La délégation auditionne tout d'abord Mme Bérénice Vincent, présidente de l'Association « Le deuxième regard », responsable du Pôle Création, accompagnée de Mme Delphine Besse, responsable du Pôle industrie.
Nous poursuivons nos travaux sur la place des femmes dans le domaine et les métiers de la culture et, après quelques auditions qui nous ont permis de prendre une vue générale, nous commençons à aborder, ce matin, des secteurs particuliers : avec Mmes Bérénice Vincent et Delphine Besse, qui représentent l'Association « Le Deuxième Regard », nous allons évoquer la place des femmes dans le cinéma. Il semble que, par rapport aux années 1960 où des réalisatrices comme Agnès Varda faisaient figure d'exception, les femmes soient mieux représentées, aujourd'hui, dans les métiers de la production et de la réalisation du cinéma. De nombreuses réalisatrices ont acquis une véritable notoriété et les « films de femmes » - expression peut-être préférable à celle de « cinéma féminin » - sont de mieux en mieux diffusés. Des inégalités subsistent, toutefois : les femmes ont plus de difficultés à surmonter les obstacles qui se présentent aux différentes étapes de la production et de la diffusion d'un film. La question de l'égalité d'accès, pour les femmes, à la production, à la réalisation et à la diffusion du cinéma nous paraît particulièrement importante, car le cinéma, c'est aussi, pour une société, une façon, magnifiée par la puissance des images, de se regarder et de se raconter à elle-même. Il nous paraît essentiel que des regards féminins puissent, à égalité avec des regards masculins, contribuer à façonner ces représentations qui influencent notre façon de vivre et de sentir et, en particulier, les rapports entre les sexes. Je suis sûre que vos analyses et vos propositions nous seront précieuses pour avancer sur ce sujet
Merci pour votre accueil. Le cinéma est à la fois un art et une industrie, comme l'a dit Malraux : pas de réalisation sans production. Nous avons créé « Le deuxième regard » en janvier dernier, car notre cinéphilie est majoritairement masculine : la part des réalisatrices n'est que de 25 % en France, de 12 % en Europe, et de 5 % aux États-Unis. Nous avons donc souhaité nous intéresser aux femmes qui travaillent dans le secteur du cinéma, et les mettre en avant en créant un réseau de femmes de l'industrie et de la création, car le processus d'identification et la visibilité sont essentiels pour faire bouger les choses. Notre association est aussi ouverte aux hommes, même s'ils y sont encore, hélas, peu nombreux. Le cinéma est un art populaire, sa force de frappe sur l'imaginaire collectif est très forte. Il fait la promotion d'un certain mode de vie, d'une certaine vision du monde, de la politique, et du rapport entre hommes et femmes. Son impact est donc important. Nous ne sommes pas partisanes de l'essentialisme, et ne pensons pas qu'il y a un cinéma de femmes, différent par nature de celui réalisé par des hommes. Mais, même en étant affranchie de la plupart des stéréotypes - ce qui est assez rare - nous grandissons en incorporant l'image de la femme que notre entourage, les médias ou les responsables politiques nous renvoient. Notre vision du monde est donc en partie conditionnée par le fait qu'on naisse fille ou garçon. Heureusement, d'autres données s'ajoutent : classes sociales, histoire personnelle et autres influences sont autant éléments qui participeront à définir l'identité d'une oeuvre. La polémique dont le Festival de Cannes a fait l'objet l'année dernière a montré que l'absence de femmes en compétition agaçait. Mais le festival est le bout de la chaine : il faut travailler la visibilité bien plus en amont. Cette année, beaucoup de films de réalisatrices sont prêts à être présentés au Festival, je doute que le comité de sélection cherche à s'attirer à nouveau les foudres des critiques. Quand il n'y a pas de femmes en compétition, on nous reproche de compter mais quand il y en a quelques-unes, on nous le demande ! A cet égard, il est très étonnant qu'aucun état des lieux chiffré n'ait été fait dans le cinéma. Nous avons donc commencé à établir nos propres chiffres, qui doivent être maniés avec précaution car certaines données nous manquent. Nous comptons d'ailleurs sur le soutien du Centre national du cinéma (CNC) et du ministère de la Culture pour obtenir des chiffres plus complets.
L'association va d'abord se concentrer sur quatre secteurs dans le domaine de la création : scénarisation, réalisation, montage et direction photo. Une première division apparaît : entre les postes autonomes (scénaristes et monteurs) et les postes nécessitant la gestion d'une équipe (réalisation et direction photo).
Dans le montage, les Césars indiquent une certaine prépondérance des femmes. Nous attendons une réponse de l'association des monteurs pour obtenir des chiffres détaillés, mais il semble que cette prépondérance tende à s'estomper depuis l'apparition de l'informatique dans le montage.
En ce qui concerne la scénarisation, il faut souligner qu'en France, les réalisateurs de cinéma sont très souvent les auteurs des scénarios de leurs films. Cela nous renvoie donc à la problématique des femmes dans la réalisation. Nous sommes en contact avec la Guilde des Scénaristes pour obtenir des chiffres précis sur le nombre de femmes scénaristes dans le cinéma, où elles sont bien moins nombreuses qu'à la télévision. Ainsi, seules ont été récompensées par des Césars Coline Serreau et Tonie Marshall ; sinon, il s'agit toujours de scénaristes femmes collaborant avec un scénariste homme.
