Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens d’emblée à saluer le travail très approfondi que nos collègues corapporteurs ont réalisé.
Dans le contexte actuel de crise économique, certains peuvent parfois s’interroger sur l’opportunité de continuer à investir dans l’activité spatiale. En effet, la complexité du domaine spatial peut donner l’impression que des budgets très lourds sont en jeu, pour des retours sur investissement peu connus du grand public.
Pourtant, non seulement l’activité spatiale résiste bien à la crise, tirée qu’elle est par les demandes croissantes de nos concitoyens, notamment en matière de télécommunications, mais en outre notre industrie européenne prend toute sa part dans cette dynamique, qui crée de nombreux emplois : 16 000 emplois en France dans le domaine spatial, dont 12 000 dans l’industrie.
L’espace constitue un véritable moteur de compétitivité et de croissance : les activités spatiales ont, dans l’économie, un effet multiplicateur important de l’investissement initial, sans compter les retours, plus difficiles à quantifier et à forte valeur ajoutée sociétale, tels que l’attrait des jeunes pour les études scientifiques, par exemple. J’ai d’ailleurs appris cet après-midi que Jean-Yves Le Gall, avait obtenu, au cours de ses études, une bourse du Centre national d’études spatiales !
Cette compétitivité de l’activité spatiale européenne trouve ses sources dans l’engagement résolu de l’Europe depuis plus de quarante ans à développer une stratégie cohérente et volontariste. Cette politique, qui s’est construite par étapes successives, permet aujourd’hui à l’Europe d’être en excellente position mondiale.
Dès 1975, l’Europe a su fédérer ses forces au travers de l’Agence spatiale européenne pour conquérir et garantir notre accès à l’espace. Elle a su mettre en place un programme scientifique permettant de maîtriser les technologies spatiales et d’explorer des applications innovantes, au service de nos concitoyens.
Quand certaines de ces applications se sont révélées pertinentes, l’Europe a su s’organiser pour les mettre en œuvre : on pourrait citer EUMETSAT, dans le domaine de la météorologie, ou encore EUTELSAT, dans le domaine des télécommunications, qui contribue à la couverture numérique du territoire en très haut débit.
Ce processus se poursuit aujourd’hui au sein de l’Union Européenne, en complémentarité avec l’Agence spatiale européenne et les États membres.
À cet égard, on peut citer le programme Galileo, système de positionnement des satellites, qui garantira l’autonomie de l’Union européenne, notamment par rapport au système GPS américain. On peut aussi évoquer le programme GMES, qui va doter l’Europe d’une capacité d’observation de la Terre, notamment dans le domaine environnemental.
Ainsi, l’Europe se positionne comme un acteur majeur dans le monde.
Si l’Europe spatiale est une réussite incontestable, elle doit toutefois aujourd’hui faire face à une concurrence croissante, avec l’émergence de nouveaux acteurs privés, mais aussi publics, en particulier l’Inde et la Chine, qui ont rejoint les États-Unis et la Russie au rang des acteurs incontournables dans le domaine de l’activité spatiale.
Face à ces nouveaux défis, et parce qu’une politique spatiale se pilote nécessairement sur le long terme, il est indispensable d’anticiper et de créer dès à présent les conditions nécessaires au maintien de la position européenne dans le monde.
Si vous me permettez de développer ce point, on peut identifier quatre conditions majeures.
La première de ces conditions tient évidemment aux moyens et à la part du budget que nous consacrons, au niveau européen comme au niveau national, à la politique spatiale.
Dans un contexte budgétaire extrêmement difficile, nous pouvons nous féliciter des orientations prises par le Gouvernement, et singulièrement le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans le cadre du budget pour 2013. Cela s’est traduit notamment par une augmentation de 3, 7 % de la contribution française à l’Agence spatiale européenne, soit 29 millions d’euros supplémentaires sur une participation française de 799 millions d’euros, le budget global de l’ESA s’établissant à environ 4 milliards d’euros.
Cette contribution permet ainsi de garantir les engagements souscrits par la France et de participer à l’apurement de la dette de l’Agence spatiale européenne, conformément aux engagements pris par la France en 2008.
La deuxième des conditions est de faire évoluer nos lanceurs pour les adapter aux évolutions du marché commercial et institutionnel ainsi que pérenniser notre autonomie en matière d’accès à l’espace.
À cet égard, nous pouvons nous féliciter de la décision du conseil interministériel de l’Agence spatiale européenne, en novembre dernier, à Naples, qui marque l’acte de naissance d’Ariane 6.
