Intervention de Catherine Procaccia

Réunion du 26 mars 2013 à 21h30
Débat sur les enjeux et les perspectives de la politique spatiale européenne

Photo de Catherine ProcacciaCatherine Procaccia :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’évoquerai pour ma part les objectifs et la durabilité des activités spatiales de l’Europe.

Dans le contexte d’une concurrence croissante, déjà évoqué par Bruno Sido, il est tout d’abord indispensable d’aider l’industrie européenne à demeurer compétitive.

Nous avons préconisé, dans notre rapport, de poursuivre le soutien à la filière européenne de satellites de télécommunications par de grands programmes structurants, par exemple en suscitant le développement d’une filière européenne de satellites à propulsion tout électrique – nous en avons parlé cet après-midi –, afin de répondre à l’avance prise par Boeing dans ce domaine, cette entreprise bénéficiant d’une technologie développée pour les satellites de télécommunications militaires.

Il faut également agir pour réduire la dépendance technologique de l’Europe, notamment dans le domaine des composants microélectroniques durcis.

Cette dépendance est en effet préjudiciable dans le contexte des règles d’exportation américaines ITAR – International Traffic in Arms Regulations –, qui interdisent aux industriels européens d’exporter sans autorisation des produits qui comporteraient des composants ou technologies développés aux États-Unis. Mais la question de la dépendance de l’Europe à l’égard de technologies importées ne se réduit pas à celle des règles ITAR. C’est une question de compétitivité, car la dépendance entraîne des difficultés d’accès aux technologies de dernière génération, ainsi qu’une limitation de l’accès à la documentation, engendrant des difficultés à gérer, par exemple, des anomalies. L’existence d’une source d’approvisionnement unique est en soi un facteur de risques.

Le concept de non-dépendance implique donc une maîtrise des technologies et l’existence d’une double source, dont l’une au moins située en Europe. Mais il implique aussi une maîtrise des coûts. Le maintien à tout prix en Europe de filières beaucoup plus coûteuses qu’aux États-Unis n’est pas viable. Il faut par conséquent veiller à la rentabilité économique des filières développées et concentrer les moyens disponibles sur quelques priorités.

S’agissant des autres objectifs de la politique spatiale, il nous semble que ceux-ci doivent être orientés, en priorité, vers les services aux citoyens et privilégier les retombées concrètes. Notre rapport évoque en particulier l’observation, en vue de la compréhension des mécanismes du fonctionnement terrestre, qui est aujourd’hui devenue un enjeu scientifique et économique majeur.

L’Europe doit se donner pour priorité de demeurer précurseur dans ce domaine. Elle dispose d’une compétence reconnue dans ce que l’ESA nomme « les Explorateurs de la Terre », c’est-à-dire les satellites d’observation dédiés à l’étude de domaines précis tels que l’océanographie, l’étude des sols, de l’eau, de la glace, de l’atmosphère ou du champ magnétique.

L’observation spatiale présente l’avantage d’offrir une vision globale et continue dans le temps, qui permet des progrès considérables de la recherche sur l’environnement et le climat. Elle sera un instrument essentiel à l’évaluation du changement global et de l’impact des activités humaines sur le fonctionnement du système terrestre. Pour l’avenir, la surveillance des émissions de gaz à effet de serre deviendra un enjeu international majeur, et les moyens de mesure seront un atout important pour ceux qui les maîtriseront.

Mais pour que l’observation spatiale soit efficace, encore faut-il qu’elle soit continue et produise des données homogènes. Or le mode de fonctionnement des agences, dont la vocation est d’innover, et non d’assurer la continuité de l’existant, n’est pas forcément propice à la poursuite de missions en vue non pas d’innover mais de prolonger en optimisant les coûts. Il faudrait, pour cette raison, garantir la continuité des missions dès leur conception.

Nous préconisons également de poursuivre activement la mise en place des infrastructures du programme GMES de surveillance globale pour l’environnement et la sécurité, en mettant en œuvre le financement et le pilotage nécessaires à l’entrée en phase opérationnelle des services de ce programme. Lors de notre unique déplacement à Bruxelles, nos interlocuteurs de la Commission nous ont en effet confié être « très en amont » de la réflexion sur ce sujet...

Notre rapport examine aussi la question de l’exploration spatiale. Nous avons préconisé de continuer à participer à la Station spatiale internationale jusqu’en 2020.

Mais l’Europe doit apporter une contribution de nature technologique, comme elle le fait actuellement en fournissant le véhicule automatique de ravitaillement de la Station, l’ATV.

Cette contribution pourrait d’ailleurs participer plus tard au démantèlement de l’ISS, c’est-à-dire à sa désorbitation. Ce démantèlement doit d’ores et déjà être envisagé. Ses modalités ne sont pas encore fixées. Son coût est évalué à 2 milliards de dollars, ce qui ne représente finalement que 2 % du coût exorbitant de cette Station.

Pour l’avenir, l’Europe doit par ailleurs privilégier les missions robotiques remplissant des objectifs d’innovation scientifique, à coûts maîtrisés et autant que possible dans le cadre de coopérations internationales. Bruno Sido a parlé de Curiosity, mais c’est aussi le cas du projet ExoMars : lancé dans un premier temps par l’ESA en partenariat avec la NASA, il est aujourd’hui envisagé avec l’agence russe Roskosmos, à la suite de la défection de la NASA.

Si l’exploration de Mars est prioritaire, ce n’est pas par goût de l’aventure, mais parce que l’on estime que cette planète a pu abriter la vie et qu’une meilleure connaissance de son histoire pourrait être utile à la compréhension de l’évolution de notre propre planète.

Quant à l’exploration habitée de Mars, elle nécessiterait des ruptures technologiques importantes et la fixation d’objectifs intermédiaires. Elle requerrait, surtout, un investissement massif, puisque son coût est estimé à 600 milliards d’euros, voire 800 milliards d’euros, soit de l’ordre de cent fois plus qu’une grosse mission robotisée.

Par le passé, l’exploration habitée a toujours répondu à des objectifs d’abord politiques, plutôt que scientifiques. Les conditions ne nous paraissant pas réunies pour le moment, et les montants financiers en jeu étant exorbitants, nous n’avons pas souhaité formuler de préconisations sur la question du vol habité, au-delà de l’orbite basse, même si, depuis quelques semaines, a beaucoup été évoqué le projet Mars One, 8 000 personnes acceptant d’aller sur Mars sans espoir de retour

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