Le directeur de la photographie coordonne les efforts de trois équipes, souvent majoritairement masculines car il s'agit de métiers physiques : caméra, machinerie et éclairage. Il peut aussi assumer le travail du cadreur. Nous avons contacté l'association des directeurs photos, qui comprend 12 % de femmes, et nous n'avons eu aucune réponse.
Une étude du CNC publiée en mars 2013 indique que 25 % des films produits en 2012 sont réalisés par des femmes. C'est la seule donnée genrée dont nous disposons sur le cinéma. Il serait intéressant de savoir quelle proportion de ces films sont des premiers, ou des deuxièmes films : une des difficultés est celle de la longévité des réalisatrices, de leur capacité à construire une oeuvre sur la durée.
La formation est une étape essentielle. L'année dernière, le directeur de la Fémis faisait état d'une parité dans quasiment toutes les sections, avec une part de femmes variant entre 48 % et 52 %. Il précise néanmoins que les femmes sont plus nombreuses au sein de la formation « script » et un peu moins nombreuses en réalisation. Cependant, certaines jeunes réalisatrices, comme Céline Sciamma ou Alice Winocour, viennent de la formation « scénario ». La visibilité de ces femmes semble donc diminuer une fois qu'elles entrent dans le monde du travail. Nous aimerions avoir le point de vue de la Fémis sur le suivi de ses anciens élèves. Nous sommes en contact avec cette école, ainsi qu'avec l'École Louis Lumière et la Fondation Culture et Diversité. Le financement est un point important. Les Commissions du CNC sont à peu près paritaires. Toutefois, d'après un rapide calcul, seules 30 % des avances sur recettes sont attribuées à des femmes. Mais il faudrait connaître, avant d'en tirer des conclusions, la proportion de dossiers soumis par des femmes. Il est important que les nouvelles générations puissent avoir des modèles de femmes artistes. A la Cinémathèque, seules trois réalisatrices ont fait l'objet de rétrospectives : Catherine Breillat, Naomi Kawase et Christine Pascal. Claire Denis, Agnès Varda ou Chantal Ackerman n'ont pas retenu l'intérêt où peut-être ont-elles refusé l'invitation ? Nous souhaitons rencontrer l'équipe de programmation afin de comprendre cette absence. Un jeune réalisateur talentueux comme Rabah Ameur Zaimeche, qui a seulement réalisé quatre films, a déjà eu droit à une rétrospective. En revanche, nombreuses sont les comédiennes dont la carrière a fait l'objet d'une programmation. Nous n'avons pas d'état des lieux précis pour les festivals de Berlin et Venise, mais à Cannes, au cours des cinq dernières années, les films réalisés par des femmes n'ont représenté que 8,7 % des films en compétitions, 10% des films labélisés « un certain regard », 18,5 % des films présentés à la Quinzaine des réalisateurs et 27 % des films présentés à la Semaine de la critique, où il n'y a que des premiers et deuxièmes films. Seules quatre femmes ont été présidentes du jury au cours de vingt dernières années, et toutes étaient comédiennes : Isabelle Huppert, Liv Ullmann, Isabelle Adjani et Jeanne Moreau. Au cours des cinq dernières années, le jury a été paritaire trois fois. Mis à part une réalisatrice (Andrea Arnold), une productrice japonaise et une écrivaine, seules des comédiennes y ont été représentées. Jane Campion est la seule femme à avoir obtenu la Palme d'Or (ex aequo avec Chen Kaige), en 1993. Seule Tonie Marshall a obtenu le César de la meilleure réalisatrice en 2000. En 37 ans d'existence, les Césars ont récompensés par le César du Meilleur Film seulement quatre films réalisés par des femmes. Je n'aborderai pas les aspects sociologiques voire philosophiques de la représentation de la femme dans les films : des universitaires comme Brigitte Rollet ou Geneviève Sellier le feraient bien mieux que moi.
Comme l'a dit Reine Prat, « Les critères de sélection sont, par définition, entièrement subjectifs. Le problème est qu'ils reflètent la subjectivité des quelques personnes sur qui repose tout le système ». Nous ne pensons pas que les décideurs écartent les femmes de manière consciente. Le problème est bien plus larvé et complexe que cela.
Le cinéma est un art, mais aussi une industrie qui brasse beaucoup d'argent. Dans les grands groupes qui dominent le secteur en France, la place des femmes dans les postes de direction est faible. Il est vrai que les préoccupations sont actuellement plus orientées vers l'extension de la convention collective que vers les questions de parité - même si cela concerne aussi de nombreuses intermittentes. Quels sont les principaux groupes ? Gaumont, Pathé, UGC, EuropaCorp et MK2. Les deux premiers appartiennent à la famille Seydoux. Le conseil d'administration de Gaumont comporte 30 % de femmes, mais cela est dû à la structure familiale : toutes ces femmes, sauf une, appartiennent à la famille Seydoux... Gaumont est le seul groupe dirigé par une femme, Sidonie Dumas. Les femmes y sont majoritaires (59 %), mais pas au niveau des cadres (50 %), ce qui signifie qu'elles sont majoritaires dans les emplois non qualifiés. Le conseil de direction de Pathé compte deux femmes sur huit membres ; encore l'une des deux est-elle membre de la famille Seydoux. Il n'y a qu'un tiers de femmes parmi les principaux dirigeants opérationnels. Chez UGC, c'est encore le Moyen-âge : le conseil d'administration n'est composé que d'hommes, dont le plus jeune a soixante-et-un ans ! La société de Luc Besson, EuropaCorp, ne compte qu'une femme à son conseil d'administration, sur sept membres, et les trois principaux dirigeants y sont des hommes. MK2 est un groupe indépendant, familial, dirigé par Martin Karmitz et ses deux fils - peut-être, s'il avait eu des filles, auraient-elles eu un poste important...
