Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite en premier lieu et à mon tour remercier les rapporteurs Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Sido pour la qualité et la clarté de ce rapport de l’OPECST, au moment où notre industrie spatiale européenne doit faire des choix stratégiques majeurs. Ce rapport est tout à fait éclairant.
Alors que la France et l’ensemble de l’Union européenne sont à la recherche d’un nouveau souffle de croissance, et en particulier de croissance industrielle, l’industrie spatiale française et européenne démontre chaque jour son excellence, sa productivité et l’étendue des compétences technologiques de nos ingénieurs.
C’est un sujet de fierté, en particulier pour notre pays. J’en veux pour simple témoignage l’attention et quasiment l’émerveillement de lycéens des Yvelines, venus visiter le site Astrium des Mureaux la semaine dernière, dans le cadre de la semaine de l’industrie. C’est également un message fort sur l’Europe et ses capacités.
Mais l’industrie spatiale n’en est qu’à ses débuts, et les perspectives de croissance liées aux applications et aux services satellitaires en particulier laissent entrevoir des sources de développement économique considérables, à très forte valeur ajoutée pour les États qui s’en empareront. La France doit en être.
La France et l’Europe occupent l’un des premiers rangs mondiaux dans l’industrie spatiale grâce à la clairvoyance et à la pertinence de la vision stratégique de nos prédécesseurs, grâce à la maîtrise de l’ensemble des compétences et à une industrie redoutablement performante. L’industrie française compte 12 000 employés, soit un tiers des effectifs européens, et réalise 50 % du chiffre d’affaires de l’industrie européenne. Notre industrie spatiale française est précieuse.
Les groupes tels que Thales, Astrium, Safran sont des fleurons industriels qui ont créé de véritables filières de production, en collaboration avec des fournisseurs performants de haute technologie et qui sont désormais accompagnés par des filières entières d’activités, particulièrement dynamiques. Autant d’opportunités pour le développement d’entreprises françaises, y compris de PME.
Aujourd’hui, l’observation de la Terre, le renseignement, la météorologie, la géolocalisation et, bien sûr, les télécommunications sont les principaux champs de recherche et d’exploitation commerciale. Ils sont d’ores et déjà créateurs d’emplois, de gains de productivité, d’efficacité civile, mais aussi militaire, naturellement, pour les États qui les maîtrisent. Le champ des applications est très vaste et, je le pense, n’a été qu’à peine effleuré.
La géolocalisation, par exemple, presque familière désormais à tous les conducteurs ou tous les propriétaires de smartphones, est à l’aube de son exploitation. Son utilisation en marketing mobile, par exemple, ouvre d’immenses perspectives. Ainsi, le chiffre d’affaires estimé dans un rapport à 58 milliards d’euros en 2010 devrait atteindre 165 milliards d’euros en 2020, soit un triplement !
L’observation de la Terre offre, quant à elle, des champs d’application infinis en termes d’optimisation de nos modes de vie. Ainsi, le rapport de l’OCDE intitulé « L’espace à l’horizon 2030 » indique-t-il, par exemple, qu’une amélioration des prévisions météorologiques d’un seul degré Fahrenheit permettrait aux producteurs d’énergie d’économiser un milliard de dollars par an !
Que dire, également, de l’utilisation satellitaire pour l’agriculture, si chère à mon cœur ! Une pratique raisonnée, assistée par une observation satellitaire fine de chaque parcelle agricole réduit de façon considérable l’utilisation d’eau, l’apport d’engrais, le recours à des fongicides, des herbicides ou des insecticides, ce qui devrait faire plaisir à nos amis écologistes.
Au-delà de l’enjeu des seules perspectives de croissance économique qu’offrent toutes ces applications commerciales satellitaires, l’espace représente d’abord et avant tout un enjeu de souveraineté.
