C'est un grand honneur d'être devant vous pour cette audition. Le Premier ministre envisage en effet de proposer au Président de la République ma nomination comme président du conseil d'administration du CNES. Cette nomination a été formellement proposée hier par le conseil d'administration lui-même.
Je veux d'abord rendre hommage à tous ceux à qui nous devons cinquante ans de succès de notre politique spatiale. Ma première pensée va aux responsables politiques qui ont voté la loi de 1961 : elle a été le point de départ de l'ambition spatiale de la France. Le Sénat, dont j'ai rencontré de nombreux membres dans mes fonctions précédentes, a joué un rôle majeur dans ce processus. J'ai eu de longs échanges avec Mme Procaccia et M. Sido l'année dernière, lorsque, préparant leur rapport pour l'OPECST, ils étaient venus assister à un lancement de Soyouz en Guyane. J'ai trouvé leur rapport remarquable tant dans l'analyse que par ses propositions. J'assisterai à la séance publique de ce soir sur la politique spatiale européenne, car il est important que la représentation nationale prenne part au débat qu'elle suscite.
Je pense aussi aux membres du conseil d'administration du CNES, et aux quelque dix présidents qui se sont succédé à sa tête. Je pense en particulier aux professeurs Curien, Lions, Pellat, Lebeau, ainsi qu'au président Bensoussan, dont j'ai été l'adjoint, et au président d'Escatha, avec lequel j'ai également travaillé. Je pense enfin aux hommes et aux femmes du CNES : une politique spatiale ne se décrète pas, elle se fait, et depuis cinquante ans elle se fait grâce à eux. Je les connais, et je respecte leur engagement et leur professionnalisme.
Je ressens une grande émotion en me portant ainsi candidat après un parcours qui a commencé sous les auspices du CNES : à la sortie de mon école d'ingénieur, en 1981, c'est grâce à une bourse du CNES que j'ai fait ma thèse. Ce système de bourses est remarquable, car il offre de bonnes conditions de travail et d'encadrement à de jeunes chercheurs : j'entends bien le consolider. J'ai travaillé ensuite au CNRS, puis dans les ministères, dans les services comme au cabinet du ministre chargé de l'espace. C'était une période de très grande effervescence, puisque nous mettions en oeuvre, entre autres, le programme Ariane 5. J'ai été ensuite directeur général, responsable des transferts de technologie, chez Novespace, directeur général adjoint du CNES de 1996 à 1998, président de Starsem avant de passer à Arianespace.
Le CNES est le bras séculier de l'État français dans le domaine spatial. Grâce aux décisions politiques qui ont été prises, le budget spatial de la France est le deuxième au monde. Certes, les États-Unis dépensent l'équivalent de 49 euros par an et par habitant pour leur politique spatiale, mais en France, nous en dépensons 31, quand les Allemands en dépensent 17 et les Britanniques, 6. La politique spatiale européenne résulte d'ailleurs largement des initiatives françaises, ce qui est la traduction directe de cet effort budgétaire.
Le rôle du CNES, défini par la loi de 1961 et par la loi sur les opérations spatiales, est de proposer et de mettre en oeuvre notre politique spatiale. Il revient à son président de représenter la France au conseil de l'Agence spatiale européenne (ESA), à laquelle la moitié de son budget est consacré, ainsi que la politique spatiale française à l'étranger, et en particulier sur le plan de la diplomatie économique. Pour vendre depuis douze ans partout dans le monde des lancements par Ariane, je puis vous dire combien l'appui du CNES compte, surtout dans les pays où nous avons une relation de gouvernement à gouvernement. Le CNES est actionnaire de plusieurs sociétés commerciales, dont Arianespace.
Le CNES intervient dans cinq secteurs : l'accès à l'espace, avec les lanceurs Ariane, les applications pour le grand public, avec les télécommunications ou le système Galileo, les études sur la Terre, l'environnement et le climat, avec le programme Pléiade par exemple, les sciences de l'univers, avec le satellite Kourou, qui a initié des avancées spectaculaires dans la connaissance des exoplanètes et, bien sûr, la sécurité et la défense, avec les séries de satellites Syracuse, Hélios, ou Athéna-Fidus. Son champ d'activité couvre toutes les formes d'application du spatial.