Un autre maillon de la chaîne de production est constitué par les chaînes de télévision, dont les filiales cinéma investissent dans la production. Sans ce financement, rien n'est possible. Un rapide aperçu montre que tous les décideurs sont des hommes, souvent entourés d'équipes féminines. Chez TF1 Films Production, le directeur général est un homme, comme le sont tous les cadres de TF1 Droits Audiovisuels. Chez France Télévisions, qui est un groupe public, France 2 Cinéma et France 3 Cinéma sont dirigés par des hommes ; les équipes d'acquisitions sont plus féminines mais ces acquisitions restent marginales comparées aux investissements en production. Arte France Cinéma est certes dirigé par Véronique Cayla, mais c'est l'arbre qui cache la forêt : l'équipe cinéma est dirigée par un homme, dont l'adjoint est aussi un homme. Une fois encore les équipes d'acquisitions sont plus féminines. Chez M6, le directeur des acquisitions est un homme, secondé par un autre homme. L'équipe d'acquisition ne compte qu'une femme sur quatre personnes - encore n'a-t-elle été promue que récemment.
La direction du Cinéma du groupe Canal Plus est occupée par un homme, le directeur des acquisitions de films français est un homme, comme l'est le directeur des acquisitions de films étrangers. Les équipes d'acquisitions sont plus féminines que dans les autres chaînes mais les femmes n'obtiennent des postes de direction que dans les chaines mineures du groupe, dont les budgets d'acquisition sont nettement plus petits. Quant à la filiale de production Studiocanal, on y trouve seulement trois femmes sur dix membres du conseil d'administration et la majorité des directions de service restent monopolisées par des hommes, les femmes étant cantonnées à des fonctions typiquement féminines : ressources humaines, service juridique, communication...
Il est difficile de faire un état de lieux sur la production indépendante, organisée en petites, parfois toutes petites structures. Au sein des organisations professionnelles qui les représentent, la situation n'est guère plus réjouissante. Il s'agit, pour la production, de l'Association des producteurs de cinéma (APC), du Syndicat des producteurs indépendants (SPI), de l'Association française des producteurs de films (AFPF), et de l'Union des producteurs de films (UPF), pour la distribution, du Syndicat des distributeurs indépendants (SDI), des Distributeurs indépendants réunis (DIR), et de la Fédération nationale des distributeurs française (FNDF), et pour l'exploitation, de la Fédération nationale des cinéma français (FNCF), responsable, entre autres, de la Fête du Cinéma et du Printemps du Cinéma, et de l'Association française des cinémas d'art et d'essai (AFCAE). Toutes ces organisations comptent en tout 213 membres dans leur conseil d'administration, dont seulement 32 femmes, soit 15 % : nous sommes loin de la parité ! De surcroît, les femmes sont rarement présidentes, plus souvent administratrices simples. La problématique est donc la même que dans la plupart des secteurs : la parité est parfois respectée sur la globalité de la société mais très peu de femmes sont à des postes décisionnaires.
Il nous faut des chiffres précis et validés par les instances dirigeantes. C'est pourquoi nous avons besoin du soutien du CNC et du ministère. Il faut créer une prise de conscience et, chez les femmes, une prise de confiance : elles doivent être plus solidaires entre elles, cesser de s'autocensurer. Beaucoup de femmes, une fois parvenues à des postes de direction, ne s'entourent que d'hommes ; mais si elles choisissaient des femmes elles seraient taxées de favoritisme ! Rendre anonyme les dossiers de candidature ne serait pas efficace : dans le milieu du cinéma l'information circule très vite, et chacun sait quel film est préparé par qui. Reine Prat a récemment fait part de sa consternation face à cette situation qui n'a pas évolué, allant jusqu'à soulever la question des quotas. Le Swedish Film Institute en a mis en place en 2010, avec pour objectif d'atteindre la parité en 2015 : c'est une expérience à suivre attentivement, même si elle semble impossible à mettre en place en France. Nous allons, si nous obtenons suffisamment de subventions, organiser des manifestations collectives autour des femmes du secteur : soirées de projection, ateliers, mais aussi un fonds de soutien et un prix diversité.
Le décor que vous campez nous afflige sans nous surprendre : notre grille de lecture s'applique à votre domaine. Je retiens de vos propos la nécessité d'obtenir des chiffres et de dresser un état des lieux ; l'importance de la formation et de tout ce qui en découle ; celle des questions de financement, aussi. Vous avez indiqué que ce n'est pas de manière consciente que les femmes étaient mises à l'écart. En effet, des stéréotypes puissants sont à l'oeuvre, qu'il faut travailler à déconstruire, sans doute dès le plus jeune âge.
Le constat que vous dressez est éloquent : la culture n'échappe pas à ce que nous avons pu relever dans d'autres domaines. On trouve davantage les femmes à l'écran que derrière les caméras, dans les rôles de rédaction et de conception. Elles sont nombreuses dans les écoles de cinéma, mais vous avez indiqué que dans certains métiers, physiques ou techniques, elles étaient moins bien représentées : pourtant, elles peuvent les exercer, tout est une question de représentation ! Mme Filippetti a réaffirmé l'objectif de parité dans toutes les instances de décision. Mais il faut être vigilant. Vous l'êtes, nous vous en sommes reconnaissants.
