Il l’a dit, l’offre audiovisuelle est renforcée, y compris en France. J’ai demandé aux nouveaux responsables des différentes chaînes de travailler sur cette idée, qui est très juste, notamment pour les chaînes en arabe. Il reste à régler des questions techniques, qui ne sont pas simples. Cependant, compte tenu de la grande qualité de la plupart des chaînes diffusées à l’étranger – France 24, TV5 Monde, Radio France Internationale, Monte Carlo Doualiya, par exemple –, on doit creuser la possibilité de faire profiter très largement l’intérieur de notre pays de ces programmes. Les nouveaux responsables y travaillent actuellement.
M. Vallini a eu parfaitement raison d’insister sur l’importance des nouvelles technologies pour faire rayonner notre culture à l’extérieur.
Dernière à intervenir, Mme Lepage a souligné la densité de notre réseau culturel français à l’étranger. J’ai cru comprendre qu’elle était assez critique quant au fonctionnement de l’Institut français. Elle a décerné la mention « bien » à Mme Marie-Christine Saragosse. Comme dans The Voice, je me retourne et vote aussi pour elle. §
Elle a rappelé la réforme intervenue sur la PEC. Cette réforme était importante, à défaut d’être facile. Et je note que, une dizaine de mois après le changement de gouvernement, ce n’est tout de même pas, si je vous ai bien écoutés, votre souci principal. Cela prouve que vous avez, les uns et les autres, bien travaillé et que la réforme est maintenant passée dans les faits. Vous avez eu raison de rendre hommage – je le fais à mon tour – à notre ministre déléguée, votre ancienne collègue, Mme Conway-Mouret, qui a passé beaucoup de temps sur ce problème difficile.
Mme Lepage a soulevé une question que vous connaissez et dont la réponse déterminera beaucoup d’éléments. Car des décisions judiciaires sont intervenues, dont on ne connaît encore ni la portée exacte ni le degré d’extension. Si elles devaient avoir une extension maximale, cela remettrait en cause beaucoup de choses dont nous sommes en train de discuter, ce qui nous obligerait, bien sûr, à reprendre toute une série de ces sujets.
Après ces réponses aux orateurs, qui ne prétendent pas être exhaustives, je voudrais vous livrer quelques réflexions personnelles. Lorsque vous m’avez, sur l’initiative de M. Duvernois, posé la question du rayonnement culturel de la France à l’étranger, il m’est venu un souvenir. Nous avons tous un, voire plusieurs souvenirs de scènes ou d’éléments qui, tout à coup, vous sautent au visage ou à la mémoire et rendent évidente la réponse à la question.
J’ai effectué, il n’y a pas si longtemps, un voyage en Amérique du Sud, qui m’a conduit successivement au Panama, en Colombie et au Pérou.
À Bogota, l’ambassadeur m’a parlé d’une cérémonie traditionnelle qui allait se dérouler dans le lycée français, situé pas très loin de l’ambassade. Elle avait lieu assez tôt le matin, aux environs de sept heures, mais l’ambassadeur trouvait ma présence tout de même intéressante parce qu’il s’agissait de quelque chose de marquant.
Dans la cour du lycée, assez exiguë, il y avait 800 élèves, de toutes les classes, des plus petites à celles du baccalauréat. Ces élèves, en majorité des Colombiens, portaient, comme c’est l’usage là-bas, l’uniforme. Après nous avoir accueillis, ils ont chanté, dans un français absolument impeccable, non pas le premier couplet de la Marseillaise, mais ses cinq premiers couplets. Je ne demanderai pas de faire l’exercice dans cette enceinte. §Quoi qu’il en soit, cela veut dire un certain nombre de choses sur l’amour de la France, sur notre culture, sur la maîtrise de notre langue. Quand on assiste à cela, si loin de Paris, en la présence des professeurs et de nombreux représentants de parents d’élèves, on se dit que le rayonnement culturel de la France, ce n’est pas uniquement un sujet de discussion ! C’est vraiment quelque chose d’extrêmement fort !
Oui, la France c’est une puissance d’influence. Je n’identifie pas, pour ma part – nous n’allons pas entrer dans des querelles de vocabulaire – l’influence et le soft power. Je pense qu’il y a trois notions différentes. M. Joseph Nye, dont les travaux fort intéressants peuvent fournir l’objet de longues discussions, a inventé la notion de soft power et de hard power. Je pense, pour ma part, que la France est à la fois une puissance soft et une puissance hard et que l’ensemble de tout cela forme un troisième concept, qui n’est pas présent chez M. Nye et qui, pour moi, est une puissance d’influence. L’influence de la France est liée à l’ensemble de ces facteurs et notre influence culturelle fait évidemment partie de ce qui constitue notre puissance d’influence.
