquelle, comme cela a été souligné, une même direction de mon ministère, la direction de la coopération culturelle, universitaire et de la recherche, recouvre les différents aspects de cette politique d’influence.

Beaucoup d’entre vous m’ont demandé quels sont nos objectifs.

D’abord, promouvoir la création française et le patrimoine français dans tous les domaines, ce qui veut dire l’écrit, la musique, les arts plastiques, les arts de la scène, le cinéma, l’architecture, le design… et on pourrait allonger la liste.

Je lie patrimoine et création. La mission prioritaire de notre réseau culturel, c’est de promouvoir notre culture, notre langue, nos créateurs là où, comme vous l’avez souligné tout à l’heure, se construit le monde de demain, et où notre présence n’est pas nécessairement spontanée. Au-delà de l’Afrique, que j’ai mentionnée, on doit également parler de l’Amérique latine et de l’Asie. Notre image est souvent spontanément positive. Il y a une tradition francophile, je pense à l’Amérique latine, où nous sommes très aimés. Certains qui ont le goût du paradoxe – mais, comme le disait Jean-Jacques Rousseau, un paradoxe n’est pas automatiquement une vérité – disent que si nous sommes aimés c’est parce que nous sommes absents. Or si nous sommes aimés, ce n’est pas parce que nous sommes absents, c’est quoique nous soyons absents ou insuffisamment présents.

Toutefois, rien n’est acquis.

Pour ce faire, nous devons travailler notamment en partenariat avec les grandes institutions culturelles. Ce point n’a pas été cité dans le débat, mais vous l’avez tous à l’esprit : nos grands musées, Orsay, le centre Pompidou, le Quai Branly, le Louvre Abou Dabi, autant de réalisations et de projets qui sont des vitrines extraordinaires de la France.

Nous devons soutenir la création française dans toute sa diversité, soit au travers d’artistes ou de créateurs déjà établis, dont je n’énumérerai pas la liste, car il n’est pas question ici d’opérer une hiérarchie, soit au travers d’œuvres, qu’il s’agisse de peinture, de sculpture, de ballet, de cinéma ou d’architecture. Il faut soutenir, à la fois, les talents établis et la génération montante.

Nous agissons également en faveur de la promotion des industries culturelles et créatives françaises, qui représentent 350 000 emplois dans les domaines de la musique, de l’audiovisuel, du cinéma et du livre. Notre rôle consiste à la fois à soutenir ces industries dans leur promotion à l’international et à défendre la spécificité des biens culturels, afin de maintenir la créativité et la diversité de ces secteurs. Nous y serons vigilants, je l’ai dit, dans le cadre des négociations en vue d’un accord entre les États-Unis et l’Europe.

Il faut être particulièrement attentif au secteur de l’édition française, qui est la première de nos industries culturelles par son poids économique, et dont 25 % du chiffre d’affaires est réalisé à l’international.

Les enjeux liés aux négociations européennes et internationales sont majeurs. Les éditeurs du Syndicat national de l’édition que j’ai rencontrés récemment à l’occasion du Salon du livre m’ont également indiqué à quel point ils étaient attentifs à la liberté de publier dans le monde.

Nous devons aussi veiller à la diffusion d’un regard français sur le monde. Si l’influence passe par de multiples canaux, le rayonnement est très lié à l’audiovisuel. En 2015, plus de 30 000 chaînes télévisées émettront dans le monde. Il est donc fondamental que la France ait toute sa place dans cette société des médias. C’est la mission que Mme Filippetti et moi-même avons confiée à la nouvelle direction de l’Audiovisuel extérieur de la France, l’AEF.

Les chaînes françaises qui diffusent à l’étranger sont de très bonne qualité : TV5 Monde, qui touche 235 millions de foyers ; France 24, désormais bien implantée dans le paysage des chaînes internationales d’information ; RFI, l’une des radios internationales les plus écoutées, notamment en Afrique ; Monte Carlo Doualiya. Nous avons là des atouts majeurs.