Que voulez-vous dire lorsque vous évoquez les difficultés qu'éprouvent les femmes à construire une oeuvre dans la durée ? S'agit-il de difficultés de financement ? Il est vrai qu'il est toujours plus difficile pour une femme d'obtenir des financements pour réaliser un projet : les budgets qu'on lui alloue sont toujours plus restreints. Ou s'agit-il de difficultés d'un autre ordre ? La question de la représentation des femmes dans les films est intéressante, mais nous l'évoquerons une autre fois. Sur la formation, vous avez indiqué que la Fémis était fréquentée aussi par des filles. Mais il est essentiel de suivre les élèves dès leur sortie : vers quels métiers se dirigent-elles ? Trouvent-elles un emploi ? Ces écoles sont souvent dirigées par des hommes.
Louis Lumière est dirigée par une femme.
Les grands groupes ne respectent pas la loi qui impose 40 % de représentation féminine dans les conseils d'administration ! Commencent-ils à s'y conformer ? Vous avez évoqué, avec l'extension de la convention collective, un sujet brûlant, qui touche le régime des intermittents sur lequel je travaille. Nous avons été alertés de toutes parts sur ce problème, et nous devrons sans doute nous en saisir. Le projet d'accord entre les États-Unis et l'Union européenne menace l'exception culturelle française, malgré les assurances que m'a données le Président. Enfin, pouvez-vous nous préciser l'histoire de votre association ?
Elle a été créée il y a trois mois.
Elle doit servir d'aiguillon. Vous n'avez pas évoqué France 24 et TV 5, où une femme dirige...
C'est vrai, mais France 24 n'est pas très impliquée dans le cinéma.
Madame Vincent, vous avez indiqué que les femmes n'étaient pas délibérément écartées, mais qu'un mécanisme plus larvé et plus complexe était à l'oeuvre. Vous me laissez sur ma faim ! Pouvez-vous nous en dire plus ? S'agit-il du jeu des stéréotypes ? Votre association est ouverte aux hommes : pourquoi y sont-ils peu nombreux ?
Peut-être parce qu'ils se sentent moins concernés...
Ils pourraient venir tout de même, comme nous le faisons dans cette délégation !
Pourriez-vous nous donner quelques précisions sur l'écart entre le nombre de femmes scénaristes au cinéma et celui de femmes qui le sont à la télévision ? Et sur l'écart entre ces proportions en France et celles que connaissent les autres pays d'Europe ? Vous nous avez indiqué que le conseil d'administration de Gaumont comptait 30 % de femmes : même si c'est dû à la composition de la famille Seydoux, ce n'est pas si mal...
Nous ne pouvons pas en faire un exemple de parité !
Le CNC comporte deux collèges qui attribuent les avances sur recettes : le premier examine les premiers films, le deuxième les autres. On constate que les femmes sont moins nombreuses à obtenir une avance sur recettes dans le second que dans le premier. Sans doute y en a-t-il moins encore dans la suite du parcours. Six court-métrages de femmes ont été récompensés par des Césars : on devrait retrouver ces femmes ensuite, or ce n'est pas le cas. Seule Jane Campion, qui a eu le prix du meilleur court-métrage en 1986, a eu ensuite la Palme d'Or au festival de Cannes. On se félicite que de nombreuses jeunes réalisatrices comme Céline Sciamma, Katell Quillevere, Rebecca Zlotowski ou Sophie Letourneur, talentueuses et dynamiques, mais elles restent minoritaires si on les replace dans l'ensemble de la production française. Combien de temps continueront-elles à créer ? Cela nous renvoie à la problématique plus générale de l'épanouissement professionnel de la femme : les naissances d'enfant induisent des moments de pause, pendant lesquels les hommes, eux, continuent sur leur lancée. Les choses doivent être changées en profondeur par les instances politiques, dès les premières années. C'est aussi un combat que les femmes doivent mener elles-mêmes au sein de leur famille.
Nous nous sommes interrogés sur la rénovation du congé parental : faut-il créer un droit modulable, portable tout au long de la vie par le couple ?
C'est une très bonne idée. Très peu d'hommes prennent leur congé de paternité.
Il faut qu'une volonté politique l'impose aux hommes, car beaucoup de femmes ne sont pas en position de pouvoir argumenter avec leur conjoint, qui gagne plus... Pour notre part, nous ne prétendons pas être une solution de fond.
C'est vrai que beaucoup d'écoles sont dirigées par des hommes. Il est important que les équipes d'encadrement aient un discours paritaire. Beaucoup de femmes n'ont pas un tel discours, elles sont dans des stéréotypes, c'est affligeant. Certains hommes sont beaucoup plus paritaires que certaines femmes.
Notre association est toute jeune. Son troisième membre fondateur n'est pas là aujourd'hui. Nous avons deux pôles : industrie et création. Notre site expose en détail les actions que nous envisageons.
En parlant d'une discrimination larvée et complexe, je voulais dire que les stéréotypes sont très forts, et souvent inconscients. Les réflexions que certains hommes nous ont faites lorsque nous avons créé cette association l'attestent. Les femmes ne sont pas une minorité ! Mais ces stéréotypes n'agissent pas à visage découvert - ce serait sans doute plus facile de les combattre.
Nous attendons des chiffres de la Guilde des scénaristes, mais il semble que les femmes soient beaucoup plus nombreuses dans la scénarisation à la télévision qu'au cinéma. Beaucoup de réalisateurs sont auteurs de leurs scénarios au cinéma.
