J'ai moi-même commencé la musique à quatre ans dans la classe de mon père au conservatoire du Mans. Il n'y a pas de secret : il faut être habité par la musique, et le plus tôt est le mieux. Notez qu'à l'époque, le conservatoire était gratuit. Les quatre enfants que nous étions y avons tous eu accès. Aujourd'hui, même avec le quotient familial, cela devient très difficile, car la somme que les familles doivent avancer en septembre est importante. Dans mon rapport pour le Conseil économique, social et environnemental, je défends l'idée sans doute peu réaliste d'intégrer l'éducation artistique au socle fondamental de connaissances. Le petit garçon de Mantes-la-Jolie m'avait d'ailleurs dit que ses parents lui faisaient pourtant écouter de la musique à la maison, mais « pas la même ». J'ai essayé de lui expliquer que s'il n'y avait aucune hiérarchie entre les cultures, mon travail était de lui apprendre la culture européenne, qui lui servirait toute sa vie.
Au Mans, j'ai obtenu le premier prix de violon à 13 ans, avant de devenir violon solo au sein de l'orchestre des élèves. Lorsque le chef était absent, je dirigeais à sa place ! J'ai ensuite intégré la classe de direction d'orchestre nouvellement créée, avant de passer le concours du Conservatoire national supérieur de musique de Paris (CNSM), à l'époque rue de Madrid. En direction d'orchestre, il n'y avait que deux places pour cinquante candidats. J'en suis sortie avec le premier prix, en juillet 1969. J'ai partagé la Une de France-Soir avec Neil Armstrong : le premier homme sur la lune, la première femme chef d'orchestre... J'ai toujours été la seule femme dans les classes de direction d'orchestre. L'absence de modèle n'a pas facilité ma recherche d'identité artistique, d'autant que le corps d'une femme ne s'exprime pas comme celui d'un homme, et que le métier de chef est très charnel, très physique.
J'ai fait partie d'un récent jury de direction d'orchestre au CNSM. Sur 18 candidats, il n'y avait qu'une seule femme, malheureusement éliminée précocement. J'étais prête à la soutenir, mais elle n'était pas au niveau. Bien évidemment, je défends la parité à niveau de compétence égal. Pour que les femmes percent dans ces métiers, il leur faut des modèles, des preuves qu'il est possible de mener ces carrières. Je fais partie d'une génération où l'on pouvait toujours trouver du travail. Aujourd'hui, les jeunes gens veulent des postes fixes, car le marché se contracte, les institutions ferment - voyez à Florence -, les saisons se réduisent.
Ceux qui souffrent le plus sont les bons artistes en milieu de carrière. Les stars comme Martha Argerich ne rencontrent aucune difficulté, pas davantage que de jeunes artistes peu coûteux. On peut proposer aujourd'hui environ 900 euros à un jeune pianiste pour un récital, ce qui est très faible pour rémunérer des mois de travail. Certains très bons artistes se produisent dans des festivals de village ! Les femmes sont souvent les premières touchées.