Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, on ne peut passer sous silence le contexte sécuritaire dans lequel l’article 225-10-1 du code pénal a été modifié en 2003, faisant brusquement passer l’infraction de racolage public de la contravention au délit, en y incluant le racolage passif.
Cette modification est en contradiction avec la position abolitionniste de la France depuis 1946 et la loi Marthe Richard, en vertu de laquelle les personnes prostituées sont considérées comme les victimes d’un système.
La création de ce délit, c’est, en fait, dix ans de perdus dans la lutte contre le proxénétisme et les réseaux mafieux. Comme le pointe justement notre rapporteur, cela n’a pas vraiment permis à la police, au final, d’accroître le démantèlement des réseaux mafieux. En revanche, la situation des personnes prostituées sur la voie publique, qui étaient déjà en grande fragilité, s’est aggravée.
Je rappelle que cela s’est traduit pas des gardes à vue et, dans certains cas, des condamnations ou des expulsions de femmes étrangères. De fait, s’est mise en place une sorte d’engrenage qui a éloigné les personnes prostituées des lieux d’accueil et de santé portés par les associations, lesquelles, dans le même temps, voyaient diminuer leurs moyens et, donc, leurs capacités d’intervention et de prise en charge. Parallèlement, les réseaux mafieux démontraient leur grande capacité de réactivité et d’adaptation. Médecins du monde juge ainsi que la création de ce délit a ajouté de la violence à la violence.
Mais le racolage passif, c’est aussi dix ans de perdus pour la réflexion, l’action et la mobilisation de moyens réels, afin de mener une véritable politique de lutte contre le proxénétisme et les réseaux mafieux et mettre en place un dispositif, nécessairement plus global pour être efficace, permettant de faire refluer la prostitution et de réinsérer ces personnes.
Car que nous disent les associations qui accueillent et aident les personnes prostituées, en travaillant à leur réinsertion ? Elles mettent en avant la nécessité d’un traitement global, transversal, mobilisant dans un même effort institutions, associations de proximité, coopération et amélioration de la législation nationale et internationale.
Ces exigences sont des urgences. La réflexion doit se poursuivre, car bien des idées d’acceptation de la prostitution – on vient d’en avoir, hélas, une triste illustration – sont encore à déconstruire.
Par ailleurs, l’ensemble des mesures que pourrait comporter un véritable dispositif de lutte contre la prostitution et les réseaux mafieux, comme la pénalisation du client, ne font pas consensus.
Je crois que nous partageons ici un même constat : aucune mesure ne pourra être efficace si elle demeure isolée. On ne peut donc s’arrêter à l’étape que nous propose aujourd’hui Esther Benbassa. Elle est nécessaire, mais ne peut rester sans lendemain. Mesdames les ministres, n’attendons pas !
La délégation au droit des femmes du Sénat, en lien avec celle de l’Assemblée nationale, a engagé un travail visant à actualiser le rapport très informé réalisé par Danielle Bousquet et Guy Geoffroy, en vue de la discussion d’un projet ou d’une proposition de loi de portée plus large. Car nous ne pouvons apporter une réponse unique !
Mes chers collègues, l’abolitionnisme ne peut pas se concevoir comme un basculement. C’est un processus, un engagement, une mobilisation de toutes et tous, à chaque instant. Cela nécessite de donner des moyens non seulement aux associations et aux personnels de police, de justice et de santé, mais aussi à ceux qui interviennent en matière de formation, d’éducation et de réinsertion. Il faudra également agir pour déconstruire, dans la société, la tolérance à la prostitution.