La ministre des droits des femmes, Mme Vallaud-Belkacem, a la volonté de faire appliquer les sanctions pour les entreprises qui ne respectent pas l'obligation légale d'avoir 40 % de femmes dans les conseils d'administration, puisque l'existence seule de la loi ne suffit pas à changer les choses.
La ministre de la culture, Mme Filippetti, a pris une circulaire en ce sens, mais pour un autre domaine.
Il faut, en effet, passer aux actes.
Les actions que vous avez annoncées me rappellent les saisons égalité homme-femme dans le spectacle vivant.
Nous sommes en contact avec le collectif H/F, nous déjeunons d'ailleurs avec elles ce midi.
Assurez-les que notre travail continue. En mars dernier il y a eu une semaine égalité hommes-femmes ; dans mon département il n'y avait pas un tel collectif : nous allons le mettre en place.
La route est longue...
Mais nous commençons à la parcourir ! Nous ne lâcherons pas la rampe. Notre travail contribue à élever le débat et à susciter une prise de conscience de la justesse de la reconnaissance de la parité dans toutes les sphères de la société.
La délégation auditionne ensuite Mme Claire Gibault, directrice du Paris Mozart Orchestra, vice-présidente de la Section Culture-Éducation du Conseil économique, social et environnemental (CESE), ancienne députée européenne.
Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Claire Gibault, avec qui nous allons évoquer la place des femmes dans le secteur de la musique. Lorsqu'elle était députée européenne, Mme Gibault a consacré à ce sujet un rapport. Elle a en outre travaillé sur le statut social des artistes. Son engagement politique et social l'a conduite à exercer aujourd'hui la responsabilité de vice-présidente de la Section Culture-Éducation du Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Mme Gibault connaît d'autant mieux le secteur de la musique qu'elle est elle-même musicienne et qu'elle exerce le métier dans lequel les femmes ont, encore aujourd'hui, le plus de mal à s'imposer : le métier de chef d'orchestre. Elle a travaillé avec les plus grands - Claudio Abbado, John Eliot Gardiner - et elle a dirigé des formations prestigieuses. Elle vient en outre de créer le « Paris Mozart Orchestra », ce qui me conduira à lui demander si les femmes ne peuvent accéder à des postes de responsabilité qu'à la condition de créer leur propre orchestre.
Madame, nous souhaitons plus largement recueillir votre point de vue sur l'accès des femmes à la direction des institutions musicales, et plus généralement sur leur accès aux métiers de la musique : les jeunes filles, sans doute majoritaires parmi les élèves des conservatoires, ont-elles autant de chances que les garçons d'accéder aux postes prestigieux de l'enseignement au sein du Conservatoire national supérieur de musique (CNSM), aux grandes formations symphoniques ou aux carrières de solistes ou de compositeurs ?
A quels obstacles les femmes sont-elles confrontées ? Ceux-ci tiennent-ils au mode de vie des musiciens ou d'autres mécanismes sont-ils en cause ? Nous serons très attentifs aux constats et analyses que vous nous présenterez ainsi qu'aux suggestions que vous nous proposerez pour faire avancer les choses dans ce domaine. Si notre délégation n'a pas de pouvoir législatif, elle peut émettre des recommandations utiles.
directrice du Paris Mozart Orchestra, vice-présidente de la Section Culture-Éducation du Conseil économique, social et environnemental (CESE), ancienne députée européenne. - En tant que vice-présidente de la Section Culture-Éducation du Conseil économique, social et environnemental (CESE), j'ai écrit un rapport sur l'éducation artistique tout au long de la vie qui sera remis à M. Delevoye le 18 juillet 2013. C'est un combat que je mène depuis de nombreuses années : à l'Opéra de Lyon déjà, j'étais responsable de la maîtrise de jeunes enfants ; aux côtés de Claudio Abbado, plus tard, j'ai organisé des concerts dans des établissements pénitentiaires ; aujourd'hui, le Paris Mozart Orchestra a noué un partenariat avec l'éducation nationale, dans le cadre du Réseau Ambition Réussite dans les collèges et lycées.
Le Paris Mozart Orchestra est le seul orchestre qui traite des questions d'égalité. Il n'a aucun musicien permanent et ne reçoit pas de fonds publics. Son financement est assuré par des fonds privés d'entreprises et d'associations familiales. Ses membres ont tous signé une charte instaurant la parité aux postes de solistes, dispositif qui n'existe nulle part ailleurs. J'ai d'ailleurs été contactée par le collectif La Barbe, ce groupe d'action féministe venu il y a deux semaines féliciter le directeur de l'Opéra Bastille pour avoir élaboré une programmation dépourvue de femme chef, librettiste ou compositeur, ce à quoi celui-ci a répondu qu'il n'en connaissait pas « de talent » ! Il s'est ensuite défendu en citant les femmes danseuses ou chanteuses, mais nous savons bien que la parité ne pose pas de problème dans les rôles pré-distribués...