Après ce que j’appellerai pudiquement les « turbulences » passées, les choses semblent apaisées. Une réflexion est en cours dans le cadre des discussions sur le nouveau contrat d’objectifs et de moyens de l’AEF pour obtenir la meilleure adaptation possible de notre dispositif audiovisuel extérieur à l’évolution des enjeux internationaux, avec une attention particulière portée aux spectateurs et auditeurs des zones jugées prioritaires. Le pôle médias de l’AEF sera renforcé, ainsi que le souhaitait M. Vallini. Nous assumons totalement le rôle stratégique qui est le nôtre. Le ministère des affaires étrangères entend jouer totalement son rôle, car c’est vraiment un outil majeur.

Le deuxième axe prioritaire est la francophonie, qui constitue un atout énorme, quelquefois insuffisamment apprécié en France. Je dis parfois pour plaisanter – mais est-ce vraiment une plaisanterie ? – que le français devrait être développé partout dans le monde, y compris en France. Il nous faut vraiment insister sur ce point.

Nous voulons miser sur la francophonie, non pas seulement parce que nous avons cette langue en partage, mais aussi parce qu’elle porte un certain nombre de valeurs. Elle permet de faciliter les échanges et a un impact économique positif.

Vous faisiez allusion, monsieur Duvernois, à une récente étude, dont j’ai également eu connaissance, selon laquelle les échanges commerciaux induits par l’appartenance à l’espace francophone se sont traduits ces dernières années par un supplément de PIB par tête de 6 % en moyenne dans les pays concernés.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Il serait d’ailleurs intéressant de transmettre à nos collègues cette étude qui montre que la francophonie n’est pas une vieille lune, …

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

… mais un élément d’avenir jouant un rôle positif à tous points de vue, tant culturel qu’économique, ainsi que sur le plan des valeurs.

La francophonie ne concerne évidemment pas simplement la France : nous sommes cocréateurs de la francophonie, avec beaucoup d’autres pays.

Avec eux, nous avons mis sur pied un plan d’action : consolider la famille des pays francophones, en particulier en Afrique et dans les pays arabes ; renforcer l’enseignement du français dans les pays non francophones ; promouvoir le français dans la vie internationale.

Je tiens à dire à cet égard, puisque les propos que nous tenons à cette tribune sont destinés à être reproduits, que je ne trouve pas absolument indispensable, lorsqu’une assemblée totalement francophone est réunie, que les personnalités présentes s’expriment en anglais

M. François Trucy sourit.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Ne soyons pas non plus chauvins.

L’anglais est une langue-outil, comme l’est l’informatique. Je devrais d’ailleurs plutôt parler de l’américain. En effet, ce n’est pas faire grande injure à nos collègues britanniques que de dire que la langue anglaise aurait une influence bien plus limitée si elle n’était parlée qu’en Grande-Bretagne.

Permettez-moi, à cet égard, de vous citer une anecdote historique, qui pourra vous servir à introduire un propos devant une assemblée francophone.

Lorsque les États-Unis d’Amérique ont eu à choisir leur langue, étaient en concurrence le français, l’anglais et l’allemand.

L’allemand n’a pas obtenu beaucoup de suffrages.

L’anglais, qui n’était pas un choix évident pour les Américains, compte tenu de leurs rapports conflictuels avec le colonisateur britannique, ne l’a emporté que d’une voix.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Comme pour la République, en effet !

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

– étaient arrivés à l’heure !

Pour la francophonie, l’enseignement du français est absolument décisif. Il s’appuie sur un magnifique réseau d’établissements scolaires, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger – AEFE–, l’opérateur de l’État, et la Mission laïque française.

Le label FrancEducation lancé en 2012 est une bonne initiative. Il encourage le développement d’un enseignement bilingue francophone d’excellence à l’étranger.

Ce réseau d’établissements à l’étranger est un atout que nous voulons tous développer. J’ai demandé à Mme Conway-Mouret de me faire des propositions pour son renforcement. Elle me rendra son rapport au mois de juin, après qu’elle aura procédé à une large consultation des acteurs de la communauté éducative française à l’étranger. Cette réflexion prendra en compte les conséquences possibles – ce point a été évoqué par Mme Lepage – des développements juridiques. Il s’agit d’un exercice important, auquel vous serez associés, si vous le souhaitez, mesdames, messieurs les sénateurs, afin de donner votre opinion.

