Si nous avons pu faire prévaloir notre vision auprès de nos interlocuteurs allemands, et cela n’a pas été facile, c’est que nous avons respecté quelques conditions préalables qu’il me paraît indispensable de conforter à l’avenir.
Je vois une première condition dans l’expertise d’une filière complète, depuis la recherche fondamentale jusqu’à la valorisation et au transfert vers l’industrie, dans toute sa diversité, qu’il s’agisse des grands groupes comme Safran, Astrium, TAS, Air Liquide, ou des ETI, PMI et PME, sans opposer les uns aux autres.
Je vois une deuxième condition dans la solidarité d’une « équipe France » qui, in fine, a joué groupée, et dont les membres ont su renoncer à faire valoir leurs intérêts spécifiques pour s’accorder sur un projet commun et cohérent.
C’est cette intelligence collective qui a prévalu à Naples, et je tiens à saluer tous les artisans de ce succès - publics et privés -, au premier rang desquels le CNES – je rends hommage à Yannick d’Escatha, qui a depuis pris sa retraite -, mais aussi Arianespace et l’ESA, à travers notamment son directeur général, Jean-Jacques Dordain.
Rien n’était acquis d’avance, et tous ont largement contribué à cette issue heureuse.
Il s’agit, troisième condition, d’anticiper, en jouant toujours un coup d’avance, car nous sommes dans un monde où les mutations sont rapides, avec un marché très évolutif. Les pays émergents investissent beaucoup dans la recherche-développement. Ils ont davantage de facilité pour le faire que les pays européens.
Il s’agit, quatrième condition, de préserver et de développer l’emploi et l’expertise industrielle, avec la recherche de solutions évitant les ruptures de charges et la fragilisation des emplois. C’est une priorité pour le Gouvernement.
Enfin, cinquième condition, au-delà de nos frontières, il s’agit de construire un projet fédérateur pour la France et pour l’Europe, en nous appuyant sur des alliances avec l’Italie, la Suisse, le Luxembourg qui ont très bien fonctionné à Naples, et qui ont facilité l’accord final avec notre partenaire allemand.
Le spatial est un exemple dont de grands secteurs industriels pourraient utilement s’inspirer. Il contribue, grâce à la diffusion de technologies de pointe dans de nombreux secteurs industriels, au redressement du pays par l’innovation et la compétitivité-qualité, la seule durable.
Vous avez également été nombreux, au cours du débat, à évoquer la question des relations entre l’Union européenne et l’Agence spatiale européenne.
Nous abordons ici un sujet qui, je crois, est d’une très grande importance pour le présent, au travers des programmes Galileo et GMES, ou en cours de développement, mais aussi pour le futur de l’activité spatiale en Europe. Le Traité de Lisbonne ayant conféré à l’Union européenne une compétence spatiale parallèlement à celle qui est exercée par ses États membres, il convient maintenant d’en clarifier les contours, au plan tant du contenu que des modalités d’application, pour former une politique spatiale ambitieuse, à la hauteur des enjeux qui se présentent au continent européen.
C’est une formidable occasion qui nous est offerte. Rendons-nous compte : entre Galileo – 6, 3 milliards d’euros –, GMES – 3, 8 milliards d’euros – ou le grand programme-cadre européen Horizon 2020 – 1, 2 milliard d’euros pour le secteur, ce ne sont pas moins de 11, 3 milliards d’euros qui seront consacrés au spatial par l’Union européenne durant la période 2014-2020, soit un budget annuel de 1, 6 milliard d’euros, supérieur à la moitié du budget annuel de l’Agence spatiale européenne !
C’est considérable, et cette montée en puissance s’est faite dans une période relativement courte, sur une décennie. Le chemin parcouru est vraiment très impressionnant.
S’il s’agit incontestablement d’un grand succès, il convient néanmoins de clarifier la gouvernance du spatial en Europe. Le sujet a été évoqué sans tabou à Naples, et plus récemment à Bruxelles.
Il s’agit, pour l’essentiel, d’organiser les relations entre l’ESA et l’Union européenne. Rien ne serait pire que l’Union européenne mettant en place une agence doublon de l’ESA. La réactivité de l’ESA est appréciée de tous les pays membres et je crois qu’il faut la préserver. Je l’ai dit récemment à Bruxelles, lors d’un débat présidé par le Commissaire européen à l'industrie et à l'entreprenariat, Antonio Tajani, également vice-président de la Commission européenne.
Ce sujet était déjà sur la table lors du conseil ministériel de l’ESA à Naples. Les ministres ont adopté, à l’unanimité, une déclaration politique sur l’avenir de l’Agence. Cette déclaration prévoit que les travaux devront être menés en collaboration avec la Commission européenne et faire l’objet de propositions lors la prochaine conférence ministérielle de l’ESA, en 2014.
Du côté Union européenne, une communication de la Commission européenne, intitulée « Instaurer des relations adéquates entre l’Union européenne et l’Agence spatiale européenne », a été publiée le 14 novembre 2012. Le conseil Compétitivité, qui s’est tenu à Bruxelles le 12 décembre dernier, j’y ai fait allusion à l’instant, a été l’occasion d’un échange de vues extrêmement riche et direct sur ce sujet.