Mon analyse est la suivante : cette inégalité de fait est liée à l'omniprésence des hommes aux postes de direction des institutions culturelles. Lorsque j'étais au Parlement européen, j'ai demandé à obtenir des statistiques sur ce point. Elles se sont révélées très parlantes : les femmes qui sont à la tête d'une institution culturelle ont créé elles-mêmes leur entreprise. C'est pourquoi, de retour dans le monde musical à l'issue de mon mandat, je n'ai rien attendu des institutions françaises. Je venais de diriger Idomeneo à Washington avec Placido Domingo, ainsi que d'autres oeuvres à la Scala de Milan et à Berlin, et pourtant, de l'Opéra de Rennes ou de l'Orchestre de Chambre de Toulouse auxquels j'avais envoyé ma candidature, je n'ai reçu aucune réponse ! Force est de constater que ni Laurence Equilbey, ni Laurence Haïm, ni Nathalie Stutzmann, ni moi-même ne sommes invitées par les institutions culturelles françaises. Nous avons donc chacune créé notre propre orchestre.
Les femmes ont-elles assez d'autorité ou de résistance nerveuse, se demande-t-on souvent ? L'autorité, les femmes l'ont : j'ai déjà dirigé 700 choristes, et croyez-moi, on entendait les mouches voler ! Et il est vrai que notre métier est fatiguant physiquement et nerveusement, mais à un degré bien moindre que celui de danseuse étoile, par exemple. La vérité, c'est qu'un certain nombre de symboles virils restent attachés à ce métier, comme la baguette ou la queue-de-pie. Le style d'autorité qui le caractérisait au temps de Toscanini ou de Karajan n'est toutefois plus de mise. Les femmes contribuent grandement à faire évoluer les formes d'autorité, en mettant l'accent davantage sur l'humanité et la justice. Certaines formations recrutent leurs membres par cooptation, ce qui renforce la convivialité, le partage, la transmission. Au Paris Mozart Orchestra, nous partageons plus que de la musique. Notre charte impose le « respect de la personne et de ses droits sans distinction de couleur, d'orientation sexuelle, de langue, de religion, d'opinions politiques ou toutes autres opinions, d'ascendance nationale ou d'origine sociale, ni discrimination concernant la santé ou le handicap ».
C'est également l'esprit qui anime le Réseau Ambition Réussite. Alors que j'intervenais au collège de Gassicourt à Mantes-la-Jolie, un petit garçon noir de 11 ans m'a demandé pourquoi notre orchestre ne comprenait ni Noirs ni Arabes. Je lui ai expliqué en quoi consistait le déterminisme socio-culturel. Il m'a ensuite fait valoir que la discrimination liée à la couleur de peau était plus difficile à vivre que la discrimination liée au genre : manifestement, la petite fille noire assise à côté de lui n'était pas du même avis ! En résumé, je crois qu'il est vain d'isoler les discriminations les unes des autres. Dans notre formation, nous nous battons pour les combattre toutes.
Dans le rapport que j'ai réalisé pour le Parlement européen, nous insistons sur la nécessité de rendre obligatoire l'audition des solistes derrière un paravent. J'ai été interviewée à ce sujet par le Herald Tribune, qui s'étonnait que ce système, pratiqué aux États-Unis depuis 40 ans, ne trouve pas d'écho en France. A ce propos, je vous recommande la lecture très instructive de Musiciennes, de la sociologue Hyacinthe Ravet, dans lequel elle analyse, pour chaque instrument, la proportion d'hommes et de femmes qui le pratiquent. Le parcours de Martine Bailly est, à cet égard, éloquent : il y a trente ans, elle fut la première femme admise au poste de violoncelle solo de l'orchestre de l'Opéra national de Paris, à l'issue d'un concours organisé entièrement derrière paravent. Lorsque le jury a vu cette jeune femme si mince, il a eu peine à croire qu'elle était l'auteure de ce son si ample et de ce jeu si profond. Si les syndicats ne l'avaient pas soutenue, le résultat du concours aurait été annulé. Notez que les choses ont changé sur ce point, car lorsque j'ai commencé, les syndicats ne m'auraient jamais défendue... Martine Bailly vient de prendre sa retraite : elle m'a confié que sa carrière avait été très difficile. Rien ne lui a été épargné, même de la part de ses amis proches. Lorsqu'elle tentait de se reposer le bras avant d'attaquer un grand solo, ses collègues cessaient de jouer !
Les statistiques européennes montrent que les femmes n'accèdent aux postes de solistes que lorsque le concours est organisé derrière paravent. Les jurys sont toutefois de moins en moins enclins à s'y résoudre passé le stade des éliminatoires, car un soliste doit avoir des compétences d'animation et de pédagogie pour conduire les répétitions par pupitre, difficiles à déceler si l'on ne voit pas la personne. Le paravent n'est généralement utilisé que jusqu'aux demi-finales, ce qui rend théoriquement possible une finale composée exclusivement de femmes...
La parité des jurys serait une excellente avancée. Mais personne n'y pense, car comme dans tous les réseaux de pouvoirs, les managers d'orchestre sont des hommes. J'ai pu être directrice musicale de la fondation Musica per Roma parce que sa présidente de l'époque était une femme, comme j'ai pu donner quelques concerts à la Comédie française grâce au soutien de son administratrice générale Muriel Mayette. L'année prochaine, je donne des concerts au théâtre des Célestins de Lyon grâce à sa présidente Claudia Stavisky.
La France n'est certainement pas le pays le moins misogyne. D'ailleurs, le journaliste de Radio Classique Olivier Bellamy a publié récemment dans le Huffington Post un article vilipendant la ministre de la culture Aurélie Filippetti pour avoir envoyé une lettre invitant les responsables des principales institutions culturelles à tenir compte du principe de parité. Non seulement sa prose était haineuse, mais il a été suivi par d'autres journalistes. Le collectif La Barbe l'a sacré « abruti de la journée ».