Ce rayonnement est une composante majeure de notre attractivité, de notre image, de notre réputation. Notre dernier prix Nobel, M. Serge Haroche, nous le prouve. De même, lorsque nous voyons la liste de nos médailles fields, lorsque nous voyons – même si cela se raréfie – la liste de nos prix Nobel de littérature, lorsque nous voyons la liste des Oscars remportés par des Français – qui, elle, tend à s’étoffer ! –, lorsque nous voyons les établissements prestigieux implantés en France, par exemple, le Louvre dans sa diversité, mais aussi leurs démembrements à l’étranger, la Sorbonne, nos écoles de commerce et leurs antennes extérieures, l’Institut Pasteur, nos intellectuels, nos écrivains, nous pouvons le dire, sans arrogance et sans chanter cocorico, nous avons une capacité de rayonnement culturel tout à fait remarquable !
Et ce rayonnement dépasse nos professions « traditionnelles ». Nos designers, nos architectes – vous voyez leurs réalisations lorsque vous vous déplacez à l’étranger –, nos cinéastes sont connus à travers le monde. Ce n’est pas un hasard si la France est le premier pays d’accueil de touristes internationaux, même si je pense, à titre personnel, que le tourisme pourrait donner beaucoup plus de choses qu’il ne donne en France. Ce n’est pas un hasard si Paris est la ville la plus visitée du monde. Et tout cela, causes et conséquences – parce que c’est un processus dialectique –, est à la fois créateur de culture et, en même temps, récepteur de culture.
Vous l’avez souligné, tout cela est indissociable de l’aspect économique puisque nos industries culturelles comptent déjà pour 5 % de nos exportations et, à mon sens, pourraient compter pour beaucoup plus.
Cela signifie que contribuer à notre rayonnement culturel, éducatif, linguistique, scientifique, c’est un volet très important de notre politique étrangère. Bien sûr, il ne dépend pas que de l’État, il dépend de beaucoup d’autres éléments. Cependant, comme responsables politiques, nous avons, à tous les niveaux, une mission essentielle d’appui. Le ministère des affaires étrangères a pour tâche de promouvoir cette culture à l’étranger, de développer nos échanges, de défendre notre modèle dans les enceintes multilatérales et les discussions bilatérales.
Pour cela, nous nous appuyons sur un réseau exceptionnel. Sans rappeler les chiffres que vous avez donnés, je voudrais simplement, à cette occasion, rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui le font vivre.
Ce n’est pas simplement un héritage ou une situation acquise. Vous l’avez souligné, il y a une compétition pour l’influence, une compétition qui est extrêmement rude, et pas seulement avec les très grands pays. Cette compétition concerne le Royaume-Uni, avec le British Council, l’Allemagne, avec notamment l’Institut Goethe qui, outre le fait de m’avoir permis d’apprendre l’allemand, m’a mis en contact avec ma première fiancée. À ce titre, je ne peux que saluer, avec une part de nostalgie, l’efficacité de cet institut… §Sont également concernés le Japon, qui s’est doté en 1972 d’une Fondation du Japon, l’Espagne, avec le réseau Cervantès. Parmi les autres acteurs, on cite toujours la Chine, qui, pour ne parler que d’elle, produit, si je peux m’exprimer ainsi, six millions de diplômés universitaires par an !
Il faut donc, de notre part, une action extrêmement forte pour développer notre rayonnement. Cela dépasse très largement la promotion de la culture et de la langue françaises. C’est la raison pour laquelle, comme cela a été souligné, une même direction de mon ministère, la direction de la coopération culturelle, universitaire et de la recherche, recouvre les différents aspects de cette politique d’influence.
Beaucoup d’entre vous m’ont demandé quels sont nos objectifs.
D’abord, promouvoir la création française et le patrimoine français dans tous les domaines, ce qui veut dire l’écrit, la musique, les arts plastiques, les arts de la scène, le cinéma, l’architecture, le design… et on pourrait allonger la liste.
Je lie patrimoine et création. La mission prioritaire de notre réseau culturel, c’est de promouvoir notre culture, notre langue, nos créateurs là où, comme vous l’avez souligné tout à l’heure, se construit le monde de demain, et où notre présence n’est pas nécessairement spontanée. Au-delà de l’Afrique, que j’ai mentionnée, on doit également parler de l’Amérique latine et de l’Asie. Notre image est souvent spontanément positive. Il y a une tradition francophile, je pense à l’Amérique latine, où nous sommes très aimés. Certains qui ont le goût du paradoxe – mais, comme le disait Jean-Jacques Rousseau, un paradoxe n’est pas automatiquement une vérité – disent que si nous sommes aimés c’est parce que nous sommes absents. Or si nous sommes aimés, ce n’est pas parce que nous sommes absents, c’est quoique nous soyons absents ou insuffisamment présents.
