Intervention de Annie David

Réunion du 5 octobre 2010 à 21h45
Réforme des retraites — Question préalable

Photo de Annie DavidAnnie David :

Il ne s’agit donc pas d’un problème de démographie, mais bien d’un problème de plein emploi ! C’est dans la voie du plein emploi, sans précarité ni temps partiel subi, justement rémunéré – la question est bien celle de la valeur que vous accordez au travail, et donc de sa rémunération –, avec un parcours professionnel sans rupture, qu’il faut chercher la solution au manque de cotisations sociales dont souffre notre système de retraite par répartition ! Dans cette perspective, il convient d’instaurer enfin cette sécurité sociale de l’emploi que nous préconisons depuis de nombreuses années, prenant en compte les années d’études, de formation professionnelle et de rupture involontaire du travail.

Vous n’avez pas voulu prendre en compte ces propositions et vous n’y avez pas répondu : voilà une première raison pour laquelle il n’y a pas lieu de débattre ce soir de votre texte !

Une autre raison de ne pas débattre tient au fait que, à aucun moment, vous ne vous posez la question de la conservation et de la consolidation de notre système de retraite par répartition grâce au recours à d’autres ressources.

La seule solution que vous avancez est le recul de l’âge légal de départ à la retraite et l’allongement à quarante et une années et demie de la durée de cotisation. Jamais, jusqu’à présent, vous n’avez voulu admettre que le déficit de notre système de retraite est avant tout dû au système capitaliste, qui détourne toujours plus de richesses produites de la rémunération du travail vers celle du capital ! Sous couvert de réduire le déficit, le Gouvernement, qui s’exonère au passage de sa responsabilité en la matière, s’attaque au régime des retraites, alors que la dette de la sécurité sociale représente 8 % de la dette publique, soit 1, 5 % du PIB, et la part du système de retraite seulement 0, 7 % de celui-ci ! Il y a bien d’autres dépenses fiscales auxquelles vous pourriez vous attaquer, mais vous faites le choix délibéré de vous en prendre au monde du travail, à celles et à ceux qui créent les richesses dont bénéficient vos amis, tout en sachant que cela n’aura qu’une incidence marginale sur le déficit public. S’attaquer à ce qui creuse vraiment le déficit, à savoir le chômage, le bouclier fiscal, les multiples exonérations, aurait eu plus de sens.

Ainsi, après avoir agité l’épouvantail de la démographie, vous brandissez celui du déficit public, mais plus personne n’est dupe ! En effet, au cours de ces vingt dernières années, nous avons assisté à un doublement de la richesse nationale, alors que, dans le même temps, la rémunération du travail a progressé moins vite. Comme cela a été rappelé tout à l’heure, 10 % de la richesse créée est détourné de la rémunération du travail vers celle du capital ! Cela représente huit fois le déficit de la CNAV…

C’est donc un vrai débat sur la répartition des richesses et le financement de nos retraites qui aurait dû s’ouvrir. Nous souhaitons une discussion en profondeur sur les choix de société, et nous combattons ceux que vous entendez nous imposer au travers de cette réforme. Car, derrière les retraites, c’est la place du travail, du temps libéré dans la vie, de la répartition des richesses, des travailleurs et des retraités, à qui il n’est reconnu que le droit d’exister dans la subordination aux exigences du capital, qui est en jeu !

Il n’y a pas lieu de débattre, car le Gouvernement aurait dû mettre sur la table l’ensemble des questions qui doivent être résolues et l’ensemble des réponses qui peuvent y être apportées. C’était d’ailleurs le sens du rendez-vous de 2012. Le Président Sarkozy le rappelait encore récemment : « Je n’ai pas mandat pour réformer la retraite. » Cela ne figurait donc pas dans son programme. En revanche, la réforme du système de retraite était bel et bien inscrite dans le programme du MEDEF, intitulé « Changer d’ère » ; ce programme, nous voyons bien que vous l’appliquez consciencieusement, texte après texte. Au final, la seule parole que vous défendez, au travers de tous vos projets, est celle du MEDEF, au point que nous savons maintenant qui gouverne véritablement notre pays. Oui, nous avons un Président et un Gouvernement qui agissent, en tout, comme les VRP du patronat. Cela est tout particulièrement vrai de ce projet de loi !

En effet, tout le titre V ter est consacré à l’épargne retraite. Vous faites ainsi un pas supplémentaire vers la mise en place d’un système de retraite par capitalisation. Tout est prêt pour la migration. Les pensions du système par répartition deviennent dérisoires ou inatteignables. La faillite que vous organisez est accompagnée d’une promotion de la capitalisation. Nous assistons donc à une privatisation des retraites et au partage d’un très juteux marché sur lequel vos amis, banquiers et assureurs, lorgnent depuis longtemps. Pensez donc, l’« or gris » représente un énorme marché de 230 milliards à 275 milliards d’euros chaque année, qui est encore appelé à grossir. Ces 230 milliards d’euros, qui échappaient encore aux marchés, vous leur livrez sur un plateau d’argent avec ce texte, et ce sans aucune négociation.