Cette mission fait également suite à la suppression de la prise en charge des droits de scolarité à l’étranger. Ce sujet ayant été évoqué, il ne me semble pas utile d’y revenir. Je précise simplement que sa suppression était la première étape d’une réforme plus globale d’aide à la scolarité. Nous allons progresser dans cette voie.

Une fois la mission de Mme Conway-Mouret menée à bien, un contrat d’objectifs et de moyens sera conclu avec l’AEFE.

La troisième priorité est l’attractivité pour les étudiants et les chercheurs étrangers. Cet élément essentiel de notre rayonnement passe par la promotion de l’enseignement supérieur français, l’amélioration de l’accueil des étudiants et des chercheurs étrangers, et la mobilisation de nos scientifiques partout où se créent des normes, où se développent des idées, où se forment des élites.

C’est la mission confiée notamment à Campus France. À cet égard, monsieur Beaumont, le contrat d’objectifs et de moyens devra être conclu avant l’été. Là encore, le Sénat sera consulté, afin que les choix retenus soient pertinents.

Nous travaillons avec le ministère de l’éducation nationale à renforcer le lien entre Campus France et les universités. En appui de ce dispositif, le Quai d’Orsay finance chaque année un grand nombre de bourses pour permettre à des étudiants et jeunes chercheurs à potentiel élevé de poursuivre leur cursus en France. Malgré la contrainte budgétaire, nous avons maintenu les crédits qui sont alloués aux bourses étudiantes pour soutenir la destination France.

Comme vous le savez, et j’espère ne fâcher personne en disant cela, nous avons abrogé la circulaire Guéant parce que, indépendamment d’autres considérations, elle nous paraissait ne pas comprendre exactement le monde de demain.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Ce monde de demain est un monde ouvert, qui a besoin de brassage. C’est un grand atout pour la France que d’accueillir des étudiants étrangers qui se forment chez nous, qui peuvent occuper un premier emploi ici, et qui, revenus chez eux, seront les meilleurs ambassadeurs de la culture française.

Cette circulaire, prise sans doute pour remplir d’autres objectifs, ne procédait pas d’une vision moderne du monde ; je crois donc que nous avons eu raison de la supprimer d’entrée de jeu.

Nous voulons attirer la mobilité étudiante – 300 000 étudiants étrangers ! –, car celle-ci répond aux besoins de nos écoles, qui doivent demeurer dans le peloton de tête de l’économie de la connaissance, ainsi qu’à ceux de nos entreprises, lesquelles se tournent vers ces étudiants qualifiés pour développer leurs activités internationales.

Vous connaissez tous des entreprises qui souhaitent recruter d’excellents étudiants étrangers. Il nous faut aller dans ce sens. C’est une immense force pour notre pays que de savoir accueillir, le temps de leur formation, ces étudiants qui retourneront, le moment venu, dans leur pays.

Vous avez tous évoqué la question de la concurrence. Celle-ci ne saurait consister à nous refermer sur nous-mêmes !

Je travaille, avec M. Valls, sur le moyen de préciser les conditions d’accueil des étudiants étrangers sur notre territoire, afin que nous puissions tenir notre rang dans la compétition internationale.

Toute politique de visas comporte deux aspects.

Le premier aspect, c’est la politique migratoire. Je n’ai pas besoin de vous rappeler, à cet égard, la formule célèbre de Michel Rocard, …

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

… que vous avez tous à l’esprit. Il est vrai que nous ne pouvons pas laisser nos frontières ouvertes sur le monde entier.

Le second aspect, c’est la dimension d’attractivité. Il est évident que nous devons adopter, à l’égard de maintes populations, une attitude bien plus réactive et pertinente que dans le passé.

Si nous distinguons politique migratoire et attractivité, si nous gardons à l’esprit les deux facettes de cette même question, nous pourrons alors mener une politique adaptée dans ce domaine.

L’accent mis sur l’attractivité de notre pays pour les talents est indissociable d’une réflexion sur les visas. Nous voulons que la France devienne le pays de ceux qui développent des échanges, qui participent à la recherche ou qui contribuent à l’effort de création artistique.

