Intervention de René Beaumont

Réunion du 26 mars 2013 à 14h30
Débat sur le rayonnement culturel de la france à l'étranger

Photo de René BeaumontRené Beaumont :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous savons tous que la dimension culturelle et linguistique constitue un atout incontournable pour le développement de l’influence de notre pays et la promotion de nos intérêts.

Héritière d’un patrimoine prestigieux, d’une culture vivante et d’une certaine singularité dans l’expression de ses positions, la France bénéficie encore d’une forte attractivité. Cependant, sa place se banalise sur la scène mondiale. Dans le domaine de la culture et des idées, elle demeure bien évidemment une puissance qui compte, mais jusqu’à quand ?

Dans le contexte de la mondialisation, le rayonnement culturel de la France est soumis à des tensions contradictoires.

Toutefois, grâce aux nouvelles technologies de l’information qui offrent des capacités de diffusions considérables, le nombre de personnes pouvant avoir accès à la culture française n’a jamais été aussi important.

Nos opérateurs culturels nationaux publics et privés, dans le domaine des arts mais aussi des sciences, les utilisent largement. Les universités, les centres de recherche et les opérateurs en charge de l’action culturelle extérieure y ont recours également.

Leurs contenus, diffusés en langue française, font aussi l’objet, de plus en plus souvent, d’une traduction afin d’accroître leur diffusion. Ainsi, le nombre de personnes dans le monde susceptibles d’accéder à ces contenus est infini. Il n’est limité que par la capacité des individus à accéder aux technologies et par les obstacles posés par certains États soucieux de contrôler l’accès aux sites internet.

Les nouvelles technologies nous offrent donc un potentiel extraordinaire pour décupler nos efforts. Nous devons nous atteler à les développer, car la concurrence étrangère est sévère.

Non seulement nos concurrents traditionnels, Américains, Britanniques et Allemands, accentuent leurs efforts, mais on voit bien qu’avec le développement des nouvelles technologies d’autres puissances émergentes deviennent beaucoup plus offensives et mènent une action culturelle au-delà de leurs frontières, à l’image de la Chine, des pays du Golfe ou encore de la Turquie dans le monde arabo-musulman.

La capacité de rayonnement culturel d’un État à l’étranger va donc dépendre très largement de sa capacité à créer les conditions de promotion de sa culture et de sa langue, qui en est le premier vecteur. Or cette promotion suppose des investissements que, malgré le « désir de France » que l’on peut observer lorsque l’on est en déplacement à l’étranger, nous sommes parfois en mal de financer aujourd’hui.

Le budget voté pour 2013 dans le domaine de la diplomatie culturelle et d’influence est caractéristique de ces limites, puisqu’il se traduit par une stabilité apparente qui masque en fait une réduction continue des moyens. Les crédits du programme 185 sont en diminution de 0, 5 %, parce que leur composante majeure en termes budgétaires, l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger, n’est pas affectée par les règles de cadrage imposées aux autres secteurs.

Nombre de composantes se voient en effet appliquer des réductions de crédits pouvant aller jusqu’à 7 %. L’Institut français, dont la loi du 27 juillet 2010 a fait l’opérateur de l’action culturelle extérieure de la France, voit ainsi ses crédits diminuer de 7 %. Il en va de même des crédits pour opérations du réseau culturel dans ses deux composantes, en particulier les Alliances françaises.

Est-ce donner les meilleurs atouts à la rénovation de nos outils entreprise sous le gouvernement de François Fillon, il est vrai, mais sur la base d’un rapport conjoint des commissions de la culture et des affaires étrangères du Sénat adopté, il faut le rappeler, à l’unanimité ?

Sans doute des économies peuvent-elles être réalisées, mais je crains qu’à force de récurrence on n’en soit davantage à réduire la voilure plutôt qu’à rechercher des gains de productivité.

La dernière invention est l’appel à l’autofinancement, qui, il est vrai, est devenu un indicateur de gestion et de performance figurant en bonne place dans les instruments d’évaluation du projet annuel de performance et des contrats d’objectifs et de moyens. Il a cependant des limites.

D’abord, selon la nature des activités, la régularité de la ressource peut être plus ou moins certaine. Si en 2011 les établissements d’enseignement français ont réuni des cofinancements à hauteur de 174, 6 millions d’euros, essentiellement grâce aux cours de langue, le montant attendu pour 2012 ne devait être que de 150 millions d’euros.

Ensuite, des disparités existent non seulement selon les domaines d’activités, mais aussi selon les pays, leurs ressources, le degré d’implication des entreprises françaises et, bien sûr, selon la conjoncture économique.

Il ne faudrait pas que la quête d’autofinancement introduise des facteurs d’exclusion et se traduise par un désengagement dans les pays économiques les plus vulnérables.

