Madame la présidente, madame la ministre, madame, monsieur les corapporteurs, mes chers collègues, il y a moins d’une semaine, le satellite Planck de l’Agence spatiale européenne a révélé une image de la formation de l’univers d’une qualité exceptionnelle, dix fois plus précise que celle qu’avait proposée la NASA en 2003.
Ce soir, le débat proposé par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques nous projette non pas 13, 8 milliards d’années en arrière, mais dans la vingtaine d’années à venir.
En nous faisant naviguer dans le temps, l’Observatoire spatial européen, qui a secoué le monde des astrophysiciens, révèle le paradoxe de l’image d’une politique spatiale européenne nébuleuse dans au moins trois de ses composantes : son pilotage, sa finalité, sa portée.
Le pilotage de la politique spatiale, c’est-à-dire sa composante institutionnelle, est qualifié de « millefeuille » dans le rapport de l’OPESCT. L’image d’un agrégat friable semble tout aussi juste.
Le projet Planck, qui a retenu notre attention, est développé par l’Agence spatiale européenne, mais il a pour origine la fusion de deux projets, l’un français, l’autre italien, et a demandé la collaboration des Américains. Il est ainsi à l’image de la multiplicité européenne des institutions privées et publiques ayant une compétence générale ou particulière dans le domaine spatial.
Alors que chaque État possède ainsi son agence spatiale dont l’action est coordonnée par l’Agence spatiale européenne, le Traité de Lisbonne dote l’Union européenne de compétences pour élaborer son propre programme spatial.
Les vingt-sept États membres de l’Union européenne ne sont pas tous membres de l’ESA. En effet, l’Agence spatiale européenne compte vingt membres, dont la Norvège et la Suisse, qui ne font pas partie de l’Europe politique. En France, le Centre national d’études spatiales fait figure d’agence spatiale nationale. Toutefois, il faut distinguer, quasiment en son sein, des acteurs opérationnels et institutionnels majeurs, puis ajouter l’ensemble de l’industrie spatiale.
Est-il possible de mener à bien des projets technologiques et industriels avec ces différentes structures ? Les réalisations passées de l’Agence spatiale européenne sont le gage de futures réussites, mais le pilotage de l’Union européenne reste pour le moment problématique.
Le projet Galileo de navigation par satellite est cité en exemple de cette réussite, mais les retards et les difficultés de financement du programme attestent que les montages institutionnels rendent une opération de cette envergure aussi compliquée que complexe, entraînant des difficultés pour imposer le système face à un GPS modernisé.
Le programme européen de surveillance de la Terre, le GMES, est encore plus symptomatique des difficultés du millefeuille institutionnel, la Commission européenne tentant, contre la position des États membres, de se retirer du financement et de faire peser sur les États le coût du projet, estimé à près de 6 milliards d’euros.
Enfin, le programme MUSIS, initialement européen puisqu’il associait huit États membres et l’Agence européenne de défense, marque encore la faiblesse de l’intégration d’une politique spatiale à l’échelle de l’Union européenne.
Dans cette Europe « à la carte », c’est finalement le couple franco-italien qui prend la main pour monter un programme spatial de renseignement, alors que les Britanniques s’en sont déjà remis à un opérateur privé pour leurs télécommunications militaires.
La difficulté d’engager des projets est-elle liée à cette stratification institutionnelle ?
L’importance moindre du budget spatial européen, même si l’on additionne les moyens des différents acteurs, comparée aux budgets américain, russe ou chinois, témoigne de ce manque de direction politique européenne, la contrainte économique étant ressentie partout.
La finalité de la politique spatiale est encore à définir.
L’accès à l’espace est un enjeu : il reçoit des applications dans les domaines économique – télécommunication, localisation, météorologie, aménagement du territoire –, scientifique – surveillance de la planète, réchauffement climatique, exploration spatiale, origine de l’univers – et militaire avec le renseignement, la communication sécurisée et le commandement des opérations.
Deux directions apparaissent alors possibles pour mobiliser face à ces enjeux : la souveraineté et le marché. Est-ce à la souveraineté, entendue comme l’indépendance et l’autonomie, ou au marché, entendu comme la recherche du service à moindre coût, de fonder le ressort d’une politique européenne d’accès et d’utilisation de l’espace ?
La politique de l’Agence spatiale européenne et celle de l’Union européenne contrastent singulièrement sur la direction empruntée.
Alors que l’ESA connaît un principe de retour géographique visant à une participation des États au programme spatial correspondant à leur participation financière, les règles du marché européen ignorent cette volonté des États de voir le fruit de leur effort budgétaire consacré à leur économie nationale.
