Intervention de Laurence Cohen

Réunion du 28 mars 2013 à 15h00
Abrogation du délit de racolage public — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Laurence CohenLaurence Cohen :

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, cela a été souligné par les orateurs qui m’ont précédée, notamment par Esther Benbassa, auteur de cette proposition de loi, et Virginie Klès, rapporteur : dix ans après son adoption, force est de constater l’échec de la loi pour la sécurité intérieure.

Lors de nos débats sur ce texte, en 2002, le groupe CRC avait dénoncé et rejeté la stigmatisation des prostituées par l’instauration du délit de racolage. Ainsi, ce sont les victimes qui sont criminalisées, et non les réseaux de prostitution.

Si l’objectif affiché était d’atteindre indirectement les proxénètes, l’objectif réel, dévoilé par M. Sarkozy, à l’époque ministre de l’intérieur, était de « faire cesser la prostitution qui envahit nos villes et nos boulevards », dans un souci d’assurer la tranquillité publique pour les riverains et de reconduire à la frontière les prostituées étrangères : peu importe le devenir de ces personnes dès lors qu’elles n’apparaissent plus sur les trottoirs. Quelle hypocrisie ! Je reprendrai la célèbre phrase du Tartuffe de Molière : « Couvrez ce sein que je ne saurais voir. »

Cette nouvelle mesure purement sécuritaire allait à l’encontre de l’engagement de la France, pays abolitionniste qui s’est déclaré comme tel, notamment grâce à l’action de nombreuses associations, tels le Mouvement du Nid et la fondation Scelles. Nous redisons donc avec force que, en pénalisant et en stigmatisant les personnes prostituées, le gouvernement de l’époque se trompait de cible.

Dix ans après l’adoption de cette loi, que constatons-nous ?

Menacées, les personnes prostituées sont contraintes de quitter les principaux boulevards, les centres-villes, mais elles sont toujours aussi nombreuses. Elles se trouvent reléguées dans des endroits isolés, à la périphérie des grandes agglomérations. Cet isolement, cette clandestinité leur font courir de très graves dangers, pouvant aller jusqu’à des violences mortelles, et les privent notamment de l’accès aux moyens de prévention des maladies sexuellement transmissibles et de tout accompagnement ou soutien.

Pour illustrer mon propos, je citerai quelques chiffres, issus du rapport qui vient d’être rendu public à la suite des travaux de la commission d’enquête conduite par la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France, sur la situation des prostituées chinoises à Paris : 63 % des femmes ont été confrontées à des retraits de préservatif non consentis, 55 % ont été victimes de violences physiques, 38 % de viol, 23 % de séquestration, 17 % ont fait l’objet de menaces de mort. L’idée du libre choix de la prostitution vole en éclats !

Avec cette loi votée il y a dix ans, les personnes prostituées se trouvent toujours au cœur de multiples violences et privées, de fait, de leur statut de victimes.

Pourtant, il faut le dire et le redire avec force, on estime que de 85 % à 90 % – voire 95 % – d’entre elles sont sous le joug de proxénètes ou de réseaux de proxénétisme. C’est donc sur ces derniers, et non sur les prostituées, qu’il faut concentrer les efforts de répression. J’ai particulièrement apprécié les propos tenus par Mme la garde des sceaux sur ce point.

La culture du chiffre, que des syndicats des personnels de la police nationale dénoncent eux-mêmes en parlant de « course aux quotas de PV et de gardes à vue », empêche les forces de l’ordre de faire autre chose que de la répression.

Il est donc temps de sortir de cette approche répressive, dirigée seulement contre les victimes que sont les prostituées, pour rechercher et sanctionner en priorité les responsables de réseaux qui organisent la traite des êtres humains.

La suppression du délit de racolage, attendue par l’immense majorité des associations, a aussi fait l’objet d’une recommandation de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, selon laquelle « la convention de 2005 comme le droit pénal français prévoient que les victimes de traite ou d’exploitation doivent être exonérées de responsabilité pénale dès lors qu’elles ont adopté un comportement illicite sous la contrainte ». La CNCDH rappelle avec raison que « les victimes de traite ou d’exploitation contraintes à commettre des crimes ou des délits doivent être considérées avant tout comme des victimes de délinquance forcée et doivent être exonérées de responsabilité pénale pour avoir commis de tels faits », comme y invite d’ailleurs l’article 6 du protocole de Palerme.

La prostitution, parce qu’elle s’inscrit toujours dans un rapport de domination, le plus souvent masculine, de violences et d’humiliation, ne doit plus être considérée comme une question marginale.

Cette proposition de loi a le mérite de poser le problème, mais elle ne répond pas à l’urgence et à l’ampleur de la situation, comme l’a d’ailleurs rappelé Mme la rapporteur.

Les réponses à la prostitution doivent porter sur le fond, s’inscrire dans le cadre d’une loi globale comportant au moins trois volets, relatifs à la société, au client et à la personne prostituée.

Pour le groupe CRC, la prostitution est non pas un métier, mais une violence, et nous saluons le travail du Mouvement du Nid, qui non seulement agit sur le terrain, mais est aussi force de proposition.

Nous avions d’ailleurs déposé en 2010 une proposition de loi qui, outre la suppression du délit de racolage, prévoyait différentes mesures relatives à la sensibilisation et à la responsabilisation des clients, à l’éducation, à la prévention, ainsi que des mesures sociales en direction des personnes prostituées afin de les accompagner et de leur permettre de sortir de la prostitution.

On le voit, la prostitution mérite un grand débat, car la réponse que l’on y apporte, mes chers collègues, dit beaucoup sur le projet de société que l’on porte : un projet aliénant ou un projet émancipateur.

Tout cela plaide en faveur de l’élaboration d’une loi globale, appelée de leurs vœux par cinquante-trois associations regroupées au sein du collectif Abolition 2012. Pour elles, l’abrogation du délit de racolage ne suffit pas et n’effacera pas les logiques contradictoires, voire les approches divergentes, qui peuvent exister, sur la question de la prostitution, entre abolitionnistes et réglementaristes.

Il est terrible de constater que, en 2013, on justifie toujours la prostitution en la présentant comme un « mal nécessaire », un « rempart contre le viol », un remède à la misère sexuelle d’une certaine catégorie d’hommes. Mais, en réalité, l’existence de la prostitution ne fait pas baisser le nombre de viols, au contraire. Ainsi, le Nevada, qui a légalisé la prostitution, affiche le taux de viols le plus élevé des États-Unis. Cela démontre que « sacrifier » des personnes protégerait les autres est une idée reçue, une hypocrisie masquant une violence institutionnelle qu’il faut éradiquer.

Nous considérons cette proposition de loi comme une première étape, qui doit être suivie rapidement par l’élaboration d’une loi globale, afin de conforter les associations et de trouver des réponses aux situations vécues par celles et ceux que l’on prostitue.

Pour notre part, nous considérons comme une véritable référence le rapport d’information de nos collègues députés Danielle Bousquet et Guy Geoffroy, qui se sont appuyés sur le travail d’associations de terrain, sur l’action reconnue d’organisations et d’élus, notamment communistes. Avec trente recommandations pour une politique globale, cohérente et respectueuse de l’engagement abolitionniste de la France, il y a matière à légiférer et à apporter une réponse globale à la prostitution. Les interventions de Mmes les ministres me semblent aller pleinement dans ce sens ; c’est un point extrêmement positif. §

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