Madame la ministre, vous avez réussi à convaincre certains autres États membres, ce dont nous pouvons nous réjouir. Cette nouvelle génération de lanceurs va, par ailleurs, permettre d’optimiser les coûts d’exploitation, tout en préservant les emplois, et garantir notre autonomie en matière d’accès à l’espace.
La troisième condition, à laquelle souscrit l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques - n’étant pas membre de la commission des affaires économiques, c’est de mon bureau que j’ai suivi cet après-midi ses travaux -, est la nécessité d’améliorer notre gouvernance en matière de politique spatiale.
Forts de notre histoire européenne, de nombreux acteurs interviennent dans la politique spatiale européenne.
Ce sont tout d’abord les États membres, au premier rang desquels la France. Premier pays à avoir développé une politique spatiale et à s’être doté d’une agence, le Centre national d’études spatiales, créé en 1961, la France consacre 2 milliards d’euros à cette politique - soit 31 euros par habitant et par an -, dont 799 millions d’euros pour l’Agence spatiale européenne. Le CNES est aussi le premier actionnaire d’Arianespace.
Il faut citer ensuite l’Agence spatiale européenne, créée en 1975, et l’Union européenne, qui dispose d’une compétence propre en la matière depuis 2009.
Il semble aujourd’hui nécessaire de réinterroger cette organisation, afin d’éviter autant que possible que le grand nombre d’acteurs n’entraîne une dispersion des forces et, au final, des moyens.
Concernant la question de la gouvernance, il semble aussi tout à fait essentiel d’associer davantage le monde industriel, en vue d’établir un programme spatial européen pleinement partagé par tous.
Ce dernier point me semble rejoindre la quatrième des conditions, puisqu’il s’agit d’aider l’industrie européenne et française à rester compétitive. Cela doit notamment passer, me semble-t-il, par les investissements d’avenir, qui permettent des financements ciblés répondant à des objectifs stratégiques partagés. D’ailleurs, même si nous devons conserver une politique spatiale française, car elle constitue l’élément moteur de la politique spatiale européenne, ces investissements devraient sans doute à terme être davantage portés par le budget de l’Union européenne.
La filière spatiale parvient bien souvent à réunir ce que l’on a trop tendance à séparer : les grands groupes industriels, les PME, les entreprises de taille intermédiaire et les laboratoires publics. En somme, elle réussit à réunir la recherche fondamentale et l’innovation appliquée à des besoins industriels. Vous êtes, je le sais, madame la ministre, aussi particulièrement sensible et attentive à de telles initiatives, que vous avez accompagnées sur le territoire grenoblois en particulier et dans l’Isère en général, comme je peux en témoigner pour être élu dans ce département.
C’est d’ailleurs en cette qualité que je me permets de citer l’exemple de l’entreprise Air Liquide, mondialement connue et dont le site isérois situé dans l’agglomération grenobloise est né, dans les années soixante, d’une collaboration avec le CNRS de Grenoble.
Par la conception d’oxygène et d’hydrogène liquides, Air Liquide a fourni, dès 1967, le ministère de la défense, puis le CNES. Depuis 1973, le site Air Liquide, en Isère, est étroitement lié à Ariane, puisque l’entreprise assure la propulsion des différents lanceurs.
Les technologies liées à l’hydrogène développées par Air Liquide, qui ont trouvé leurs origines dans la filière spatiale, permettent aujourd’hui des innovations remarquables. Ainsi, l’entreprise développe des véhicules électriques à l’hydrogène et a pour ambition de déployer une filière de l’hydro-énergie en Europe, s’affirmant ainsi comme un acteur clé de la transition énergétique.
Cet exemple est une nouvelle preuve que l’activité spatiale sait essaimer et contribuer au dynamisme de notre activité économique par la recherche et l’innovation qu’elle développe. Il montre aussi que c’est la collaboration entre le public et le privé qui crée l’innovation ; au bout du compte, c’est cette collaboration qui contribue et contribuera au redressement économique de notre pays. Tel est bien, madame le ministre, l’esprit du pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi présenté par le Gouvernement, qui prévoit notamment le développement de trois CEA Tech en région.
Dans le spatial comme dans l’aéronautique, l’Europe a su se montrer exemplaire : en se fédérant autour d’objectifs partagés, elle est devenue compétitive et s’est affirmée comme un acteur incontournable dans le monde. Nos deux collègues Jean-Jacques Mirassou et Jean-Pierre Plancade, élus en Midi-Pyrénées, en savent quelque chose.
À l’heure où l’Europe est souvent sinon décriée, tout au moins critiquée, à l’heure où les États membres doivent faire face à un contexte économique et social difficile, la politique spatiale européenne nous montre combien il est indispensable de rester solidaires et d’aller encore plus loin dans le processus d’intégration européenne.