En effet, dans la très grande majorité des cas, les parents continuent de percevoir l’intégralité des allocations familiales, alors même que l’un ou plusieurs de leurs enfants sont confiés à l’ASE.
Ce constat, qui émane principalement des départements, a été confirmé par les représentants des juges, même si, on peut le regretter, il n’existe pas de statistiques nationales permettant de chiffrer précisément ce phénomène. N’ayant le choix qu’entre retirer ou maintenir les allocations à la famille, le juge opte le plus souvent pour la seconde solution, si bien que le principe du versement à l’ASE n’est effectif que dans un nombre minoritaire de situations.
Il est effectif lorsque les faits à l’origine du placement sont graves, comme la maltraitance, par exemple. Dans un tel cas, rien ne peut en effet justifier le maintien des allocations à la famille.
Il l’est également lorsque le dialogue avec la famille est impossible : si les parents ne sont pas prêts à coopérer, le juge suspend – du moins dans un premier temps – le versement des allocations.
Il l’est encore lorsque le placement à l’ASE s’inscrit dans la durée : dans les cas de placement long, les chances de retour au foyer sont très faibles, il n’y a donc pas lieu de maintenir le versement des allocations aux parents.
Il l’est, enfin, lorsque le juge ne statue pas sur le versement des allocations familiales : dans ce dernier cas, celles-ci reviennent de droit à l’ASE, qui doit alors se manifester auprès de la caisse d’allocations familiales pour en être le bénéficiaire.
Cette situation n’est pas satisfaisante, et ce pour deux raisons.
Premièrement, le législateur ne peut admettre que la pratique ignore l’esprit de la loi, en l’occurrence celle de 1986.
Deuxièmement, sur le plan des principes, il est difficilement concevable que des familles qui n’assument plus la charge effective et permanente d’un enfant continuent de percevoir l’intégralité des allocations familiales, au même titre que les familles dont les enfants ne sont pas placés ; il s’agit d’une question de justice et d’équité.
Dès lors, la proposition de loi poursuit un double objectif : revenir à la volonté initiale du législateur – les allocations familiales doivent bénéficier à la personne, physique ou morale, qui assume la charge effective de l’enfant – et laisser la possibilité au juge de maintenir la part d’allocations dues au titre de l’enfant placé à la famille, tout en l’autorisant à la répartir entre celle-ci et l’ASE.
Dans cette perspective, la version initiale de l’article 1er apportait trois modifications au dispositif existant : elle supprimait la saisine d’office du juge ; elle permettait au juge, saisi par le président du conseil général, de se prononcer sur l’attribution des allocations au vu d’un rapport établi par le service de l’ASE ; elle l’autorisait à octroyer, totalement ou partiellement, les allocations à la famille.
J’en viens maintenant à la seconde mesure du texte, qui concerne l’allocation de rentrée scolaire.
Cette allocation, versée sous conditions de ressources, vise à compenser les frais spécifiques résultant de la rentrée scolaire, en particulier les frais de fournitures.
En l’état actuel du droit, lorsqu’un enfant est confié à l’ASE, cette allocation continue d’être entièrement versée à la famille, et ce alors que le département supporte la totalité des dépenses liées à la scolarisation de cet enfant. Cette situation n’est pas, elle non plus, acceptable sur le plan de l’équité entre les familles. En effet, celle dont l’enfant est confié à l’ASE, et qui, par conséquent, n’a plus à financer les dépenses de fournitures scolaires, continue de bénéficier de l’allocation de rentrée scolaire au même titre que la famille assumant effectivement ces dépenses.
Pour mettre fin à cette incohérence, l’article 2 de la proposition de loi initiale insérait, dans le code de la sécurité sociale, le principe selon lequel l’allocation de rentrée scolaire due au titre d’un enfant placé à l’ASE est versée à ce service. Sur le modèle du régime d’attribution des allocations familiales, l’article prévoyait toutefois la possibilité pour le juge, sur saisine du président du conseil général, de maintenir totalement ou partiellement le versement de l’allocation de rentrée scolaire à la famille.
Sur ma proposition, notre commission a apporté trois importantes modifications de fond au texte initial.
En premier lieu, elle a rétabli la saisine d’office du juge. En effet, la question du maintien ou non des allocations à la famille est une conséquence directe de la décision de placement judiciaire, dont il est logique que le juge puisse se saisir d’office. Les allocations familiales constituent un instrument de politique judiciaire indispensable au travail de pédagogie que le juge mène avec les parents, dans le but de remédier à leurs défaillances et de permettre, si les conditions sont réunies, un retour de l’enfant dans sa famille.
En deuxième lieu, afin que le rétablissement de la saisine d’office du juge ne perpétue pas la pratique actuelle du maintien quasi systématique du versement des allocations à la famille, le texte issu de nos travaux précise que ce maintien ne pourra être que partiel. Dès lors, le juge devra répartir le montant de ces allocations entre la famille et l’ASE. À ce titre, il est proposé que la part versée aux parents n’excède pas 35 %.
J’insiste sur le fait que ce dispositif de répartition des allocations entre la famille et l’ASE – un tiers pour la première, deux tiers pour la seconde – constitue une solution équilibrée entre, d’une part, le souci de ne pas pénaliser les familles et, d’autre part, la volonté de reconnaître la charge que supportent les services départementaux, charges qui étaient, jusqu’ici, assumées par les familles.
En outre, la possibilité pour le juge de moduler la part attribuée aux parents présente un double avantage.
Tout d’abord, elle lui permettra d’ajuster sa décision aux situations individuelles, en lieu et place de la règle actuelle du « tout ou rien ». Le juge aura donc davantage de souplesse. À l’occasion du réexamen d’un dossier, il pourra, par exemple, faire évoluer cette part en fonction des progrès accomplis.
Ensuite, elle rendra le dispositif plus incitatif vis-à-vis des parents puisque, en cas de retour de l’enfant dans sa famille, ceux-ci retrouveront l’entier bénéfice des allocations familiales.
En troisième lieu, je rappelle que le principe du versement de l’allocation de rentrée scolaire à l’ASE a été approuvé par les représentants des juges que nous avons auditionnés : « L’allocation de rentrée scolaire vise un objectif précis : le financement des fournitures scolaires lors de la rentrée des classes. Il est logique que cette dépense, si elle est assurée par l’ASE, lui soit versée. »
Contrairement aux allocations familiales, l’allocation de rentrée scolaire ne constitue pas, pour les juges, un outil de négociation avec les parents. Il n’y a donc pas lieu que ceux-ci interviennent dans le processus d’attribution de l’allocation ; ils n’en sont d’ailleurs pas demandeurs. C’est pourquoi la commission a supprimé les dispositions de l’article 2 prévoyant pour l’allocation de rentrée scolaire des modalités d’intervention du juge analogues à celles qui sont prévues pour les allocations familiales.
Au final, la proposition de loi, telle que modifiée par notre commission, apporte une réponse équilibrée à la question du bénéficiaire des allocations familiales en cas de placement de l’enfant. Elle réaffirme la volonté initiale du législateur, améliore la pratique des juges en leur permettant de moduler le versement de ces allocations et restaure l’équité entre les familles. Quant à l’allocation de rentrée scolaire, elle pose un principe qui n’est guère contestable au regard de cette même équité.