Intervention de Xavier Nau

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 27 mars 2013 : 2ème réunion
Refondation de l'école de la république — Audition de M. Xavier Nau rapporteur pour avis du conseil économique social et environnemental

Xavier Nau :

L'exercice est délicat tant les sujets abordés ont été variés.

Le sujet de l'orientation a été mentionné par plusieurs intervenants. L'idée, réaffirmée par le projet de loi, que l'orientation ne doit pas être un couperet pour l'élève n'est certes pas nouvelle mais nulle politique, jusqu'alors, n'a réussi à dépasser ce paradigme. De fait, la décision d'orientation continue à être considérée, par les élèves qui la subissent sans la choisir, comme un couperet. Il est d'ailleurs intéressant de noter que l'on utilise, dans notre système éducatif, l'expression « être orienté », c'est-à-dire la voix passive du verbe. À ce titre, la notion de « parcours » développée par le projet de loi de refondation pour l'école ne constitue pas une véritable nouveauté. Il faut donc prendre garde à ce que ce principe ne demeure pas un voeu pieux, comme cela a été le cas par le passé.

La loi du 18 juillet 2011 pour le développement de l'alternance, la sécurisation des parcours professionnels et le partage de la valeur ajoutée, dite loi Cherpion, a ramené à quatorze ans l'âge minimum permettant d'entrer en apprentissage. Or, les études nationales et internationales montrent toutes qu'une orientation trop précoce est une erreur : le niveau global d'éducation d'une population est d'autant plus élevé que le socle commun d'éducation est long. Ainsi, après les résultats décevants de l'étude PISA de 2000, l'Allemagne est revenue sur sa politique d'orientation précoce. En ce sens, le projet de loi va dans le bon sens lorsqu'il propose de porter à quinze ans l'âge minimum de l'orientation en apprentissage. Pour autant, il faudra trouver des solutions pour les élèves qui peinent à suivre une scolarité classique jusqu'à cet âge. Il convient d'éduquer les élèves au choix, selon un double principe de réalité - le niveau de compétences et les besoins du marché du travail - et d'aspiration personnelle. Ce n'est que si l'orientation devient le choix de l'élève que la notion de parcours éducatif défendue par le projet de loi a un sens.

Je parlerai rapidement de la formation des enseignants du privé. Les accords Lang-Cloupet de juin 1992 signés entre le ministère de l'éducation nationale et l'enseignement catholique prévoyaient que les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) pilotaient la formation de l'ensemble des enseignants, en conservant des stages dans les établissements privés pour les enseignants concernés. La loi d'orientation et de programme pour l'avenir de l'école du 23 avril 2005, qui introduit la « mastérisation », a modifié cette organisation, tandis que la loi du 5 janvier 2005, dite loi Censi, réaffirmait la qualité d'agents publics des enseignants du privé. Il a semblé important à notre section d'indiquer dans son rapport que, dans le respect des spécificités de l'enseignement privé, la maîtrise d'oeuvre en termes de formation des enseignants devait, pour tous, être confiée aux écoles supérieures du professorat et de l'éducation, même si certaines formations pouvaient être déléguées à d'autres organismes publics ou privés.

En réponse à Mme Corinne Bouchoux sur le sujet de la coopération entre élèves préférable à la compétition, j'indiquerai que le Conseil économique, social et environnemental avait proposé d'amender l'article 3 du projet de loi initial pour y faire figurer la pédagogie coopérative. Las, cet article a purement et simplement été supprimé par l'Assemblée nationale au motif qu'il n'était pas possible de citer in extenso dans le code de l'éducation les valeurs de la République. Je le déplore. En effet, l'examen des résultats de l'étude PISA montre que les élèves français sont inhibés : plus que d'erreurs, leurs mauvais résultats résultent de l'absence de réponse à certaines questions. A mon sens, cette attitude défensive est le signe de leur crainte d'une notation par trop négative. Dans notre rapport de 2011 sur l'instauration du socle commun de compétences, nous avions indiqué que si l'évaluation de l'élève au travers ses strictes notions « acquis/non acquis » pouvait sembler primaire à certains, la variation de cette évaluation dans le temps (l'élève n'est pas noté à un moment M mais son acquisition des compétences requises est mesurée tout au long de l'année) permet de redonner confiance aux élèves en difficulté : l'élève est noté lorsqu'il a réussi, même si sa réussite est plus tardive que celle d'autres élèves de la classe.

S'agissant du redoublement, je redis combien son usage est démesuré en France. Il est utilisé par facilité, à défaut de rechercher une solution alternative. Or, son utilité est douteuse, mis à part, peut-être, au lycée. A tout le moins, il conviendrait d'en limiter le recours aux classes de fin de cycle.

Pour ce qui concerne l'enseignement agricole, il me semble utile de rappeler qu'il n'est pas organisé à la même échelle ni suivant les mêmes structures que l'enseignement dit classique. Ainsi, il lui a été confié une mission d'animation des territoires, qui implique, pour ces établissements, un ancrage territorial bien supérieur, notamment pour ce qui concerne les débouchés professionnels. Pour autant, il me semblerait intéressant de s'inspirer des réalisations de ces établissements, comme de celles des lycées professionnels d'ailleurs, en matière de pédagogie.

S'agissant de ce qu'il est convenu d'appeler l'enseignement de la morale, convenons ensemble que, pour de multiples raisons, les institutions qui transmettaient ces valeurs sont aujourd'hui décrédibilisées et que ces valeurs elles-mêmes sont désormais mouvantes, en écho au développement du multiculturalisme dans notre société. De nombreux jeunes confondent leur identité personnelle et leur appartenance à un groupe : il est essentiel de les aider à construire leur propre identité, dans le respect de leurs différentes appartenances, et à développer leur esprit critique. Cette construction doit avoir pour objectif de faire émerger chez chacun une exigence d'universel ; c'est le rôle de l'école.

Concernant le rôle des collectivités territoriales, notre rapport insiste sur les synergies nécessaires entre les établissements et les territoires. Au-delà des cinq à six heures passées quotidiennement dans l'établissement, le jeune a une vie de quartier, de commune. Il s'agit donc de réfléchir à un temps éducatif global pour l'aider à grandir et à évoluer en dehors du strict cadre scolaire. Certaines cultures disposent ainsi qu'« il faut tout un village pour élever un enfant », ce qui, je vous l'accorde, est très éloigné de notre modèle éducatif républicain centralisé. Oui, confier ce temps éducatif aux collectivités territoriales, c'est accepter les différences et les variations entre les territoires, mais je crois qu'il convient de faire confiance aux acteurs locaux pour lutter contre les inégalités qu'ils constatent mieux que quiconque sur leur territoire. En revanche, ils ne pourront assumer cette nouvelle mission sans aide, tant financière qu'en matière d'ingénierie éducative, comme l'a récemment rappelé l'Association des maires de France (AMF).

À Mme Maryvonne Blondin, j'indiquerai enfin, pour le déplorer, que le rapport de notre section, dont le Professeur Etienne n'est malheureusement pas membre, ne s'est pas penché sur le sujet de l'éducation à la santé dans les établissements scolaires.

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