Nous avons l'obligation morale d'aller au-delà pour lutter efficacement contre les réseaux de traite et contre le proxénétisme. Nous devons nous en donner les moyens. À cet égard, la législation en vigueur nous offre d’ores et déjà un certain nombre de possibilités. Le proxénétisme et la traite des êtres humains sont punis par des sanctions correctionnelles lourdes, et peuvent même être criminalisés en cas de circonstances aggravantes, lorsque les faits concernent des mineurs, sont commis en bande organisée ou s’accompagnent d’actes de torture : ils sont alors passibles de vingt ans d’emprisonnement, voire de la réclusion criminelle à perpétuité, et d’amendes allant de 3, 5 millions à 4 millions d'euros. Nous devons donc rendre effective l'application des dispositions juridiques déjà inscrites dans notre droit.
Pour lutter contre le proxénétisme et les réseaux de traite, nous avons renforcé, à l’échelon national, les juridictions interrégionales spécialisées, les JIRS, qui luttent contre la criminalité en bande organisée. Nous avons sensibilisé les parquets à la nécessité de retenir les qualifications les plus élevées, notamment celle de traite des êtres humains. Puisqu’il s’agit d’une criminalité organisée et transnationale, nous travaillons au renforcement du cadre normatif de la coopération internationale et développons à cet effet les outils juridiques et judiciaires appropriés, à savoir l’entraide pénale internationale, le mandat d'arrêt européen, les équipes communes d'enquête. Nous orientons également les procédures selon les angles financier et patrimonial et procédons au repérage systématique des circuits de blanchiment d'argent.
En outre, nous entendons donner une dynamique nouvelle aux modes particuliers de traitement en considérant différemment les victimes, d’abord en leur reconnaissant le statut de victimes, ensuite en veillant à rendre effectives les dispositions qui sont déjà inscrites dans notre droit, en particulier celles qui permettent de les protéger. Demander aux victimes, lors de leur garde à vue, de donner le nom de leurs proxénètes, c’est les exposer, sans contrepartie, à des représailles, à des actes de violence. Il importe donc de les protéger, et la loi contient déjà des dispositions à cette fin. Ainsi, l'article 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile permet de protéger les victimes des réseaux de traite de nationalité étrangère : il faut le mettre en œuvre. Des dispositions équivalentes à celles qui sont en vigueur en Italie figurent déjà dans notre droit, madame Benbassa, mais je dois reconnaître que, pour l’heure, elles ne sont guère appliquées.
Nous entendons également travailler sur le statut du repenti, créé par la loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité. À ce jour, ce dispositif n’est pas opérationnel, le décret d’application nécessaire n’ayant pas été pris.
Qu’est-ce que le statut du repenti ? Cette notion suscite en chacun d'entre nous un haut-le-cœur. En réalité, c'est un outil d'investigation et de procédure qui permet « d’inciter les individus ayant participé à la préparation d’une infraction, ou en ayant été les auteurs, ou ayant eu connaissance d’éléments permettant d’empêcher la commission d’une autre infraction, ou d’identifier ses coauteurs ou complices, à communiquer ces informations aux autorités administratives ou judiciaires ».
Ce statut, extrêmement compliqué à élaborer et coûteux, est à l’étude. Nous y travaillons depuis plusieurs mois avec le ministère de l'intérieur. Il devrait normalement être finalisé au mois d'avril. Dès lors, nous pourrons mobiliser deux outils pour lutter contre la traite des êtres humains et le proxénétisme : les réductions et exemptions de peines au profit des repentis, d’une part, déjà expressément prévues par la loi dans le cadre de la lutte contre criminalité organisée ; les mesures de protection et de réinsertion, d’autre part. Il est nécessaire, pour cela, de prendre un décret en Conseil d’État, qui manque depuis 2004 : l’achèvement des travaux que nous conduisons avec le ministère de l’intérieur nous permettra de soumettre prochainement un projet de décret.
Voilà sur quelles bases nous allons renforcer la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains, qui doit être sans merci.
Par ailleurs, d’autres chantiers ont été ouverts.
En avril sera présenté devant le Parlement un projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l’Union européenne et des engagements internationaux de la France, visant notamment à transposer une directive du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes.
De même, nous entendons mettre en œuvre l’article 29 de la convention du Conseil de l’Europe du 16 mai 2005, tendant notamment à la désignation d’un « rapporteur national » en matière de traite des êtres humains et repris par l’article 19 de la directive du 5 avril 2011. Je désignerai prochainement le rapporteur français.
Enfin, nous travaillons à un projet de décret portant création d’une mission interministérielle de coordination pour la prévention et la lutte contre la traite des êtres humains et la protection des victimes.
En conclusion, il est nécessaire d’abroger le délit de racolage public, mais en considérant que, pour une plus grande efficacité, cette abrogation s’inscrira dans le dispositif d’un texte plus global qui sera soumis au Parlement dans les prochains mois par la ministre des droits des femmes. J’ai comme vous la conviction que nous ne pouvons pas nous satisfaire que des personnes qui sont objectivement des victimes puissent être traitées comme des délinquantes. Au bénéfice de ces observations, le Gouvernement émet un avis de sagesse favorable sur cette proposition de loi, en mettant l’accent sur la nécessité de mettre en place une action plus globale ; Mme Vallaud-Belkacem y travaille d'arrache-pied.
Nous disposons déjà d’un arsenal judiciaire. Nous devons nous donner les moyens, par la mise en place d’une politique publique adéquate, de le rendre applicable de façon à bien faire savoir à ceux qui pratiquent la traite des êtres humains, le proxénétisme, qui s’enrichissent par le travail, l’exploitation et la domination de personnes vulnérables que la puissance publique sera à leur égard sans pitié. §