Intervention de Jean-Pierre Plancade

Réunion du 26 mars 2013 à 21h30
Débat sur les enjeux et les perspectives de la politique spatiale européenne

Photo de Jean-Pierre PlancadeJean-Pierre Plancade :

Comme la plupart des grandes aventures humaines, les progrès de l’industrie spatiale ont été permis par la compétition et la coopération.

Si le contexte international ne s’est pas figé au temps de la guerre froide, la politique spatiale conserve un schéma marqué par des grands blocs, États-Unis, Russie et, désormais, Union européenne.

Avec l’entrée en scène de grandes puissances émergentes, comme le Brésil ou l’Inde, aspirant, à juste titre, à leur propre autonomie d’accès à l’espace, la compétition s’est intensifiée. Parallèlement, les trois puissances spatiales historiques se maintiennent dans un contexte budgétaire et financier très différent de celui qui a permis les grandes avancées opérées des années 1950 aux années 1970, et même un peu au-delà.

La politique spatiale s’est rapidement fondée sur la coopération. Elle a permis de favoriser la mutualisation des moyens et de réaliser des projets plus ambitieux, notamment en matière de défense ou de surveillance de l’espace, indispensables à la sécurité de tous.

En France, le programme spatial lancé en 1961 sur l’initiative du général de Gaulle, alors Président de la République, est allé de pair avec la naissance de l’Europe spatiale. Celle-ci a traduit la volonté de s’associer et de développer ensemble des projets de grande envergure plutôt que de travailler de manière isolée. Du reste, on le constate clairement aujourd’hui : nous ne serions pas dans la compétition si nous avions choisi une autre voie que celle-ci !

À la course vers l’accès à l’espace se substitue en grande partie la maîtrise des nouvelles technologies répondant à de nouveaux besoins et à de nombreuses activités civiles dans divers secteurs de l’économie, mais aussi dans des domaines comme la sécurité, les sciences, le climat, la gestion des catastrophes naturelles ou les transports.

Par ailleurs, la politique spatiale participe également à la diffusion de l’information et de la culture, avec le développement du numérique qui permet la démocratisation du savoir et l’accès de tous à ces contenus.

Les technologies spatiales représentent donc un instrument vital de l’aménagement du territoire via l’amélioration de l’accès de tous aux services publics à travers les télé-services, le télétravail ou l’éducation à distance.

Nos sociétés sont partant dépendantes de ces extraordinaires outils qui irriguent les activités de notre vie quotidienne : en conséquence, il convient de conserver une réelle indépendance dans l’accès à l’espace.

Aux nombreuses démonstrations de puissance se substitue progressivement une stratégie économique et scientifique.

Pour illustration, l’homme a marché sur la Lune en 1969. Toutefois, le président des États-Unis, Barack Obama, a pris la décision d’abandonner le programme « Constellation » mis en place par son prédécesseur à la Maison Blanche et qui prévoyait notre retour sur la Lune pour 2020.

De toute évidence, les missions d’exploration de l’espace ne seront pas prioritaires au cours des prochaines années, même si la Chine et l’Inde ont exprimé des prétentions en la matière. On se contentera de l’accord conclu entre les États-Unis et l’Union européenne visant à réaliser un vol non habité autour de la Lune. Cette opération est prévue pour 2017.

Néanmoins, les missions vers Mars – planète dont les récentes découvertes ont confirmé que l’ancien environnement était propice à la vie – se poursuivront grâce à la robotique, et peut-être grâce à ces 8 000 volontaires dont Mme Procaccia nous a rappelé l’existence ! §

Si ces missions ne sont pas prioritaires par rapport aux activités économiques, la course aux technologies spatiales reste effrénée.

Dans ce cadre, l’Europe doit réaffirmer sa position et conserver ses compétences dans une activité à très forte valeur ajoutée, et au titre de laquelle il serait risqué de sous-investir. Cinquante ans après les grandes conquêtes technologiques, l’Europe spatiale a encore devant elle un avenir très long, pour ne pas dire infini.