Il n’y a pas lieu de débattre, enfin, car la démocratie sociale a été bafouée, une fois encore. Je ne reviendrai pas sur le texte que nous avons examiné hier après-midi, relatif au dialogue social dans les TPE, mais je constate que vous avez une façon particulière de pratiquer ce dialogue social, monsieur le ministre.

En effet, ce texte a été présenté par le Gouvernement au début de l’été, sans qu’aucune réelle négociation avec les partenaires sociaux n’ait eu lieu. Certes, pour sauver les apparences et pouvoir communiquer sur vos échanges avec eux, vous avez organisé quelques rencontres. Mais quelle était la feuille de route ? Ah oui : ne pas remettre en cause les modifications des bornes d’âge projetées ni l’allongement du nombre d’années de cotisation ! À cette fin, vous leur avez adressé un courrier, le 24 août, dans lequel vous précisiez les seuls points sur lesquels vous accepteriez d’éventuelles améliorations : la question des polypensionnés, les carrières longues et le sujet, hautement sensible, de la pénibilité. Pourtant, le 24 juin, plus de 2 millions de manifestants vous avaient déjà fait connaître leur exigence de voir s’ouvrir de vraies négociations sur l’ensemble des questions posées en matière de retraite.

Or, nous le savons, sur la pénibilité, par exemple, des négociations étaient en cours depuis cinq ans. Elles faisaient suite à la précédente réforme des retraites. Chacun se souvient en effet que c’est sous condition de la tenue de telles négociations, prévues à l’article 12 du texte, que, en 2003, l’un des partenaires sociaux avait accepté l’idée de l’allongement de la durée de cotisation…

Vous ne pouvez donc pas, au détour d’un texte sur les retraites, porter, une fois encore, la seule parole du MEDEF et introduire sa seule vision, individualisée, de la pénibilité ! Car vous le savez bien, ce que le MEDEF refuse, c’est de reconnaître la pénibilité différée. Vous adoptez cette ligne en imposant au salarié de prouver, à partir d’un avis médical et d’une invalidité déclarée, le lien entre celle-ci et son travail ! C’est inadmissible, et c’est ce que nous contestons : non, monsieur le ministre, votre individualisation de l’invalidité n’est pas un progrès social !

En outre, au cours du débat à l’Assemblée nationale, vous avez de nouveau bafoué les partenaires sociaux en faisant adopter un amendement réformant en profondeur la médecine du travail ! Il s’agit, là encore, d’un cavalier gouvernemental ! Après la remise en cause des prud’hommes, cet après midi, nous assistons à une réforme en profondeur de la médecine du travail sans qu’aucun accord n’ait été trouvé sur ce dossier ! Et pour cause : malgré tous vos propos rassurants sur leur métier, je doute que les médecins du travail puissent exercer en toute indépendance selon des objectifs qu’ils n’auront pas définis.

De plus, les quelques mesures relatives à l’emploi sont tout à fait injustes, qu’il s’agisse du traitement des inégalités que subissent les femmes en matière de pensions – Isabelle Pasquet a donné tout à l’heure une démonstration claire sur ce point – ou des seniors – je rappelle à ce propos le diagnostic, posé par des chercheurs, d’un « consensus paradoxal » ou d’un « faux consensus », auquel vous ne répondez que par de nouvelles exonérations, qui contribuent au déficit que vous prétendez vouloir combler !

Quant à notre jeunesse, elle est la grande oubliée de votre réforme, ce que nous ne pouvons accepter !

Ainsi, vous le voyez, le manque de démocratie sociale est flagrant. Il vous faut donc remettre votre ouvrage sur le métier, car votre texte ne répond à aucun des problèmes que pose notre système de retraite. Il n’assure pas, pour l’avenir, un socle sur lequel la solidarité nationale pourrait s’enraciner.

L’opinion publique ne s’y trompe pas : elle refuse massivement votre projet. Sept Français sur dix ne veulent pas de votre texte et réclament son retrait. Mais vous persistez à nier l’évidence. Malgré vos affirmations et vos dénégations, chaque jour qui passe voit la mobilisation contre votre projet grandir et s’amplifier.

Le premier rôle d’un gouvernement est de chercher à assurer l’intérêt général, et non de se soumettre au diktat d’un seul. La sagesse et l’intelligence, c’est de savoir revoir sa copie quand elle est mauvaise, et il est encore temps de le faire, monsieur le ministre. Écoutez la colère qui monte ! La contestation est grandissante ; si vous y restiez sourd, elle risquerait de vous emporter.

Pour toutes ces raisons, nous demandons au Sénat d’adopter notre motion. §

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