Intervention de Virginie Klès

Réunion du 28 mars 2013 à 15h00
Abrogation du délit de racolage public — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Virginie KlèsVirginie Klès :

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui d’un texte ne comprenant que huit mots : « L’article 225-10-1 du code pénal est abrogé. » Mais quel poids ont ces huit mots ! Quelle attente recouvrent-ils pour les quelque 30 000 personnes prostituées de notre pays, essentiellement des femmes, dont tout le monde a reconnu, lors de nos auditions, qu’elles étaient d’abord des victimes !

Cet article 225-10-1 du code pénal les a confortées dans cette place de victimes, les a vulnérabilisées, fragilisées, stigmatisées encore davantage aux yeux du reste de la société, comme si elles ne l’étaient pas déjà assez. Il les a éloignées des soins, du droit, de la possibilité, via les associations, de s’en sortir, de faire autre chose.

Pourtant, le droit français protège toujours les plus vulnérables, alourdit les sanctions lorsque les actes incriminés sont commis contre eux. Or, en 2003, le droit français a aggravé la vulnérabilité des personnes prostituées, au motif de les contraindre à dénoncer leurs tortionnaires et de lutter contre les réseaux de proxénétisme.

Tout le monde s’accorde sur ces objectifs, mais le moyen mis en œuvre n’était-il pas injuste ? N’avons-nous pas le devoir aujourd'hui de revenir sur la disposition adoptée en 2003 et de mettre en place un autre outil, permettant véritablement d’aider les prostituées et de lutter contre les réseaux de proxénétisme ? Alors pourquoi ne le faisons-nous pas à l’occasion de l’élaboration de ce texte ? Si cela était simple, ce serait fait depuis longtemps ; si cela était facile et évident, nombre d’autres pays l’auraient déjà fait. Mais cela ne l’est pas, parce qu’on se situe là au cœur de contradictions humaines, parce qu’on touche là au plus intime, à la pauvreté, à la précarité, à un milieu, celui du proxénétisme, en lien, nous le savons tous, avec les mafias, la drogue, le travail clandestin, l’argent sale.

Pour autant, fallait-il accentuer encore la confusion, dans l’esprit de nos concitoyens, à l’égard des femmes et des hommes prostitués ? Était-il nécessaire de créer un outil dont les policiers s’accordent aujourd'hui à dire qu’il n’est finalement pas très efficace ? S’ils ne souhaitent pas sa suppression, c’est parce qu’ils ont l’impression de ne pas en avoir d’autres à leur disposition, alors qu’il est par exemple possible d’entendre les prostituées sous le statut de témoin assisté, ce qui permet d’obtenir les mêmes informations qu’en les plaçant en garde à vue. Dans les deux cas, elles ne disent rien : on peut cependant fouiller leur sac, et c’est la puce de leur téléphone qui permet de remonter vers les proxénètes. Je rends d’ailleurs hommage au travail de fourmi des services de police, qui s’attachent à démanteler les réseaux. Les policiers eux-mêmes nous l’ont dit : il est exceptionnel qu’un réseau soit démantelé grâce aux informations données par des prostituées. Comment s’imaginer qu’elles puissent parler, quand on sait que même l’interprète refuse d’entrer dans le bureau d’un inspecteur de police parce que s’y trouve la photo du proxénète ? Tous sont persuadés que, s’ils parlent, c’est leur famille restée au pays qui sera victime des sorts jetés par celui-ci ! De telles croyances sont enracinées dans l’esprit de ces femmes nigérianes qui parlent à peine français ! Jamais elles ne donneront de leur plein gré aux policiers des informations vraiment utiles.

Ces informations, la police est obligée d’aller les chercher, mais elle aura les moyens de le faire même si le délit de racolage est abrogé, en entendant les personnes prostituées sous le statut de témoin assisté. C’est l’honneur du législateur que d’élaborer un droit clair, transparent et lisible, sans inventer un délit pour contraindre des personnes à porter plainte et à raconter ce que leurs tortionnaires leur ont fait subir.

Permettez-moi un parallèle que vous trouverez peut-être osé : serait-il venu à l’idée d’un seul d’entre nous de fabriquer un délit pour forcer les femmes victimes de violences conjugales à venir dénoncer leur tortionnaire à la gendarmerie ? Non ! Elles sont victimes, et uniquement victimes. Même s’il n’est pas facile de lutter contre les violences conjugales, il ne nous est jamais venu à l’esprit de fabriquer un délit pour mieux mener cette lutte.