Seule la coopération permettra à l’Europe de relever ce défi et de conserver sa place au sein du club des grandes puissances spatiales auprès des États-Unis, de la Russie, du Japon et de la Chine.

Des projets tels que le système de navigation Galileo ou le GMES, pour l’observation de la Terre, illustrent les avantages de cette coopération. Galileo nous permettra notamment de nous affranchir du GPS américain et de renforcer notre indépendance. Comme M. Sido l’a souligné il y a quelques instants, cette opération a véritablement été réalisée a minima. Toujours est-il qu’elle se poursuit. §Ce constat n’a pas toujours été dressé avec autant de clarté, et je vous en remercie, monsieur le corapporteur.

De plus, l’engagement de l’Europe autour du lanceur de nouvelle génération Ariane 6 est incontournable face à la concurrence, comme l’a pertinemment rappelé le rapport de l’OPECST.

Cependant, le dernier conseil ministériel de l’Agence spatiale européenne, qui s’est tenu le 22 novembre dernier à Naples, n’a pas clairement tranché entre les deux projets à la fois concurrents et complémentaires, Ariane 6 et Ariane 5 ME.

Il s’agit là d’un enjeu primordial. Arianespace rassemble 60 % des commandes dans le marché du lancement de satellites, prenant de l’avance sur le russe Proton et sur l’américain Space X. Les cinquante-trois lancements consécutifs, accomplis avec succès en 2012 pour Ariane 5, démontrant sa forte fiabilité, ont largement contribué à ce succès. Pourtant, les subventions dont Arianespace bénéficie diminuent avec le temps. Elles se sont réduites de 250 millions d’euros à 100 millions euros en une dizaine d’années. Ces atouts doivent donc faire l’objet de tout le soutien des États membres.

Au sein de l’Union européenne, la France joue un rôle essentiel en raison de ses compétences et de son savoir-faire acquis au long de toutes ces années grâce à l’excellent travail du Centre national d’études spatiales, le CNES, que je tiens à saluer.

Cet organisme emploie 2 400 salariés, dont environ 1 700 à Toulouse, ce qui est incontestablement un atout pour la région Midi-Pyrénées. Celle-ci concentre à elle seule le quart des effectifs européens dans ce domaine. En 2012, le conseil régional a contribué à hauteur de 33, 8 millions d’euros en matière de recherche et d’innovation.

En France, la filière spatiale représente environ 13 000 emplois directs – soit deux fois plus qu’en Allemagne – sur lesquels nous ne pouvons pas faire l’impasse. De surcroît, d’après l’Agence spatiale européenne, ils représentent un nombre d’emplois indirects dix fois plus élevé, d’où l’importance de préserver la compétitivité de cette filière industrielle stratégique et garante de notre souveraineté.

De nombreux projets titanesques continuent à être lancés, malgré le manque de financements. Cette aventure en vaut-elle la chandelle ? Je l’ignore. Néanmoins, au regard des avantages que l’on peut tirer de l’espace, il est incontestable que cette nouvelle dimension nous offre un potentiel économique non négligeable.

L’industrie spatiale européenne est alimentée par un budget annuel de 6, 5 milliards d’euros, soit 10 euros par an pour chaque citoyen européen. Comme le rappelle l’Agence spatiale européenne sur son site internet, le coût de cette politique représente le prix d’un ticket de cinéma par habitant de l’Union européenne et par an. En ramenant à cette échelle les sommes colossales qui sont régulièrement évoquées, on observe que l’effort peut être poursuivi !

À ce prix-là, bien dérisoire au regard des enjeux, le groupe du RDSE, profondément attaché aux progrès de la recherche et de l’innovation, ne peut qu’inviter la France, qui contribue déjà activement dans ce domaine, et l’Europe tout entière à relever pleinement ces défis : en la matière, le retour sur investissement bénéficie immédiatement à l’ensemble de nos concitoyens et, plus encore, aux générations futures. §

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