Intervention de Jean-Louis Bal

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 26 mars 2013 : 1ère réunion
Energies marines renouvelables — Table ronde

Jean-Louis Bal, président du syndicat des énergies renouvelables :

Le syndicat des énergies renouvelables (SER) est l'association professionnelle qui regroupe l'ensemble des filières, depuis la recherche et développement jusqu'aux marchés. Ce syndicat regroupe 8 filières, 450 entreprises, dont 50 grands groupes, mais pour l'essentiel des PME et des ETI.

Je ne vais pas parler des énergies marémotrices, arrivées à maturité. A part le site de la Rance, il n'en existe pas d'autre qui pourrait être exploité sans causer de forts impacts sur l'environnement. Classées dans un ordre décroissant de maturité, les énergies marines renouvelables sont les suivantes : l'énergie hydrolienne, l'éolien flottant, l'énergie houlomotrice, l'énergie thermique des mers, et, si l'on est très futuriste, l'énergie osmotique résultant de l'attirance entre eau douce et eau salée. Cette dernière correspond à peu près à une chute d'eau de 270 mètres : il y a une énergie considérable à l'embouchure des fleuves, mais savoir comment la capter est une autre question... S'agissant de l'énergie thermique des mers, une utilisation existe déjà dans les départements d'outre-mer, le sea water air conditioning (SWAC), par laquelle on puise de l'eau froide à 4° à mille mètres de profondeur, que l'on utilise pour faire du refroidissement ou du conditionnement d'air. Il n'y a qu'un seul acteur en France (deux dans le monde) dans ce domaine, à la Réunion.

L'énergie marine est prévisible : on ne peut pas la qualifier d'intermittente. Cet adjectif est déjà inapproprié pour l'éolien terrestre et le photovoltaïque. Il signifie que quand on connaît la ressource à un instant donné, on ne la connaît pas à l'instant suivant. Toutes ces énergies sont prévisibles, mais avec des délais différents suivants les technologies. Les courants de marée exploités par l'hydrolien, par exemple, sont prévisibles. Il y a également une grande prédictibilité au niveau de l'éolien flottant, beaucoup plus importante que pour l'éolien terrestre, et à plus long terme. Plusieurs entreprises, grands groupes ou PME, sont en train de développer des projets dans ce domaine, financés dans le cadre des appels à manifestation d'intérêt (AMI) de l'Aeme. L'énergie houlomotrice est aussi prédictible, de même que l'énergie thermique des mers. La variation de température entre les fonds marins et la surface est en effet très faible dans les pays tropicaux.

Pour résumer, nous disposons d'un potentiel important, auquel s'ajoutent les centres de recherche et les acteurs industriels. S'agissant des freins à lever, une première étape a été franchie avec les AMI de l'Ademe qui ont permis la mise en place de démonstrateurs. Il faut aujourd'hui définir une feuille de route, dépassant l'horizon 2020, avec les différentes étapes et les modes de financement correspondants. Il faut mettre en place des mécanismes de soutien aux fermes-pilotes, afin de tester la fiabilité technique et financière non plus d'une seule machine mais de tout un ensemble, en cherchant le meilleur moyen : appel à manifestation d'intérêt, subvention, un peu complétée par des tarifs, dans le cadre d'appels d'offres avec tarifs imposés ou d'appels d'offres avec tarifs déterminés par les postulants. Nous attendons aujourd'hui une décision rapide à ce sujet. Un certain nombre de mesures d'ordre réglementaire sont également nécessaires pour pouvoir aller au-delà des fermes-pilotes et développer des installations à l'échelle industrielle. Je n'y reviens pas, ce sont les mêmes que pour l'éolien offshore. Il faut que les industriels aient de la visibilité à dix ans, compte tenu de la lourdeur des investissements requis.