Combien d’entre nous – même s’il est plus facile pour moi que pour vous de délivrer des visas – ont connu ces situations où tel artiste étranger était accueilli dans un festival, tandis qu’un autre qui devait l’accompagner ne pouvait venir, faute de visa ! Ces « sottises » donnent de la France une image négative ; nous devons donc adopter une vision beaucoup plus adaptée. Mme Blandin y a insisté, à juste raison, sont concernés des hommes d’affaires, des universitaires, des scientifiques, des artistes ou des touristes ayant la France pour destination privilégiée.

Nous avons donné, avec Manuel Valls, l’instruction au réseau diplomatique et consulaire d’améliorer, partout où cela est possible, le taux de délivrance des visas dits « de circulation », c’est-à-dire de court séjour, ainsi que leur durée de validité.

Ces visas permettront notamment à leurs titulaires d’entrer et de sortir à plusieurs reprises de l’espace Schengen, sans être contraints de demander un nouveau visa à chaque déplacement. Cette nouvelle politique est équilibrée : elle répond, d’un côté, aux exigences de maîtrise des flux migratoires et des enjeux de sécurité, et, de l’autre, à la volonté d’accroître l’attractivité de notre pays. Ces sujets, que vous aborderez certainement avec le ministre de l’intérieur, nous continuons à y travailler ensemble. C’est en dépassionnant le débat que l’on peut parvenir à mener des actions intéressantes.

Debut de section - Permalien
Laurent Fabius, ministre

Enfin, nous mettons également en œuvre, en concertation avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et les autres acteurs français concernés, une stratégie cohérente de diplomatie scientifique avec des outils comme le réseau des instituts français de recherche à l’étranger, qui développent une coopération scientifique d’excellence en sciences humaines et sociales avec nos partenaires, les missions de fouilles archéologiques à l’étranger, qui approfondissent notre connaissance de l’histoire des pays concernés, ou encore les programmes de recherche pour le développement, lesquels contribuent à la constitution de capacités de recherche au Sud.

Pour relever les trois défis que je viens d’évoquer, ainsi que ceux que vous avez mentionnés, mesdames, messieurs les sénateurs, notre dispositif doit évidemment tenir compte des évolutions du monde.

Le premier chantier, c’est la modernisation du réseau culturel. Le ministère des affaires étrangères doit évidemment participer à la maîtrise des dépenses publiques. Cela a été souligné, nous avons déjà beaucoup contribué à cet effort, sur le plan tant des effectifs que des moyens financiers. Mais si nous voulons faire œuvre utile, nous devons définir précisément nos actions. Cela implique de fixer nos priorités géographiques et stratégiques tout en développant des méthodes de travail nouvelles. Mes services me feront des propositions de redéploiements pertinents de nos ressources pour accompagner l’émergence de pays ou de régions du monde devenus ou en passe de devenir prescripteurs.

Il ne s’agit pas de négliger le rayonnement de la France dans des pays qui sont des partenaires traditionnels, comme l’Italie ou l’Allemagne, mais nous devons projeter aussi notre pays dans d’autres zones à très fort potentiel, où se trouvent de plus en plus les enjeux de l’influence internationale. Je pense aux grands émergents – la Chine, l’Inde, le Brésil –, mais aussi à d’autres pays d’Asie, d’Amérique latine ou d’Afrique. Il nous faut répondre à ce que vous appelez le « désir de France », et même le susciter.

Nous devons également mieux coordonner nos missions, notamment avec l’action extérieure des collectivités territoriales ou avec l’action des grandes ONG et de la société civile.

Nous devons aussi coordonner notre action au niveau européen pour lever des financements communautaires ou monter des opérations conjointes, par exemple au sein du réseau qui rassemble les agences culturelles européennes, réseau dont la France assure actuellement la présidence.

À cet égard, je veux répondre à M. Besson et à M. Beaumont en rappelant que notre réseau culturel a tout de même levé en 2012 plus de 180 millions d’euros de cofinancement, une somme non négligeable.

Une approche « régionale » de nos actions a été développée sur certains programmes de recherche, par exemple au Maghreb.