Alors pourquoi cet amalgame, ces confusions s’agissant de la prostitution ? Sans doute parce que, avec la prostitution, nous sommes dans un clair-obscur : parmi les clients, on trouve sans doute des monsieur-tout-le-monde, et pas seulement des pervers, heureusement d’ailleurs pour les prostituées ! Peut-être est-ce la raison pour laquelle nous avons laissé subsister, dans notre droit et dans l’esprit de nos concitoyens, une confusion en faisant du racolage un délit, tandis que la prostitution n’est pas illégale en France.

Lorsque je dis qu’il faut abroger le délit de racolage, on me répond qu’il faut bien réprimer la commission d’actes sexuels sur la voie publique. Or de tels faits relèvent du délit d’exhibition sexuelle sur la voie publique, que l’acte soit tarifé ou non ! De même, l’outil juridique existe déjà pour lutter contre le tapage nocturne. Rien n’empêche les maires de prendre des arrêtés municipaux en conséquence. Il n’était donc pas nécessaire de transformer les prostituées en délinquantes pour préserver la tranquillité publique. Tout est déjà dans le code pénal !

Créer des outils de toutes pièces a parfois des inconvénients. En l’espèce, outre les associations, qui font un travail extraordinaire sur le terrain mais à qui certains reprocheront leur militantisme, c’est aussi le milieu médical qui appelle l’attention sur les problèmes de santé publique, de paupérisation qu’entraîne cette pénalisation. Les personnes prostituées se trouvent contraintes de travailler dans des conditions mettant leur vie en danger. Elles n’ont plus accès au droit, aux associations d’aide, aux soins.

Malgré la création du délit de racolage, la prostitution est toujours présente sur la voie publique, sur internet, sans que personne ne s’en émeuve. Personne ne proteste non plus contre certaines publicités qui jouent sur des allusions transparentes à la prostitution. Peut-être pourrait-on se concentrer également sur ces aspects ? Peut-être pourrait-on affecter plus de moyens à la lutte contre les réseaux de proxénétisme ?

Trouvez-vous normal, mes chers collègues, qu’une Chinoise travaillant dans un atelier clandestin afin de rembourser l’emprunt contracté pour payer son voyage en France soit tellement exploitée qu’elle finisse par se prostituer, au bénéfice d’un réseau de proxénétisme ? Non, ce n’est pas normal ! Il faut aussi lutter contre les réseaux de travail clandestin.

On le voit, le problème est immense, le chantier gigantesque. Commençons par regarder les choses en face si nous voulons faire du droit correctement. Le premier geste à faire est de tendre la main aux prostituées, en affirmant que la prostitution n’est pas interdite dans notre pays, que le racolage n’est pas un délit : là est l’urgence, même si ce n’est pas suffisant.

L’Assemblée nationale et le Sénat ont mis en place des missions sur ce sujet, les ministères concernés y travaillent également. Nous sommes capables d’œuvrer ensemble, avec le même objectif, à l’élaboration d’un grand texte permettant de donner vraiment aux services de police et de gendarmerie les moyens de démanteler les réseaux de proxénétisme.

Dans l’immédiat, redonnons aux prostituées l’accès aux soins, aux associations, à des mécanismes d’insertion qu’il faut sans doute améliorer, consolider. Donnons-leur la possibilité de porter plainte contre leurs tortionnaires, si elles le souhaitent, sans devoir craindre pour leur sécurité.

Le Sénat attend avec une grande impatience de pouvoir travailler avec le Gouvernement et l’Assemblée nationale à ce grand texte visant à lutter contre le proxénétisme et à aider les prostituées. Pour l’heure, la commission des lois émet un avis favorable sur la présente proposition de loi. Je tiens à préciser qu’il n’y a eu aucune voix contre, les quelques réticences qui se sont exprimées tenant au regret de ne pas pouvoir encore débattre d’un texte de plus grande ampleur. Quoi qu’il en soit, l’urgence nous commande aujourd'hui de rétablir les prostituées dans leur statut de victimes et de réaffirmer qu’elles ne sont pas des délinquantes. §

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