Boris Fedorovsky, conseiller technique et économique du groupement des industries de constructions et activités navales (GICAN). - Le GICAN est le syndicat professionnel de la filière navale. 175 entreprises en sont membres, à la fois des grands groupes et un très grand nombre de TPE et PME, mais peu d'ETI, ce qui est regrettable, mais la simple traduction de notre tissu industriel français. Ces entreprises représentent 40 000 emplois. Depuis deux ans, nous avons créé un comité énergies marines renouvelables, parce que nous avons estimé que le savoir-faire de la filière navale française pouvait être employé au développement de ces énergies. Nous participons avec les ministres du redressement productif et de l'écologie au comité stratégique de la filière navale et au conseil d'orientation de la recherche et de l'innovation de notre filière, le CORICAN. Ces deux entités ont les énergies marines renouvelables dans leur champ. Nous travaillons en réseau, en collaboration avec les clusters industriels locaux, nos collègues du SER et France énergie éolienne ainsi que les instituts de recherche. Nous nous intéressons à l'éolien posé, déjà en phase d'industrialisation et de commercialisation ; aux hydroliennes, dont certaines convergences technologiques au niveau mondial devraient permettre la mise en place de fermes industrielles à un horizon de deux ou trois ans ; à l'éolien flottant ; aux énergies thermiques des mers, que nous considérons comme quasi-matures, dans la mesure où la phase de développement de fermes-pilotes, qui pourrait intervenir avant la fin de la décennie, ainsi qu'à l'houlomoteur, dont la phase de convergence des technologies est attendue à un horizon plus lointain, autour de 2020, voire plus tard. Ces procédés ont en commun d'être confrontés à la mer, qui est un milieu hostile. Nous nous intéressons aux questions transversales que sont par exemple le recours aux navires pour le transport, la pose, la maintenance, le transfert de personnel, les systèmes et réseaux électriques, la sécurisation et la surveillance du trafic maritime.

Si l'on se réfère à l'étude du consultant Indicta, la somme des potentiels théoriques liés aux énergies marines renouvelables atteindrait plusieurs fois le montant de la production mondiale d'électricité en 2010. Mais il s'agit là de potentiels théoriques, de la somme des énergies disponibles en mer. En revanche, même si l'on considère de façon plus réaliste les potentiels techniquement exploitables - certes à l'horizon 2040-2050 -, leur somme atteint plusieurs milliers de tranches nucléaires type EPR, et plusieurs fois le parc nucléaire mondial existant. Mais leur développement soulève la question des coûts de production. Pour l'hydrolien, qui nous intéresse aujourd'hui, le potentiel mondial est relativement limité, à hauteur de 75 à 100 gigawatt, ce qui équivaut toutefois à une cinquantaine de réacteurs EPR. Cela signifie que les places à prendre sur ce marché sont limitées et qu'il faut agir rapidement.

D'après une étude que nous avons conduite l'an passé, quelque 400 entreprises françaises travaillent ou sont susceptibles de travailler sur les EMR et la France est présente sur chacune des cinq filières, de l'éolien posé à l'hydrolien : c'est une caractéristique quasiment unique au monde. Notre étude montre également que l'activité se répartit sur tous nos littoraux et que la concurrence, dans les segments où elle existe, est complémentaire plutôt que destructrice. Côté emploi, les EMR pourraient créer 37 000 emplois directs et 50 à 80 000 emplois indirects d'ici à 2030, dont la plus grande partie pour la phase de production des équipements et de leur installation. Nous avons travaillé sur deux scénarios : le premier où 20 GW seraient installés en 2030, le second avec 15 GW, ce qui situerait la part des EMR autour de 10 % de notre mix énergétique.

Le prix est évidemment un frein au développement des EMR, mais comme cela s'est passé avec les autres sources d'énergie, ce prix est nécessairement élevé dans la phase de lancement. Les EMR sont à environ 250 euros le MWh, alors que la cible est à 100 euros, soit le prix de l'électricité d'origine nucléaire.

Côté atouts, la France dispose d'un tissu de TPE et de PME qui ont déjà beaucoup investi dans les EMR. Elles sont peu structurées, nous manquons d'ETI et de consortium et c'est précisément l'objectif d'un projet comme « Emergence » que d'aider ces petites entreprises à se structurer en réseau. L'enjeu est de première importance, car nous accusons un certain retard en matière d'éolien posé et la concurrence asiatique est imminente sur l'éolien flottant.

L'Etat a donc tout son rôle à jouer pour planifier les raccordements, accompagner les grands programmes, pour définir les zones d'implantation, pour lancer les appels à projets des fermes pilotes : le privé ne peut se passer de l'intervention publique, tout le monde en convient. Je crois aussi qu'il ne faut pas attendre tous les résultats des fermes pilotes pour lancer les études préalables aux fermes industrielles, car ce serait perdre plusieurs années qui sont précieuses.

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