Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à souligner le grand mérite de Mme Archimbaud, grâce à qui ce débat a lieu aujourd'hui. Nous devons tous la remercier.
Un certain nombre d’entre nous étaient présents dans cet hémicycle lors de l’examen de la loi pénitentiaire et ont soutenu ce texte, sur l’ensemble de nos travées. Cette loi avait suscité chez nous beaucoup d’espérance et de nombreuses attentes, notamment parce qu’elle avait le grand mérite d’essayer de s’appuyer sur les règles pénitentiaires européennes, lesquelles sont des orientations fondamentales.
Trois ans et demi après le vote de la loi pénitentiaire, nous voici obligés aujourd'hui de nous pencher de nouveau sur la réalité carcérale. Et le constat n’est pas joyeux, comme le montrent le travail d’évaluation de Jean-René Lecerf et de Nicole Borvo-Cohen Seat, le rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, l’excellent rapport de notre collègue député, Dominique Raimbourg, mais aussi les travaux de la Chancellerie, notamment la conférence de consensus pour une nouvelle politique publique de prévention de la récidive et la circulaire de politique pénale publiée en septembre dernier par Mme la garde des sceaux.
Tous ces documents vont dans le même sens. Ils mettent d’abord en lumière une évidence, qui a déjà été évoquée et dont je ne dirai donc qu’un mot : il convient, mes chers collègues, de ne jamais oublier le sens de la peine. Celui-ci n’est pas, évidemment, de priver les détenus de leurs droits. La peine doit avoir un sens pour la société, comme pour le détenu. Elle doit viser à prévenir les futures infractions, d’empêcher la récidive. Or on ne prévient pas cette dernière en retirant le droit des prisons, en supprimant les droits des détenus.
Ces documents soulignent un autre aspect, d’une portée considérable, que plusieurs orateurs, notamment Jean-René Lecerf, ont évoqué. On peut parler longuement des droits, mais si l’on ne veut pas qu’ils restent purement formels, il faut se pencher sur les conditions matérielles que connaissent les détenus.
Tous les rapports que je viens de mentionner, ainsi que les prises de position de Mme Taubira, nous le rappellent : l’aspect matériel de la question est essentiel. Tant que nous connaîtrons cet état de surpopulation pénale, les droits que la loi pourra conférer aux détenus ne seront pas véritablement exercés par eux.
Je rappellerai d’un mot la situation. La surpopulation pénale est un fait. Elle se traduit par la cohabitation de plusieurs détenus dans une même cellule, dans laquelle, parfois, des matelas sont mis à même le sol, par manque de lits.
J’aime reprendre une formule, certes un peu provocante, je le reconnais, pour illustrer ce point. Je ne comprends pas qu’un arrêté fixe la superficie des chenils et accorde à chaque chien cinq mètres carrés quand nous sommes incapables de rédiger un texte réglementant la superficie à laquelle chaque détenu a droit ! Tout ne se compare pas, bien sûr, mais ce point a pour moi quelque chose de choquant.
Si nous en sommes là, c’est que nous sortons d’une décennie d’inflation carcérale. Au cours de la période 2002-2012, le nombre des personnes placées sous écrou s’est accru de 52 % et celui des personnes détenues de 34 %. Naturellement, ces augmentations ont provoqué les plus grandes catastrophes : la promiscuité, donc, souvent, la perte du droit à la dignité, la violence, les suicides. Elles compromettent le respect des droits sociaux et sanitaires qui sont au cœur de notre discussion.
Je tiens à évoquer plus longuement trois de ces droits : le droit au travail, le droit au maintien des liens familiaux et le droit à l’intégrité physique.
En ce qui concerne le droit au travail, je rappellerai seulement que l’article 27 de la loi pénitentiaire reconnaissait déjà le principe d’une obligation d’activité. Or nous ne pouvons que regretter l’interprétation réglementaire qui en a été faite.
Dans notre esprit, le droit à l’activité signifiait essentiellement un droit à la formation, donc, évidemment, à la réinsertion. Toutefois, le décret a élargi cette interprétation. Il a considéré que les activités éducatives, certes importantes, et sportives, sans doute essentielles, entraient dans le champ du droit à l’occupation. Ce n’est pas exactement ce que le législateur avait entendu !
Le chiffre a déjà été donné – vous m’excuserez, mes chers collègues, de le rappeler –, seuls 39 % des détenus exercent aujourd'hui une activité au sein d’une prison. C’est un drame pour la réinsertion, car c’est par le travail en prison que l’on apprend à travailler en dehors de celle-ci.
C’est un drame, également, au cœur même des prisons. Dans ces lieux, l’indigence est une misère effroyable. En prison, un indigent devient l’esclave des autres prisonniers, d’une multitude de façons, que je ne décrirai pas ici. En prison, l’indigence est source d’un esclavage moderne – et encore, ce dernier adjectif semble inapproprié.