Ainsi, comme l’a relevé le Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport d’activité de 2012, le renouvellement des pièces d’identité n’est pas systématiquement organisé.
Dès lors, de nombreux détenus sortent sans justificatif d’identité, alors même que celui-ci constitue un préalable indispensable à de nombreuses démarches administratives : sans compte bancaire, il est impossible, par exemple, de contracter un abonnement mensuel de transport pour se rendre à Pôle emploi ou à un travail.
Monsieur le ministre, la seconde partie de ma question porte sur les conditions sanitaires de détention, qui, elles aussi, sont préoccupantes et semblent contraires à l’objectif de réinsertion que nous partageons.
Pourtant, il faut le reconnaître, d’importants progrès ont été accomplis, notamment depuis la loi du 18 janvier 1994, dont l’objectif était d’assurer aux personnes incarcérées « une qualité et une continuité de soins équivalant à ceux offerts à l’ensemble de la population ». En effet, depuis cette loi, les détenus sont affiliés au régime général de la sécurité sociale dès le premier jour de leur détention, et leurs dépenses de soins sont, à ce titre, intégralement prises en charge.
Cependant, un certain nombre d’obstacles importants s’opposent à la bonne prise en charge sanitaire des détenus, à commencer par des difficultés d’ordre administratif. Les délais d’affiliation auprès de certains organismes de sécurité sociale sont très longs : ils peuvent durer jusqu’à plusieurs mois.
Par ailleurs, bien que les personnes détenues puissent en théorie faire valoir un droit, par exemple à la couverture maladie universelle complémentaire, elles sont peu nombreuses à en disposer, du fait d’un déficit important d’information. Par exemple, une étude menée par la Caisse nationale d’assurance maladie en 2009 a montré que 67 % des détenus ne disposaient d’aucune couverture maladie complémentaire.
Un autre problème se pose concernant les affections de longue durée, les ALD, que l’assurance maladie ne souhaite pas prendre en charge durant l’incarcération. En la matière, la situation est chaotique. En effet, la communication entre la sécurité sociale et les services de l’administration pénitentiaire est extrêmement compliquée, ce qui provoque, par exemple, de très fréquentes ruptures de soins lors des permissions de sortie ou à la libération définitive, la sécurité sociale ne délivrant pas toujours aux détenus un document attestant de leur affiliation, et cela bien qu’une telle délivrance soit prévue par la réglementation.
Au-delà de ces difficultés d’ordre administratif, la présence des soignants en détention se heurte souvent à une culture pénitentiaire fondée sur le contrôle. Or celle-ci entre en contradiction avec les principes déontologiques de la médecine, qui, elle, suppose une relation de confiance avec le patient. Monsieur le ministre, mes chers collègues, ce point mérite lui aussi des réflexions approfondies et, certainement, des propositions de modification.
En pratique, on le sait, le secret médical est ainsi particulièrement mis à mal en prison. Lors des consultations, la confidentialité est difficile à réaliser, en raison notamment de l’exiguïté des locaux ou de leur manque d’insonorisation. La dispensation des médicaments est parfois effectuée par des personnels de surveillance, en contradiction avec les dispositions du code de la santé publique.
En outre, dans la majorité des établissements pénitentiaires, les distributions ne garantissent pas l’anonymat, notamment pour les traitements administrés aux patients atteints du VIH ou pour les traitements de substitution en cas d’addiction. Les informations circulent ensuite dans les lieux de détention, ce qui pose de réels problèmes.
L’accès aux soins est également souvent entravé par certaines règles qui prévalent dans les établissements pénitentiaires.
Par exemple, un déni existe autour de la question des pratiques sexuelles et de l’usage de drogues. Cette hypocrisie généralisée a pour conséquence les résultats médiocres enregistrés par la France dans la lutte contre les risques infectieux et la prévalence du VIH, qui est aujourd'hui 4, 5 fois supérieure en détention qu’en milieu libre.
Il y aurait aussi beaucoup à dire sur les difficultés que rencontrent certains détenus pour accéder à la boîte aux lettres du médecin ou encore sur les dysfonctionnements, liés notamment au manque d’effectif des surveillants, des interventions de nuit.
Les extractions en cas d’urgence ou de nécessité d’une consultation à l’extérieur ou d’une hospitalisation posent également de nombreux problèmes, puisque, en pratique et contrairement à ce que prévoit la réglementation, les personnes détenues sont presque systématiquement menottées lors de leur transfert, sans considération ni de leur « dangerosité » ni de leur état de santé. En 2006, après une visite en France, M. Alvaro Gil-Robles, commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, avait déjà dénoncé cette situation et indiqué qu’il y avait là une difficulté.
Par exemple, en 2010, un détenu de 28 ans victime d’un infarctus du myocarde survenu dans le centre de détention de Muret a été amené à demander réparation : ayant dû patienter trois heures avant d’être pris en charge, il avait subi les soins de préparation au bloc avec ses entraves aux pieds, bien que le médecin cardiologue ait demandé qu’elles lui soient ôtées. Et ce n’est qu’un exemple parmi bien d’autres.
