A mon tour de vous remercier d'avoir accepté que la commission organise cette table ronde. C'est une thématique qui me tient à coeur depuis déjà longtemps ; j'ai régulièrement attiré l'attention des différents ministres de l'environnement sur la nécessité de parler enfin sérieusement des filières des énergies marines renouvelables. Depuis quelques temps, il y a une reconnaissance de ces filières, ce dont je me réjouis, car l'hydrolien, en particulier, s'inscrit dans une perspective de développement durable évidemment, mais également économique. Je souhaiterais que nous ayons un temps d'avance, puisque nous en avons les capacités, afin que nous ne refaisions pas les mêmes erreurs que pour le photovoltaïque ou l'éolien terrestre.
Lionel Lemoine, directeur du département ressources physiques et écosysèmes fond de mer de l'Ifremer. - Je suis le directeur du département ressources minérales, énergétiques, et écosystèmes de fond de mer de l'Ifremer ; je suis également directeur de l'institut Carnot Ifremer et participe aux travaux de l'alliance ANCRE, impliquée dans la programmation pour les travaux de recherche dans l'énergie au sens large. Nous travaillons aussi, dans le cadre du débat pour la transition énergétique, afin d'établir différents scénarios et de placer les sources d'énergies marines renouvelables dans un nouveau mix énergétique.
Les sources d'énergie marine, en tant que sources de production d'électricité, sont les vagues, les marées, les courants, les hydroliennes, le vent, et l'énergie thermique des mers. L'énergie osmotique en est encore au stade de la recherche et n'est pas déployable à un niveau suffisant.
Sur l'ensemble, c'est l'éolien offshore posé qui est le plus développé au niveau international. Les autres technologies sont encore au stade de démonstrateur ou de recherche et développement, avec la nécessité de bien prendre en compte les performances environnementales. En France, nous avons identifié un total de 500 équivalents temps plein au niveau de la recherche publique.
ANCRE a établi trois scénarios pour le mix énergétique à horizon 2050, un scénario de sobriété renforcée, un scénario de décarbonation par l'électricité, et enfin un scénario passant par des vecteurs diversifiés. Les énergies marines sont des énergies intermittentes, mis à part l'énergie thermique des mers, ce qu'il faut anticiper pour les insérer dans un mix énergétique. Il faudra assurer un potentiel de production constant. D'ici 2050, des évolutions importantes pourraient intervenir et renouveler le paysage, comme le développement du stockage de l'énergie, ou le développement de nouvelles filières d'hydrogène. Des problèmes se posent quant au raccordement. Une étude récente réalisée par RTE montre que si l'on veut produire, par exemple dans le Cotentin, au raz Blanchard, il faudra développer le réseau de raccordement afin qu'il soit à même d'accepter la puissance produite.
La question des coûts est essentielle dans la perspective du développement de ces technologies. L'hydrolien coûte aujourd'hui 200 à 250 euros le MWh. Le challenge est de parvenir à faire baisser ces coûts pour être compétitif et obtenir une énergie à la fois renouvelable et bon marché. Les filières sont émergentes, mais avec l'évolution du marché et la résolution de verrous technologiques, il sera possible d'atteindre des coûts de production de l'ordre de 100 euros le MWh.
Sur la filière éolienne, des travaux de recherche sont en cours, en particulier sur l'éolien posé pour lequel des marges de progrès existent, et sur l'éolien flottant, avec des avancées qui pourraient voir le jour, grâce au soutien de l'ADEME, sur deux filières, l'axe horizontal et l'axe vertical. Un des intérêts de l'offshore est l'impact environnemental. C'est également un secteur fortement porteur d'emplois. L'éolien offshore pourra représenter une part significative du mix énergétique à l'horizon 2030.
La filière hydrolienne utilise les courants marins. C'est un marché encore en construction. Des projets de démonstrateurs existent. Le potentiel est limité, malgré le fait que nous possédions le deuxième gisement hydrolien en Europe. Les dernières études Ifremer indiquent qu'on peut tabler sur un potentiel de 400 MW de puissance installée en 2020. C'est une production intermittente, totalement prédictible sur le long terme. Des installations de fermes pilotes existent à Paimpol-Bréhat, Ouessant, et au raz Blanchard, avec une capacité de 40 à 50 MW par parc. Le facteur de charge moyen est de 40 %. Le raccordement au réseau peut être un frein. Des travaux de recherche sont en cours, sur des turbines à axe vertical ou horizontal, ou encore des turbines réversibles. L'impact environnemental de l'hydrolien est très faible, dans la mesure où tout est immergé, même s'il faut tenir compte des éventuels conflits d'usage.
La filière houlomotrice représente un potentiel théorique élevé, incitant à la création de nombreux concepts. Elle est encore aujourd'hui peu mâture, et nécessite pour se développer une rupture technologique. De nombreux concepts, flottants ou oscillants sous-marins, sont à l'étude. Les contraintes subies du fait des vagues, du vent, et des courants, sollicitent de manière générale fortement la résistance des installations. Les structures occupent une surface importante, qui nécessite là encore de gérer les conflits d'usage.
La filière d'énergie thermique marine a un potentiel élevé dans les zones intertropicales. L'Ifremer a beaucoup travaillé sur ces questions dans les années 1980. Des consortiums privés se penchent aujourd'hui dessus. Les débouchés sont en effet nombreux : production de froid, climatisation, eau douce.
Les projets de recherche et développement en cours sur les énergies marines renouvelables sont nombreux. L'enjeu est notamment d'arriver à baisser les coûts totaux de production et de régler certains points. Sur l'impact environnemental, les installations modifient parfois le trait de côte, voire, localement, le mouvement des courants, ou encore le milieu maritime vivant. Des programmes de recherche sont déposés au niveau national et conduits dans des instituts de recherche, des universités, ainsi qu'au sein de l'IEED France énergies marines. On retrouve le même type de programmes dans les pays européens et à l'international. Il est important qu'il y ait un appui de l'État pour pouvoir développer la recherche, rendre compétitives nos entreprises et promouvoir la filière.
L'Ifremer mène pour sa part essentiellement des programmes d'études sur l'évaluation de la ressource. Il faut pouvoir estimer le gisement pour bien l'exploiter, avec des convertisseurs d'énergie. Nous participons également à des recherches sur le comportement des structures en mer, sur les impacts physiques et biologiques des installations, et à des travaux de démonstrateurs. Nous sommes impliqués dans l'IEED France énergie marine.