De même que la sécurité de la double source industrielle pour l’approvisionnement en satellites du projet Galileo est abandonnée par l’Union européenne en raison de son coût, les deux prochains satellites destinés au projet GMES seront lancés par des vecteurs russes, moins onéreux.
Certes, la préservation des ressources publiques doit faire l’objet d’une mobilisation importante de tous les acteurs et la compétitivité de l’industrie spatiale demeurer un objectif important, puisque leur absence conduirait à l’échec certain de toute politique spatiale. Toutefois, l’autonomie et l’indépendance de l’accès à l’espace sont des enjeux de souveraineté que les États de l’Union européenne ne peuvent abandonner aux géants américains, russes, chinois, japonais et bientôt brésiliens et indiens.
En effet, l’enjeu pour ces États est avant tout militaire, et l’Europe ignore complètement cette utilisation de l’espace. C’est encore une juxtaposition de programmes nationaux, bilatéraux ou trilatéraux, qui constitue la politique spatiale militaire en Europe, ce qui entraîne des écarts de 1 à 20 entre la somme de ces budgets et les dépenses américaines.
L’image qui en ressort, celle d’une Union européenne absente du domaine spatial, joue au renfort de la souveraineté des États mais au détriment de la cohésion et de l’intégration européennes ; on en ressent de plein fouet les effets.
Cette absence de l’Europe du domaine spatial se retrouve encore sur le terrain symbolique.
Être une puissance spatiale est un vecteur d’engouement et de fierté, une affaire de prestige et d’affichage politique. La concurrence entre Russes et Américains pour la conquête spatiale, la capacité d’envoyer des taïkonautes chinois dans l’espace, la douloureuse dépendance des Américains pour l’accès à la Station spatiale internationale sont autant d’indicateurs de la puissance symbolique inscrite dans l’accès à l’espace. Mais alors qu’Ariane domine le secteur du lancement des satellites, que l’Europe est capable d’approvisionner la station spatiale, la portée symbolique de la politique spatiale européenne est encore invisible.
La Guyane peut servir de champ d’analyse à ce décalage entre les prouesses technologiques, industrielles et économiques du secteur spatial et leur réception par nos concitoyens.
Malgré une contribution économique non négligeable à l’économie guyanaise ou à l’effort pédagogique du Centre spatial guyanais, les blessures de l’expropriation, le décalage entre la puissance des moyens techniques et sécuritaires mis en œuvre pour le lancement d’une fusée et les conditions de vie des habitants provoquent quelquefois chez les Guyanais, tout au moins une partie d’entre eux, un sentiment d’indifférence à l’égard de l’activité spatiale.
Plus généralement, le rapport qui nous est présenté témoigne de l’inquiétude des membres de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques quant au manque de valorisation du spatial. Je soutiens pleinement la préconisation qui y figure d’indiquer le terme « espace » dans l’intitulé du ministère et de prévoir la saisine régulière du Parlement sur le programme spatial et la stratégie qu’il traduit.
Hélas ! je crains que l’intérêt du spatial ne progresse que fort peu quand je note la différence de tonalité de l’OPESCT entre le rapport de 2007 et celui de 2012.
Dès son titre, Politique spatiale : l’audace ou le déclin », le premier rapport annonçait un thème fort et ne laissait guère de doute quant à la place première qui devait revenir à la politique spatiale européenne dans le monde. Ainsi, le secteur spatial militaire devait se faire, avec ou sans l’Europe ; la maîtrise technologique était nécessaire et « l’exploration et les vols habités, inséparables et inconcevables sans l’Europe ». La question du lanceur était autant d’accompagner les mutations du marché des satellites que de permettre les vols habités.
Aujourd’hui, une même politique volontariste et ambitieuse est soutenue, mais elle est tempérée, peut-être par la crise économique.
Ainsi, la conquête spatiale et les vols habités sont des domaines que la politique spatiale européenne a abandonnés pour elle-même et les secteurs autres que les satellites commerciaux semblent trop peu mobiliser l’intérêt européen.
Sans direction unique, écartelée entre la volonté de souveraineté des États et les contraintes du marché, ignorant la portée symbolique de la conquête spatiale, la politique européenne en la matière offre, on l’espère, un reflet déformé et temporaire de l’intégration politique, industrielle et spatiale de l’Union européenne. Le succès français, italien et allemand que constitue la décision prise à l’issue de la conférence interministérielle des 20 et 21 novembre dernier de lancer le programme d’Ariane 6 ne demande qu’à être partagé avec l’ensemble des partenaires européens.