Le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe a estimé que l’examen médical des détenus soumis à des moyens de contrainte, tel qu’il est pratiqué en France, constituait une « pratique hautement contestable tant du point de vue de l’éthique que du point de vue clinique ». Ces différentes pratiques sont d’autant plus inquiétantes qu’elles produisent, chez les personnes détenues, des refus de se soigner, ce qui, bien sûr, pose un problème de santé publique grave.
De manière générale, les moyens manquent. Là encore, dans son rapport d’activité de 2012, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté fait état d’une très grande inégalité dans l’offre de soins dans les lieux de détention.
En effet, l’accès aux soins spécialisés reste difficile : le manque de personnel médical, notamment de chirurgiens-dentistes, est général. Le problème est récurrent, les effectifs de soignants en prison ayant été déterminés en 1996 en fonction des places théoriques des établissements. Seize ans plus tard, le nombre de ces soignants est demeuré inchangé, alors que la population pénale, qui s’élevait alors à 57 000 personnes, en compte aujourd’hui 10 000 de plus.
Par ailleurs, l’offre de programmes d’éducation pour la santé et d’actions de prévention demeure souvent insuffisante faute de moyens humains, obligeant les unités de consultation et de soins ambulatoires, les UCSA, à se concentrer uniquement sur les soins curatifs.
Les récentes contaminations par le bacille de Koch, vecteur de la tuberculose, intervenues en prison mettent en lumière ce déficit de prévention. Le dernier cas révélé concerne cinq surveillants de la maison d’arrêt de Villepinte, contaminés par un détenu. Il faut dire que cet établissement, prévu au départ pour moins de 600 prisonniers, en compte aujourd'hui plus de 900…
De surcroît, l’accès aux soins est inséparable des conditions matérielles de vie des personnes privées de liberté. Or, en pratique et de manière générale, l’état d’insalubrité de certains établissements pénitentiaires limite l’utilité des contrôles.
Autre difficulté, les conditions de détention sont particulièrement mal adaptées à certains types de détenus. On pourrait notamment évoquer le vieillissement de la population pénale, qui entraîne, par ailleurs, une augmentation du nombre de personnes en situation de dépendance. On estime aujourd'hui que près d’un détenu sur dix a besoin d’une assistance quotidienne en raison d’un problème de santé. Or le manque de moyens favorise bien évidemment la dégradation accélérée des capacités d’une partie des détenus.
Enfin, les troubles psychiques concernent un nombre de plus en plus important de personnes en détention. Faute de structures de soins adaptées, l’hôpital laisse à la rue des malades, jusqu’à ce que leurs symptômes les fassent basculer dans la criminalité ou la délinquance. Aujourd'hui, ce problème a pris une dimension considérable, 16 % des détenus ayant été hospitalisés pour raisons psychiatriques avant leur incarcération.
Si la loi du 9 septembre 2002 a créé les unités hospitalières spécialement aménagées – ou UHSA –, certains professionnels, indiquant qu’ils les considèrent comme « un formidable effort dans la mauvaise direction », demandent une évaluation de la première tranche de ces nouvelles structures. Il est vrai qu’une réflexion doit être menée à leur sujet : en renforçant la psychiatrisation, en transformant l’hôpital en lieu de soin carcéral, les UHSA instrumentalisent la psychiatrie à des fins répressives, sans permettre à l’hôpital public d’améliorer ses missions de soin par ailleurs.
Il faudrait aussi réfléchir de façon urgente à l’atténuation de la responsabilité pénale des auteurs d’infraction dont le discernement était altéré au moment des faits. Mon collègue Jean-René Lecerf a notamment formulé des propositions très précises sur cette question.
Monsieur le ministre, pour résumer, vous aurez compris que notre groupe partage l’objectif que s’est fixé le Gouvernement : orienter les efforts et les moyens de la politique pénitentiaire vers la réinsertion plutôt que vers la répression. À ce titre, nous aimerions connaître les actions que le Gouvernement envisage pour améliorer les conditions sanitaires et sociales de détention en France.
Il nous semble important d’élargir le débat au-delà du problème de la récidive, un point important et sensible, qui a beaucoup été débattu ces dernières années. Depuis la révolution de 1789 – les textes de l’époque l’attestent –, sur la base de valeurs humanistes, notre République définit la prison comme le lieu de la sanction, mais aussi de l’amendement possible du condamné par le travail et par la formation. En 2013, quels moyens mettons-nous en œuvre pour donner aux détenus cette possibilité d’amendement ?
Monsieur le ministre, par cette question orale avec débat, nous voulions vous alerter sur la situation des détenus, qui est loin d’être satisfaisante, et qui est même terriblement préoccupante. Nous espérons que nous pourrons travailler ensemble à l’améliorer.