A notre échelle, nous luttons contre les représentations sexuées au sein des orchestres. Nous essayons de recruter des femmes cornistes, contrebassistes, ou à l'inverse des harpistes masculins. Hyacinthe Ravet explique dans son ouvrage que les instruments sont sexuellement connotés. Savez-vous pourquoi la clarinette est le dernier instrument dont la pratique s'est féminisée au sein des orchestres ? Parce que c'est le seul qui se met dans la bouche et se tient entre les jambes. Une amie clarinettiste m'a confié sa stupéfaction de voir le malaise de ses collègues masculins lorsqu'elle retirait de sa bouche le bec de son instrument pour en ôter la salive qui s'y était déposée. Il ne faut pas oublier qu'au XIXème siècle, les classes du conservatoire n'étaient pas mixtes. Les premiers instruments à s'ouvrir aux femmes ont été le piano, puis la harpe, encore qu'on considérait celle-ci comme de nature à offrir trop largement au regard le corps féminin.
Les femmes accèdent plus difficilement aux postes à responsabilité, bien qu'elles soient plus nombreuses à suivre des études musicales classiques que les garçons. En revanche, elles sont moins nombreuses dans la musique populaire, car dans les familles moins favorisées, les filles ne sont pas encouragées à poursuivre des études musicales.
De même, il y a une sociologie de l'orchestre : ses derniers rangs sont ainsi composés majoritairement de personnes issus de familles moins aisées, qui ont fait leurs classes dans les fanfares municipales par exemple, tandis que les premiers rangs accueillent les enfants qui ont eu accès plus tôt aux instruments considérés comme plus nobles. Les choses changent toutefois : il y a en France d'excellentes trombonistes et de merveilleuses trompettistes qui n'ont en rien renoncé à leur féminité.
Une anecdote encore : il y a quelques temps, je devais diriger un opéra au théâtre du Châtelet. Celui-ci, dépourvu d'orchestre résident, fait généralement appel à celui de Radio-France. Les choses étaient convenues depuis des mois avec le directeur du théâtre lorsque, deux mois avant le concert, le manager de l'Orchestre de Radio-France chercha à me faire remplacer par un homme pour ne pas perturber sa formation ! Le directeur du Châtelet n'a pas cédé, ce qui montre qu'il y a des hommes décidés à accompagner le progrès. Mais il reste d'importants efforts à fournir.
On vous écouterait pendant des heures. Je connais bien le président de l'Orchestre national des Pays de la Loire. Il me racontait que l'une de ses récentes procédures de recrutement avait été assortie de l'obligation d'examiner la candidature d'au moins une femme. Les plus grandes difficultés ont dû être surmontées, avant de parvenir à auditionner une musicienne chinoise. Et il est vrai que les femmes solistes sont rares à la Folle journée, qui existe pourtant depuis vingt ans.
J'ai dirigé l'Orchestre national des Pays de la Loire l'année dernière en tant que chef invité. Les répétitions se passaient très bien, les musiciens étaient très sympathiques, mais ils ne me saluaient pas en coulisse, car leur culture leur interdit de « pactiser avec le chef » ! Claudio Abbado, pourtant membre du parti communiste italien, dit ne plus supporter les orchestres syndiqués, qui comptent littéralement leurs heures, sinon leurs minutes et jouent en regardant leurs montres. C'est la raison pour laquelle il ne travaille plus guère en France. Quand vous avez goûté aux formations qui ne travaillent que par passion, il est difficile de revenir travailler avec des orchestres institutionnels qui jouent comme des fonctionnaires.
Nous sommes prêts à faire changer les choses à une plus large échelle. Nous sommes par exemple sensibles aux différences de salaires inacceptables qui existent entre les chefs et les musiciens. Un musicien super soliste ne gagne à l'Opéra Bastille que 100 euros pour trois heures, alors qu'il n'est pas un seul chef qui gagne moins de 15 000 à 20 000 euros en une soirée ! Les musiciens ne sont pas reconnus à la hauteur de leurs compétences. Au Paris Mozart Orchestra, nous travaillons ensemble à la programmation, aux recrutements ; malgré la faiblesse de nos moyens, nous sommes le seul orchestre à rembourser la garde d'enfants aux heures où nous travaillons, le soir et le week-end.
Vos propos sont passionnants. Nos sociétés semblent traversées par une recherche du sens de l'action collective, de la place de l'humain, et par l'envie de chacun de participer et d'être écouté. Ces enjeux questionnent jusqu'à nos conceptions de la démocratie.
Je n'ai pas lu l'article d'Olivier Bellamy, qui a pourtant écrit de très belles pages sur des musiciennes, comme Martha Argerich.
Avez-vous des données sur le rapport entre hommes et femmes au sein des musiciens professionnels ?
Pouvez-vous nous en dire davantage sur l'accès des femmes à la formation de chef d'orchestre ?
Félicitations pour votre carrière, vos propos, votre engagement. Votre volonté d'innover nous fait du bien à tous.
Vous avez évoqué les conditions de travail, sur lesquelles je voulais vous interroger. Les mesures que vous avez mises en place au sein de votre orchestre font de celui-ci une exception. On peut souhaiter que de telles méthodes de gestion s'étendent.
A vous entendre, le déterminisme social fait du milieu musical un système de clans ou de castes. Y a-t-il néanmoins des jeunes musiciens échappant à ce déterminisme ?