Toutes les options pour un rapprochement de l’ESA vers l’Union européenne seront étudiées, notamment la solution qui nous apparaît aujourd’hui comme la plus prometteuse et qui consisterait à placer l’ESA sous l’autorité de l’Union européenne, en lui conservant son caractère d’agence intergouvernementale, ce qui lui permettrait de continuer à mener des programmes non communautaires pour le compte de ses États membres.
Nous veillerons à ce que les évolutions de l’ESA soient bénéfiques à l’ensemble de la communauté spatiale, notamment aux communautés utilisatrices. Je pense, en particulier, à celles qui sont regroupées au sein d’EUMETSAT pour l’exploitation des satellites météorologiques.
Pour ce qui est du SSA, ou Space Situational Awareness, la France est en pointe, grâce notamment à l’engagement de la défense.
Le caractère dual de la plupart des recherches est extrêmement important ; il faut le préserver. C’est ce qui a poussé l’excellence de la recherche française et de ses applications. La France a ainsi développé une coopération avec l’Allemagne : après un premier programme ESA, nous sommes en train de mettre sur pied une initiative dans le cadre d’Horizon 2020, preuve, là encore, d’une belle complémentarité.
La politique industrielle spatiale européenne constitue le deuxième thème de discussions au sein du conseil Compétitivité, dont la prochaine réunion, le 30 mai, devrait être l’occasion de donner des orientations sur un sujet qui a fait l’objet d’une communication de l’Union européenne le 28 février dernier.
Nous soutenons les cinq objectifs énumérés dans ce document : premièrement, mettre en place un cadre réglementaire cohérent et stable – c’est fondamental –; deuxièmement, continuer à développer une base industrielle compétitive, solide, efficace et équilibrée en Europe et soutenir la participation des PME en accompagnant leur croissance, afin qu’elles deviennent des entreprises de taille intermédiaire solides au plan national et international ; troisièmement, soutenir la compétitivité mondiale de l’industrie européenne, en encourageant le secteur à devenir plus rentable tout au long de la chaîne de valeur ; quatrièmement, développer les marchés pour les applications spatiales et les services ; enfin, cinquièmement, assurer la non-dépendance technologique et l’accès indépendant à l’espace. L’importance de ce dernier enjeu a été soulignée à juste titre par nombre d’entre vous.
Nous sommes particulièrement sensibles aux propositions de l’Union européenne en vue de l’élaboration d’une politique européenne pour assurer un accès indépendant à l’espace. Il s’agit à nos yeux d’un élément de crédibilité pour l’Europe, car il ne peut y avoir de politique spatiale sans politique d’accès à l’espace.
Nous soutenons également les efforts déployés par l’Union pour encourager la participation des PME qui contribuent à la compétitivité de l’industrie européenne, notamment par le développement des applications aval, ainsi que ses efforts en matière de financement de la recherche-développement au travers du programme Horizon 2020.
Les enjeux économiques et sociétaux du secteur spatial ont fait l’objet de nombreux développements de votre part, tous très pertinents.
Je voudrais à mon tour dire à quel point l’espace représente un objectif stratégique pour la France et pour l’Europe, du fait des enjeux de défense et de sécurité qu’il recouvre et de la diversité de ses applications. Ces dernières concernent de nombreux secteurs de la vie du pays, qu’il s’agisse de l’observation de la Terre et de l’environnement, des télécommunications ou encore du triptyque « localisation, navigation, datation par satellite ».
Au-delà des 16 000 emplois directs qu’il représente en France, ainsi que du retour sur investissement de vingt euros pour un euro investi – il me semble reconnaître là une petite musique chère au président du CNES §, le secteur spatial est source de développement technologique et d’innovations qui irriguent l’ensemble du tissu industriel. Les infrastructures spatiales constituent souvent de véritables clés de voûte pour des applications et des services bien plus vastes.
L’espace est ainsi à la fois un outil de développement économique et une composante essentielle de l’autonomie de décision et d’action de la France et de l’Europe.
Il constitue également un formidable champ d’étude, tant pour les sciences de l’univers que pour celles de la Terre ou de la physique fondamentale.
La politique spatiale française doit pouvoir s’appuyer sur des capacités industrielles nationales techniquement performantes et compétitives. Le modèle économique de notre industrie repose notamment sur une présence importante du secteur commercial, ce qui conditionne les emplois.
La concurrence croissante de l’industrie américaine en particulier – nous constatons son retour en force aussi bien dans le domaine des télécommunications que dans celui des lancements associés – mais aussi, à terme plus ou moins rapproché, des pays émergents que vous avez tous cités, constitue un véritable défi.
Pour le relever, j’ai décidé, en plein accord avec mon collègue ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian, d’instituer un comité de concertation État-industrie, le COSPACE, à l’image de celui qui existe dans le domaine de la recherche aéronautique civile, le CORAC. Ce comité aura pour objectif principal d’élaborer des feuilles de routes technologiques permettant la convergence des efforts de l’ensemble des acteurs nationaux.