Toutefois, rien n’est acquis.
Pour ce faire, nous devons travailler notamment en partenariat avec les grandes institutions culturelles. Ce point n’a pas été cité dans le débat, mais vous l’avez tous à l’esprit : nos grands musées, Orsay, le centre Pompidou, le Quai Branly, le Louvre Abou Dabi, autant de réalisations et de projets qui sont des vitrines extraordinaires de la France.
Nous devons soutenir la création française dans toute sa diversité, soit au travers d’artistes ou de créateurs déjà établis, dont je n’énumérerai pas la liste, car il n’est pas question ici d’opérer une hiérarchie, soit au travers d’œuvres, qu’il s’agisse de peinture, de sculpture, de ballet, de cinéma ou d’architecture. Il faut soutenir, à la fois, les talents établis et la génération montante.
Nous agissons également en faveur de la promotion des industries culturelles et créatives françaises, qui représentent 350 000 emplois dans les domaines de la musique, de l’audiovisuel, du cinéma et du livre. Notre rôle consiste à la fois à soutenir ces industries dans leur promotion à l’international et à défendre la spécificité des biens culturels, afin de maintenir la créativité et la diversité de ces secteurs. Nous y serons vigilants, je l’ai dit, dans le cadre des négociations en vue d’un accord entre les États-Unis et l’Europe.
Il faut être particulièrement attentif au secteur de l’édition française, qui est la première de nos industries culturelles par son poids économique, et dont 25 % du chiffre d’affaires est réalisé à l’international.
Les enjeux liés aux négociations européennes et internationales sont majeurs. Les éditeurs du Syndicat national de l’édition que j’ai rencontrés récemment à l’occasion du Salon du livre m’ont également indiqué à quel point ils étaient attentifs à la liberté de publier dans le monde.
Nous devons aussi veiller à la diffusion d’un regard français sur le monde. Si l’influence passe par de multiples canaux, le rayonnement est très lié à l’audiovisuel. En 2015, plus de 30 000 chaînes télévisées émettront dans le monde. Il est donc fondamental que la France ait toute sa place dans cette société des médias. C’est la mission que Mme Filippetti et moi-même avons confiée à la nouvelle direction de l’Audiovisuel extérieur de la France, l’AEF.
Les chaînes françaises qui diffusent à l’étranger sont de très bonne qualité : TV5 Monde, qui touche 235 millions de foyers ; France 24, désormais bien implantée dans le paysage des chaînes internationales d’information ; RFI, l’une des radios internationales les plus écoutées, notamment en Afrique ; Monte Carlo Doualiya. Nous avons là des atouts majeurs.
Après ce que j’appellerai pudiquement les « turbulences » passées, les choses semblent apaisées. Une réflexion est en cours dans le cadre des discussions sur le nouveau contrat d’objectifs et de moyens de l’AEF pour obtenir la meilleure adaptation possible de notre dispositif audiovisuel extérieur à l’évolution des enjeux internationaux, avec une attention particulière portée aux spectateurs et auditeurs des zones jugées prioritaires. Le pôle médias de l’AEF sera renforcé, ainsi que le souhaitait M. Vallini. Nous assumons totalement le rôle stratégique qui est le nôtre. Le ministère des affaires étrangères entend jouer totalement son rôle, car c’est vraiment un outil majeur.
Le deuxième axe prioritaire est la francophonie, qui constitue un atout énorme, quelquefois insuffisamment apprécié en France. Je dis parfois pour plaisanter – mais est-ce vraiment une plaisanterie ? – que le français devrait être développé partout dans le monde, y compris en France. Il nous faut vraiment insister sur ce point.
Nous voulons miser sur la francophonie, non pas seulement parce que nous avons cette langue en partage, mais aussi parce qu’elle porte un certain nombre de valeurs. Elle permet de faciliter les échanges et a un impact économique positif.
Vous faisiez allusion, monsieur Duvernois, à une récente étude, dont j’ai également eu connaissance, selon laquelle les échanges commerciaux induits par l’appartenance à l’espace francophone se sont traduits ces dernières années par un supplément de PIB par tête de 6 % en moyenne dans les pays concernés.