La modernisation de notre réseau passe aussi par celle de ses emprises et de ses supports techniques, par une adaptation de la formation professionnelle de nos agents, qui doit s’accorder avec l’évolution de nos industries culturelles. Ces hommes et ces femmes, qui, pour l’essentiel, sont non pas des diplomates statutaires, mais des contractuels, sont vraiment le cœur battant de notre réseau d’influence dans le monde. Ils accomplissent un travail remarquable, qui demeure malheureusement souvent méconnu. En votre nom à tous, en mon nom, je veux les féliciter et les mettre en valeur. Un chantier est en cours visant à valoriser leur parcours professionnel, au Quai d’Orsay et à l’extérieur.

Je veux également, s’agissant de l’évolution du réseau, évoquer la question du rattachement du réseau à l’Institut français.

En 2010, à la suite de l’adoption d’un amendement parlementaire, une disposition législative a été votée autorisant, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, le rattachement du réseau de coopération et d’action culturelle à cet opérateur, expérimentation conduite dans douze pays, selon un cahier des charges établi en 2011, et mise en œuvre à compter du 1er janvier 2012.

Une première évaluation interne de l’expérimentation a été conduite par Pierre Sellal, le secrétaire général du Quai d’Orsay. Ces éléments sont repris dans le rapport annuel, au titre de 2012, d’évaluation des résultats de cette expérimentation, qui, conformément à la loi et au décret d’application, sera remis avant le 31 mars 2013 aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

Pour ma part, je retiens du travail de M. Sellal la nécessité de conforter l’EPIC Institut français à Paris. Dans cet objectif, le ministère a veillé à ce que son budget soit préservé. Grâce à la prise en charge de la réserve légale, la subvention à l’Institut français est quasiment stabilisée en 2013.

De plus, l’Institut français doit être conforté dans son rôle d’opérateur culturel au service de l’ensemble de nos postes qui doit l’inciter à développer ses capacités en matière de levées des fonds européens et de mécénat et encourager la mobilité entre les personnels.

Ces évolutions n’ont pas d’influence déterminante sur la question du rattachement de l’ensemble du réseau, dont le coût – 50 millions d’euros sur trois ans, selon M. Sellal – est difficilement compatible avec le contexte budgétaire que nous connaissons.

Il nous faudra avoir l’ensemble de ces éléments à l’esprit lorsque nous devrons prendre une décision.

La prochaine étape est l’élaboration d’une nouvelle stratégie culturelle. Des consultations sont en cours, notamment avec la mission d’évaluation menée actuellement par la Cour des comptes sur le réseau culturel. Cette mission a lieu à la demande du comité d’évaluation et de contrôle de l’Assemblée nationale. Plus largement, j’ai demandé que soient recueillis et intégrés les avis et les attentes des acteurs du monde culturel, des personnels du réseau, des parlementaires, des autres ministères, des établissements culturels, des collectivités territoriales, des organismes professionnels de la culture et des industries culturelles.

Je disposerai cet été des éléments qui me permettront de préciser nos grandes orientations stratégiques et de décider de la configuration d’ensemble de notre réseau.

Mesdames, messieurs les sénateurs, pardonnez-moi d’avoir été un peu long, mais je voulais répondre à chacun d’entre vous et vous exposer une vision prospective, à la hauteur des propos remarquables que nous avons entendus cet après-midi. Il n’y a pas d’un côté la diplomatie des capitales et des chancelleries et, de l’autre côté, l’action culturelle et éducative ; il n’y a pas d’un côté l’action économique et, de l’autre côté, l’action culturelle. La France est influente à la fois par son image, par son message et par sa présence. La diplomatie culturelle est tout entière au service de ces différents volets. Elle vise à faire rayonner la France à l’étranger et, pour reprendre l’expression très juste qu’ont utilisée plusieurs d’entre vous, à donner aux étrangers et aux Français une véritable, profonde et justifiée « envie de France ».

Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et sur plusieurs travées de l’UMP.

Debut de section - PermalienPhoto de Didier Guillaume

Nous en avons terminé avec le débat sur le rayonnement culturel de la France à l’étranger.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de cet après-midi étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt-et-une heures trente-cinq, sous la présidence de Mme Bariza Khiari.