L'exposé des motifs de cette loi se résume au constat - incontestable - de l'augmentation, dans notre société, de la violence et de l'usage des armes dans les règlements de différends, sur la voie publique ou dans la sphère privée. Les auteurs de la proposition de loi la justifient par une succession de faits divers, certes dramatiques, mais qui, pour autant, ne sont pas imputables à la loi ou à son application, mais plutôt à des dysfonctionnements, à des manques de formation des personnes ou à une inadéquation des moyens.
La proposition de loi comporte deux articles : le premier élargit les possibilités d'usage d'armes à feu pour les fonctionnaires de la police nationale, en les alignant sur les possibilités offertes aux gendarmes, le second crée une présomption de légitime défense dans l'usage des armes à feu par les forces de sécurité, civiles comme militaires, lorsqu'elles agissent dans le cadre de l'autorisation donnée par la loi.
Le principe général est que l'usage de la force armée est interdit, et constitue une infraction qualifiée, suivant les cas, de contravention ou de délit par notre code pénal. Elle est toutefois couverte par l'irresponsabilité pénale dans certains cas, limités : ordre de loi ou de règlement, acte commandé par l'autorité administrative ou militaire et, en l'absence d'une telle autorité, légitime défense ou absolue nécessité. Les dispositions spécifiques aux gendarmes, énumérées par l'article L. 2338-3 du code de la défense relèvent de l'ordre de la loi. Cette différence entre policiers et gendarmes n'est toutefois qu'apparente : des enquêtes ont systématiquement lieu, et les jugements auxquels elles aboutissent retiennent de plus en plus l'absolue nécessité, la proportionnalité et la simultanéité des faits comme critères de la légitime défense pour retenir l'irresponsabilité pénale de l'auteur des faits, ce qui rapproche les conditions d'usage des armes par la gendarmerie de celles de la police. Sur le plan international, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a ainsi condamné la Turquie, au motif que son droit, en reconnaissant trop largement la légitime défense au bénéfice des membres des forces de l'ordre, portait une atteinte au droit à la vie, garanti par la convention européenne des droits de l'homme. Changer notre code nous exposerait donc à ce type de condamnation. Changer les règles pour les gendarmes nécessiterait aussi de modifier notre code de la défense, puisque ce sont des militaires, au statut bien particulier. Or, leur formation et leurs modes de déploiement justifient des règles différentes d'emploi de l'arme à feu, même si leurs missions civiles sont souvent identiques à celles de la police nationale, et même si la jurisprudence tend à rapprocher l'évaluation de cet emploi de celle à laquelle elle soumet la police.
Créer un nouveau cadre pour l'utilisation des armes me semble dangereux pour les policiers eux-mêmes. Ils disent souvent n'avoir que quelques millisecondes pour décider d'en faire usage ou non. Compliquer leur réflexion pendant ces instants décisifs en multipliant les critères de décision est risqué. Ce serait aussi leur donner l'illusion d'un cadre juridique plus permissif, alors que la jurisprudence ne changera pas, et se fondera toujours sur les mêmes critères : absolue nécessité, simultanéité et proportionnalité de la réponse. Les magistrats se prononcent en effet sur des circonstances, et non en théorie. Donner cette illusion serait de toute façon une mauvaise réponse à l'augmentation de la délinquance : on ne répond pas à la violence par la violence. Mieux vaudrait renforcer les dispositions du code pénal afin de renforcer la protection des forces de l'ordre contre les agressions.
La présomption de légitime défense enverrait un mauvais signal à la population, à l'heure où l'objectif est plutôt de réconcilier nos concitoyens avec les forces de sécurité. La présomption d'innocence existe, elle vaut aussi pour les policiers et les gendarmes, et elle vaut même lorsque l'on est mis en examen. Il faudrait plutôt que la hiérarchie policière s'implique davantage dans la communication lorsque des faits divers mettent en cause des policiers, comme le fait la hiérarchie militaire pour les gendarmes - sans toutefois donner l'impression de couvrir aveuglément et systématiquement ses agents. En effet, les agents réclament plus une protection fonctionnelle qu'une protection pénale. Les enquêtes diligentées contre eux ont des conséquences financières, familiales, privées... Renforçons la communication entre les autorités administratives chargées des enquêtes et les magistrats. Une enquête concluant à l'innocence du policier vaut mieux qu'une hypothétique présomption de légitime défense. Celle-ci, fondée sur la qualité d'une personne, serait une disposition inédite, tout comme la présomption de culpabilité qu'elle entraînerait pour la partie adverse ; une telle présomption ne pouvant exister qu'en matière contraventionnelle.
Je partage le constat de l'augmentation de la violence, mais la réponse n'est pas à chercher dans la modification du code pénal. La jurisprudence donne déjà suffisamment de garanties pénales. Ce que nous pourrions améliorer, c'est l'encadrement fonctionnel, disciplinaire et administratif. Je vous propose de ne pas adopter ce texte.