J’ajoute que, en période de crise, les entreprises réduisent singulièrement les sommes qu’elles peuvent consacrer à des actions de mécénat et se tournent en priorité vers la préservation de leurs marges et de leurs emplois.

Dans un tel contexte budgétaire, la conciliation du développement de nos actions et des restructurations en cours est une équation impossible. C’est bel et bien à une réduction tant des activités de notre opérateur que des réseaux que nous allons assister.

En revanche, je me réjouis des efforts conduits en matière d’attractivité et de mobilité des jeunes, y compris dans le financement de notre système d’enseignement supérieur. C’est un enjeu important.

La population étudiante étrangère atteint près de 290 000 étudiants, soit une augmentation de 65 % en dix ans ; elle représente 12, 3 % des inscrits.

Il existe certes une demande forte, mais aussi une véritable concurrence internationale. Ainsi, selon les données de l’UNESCO, la mobilité étudiante à l’étranger devrait doubler dans les dix prochaines années et concerner environ 7 millions d’étudiants en 2025.

La France reste bien placée, mais la part relative des intervenants traditionnels commence à se réduire avec l’arrivée de nouveaux entrants, notamment en Asie.

Il est important que nous puissions maintenir nos capacités, car c’est un élément d’influence que de pouvoir former les élites des autres pays, non seulement dans le domaine des humanités, mais aussi dans les matières scientifiques et technologiques.

Notre attractivité doit d’abord se fonder sur l’excellence de nos cursus de formation ainsi que sur leur capacité à proposer des formations de standard international et adaptables aux besoins des publics.

La politique des bourses est évidemment un pilier important, mais à condition d’être vraiment sélective.

Enfin, il appartient à l’État d’être un facilitateur, en diffusant l’information, en favorisant les partenariats et en apportant des services.

À cet égard, je me réjouis de la rationalisation de nos outils et du développement par Campus France d’une capacité à proposer aux gouvernements étrangers, notamment à ceux des pays émergents, un système performant de gestion des bourses de leurs étudiants en France, en apportant, outre un suivi, les ressources nécessaires sans solliciter le budget de l’État.

En effet, nombre de gouvernements étrangers ont mis en place des modes de financement des études à l’étranger de leurs ressortissants, qu’ils considèrent comme un investissement d’avenir. De ce point de vue, le partenariat conclu récemment avec le Brésil dans le cadre de son programme Sciences sans frontière est exemplaire.

Néanmoins, le développement de cette politique suppose quelques moyens budgétaires. À observer l’utilisation des crédits de la diplomatie culturelle et d’influence comme une traditionnelle variable d’ajustement, je crains que nous ne puissions poursuivre nos efforts dans les années à venir. Mais peut-être me démentirez-vous, monsieur le ministre ? Je le souhaite en tout cas !

Par ailleurs, nous sommes toujours en attente du projet de contrat d’objectifs et de moyens de Campus France.

Dans l’actuel contexte économique et budgétaire difficile, j’ai l’impression que la limitation des crédits résulte d’une application quasi uniforme qui ne permet pas d’afficher les véritables priorités de notre action, ce qui me navre

On a un peu le sentiment, monsieur le ministre, d’un navire sur son aire dont on alimente de moins en moins le moteur, mais auquel on ne donne plus de véritables orientations. En l’occurrence, les orientations sont les priorités thématiques. Est-ce l’action culturelle ? Est-ce l’attractivité et la mobilité des jeunes ? Est-ce la coopération scientifique, puisque votre ministère vient d’annoncer une stratégie portant sur la diplomatie scientifique ? Est-ce le développement de l’enseignement français à l’étranger ? Faut-il continuer à conventionner et à créer des établissements dès qu’un État étranger le souhaite ?

Monsieur le ministre, à l’automne dernier, en commission, vous avez annoncé une réflexion sur ce sujet. Qu’en est-il ? Quelles sont les premières orientations ? Est-ce la diffusion de la langue française ?

Pouvez-vous nous dire où en est la rédaction du contrat d’objectifs et de moyens de l’AEFE ?

Des priorités géographiques doivent également être envisagées. Quels sont les pays cibles ? Dans quelles zones voulons-nous affirmer prioritairement notre présence ? Quels moyens affecterez-vous à ces priorités ?

Parce que, choisir, c’est aussi renoncer, en contrepartie nous devrons indiquer en quels lieux nous limiterons notre présence et nos efforts. Nous devons fixer le dispositif minimal que nous souhaitons conserver et restructurer à cette fin notre réseau.

Monsieur le ministre, je le reconnais, au cours de mon propos, je vous ai « soumis à la question ». En tout cas, je vous ai posé de nombreuses questions. Mais il est essentiel que la représentation nationale connaisse toutes les orientations envisagées pour pouvoir en apprécier la portée. Ainsi, votre présence dans cet hémicycle vous permettra de donner un peu plus de relief aux pistes que vous avez esquissées et dont la concrétisation est encore difficile à percevoir. §

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