Intervention de Bernard Mahiou

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 26 mars 2013 : 1ère réunion
Energies marines renouvelables — Table ronde

Bernard Mahiou, directeur système énergétique insulaire d'EDF :

Je vous parlerai de la station de transfert d'énergie par pompage (STEP) d'eau marine qu'EDF projette d'implanter en Guadeloupe et qui est une première. Les EMR, comme l'éolien terrestre, ont vocation à se développer dans les prochaines années, ce qui nécessite d'importants investissements dans les réseaux mais également dans les infrastructures de stockage. Aujourd'hui, sur les 140 GW d'énergie stockée, 139 le sont par des STEP terrestres. Les stations de transfert d'énergie fonctionnent sur le principe des vases communicants, qu'il est tout à fait possible d'appliquer avec de l'eau marine en bord de mer (L'orateur présente une série de diapositives illustrant ce propos et présentant, en particulier, la technique envisagée pour la STEP marine).

Les EMR sont plus chères, c'est un handicap certain auquel s'ajoute celui de leur caractère intermittent, ce qui pose des problèmes d'insertion dans le mix énergétique de certaines îles où ces énergies atteignent déjà le plafond réglementaire de 30 %, ce qui est très loin d'être le cas en métropole. Pour mémoire, ce seuil vise à ce que l'intermittence ne compromette pas l'approvisionnement en cas de rupture. C'est bien pourquoi EDF investit dans cette solution innovante de stockage par STEP marine : en garantissant l'approvisionnement, elle permettrait de franchir ce seuil, ce qui serait bienvenu dans certaines îles ultramarines où les EMR sont très prometteuses et tout à fait adaptées au contexte local.

En 2012, nous avons fait une cartographie des entreprises qui pouvaient s'investir dans les énergies marines renouvelables, et une analyse des emplois et de l'activité économique que l'on pouvait en attendre à horizon 2030. Nous avons dénombré 400 entreprises impliquées ou susceptibles de l'être.

En ce qui concerne le stockage de l'électricité grâce à la mer, la plus vieille expérience connue est celle de l'usine marémotrice de la Rance, qui utilise la dénivelée entre le bassin de retenue et le niveau de la mer fluctuant au gré des marées. Afin d'alimenter la vision des décideurs sur ce sujet, je vous signale qu'il est abordé dans un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques de 2009, relatif à la stratégie de recherche dans le domaine de l'énergie. Un autre exemple est celui de la station de transfert d'énergie par pompage (STEP) d'Okinawa, mise en fonction il y a quinze ans. A titre prospectif, je peux aussi évoquer le système de lagons et d'îles artificielles imaginé par la Belgique.

En Guadeloupe, un projet de STEP marine est à l'étude, afin de corriger l'intermittence des énergies renouvelables, de lisser les pointes de consommation, et de réduire la consommation de combustibles fossiles. Le dispositif de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) rend ce projet financièrement possible, la question étant de savoir comment étendre cette technologie à la France métropolitaine.

Le schéma de principe est le suivant : une usine génératrice d'électricité se trouve reliée à un vaste bassin d'eau de mer implanté au sommet d'une falaise et alimenté par pompage durant les heures creuses. L'usine est préfabriquée, modulaire, et connectée en bas de falaise. C'est ce schéma qui est approfondi par Alstom et STX en Guadeloupe, au nord-est de Grande Terre, sur un site présentant une falaise de soixante mètres de haut. Le caisson de l'usine, dotée de pompes et de turbines, arriverait par flottaison, pour être arrimé en bas de falaise. La puissance installée serait de 50 MW, la capacité du réservoir en partie supérieure serait de 12 heures à puissance maximale, ce qui suppose un volume de cinq millions de mètres cubes et une emprise de 40 hectares. Bien sûr, l'étanchéité du bassin devra être totale, pour éviter que l'eau de mer ne s'infiltre dans la falaise.

Le modèle économique de cette STEP marine ne vaut que pour les zones non interconnectées (ZNI), qui se caractérisent par des coûts de production élevés de l'électricité, mais aussi par une CSPE élevée. La loi de finances rectificative pour 2012 a déjà prévu la modification du code de l'énergie nécessaire pour permettre que la « valeur de CSPE évitée » puisse être mobilisée en partie au profit de cet investissement, l'autre partie faisant retour à la collectivité nationale. L'investissement total est estimé à 300 millions d'euros, à mettre en rapport avec un montant de CSPE évitée estimé à 28 millions d'euros par an. A cette contribution de base, s'ajoutent les participations de 15 millions d'euros du conseil général de Guadeloupe, de 5 millions d'euros du conseil régional, de 16,5 millions d'euros en subventions et de 32 millions d'euros en avances remboursables de la part de l'Ademe et du CGI, et de 45 millions du Feder. Le planning prévoit la réalisation des études techniques et d'impact en 2013-2015, la réalisation de l'installation en 2016-2019, et la mise en service en 2020.

Un autre site est en cours d'études à La Réunion, à Matouta. Il serait également d'une puissance de 50 MW. Mais, avec une hauteur de chute de 150 mètres, le bassin nécessaire ne ferait plus que 2 millions de mètres cubes en volume et 13 hectares en surface, pour un coût total de 200 millions d'euros. Nous avons procédé à un recensement des sites propices aux STEP marines au niveau mondial. Les études topographiques dans les pays sélectionnés font apparaître un nombre élevé de sites potentiels. Ce qui ne signifie pas qu'ils soient tous équipables. Mais ils peuvent suppléer la raréfaction des sites de STEP terrestres. Nous pensons que le marché s'organisera autour de deux segments : celui des petites hauteurs de chute, et celui des hauteurs de chute moyennes. L'avantage de la solution du caisson préfabriqué est qu'elle permet la standardisation, la rapidité de réalisation, la limitation des aléas et la fiabilité.

Les STEP marines présentent ainsi un intérêt majeur pour les îles, confrontées à la difficulté d'insertion des énergies renouvelables intermittentes. Les pouvoirs publics jouent un rôle moteur, un modèle économique a été mis en place dans le code de l'énergie, et les premières réalisations vont permettre de tester le concept sous tous ses aspects. La filière française peut être initiée dès maintenant, avec l'implication de grands industriels comme Alstom, EDF, STX. Mais ce qui est vrai pour un système électrique insulaire ne l'est pas encore pour le système interconnecté européen.

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