L’indépendance d’accès aux informations satellitaires est aussi stratégique que notre autonomie énergétique ou alimentaire. Nous devons bénéficier d’un accès souverain aux informations militaires, d’observations et d’analyse. Cela semble évident, mais il est nécessaire de le réaffirmer en cette période budgétaire difficile. Je ne reviens pas sur le caractère décisif de ces capacités au cours des opérations extérieures de la France, y compris dans l’actualité récente.
Au-delà du domaine militaire, ces informations nourrissent la puissance de notre pays, son influence géopolitique et son rayonnement, au travers également d’utilisations culturelles ou humanitaires.
En matière culturelle, par exemple, la promotion de notre langue, la diffusion de la culture européenne, la coopération universitaire, auxquels vous devez être sensible, madame la ministre, ainsi que la diffusion des médias et de l’information sont des enjeux qui vont au-delà de la seule croissance économique.
Même la tradition humaniste de notre pays peut s’exprimer grâce à l’exploitation de l’espace. Je pense bien sûr à la charte « espace et catastrophes majeures », créée voici presque quinze ans par l’ESA et le CNES, et qui permet de coordonner les secours de façon efficace en cas de catastrophes sismiques, météorologiques, ou environnementales. Votre rapport le souligne d’ailleurs fort bien, et fait état de plus de trois cents applications opérationnelles de cette charte dans le monde en dix ans. Le secours aux sinistrés d’Haïti a probablement été une opération emblématique en la matière.
Compte tenu de ces potentiels de croissance presque infinis, compte tenu, également, de l’enjeu géopolitique des applications satellitaires dans tous les domaines, stratégiques, industriels, militaires et commerciaux, la France a le devoir impératif de maintenir sa souveraineté au cœur de l’Europe et avec elle.
Mais cette souveraineté nationale a bien sûr un corollaire : notre souveraineté d’accès à l’espace.
Cette souveraineté commence par notre autonomie à disposer de lanceurs performants, fiables, évolutifs et dont l’économie globale est supportable par les États européens, y compris en ces périodes de crise.
Aussi, reconnaître le maintien de l’autonomie d’accès à l’espace comme un objectif européen prioritaire, en recourant à nos propres lanceurs européens, est absolument essentiel. Nous devons partager cet objectif avec tous les pays membres et contributeurs, y compris avec nos amis allemands.
Bien sûr, la France et l’Europe occupent aujourd’hui une place unique dans l’univers des lanceurs, et je veux dire notre fierté à chaque lancement, d’Ariane en particulier, vous me pardonnerez ce chauvinisme.
Cependant, la concurrence mondiale s’active de façon spectaculaire, engageant des moyens bien supérieurs aux nôtres, comme l’a indiqué mon collègue Bruno Sido il y a quelques instants. Aux États-Unis, avec des acteurs soutenus par la NASA – je pense bien entendu à SpaceX –, mais aussi en Russie, au Japon, en Chine et demain en Inde, sans oublier le Brésil. Tout cela est parfaitement décrit dans votre rapport.
Leader des lanceurs commerciaux, nous devons consolider nos positions, les protéger et pour cela optimiser chaque euro investi, sans aucune déperdition. En ce sens, chacune des recommandations de ce rapport est essentielle.
Réorganiser notre gouvernance européenne spatiale, clarifier les objectifs de notre politique – c’est essentiel –, soutenir une exploration spatiale à coûts limités, créer des filières, surveiller les débris spatiaux : ce sont là des recommandations fortes et tout à fait pertinentes.
Nous devons, en France en particulier, veiller à ce que le partenariat entre la maîtrise d’œuvre des projets de développement portés par le CNES et la maîtrise d’œuvre industrielle portée par Astrium puisse continuer à se renforcer, dans l’intérêt général. Comme cela a été souligné précédemment, l’industrie doit être directement intégrée aux décisions stratégiques.
Nous devons également prendre conscience des conséquences industrielles locales des choix stratégiques retenus par l’Europe et défendus pour la France par le CNES.