Le CNES dispose de quatre centres d'excellence : son siège parisien, la direction des lanceurs, le centre spatial de Toulouse et le centre spatial de Guyane. Son budget dépasse les deux milliards d'euros, dont cinq cents millions d'euros de ressources propres. Il verse environ 800 millions d'euros à l'ESA. La partie nationale a été abondée ces dernières années par les investissements d'avenir, ce qui a en particulier des retombées sur le programme Ariane 6, comme l'a bien souligné le rapport de Mme Procaccia et de M. Sido.
Quel avenir pour le CNES ? Il faut, je crois, continuer à avoir une très grande ambition pour cette structure et pour la France. A cet égard, l'innovation est essentielle : le CNES s'est construit par l'innovation. Il nous faut continuer la course en tête, d'autant plus que cela crée des emplois - seize mille emplois directs en France actuellement. Cela nécessite de comprendre le contexte, c'est-à-dire d'être à l'écoute. A l'écoute du Parlement, d'abord, ce qui est toujours enrichissant et aide à comprendre les attentes de nos concitoyens - si j'accède à la présidence du CNES, vous continuerez à me voir souvent... A l'écoute de nos partenaires européens, aussi : avec l'ESA, Eumetsat, le traité de Lisbonne, les projets emblématiques que sont Galileo, le programme européen de surveillance de la Terre (GMES) et Copernicus, l'Europe joue un rôle très différent de celui qu'elle jouait lors de la création du CNES. A l'écoute des industriels, dont le poids est de plus en plus important, et à l'écoute de l'environnement international, enfin : des approches nouvelles se font jour aux États-Unis ou au Japon, et les pays émergents voient le spatial comme le porte-drapeau d'une politique technologique.
La contrainte budgétaire pèse sur tous, le CNES a su la transformer en opportunité dans la définition du programme Ariane 6 ; il faudra continuer à la prendre en compte. J'ai coutume de dire que, si la genèse d'Ariane 5 avait été « technology-driven » - on parlait d'un « formidable outil de développement technologique » -, Ariane 6 doit être plutôt « cost-driven » : son développement doit être guidé par la maîtrise des coûts, si l'on veut qu'elle domine le marché des lancements commerciaux, comme Ariane 5 aujourd'hui.
Le siège du CNES pilote la politique spatiale, et doit la faire connaître, notamment en formant des milliers de jeunes et des centaines de professeurs, qui deviennent autant de relais dans la société. Je ne suis pas inquiet pour la direction des lanceurs car l'ambition d'Ariane 6 est très grande. Le centre de Toulouse doit continuer à innover - de Egnos à Taranis, en passant par Jason ou Megha-Tropiques, il participe déjà à de nombreux programmes de très haut niveau. Le centre guyanais est probablement l'actif le plus important du programme spatial européen, à la fois par sa situation géographique et par sa localisation, qui le met à l'abri de phénomènes sismiques ou cycloniques : après quarante ans d'investissement de la France et de l'Europe, nous avons le plus beau centre spatial du monde.
Ma méthode ? Dialoguer, pour comprendre : avec les parlementaires, avec le personnel, avec nos partenaires européens et internationaux. Proposer et mettre en oeuvre : le président d'Escatha a mis en oeuvre un contrat entre l'État et le CNES. Des échéances majeures se profilent : une conférence ministérielle fera suite en 2014 à celle de 2012, il convient de la préparer, en étroite coopération avec nos partenaires européens, et en premier lieu avec l'Allemagne. L'horizon structurant me semble être 2020, avec un point d'étape en 2015. J'ai l'intention de mettre en place un chantier « ambition 2020 ». Enfin, communiquer, continuer à parler de l'utilité de l'espace.
L'enjeu est immense : si beaucoup a été fait, beaucoup reste à faire. Après cinquante années extraordinaires, la période qui s'ouvre ne le sera pas moins : nous sommes dans la phase de maturité. Ce serait un honneur pour moi de conduire le CNES toujours plus haut.