Dans l’immédiat, nous remarquons que le plus gros programme souscrit lors de la récente Ministérielle de l’ESA concerne la Station spatiale internationale. La France s’est engagée à financer 20 % de la contribution européenne à la Station. Après 2017, cette contribution consistera à produire un module de service pour la capsule habitée de la NASA, Orion, destinée à voler au-delà de l’orbite basse.
À ce sujet, nous souhaiterions vous interroger plus particulièrement, madame la ministre. Sait-on quels seront les objectifs de ces missions de la NASA auxquelles l’Europe s’est donc engagée à contribuer ? Quel en sera le retour technologique et industriel pour notre continent ?
J’achèverai cette intervention en mettant l’accent sur un enjeu trop méconnu, et qu’il nous a paru urgent de mettre en lumière : celui de la durabilité des activités spatiales, aujourd’hui menacée par la multiplication des déchets.
Le nombre d’objets de plus de dix centimètres en orbite autour de la Terre est estimé à 20 000. Leur quantité s’accroît naturellement en conséquence de réactions en chaîne, ce que les scientifiques désignent sous le nom de syndrome de Kessler.
Le risque de collision n’est pas purement théorique. La première collision répertoriée a eu lieu en 1996. Un satellite militaire français avait alors été affecté. Plus récemment, en 2007, les Chinois ont détruit à l’aide d’un missile l’un de leurs satellites météorologiques, ce qui a engendré environ 2 500 débris de taille supérieure à dix centimètres. Enfin, en 2009, la collision entre un satellite Iridium et un satellite inactif Kosmos a été à l’origine d’environ 2 000 gros débris.
À cet égard, l’ISS procède environ une fois par an à des réajustements de sa trajectoire pour éviter des collisions.
Par ailleurs, il existe un risque de dommages au sol lors des rentrées atmosphériques. Sur ce sujet, notre rapport comprend un intéressant cliché. On estime à une tonne les retombées quotidiennes de débris qui s’évaporent ou non dans l’atmosphère. Le danger est certes minoré par le fait que 70 % de la surface de la Terre est océanique, mais le risque de dommages voire de victimes au sol n’est pas négligeable.
Notre rapport identifie trois types d’actions pour faire face à ces risques.
Premièrement, il convient de promouvoir des règles de conduite renforcées. Des règles sont en vigueur au niveau international, ainsi qu’en France, depuis la loi de 2008 relative aux opérations spatiales. Il existe également une proposition de code de conduite émise par l’Union européenne, et actuellement en cours de négociation à l’échelle internationale.
Des désaccords subsistent entre pays sur la forme – contraignante ou non – que devrait revêtir ce code de bonne conduite. Il serait regrettable d’attendre qu’un accident majeur se produise pour accélérer les négociations.
Pour l’Europe, l’arrivée d’un lanceur à étage supérieur réallumable, point qui a été évoqué par Bruno Sido, constituera une avancée, car cela permettra de désorbiter l’étage supérieur après accomplissement de la mission. Rappelons-le, Ariane 5 est actuellement le seul lanceur commercial qui ne le permet pas.
Deuxièmement, il est indispensable de mettre en place un système européen complet de surveillance de l’espace, fédérant les moyens existants.
À l’heure actuelle, l’Europe dépend des États-Unis, qui possèdent le réseau de surveillance le plus vaste et le mieux distribué au monde. La coopération avec ce pays permet d’éviter un certain nombre de collisions, en déplaçant, comme je l’ai indiqué il y a quelques instants, le véhicule concerné par une alerte, du moins lorsque c’est possible, c’est-à-dire lorsqu’il est encore actif. Toutefois, cette coopération ne garantit pas l’indépendance de l’Europe.
Pour assurer cette autonomie, il faut renouveler le radar Graves et mettre en place des capteurs supplémentaires, afin d’améliorer l’identification de la nature des objets et de leur trajectoire.
L’ESA a lancé un programme de surveillance dit SSA, Space situational awareness, qui, pour l’heure, n’est pas réellement mis en œuvre.
Par ailleurs, notre rapport évoque la surveillance de l’espace lointain. La chute d’une météorite en Russie le 15 février dernier a montré que nous n’avions pas parlé et traité de science-fiction. Il s’agit non seulement de surveiller les objets géocroiseurs, mais aussi de prévoir les variations d’activité du soleil, qui représentent une menace pour l’intégrité de nos satellites et de nos réseaux terrestres.
Troisièmement, et enfin, il faut développer des solutions technologiques innovantes pour le nettoyage des débris. D’après les modèles existants, il suffirait de retirer chaque année de l’ordre de cinq à dix gros débris pour stabiliser le nombre de déchets actuellement en orbite basse. Nous avons même suggéré une solution quelque peu originale : instaurer un prélèvement sur les mises en orbite, afin de financer ces futures opérations de nettoyage.
Il nous est apparu que l’effort accompli dans le domaine de la surveillance de l’espace demeurait insuffisant, les pays membres de l’ESA ayant quelque peu délaissé le programme qu’ils avaient lancé en 2008.
Madame la ministre, c’est la raison pour laquelle nous vous interrogeons sur ce volet de la politique spatiale, qui est la condition sine qua non de tous les autres : quelles sont les actions menées par la France pour promouvoir la durabilité comme un axe majeur de la coopération internationale dans le secteur spatial ?
Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, l’Europe a récemment accompli un tournant majeur en décidant de développer le lanceur Ariane 6, qui nous paraît le seul garant à long terme de notre autonomie d’accès à l’espace.
Cependant, de nombreux motifs de vigilance demeurent, dans un contexte financier qui impose de faire des choix en application d’une stratégie claire.
Nous sommes heureux que le Sénat puisse aujourd’hui débattre de cette stratégie, et ainsi contribuer à la réflexion sur ce sujet majeur pour notre industrie, notre économie et, au-delà, pour notre rayonnement international. À cet égard, je remercie les sénatrices et sénateurs ici présents, qui ont préféré assister à ce débat plutôt qu’à la diffusion télévisée d’un match de football ! §