Le choix, par exemple, d’un lanceur Ariane 6 à propergols solides, ou PPH, a des conséquences en matière d’organisation industrielle sur les sites historiques d’Astrium ; je pense naturellement au site d’intégration des Mureaux. Il nous faut anticiper les conséquences de ces choix, afin d’opérer une transformation des sites industriels pour y maintenir activité, emplois et compétences.
Les pouvoirs publics ont aussi une responsabilité majeure en ce domaine pour toujours préférer la pérennité d’une excellence industrielle au redressement économique.
Enfin, considérant l’ensemble des recommandations de ce rapport d’information, je souhaite apporter tout mon soutien à celle qui est relative à la nécessité de maintenir les budgets spatiaux malgré la crise.
En effet, ces budgets, publics et militaires, sont à la fois les ferments de la croissance et le gage de notre indépendance sur la scène internationale. La dépense spatiale publique est, je le répète, cruciale pour l’avenir de notre économie, notamment eu égard à son puissant effet multiplicateur : « 1 euro investi dans l’industrie spatiale crée 20 euros de richesse. »
Les crédits du programme « Recherche spatiale » prévus dans la loi de finances pour 2013 s’élèvent à 1, 143 milliard d’euros, soit une progression de 1 % par rapport à la loi de finances pour 2012. Nous pouvons nous réjouir de cette légère évolution, tout en remarquant que cette stabilité globale ne traduit peut-être pas encore assez le caractère prioritaire de la recherche spatiale.
Par ailleurs, je veux évoquer ici l’impact significatif du programme d’investissements d’avenir mis en place par le gouvernement précédent. Ce programme, au travers des dépenses ciblées destinées à améliorer la compétitivité de notre industrie, a ainsi alloué 600 millions d’euros à la recherche dans le domaine spatial.
De notre vision volontariste, partagée sur les différentes travées de cet hémicycle, à soutenir les efforts du secteur spatial dépendront nos capacités à créer de la valeur ajoutée industrielle, technologique et de la créativité technique et commerciale pour les prochaines générations.
Je salue en ce sens les résultats obtenus lors du conseil interministériel de l’ESA à Naples : concernant les lanceurs, le développement d’Ariane 5 ME et la décision de lancer les études pour Ariane 6 ont été obtenus au travers d’une mutualisation des dépenses. Cela permet aux industriels de s’organiser pour préparer la rupture technologique souhaitée et, en même temps, de préserver les compétences en matière de haute technologie présentes à ce jour sur les sites de recherche.
Madame la ministre, le maintien de ces compétences constitue un véritable enjeu, car leur déperdition serait malheureusement irrémédiable. Aussi avons-nous le devoir de soutenir avec force le ministère de la défense pour le maintien des budgets militaires consacrés à la recherche spatiale.
À ce sujet, il convient de préciser que le retard pris par le Livre blanc a des conséquences immédiates sur le maintien des moyens accordés dès 2013 à des sites mixtes, civils et militaires, sur lesquels les forces intellectuelles sont mutualisées. L’activité militaire peut représenter, dans certains sites industriels, deux tiers de l’activité – le site des Mureaux n’est pas le seul à être concerné. Le ralentissement de cette activité aurait des effets immédiats sur les capacités de développement de la partie civile.
Enfin, la dispersion des budgets entre les ministères et sur des lignes non agrégées est probablement un frein qui nuit, ainsi que l’a souligné tout à l'heure l’un de nos collègues, à une véritable vision globale de la politique spatiale, laquelle est trop peu souvent soumise à l’examen du Parlement.
Bien sûr, le maintien de ces budgets est difficile à expliquer aux Français et difficile à obtenir, je l’imagine, en cette période de crise économique, qui touche non seulement la France, mais aussi toute l’Europe. Aussi, l’idée de réintroduire l’espace dans l’intitulé d’un ministère est loin d’être anecdotique.
(Très bien ! sur le banc des commissions.) Cela constituerait en effet un sacré choc !