Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, beaucoup de choses ont déjà été dites au cours de la discussion générale, mais j’aimerais revenir sur certains points.
Bien sûr, l’abrogation du délit de racolage est une nécessité. L’objectif avoué de l’introduction de ce délit dans la loi de mars 2003 était double : outre le fait d’apporter une réponse aux préoccupations des riverains, notamment quant aux nuisances engendrées, il s’agissait de lutter plus efficacement contre les réseaux de proxénétisme. Il va sans dire, compte tenu de la situation actuelle, que la mise en œuvre de cette disposition est un échec, tous les intervenants, ou presque, l’ont mentionné.
En tout état de cause, comment peut-on considérer les personnes prostituées comme des délinquantes ? Ce sont avant tout des hommes et, la plupart du temps, des femmes que la société doit protéger, car elles sont souvent soumises à de puissants réseaux de proxénètes. À cet égard, lors du vote de la loi de 2003, le Conseil constitutionnel avait déjà émis une réserve d’interprétation, en invitant les juridictions à « prendre en compte, dans le prononcé de la peine, la circonstance que l’auteur a agi sous la menace ou par la contrainte ». Autrement dit, les prostituées sont un peu délinquantes et un peu victimes ! Dans ces conditions, je le répète, le délit de racolage doit être abrogé.
Mais – ce « mais » est essentiel – cette abrogation, seule disposition de la proposition de loi initiale, se suffit-elle à elle-même? Non ! Elle ne permettra pas d’éviter la précarisation des personnes prostituées.
Bien plus, sans les mesures d’accompagnement, préconisées non seulement dans le rapport transpartisan d’avril 2011 des députés Bousquet et Geoffroy, mais aussi dans celui de I’IGAS, remis en décembre, sur les enjeux sanitaires liés à la prostitution, il faut craindre un « appel d’air », favorable aux réseaux internationaux de proxénétisme. Ce n’est pas acceptable !
De surcroît, je ne peux m’empêcher d’envisager le message subliminal que l’adoption de cette disposition isolée pourrait envoyer : la France reviendrait-elle sur sa position abolitionniste, réitérée pourtant par l’adoption à l’Assemblée nationale d’une résolution en décembre 2011 ?
La prostitution est une violence, dès lors qu’elle oblige à des rapports sexuels sans désir, contraints par un proxénète ou la précarité.
La prostitution est un obstacle fondamental à l’égalité entre les femmes et les hommes. Elle s’inscrit dans la tradition patriarcale de mise à disposition du corps des femmes – 90 % des prostitués sont des femmes –, au service de besoins supposés irrépressibles des hommes, qui constituent la grande majorité des clients.
La prostitution est aussi une atteinte à la dignité humaine, car elle place le corps humain dans le champ du marché et renforce la réification, déjà extrême, du corps de la femme.
La prostitution constitue donc une exploitation de toutes les inégalités que, en tant que parlementaire et citoyenne, je ne puis cautionner.
Or, pour satisfaire l’ambition abolitionniste de la France, il convient d’envisager un système global permettant de lutter contre l’achat de services sexuels, qui ne peut s’envisager, me semble-t-il, que par une responsabilisation du client et un accompagnement social et professionnel des personnes prostituées. Je souhaite que ce texte ne soit pas un pis-aller ou, pire, que son adoption ne signe pas la clôture des débats et travaux engagés depuis de longs mois, tant par les associations que par le Gouvernement et le Parlement. Je pense notamment aux deux rapports du Sénat et de l’Assemblée nationale, qui doivent être remis dans les prochains mois.
Cette proposition de loi doit donc s’inscrire dans une réflexion générale, afin que notre civilisation n’admette plus cette forme d’esclavage pesant essentiellement sur les femmes qu’est la prostitution, comme l’a écrit notre illustre prédécesseur Victor Hugo. Mais vous l’avez déjà dit, madame la ministre.