Le partenariat que vous avez noué avec l'éducation nationale permet-il aux jeunes de se familiariser avec les pratiques artistiques, voire de poursuivre leur formation dans un conservatoire ? Les collectivités territoriales pourraient ensuite prendre le relais dans l'accompagnement financier de ces jeunes passionnés. Il y aurait sans doute toute une filière à construire.
J'ai moi-même commencé la musique à quatre ans dans la classe de mon père au conservatoire du Mans. Il n'y a pas de secret : il faut être habité par la musique, et le plus tôt est le mieux. Notez qu'à l'époque, le conservatoire était gratuit. Les quatre enfants que nous étions y avons tous eu accès. Aujourd'hui, même avec le quotient familial, cela devient très difficile, car la somme que les familles doivent avancer en septembre est importante. Dans mon rapport pour le Conseil économique, social et environnemental, je défends l'idée sans doute peu réaliste d'intégrer l'éducation artistique au socle fondamental de connaissances. Le petit garçon de Mantes-la-Jolie m'avait d'ailleurs dit que ses parents lui faisaient pourtant écouter de la musique à la maison, mais « pas la même ». J'ai essayé de lui expliquer que s'il n'y avait aucune hiérarchie entre les cultures, mon travail était de lui apprendre la culture européenne, qui lui servirait toute sa vie.
Au Mans, j'ai obtenu le premier prix de violon à 13 ans, avant de devenir violon solo au sein de l'orchestre des élèves. Lorsque le chef était absent, je dirigeais à sa place ! J'ai ensuite intégré la classe de direction d'orchestre nouvellement créée, avant de passer le concours du Conservatoire national supérieur de musique de Paris (CNSM), à l'époque rue de Madrid. En direction d'orchestre, il n'y avait que deux places pour cinquante candidats. J'en suis sortie avec le premier prix, en juillet 1969. J'ai partagé la Une de France-Soir avec Neil Armstrong : le premier homme sur la lune, la première femme chef d'orchestre... J'ai toujours été la seule femme dans les classes de direction d'orchestre. L'absence de modèle n'a pas facilité ma recherche d'identité artistique, d'autant que le corps d'une femme ne s'exprime pas comme celui d'un homme, et que le métier de chef est très charnel, très physique.
J'ai fait partie d'un récent jury de direction d'orchestre au CNSM. Sur 18 candidats, il n'y avait qu'une seule femme, malheureusement éliminée précocement. J'étais prête à la soutenir, mais elle n'était pas au niveau. Bien évidemment, je défends la parité à niveau de compétence égal. Pour que les femmes percent dans ces métiers, il leur faut des modèles, des preuves qu'il est possible de mener ces carrières. Je fais partie d'une génération où l'on pouvait toujours trouver du travail. Aujourd'hui, les jeunes gens veulent des postes fixes, car le marché se contracte, les institutions ferment - voyez à Florence -, les saisons se réduisent.
Ceux qui souffrent le plus sont les bons artistes en milieu de carrière. Les stars comme Martha Argerich ne rencontrent aucune difficulté, pas davantage que de jeunes artistes peu coûteux. On peut proposer aujourd'hui environ 900 euros à un jeune pianiste pour un récital, ce qui est très faible pour rémunérer des mois de travail. Certains très bons artistes se produisent dans des festivals de village ! Les femmes sont souvent les premières touchées.
Oui, sauf s'ils sont salariés d'une formation institutionnelle.
Dans le cadre de nos travaux sur « la place des femmes dans le secteur de la culture », nous avons prévu d'organiser deux auditions la semaine prochaine, le jeudi 11 avril 2013 dans la matinée, ainsi que, le 25 avril 2013, une table ronde publique et ouverte à la presse, à laquelle nous avons convié quatre personnalités importantes du monde de la culture, et plus particulièrement du spectacle vivant.
Sur le plan législatif, plusieurs textes vont solliciter notre attention dans les prochaines semaines.
Tout d'abord, je vous rappelle que notre collègue Catherine Génisson nous présentera, le mardi 9 avril 2013, le rapport qu'elle a préparé sur le projet de loi de sécurisation de l'emploi dont nous sommes saisis par la commission des Affaires sociales.
Deux autres projets de loi touchant des matières intéressant notre délégation devraient également venir en discussion devant le Sénat dans les prochaines semaines.
Il s'agit, en premier lieu, du projet de loi relatif à l'élection des sénateurs. Ce texte étend le scrutin proportionnel et ses contraintes paritaires aux départements élisant trois sénateurs. Il devrait donc avoir un impact positif sur l'accès des femmes au mandat de sénateur ou de sénatrice. J'ai donc demandé à la commission des lois de nous saisir.
Si vous en êtes d'accord, notre délégation pourrait également demandé à être saisie par la commission des Lois du projet de loi d'adaptation dans le domaine de la justice en application du droit de l'Union européenne et des engagements internationaux de la France.
Deux dispositions de ce texte se rapportent à des sujets qui nous intéressent : l'article 1er qui comporte des dispositions nécessaires à la transposition de la directive européenne 2011/36 du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et l'article 16 dont les dispositions adaptent la législation française à la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l'égard des femmes et la violence domestique
Ces deux textes devraient venir en discussion devant le Sénat dans les premiers jours de la seconde quinzaine de mai, mais nous devons tenir compte de la période de suspension des travaux parlementaires qui obérera le temps dont disposeront nos rapporteurs. Aussi je vous propose de les désigner au cours de notre réunion de la semaine prochaine.
Je suis membre de la délégation française à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. A ce titre, ce second texte m'intéresse et j'envisage de me porter candidate pour être rapporteure de notre délégation.