Mme Procaccia soulève la question des relations entre le CNES et Arianespace. Celle-ci est une société très particulière : si elle a bien l'objectif commercial de vendre des lancements par Ariane à des clients internationaux, sa mission fondamentale est de garantir notre autonomie dans l'accès à l'espace. En effet, pour qu'un lanceur soit opérationnel il faut l'utiliser régulièrement, et le nombre de satellites gouvernementaux envoyés chaque année par les pays européens n'est pas suffisant pour cela. Grâce à ce succès commercial, l'État français peut à tout moment lancer un satellite de souveraineté. Le CNES est, depuis sa création, le premier actionnaire d'Arianespace, et il doit garder des relations fortes avec elle. Si je deviens président du CNES, je quitterai mes fonctions exécutives à Arianespace tout en siégeant à son conseil d'administration, comme le faisait le président d'Escatha.
Je suis un partisan convaincu de la nécessité de communiquer encore et toujours sur ce que nous faisons, et de le faire mieux connaître. Je l'ai fait pour Arianespace depuis douze ans, multipliant les entretiens dans les medias et sur internet, non par goût personnel, mais pour parler de nos succès. Si la conférence de Naples a été une réussite incontestable, c'est que chaque lancement d'Ariane constitue une sorte de piqûre de rappel pour les décideurs européens du domaine spatial : voilà un investissement qui donne des résultats... Votre rapport indique qu'il est nécessaire de communiquer davantage : je pense aussi que c'est une des missions du CNES, qui a déjà accompli des efforts exemplaires en organisant des manifestations dans les territoires pour le grand public, pour la jeunesse. Mon expérience en ce domaine chez Arianespace pourra peut-être profiter au CNES.
Comme l'a encore prouvé le 7 février dernier le 54e succès d'affilée, Ariane 5 fonctionne parfaitement, et elle est adaptée aux enjeux actuels. Bien qu'elle soit le meilleur lanceur du monde, la concurrence se développe, qu'elle vienne de pays où les coûts salariaux sont bas, comme l'Inde ou la Chine, voire la Russie, ou bien des États-Unis, où des sociétés privées, comme SpaceX entrent en scène.
Nous devons préparer les enjeux de la prochaine décennie. Deux raisons principales me semblent militer en faveur d'un nouveau lanceur. D'abord, Ariane 5 se spécialise de plus en plus dans le lancement de satellites de télécommunication, tout en coûtant fort cher au contribuable ; il y a de plus en plus inadéquation entre sa taille et celle des satellites gouvernementaux, d'où le recours à Soyouz - la coopération avec les Russes est exemplaire. Réconcilier la performance des lanceurs avec la masse des satellites gouvernementaux serait plus conforme à la doctrine européenne d'autonomie dans l'accès à l'espace.
Ariane 5 a été conçue dans les années 1980, Ariane 6 va l'être dans les années qui viennent : elle bénéficiera du progrès technologique intervenu depuis, et des réductions de coûts conséquentes. Nos gigantesques installations de lancement en Guyane font notre fierté, mais elles nous coûtent très cher, et ne pourront pas éternellement soutenir la concurrence de sociétés qui prétendent faire des lancements sur un pas de tir de la taille d'un terrain de football, ou de pays dont les lanceurs à bas coût risquent de nous faire sortir du marché.
Je veux saluer le travail remarquable qu'ont effectué les équipes de la direction des lanceurs du CNES au cours de ces deux ou trois dernières années : alors qu'une bonne centaine de propositions étaient examinées, elles ont conçu une solution très judicieuse pour Ariane 6, avec une partie basse et des propulseurs à poudre identiques. Une production en série nous donnera les moyens de lutter à armes égales avec les concurrents à bas coûts salariaux ou bénéficiant de subventions, comme la NASA. J'ai constaté la semaine dernière à la conférence « Satellite 2013 », aux États-Unis, que nos concurrents étaient loin de garder les deux pieds dans le même soulier. Bien au contraire, ils multiplient les initiatives dans le domaine des satellites comme dans celui des lanceurs. Nous devons réagir.
Le projet Ariane 6 a été porté sur les fonts baptismaux à la conférence de Naples en novembre 2012 : mon projet est qu'il avance suffisamment pour aboutir en 2020. D'ici-là, tant Arianespace que le CNES feront tout ce qu'il faut pour qu'Ariane 5 continue à faire la course en tête. Le cahier des charges d'Ariane 6 comprend trois contraintes principales : le coût et la durée de son développement doivent être minimaux, de même que son coût d'exploitation.
Le CNES verse 799 millions d'euros à l'ESA et consacre à peu près autant à la politique nationale - car nous avons bien une politique spatiale autonome. Le CNES nous donne la capacité de concevoir et de proposer une telle politique, contrairement à nos partenaires européens, qui se bornent à soutenir leur industrie spatiale. Nous avons fait des choix - Spot, Ariane - et développé des programmes scientifiques et technologiques remarquables. C'est ainsi qu'Ariane 6 est née en France, parce que le Premier ministre a demandé un rapport thématique il y a quatre ans. Dans quel autre pays européen le chef du Gouvernement formulerait-il une demande aussi précise ? Nous devons continuer : le centre de Toulouse est l'un des deux centres technologiques très performants en Europe, l'autre étant celui de l'ESA aux Pays-Bas.
L'argent que nous versons à l'ESA ne se perd pas dans une boîte noire : premier contributeur de l'ESA, et forte de sa propre politique spatiale, la France a vocation à guider la politique spatiale de l'ESA.