Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 8 avril 2013 à 14h30
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe — Articles additionnels avant l'article 1er

Christiane Taubira, garde des sceaux :

Monsieur Gélard, vous avez eu raison de rappeler que, dans la hiérarchie des normes, les traités internationaux s’imposent et ont une portée supérieure à celle de notre droit interne. Votre souci est tout à fait légitime. Néanmoins, je vous prie de faire crédit au Gouvernement : il s’est préoccupé de cette question dès l’élaboration du projet de loi. Faites également confiance au Conseil d’État, qui s’en est aussi soucié. À ce propos, M. Hyest a manifestement eu connaissance du rapport de celui-ci puisque, lorsqu’il a présenté la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, il nous a donné lecture d’une partie de ce document.

Le Conseil d’État indique très précisément que « ni les obligations internationales de la France ni le droit constitutionnel ne s’opposent à un tel choix », à savoir celui du mariage et de l’adoption aux couples de personnes de même sexe.

Au moment de l’élaboration du projet de loi, nous avons eu le souci de vérifier les contradictions éventuelles qui pourraient résulter de l’évolution de notre droit civil que nous proposons avec les conventions multilatérales et bilatérales par lesquelles la France est liée.

Ainsi, dans chaque texte que nous avons examiné, nous avons étudié les dispositions relatives au mariage puisque, monsieur Gélard, à travers aussi bien cet amendement que diverses interventions que vous avez faites, vous avez soulevé la question de savoir si une quelconque convention définissait le mariage comme étant l’union d’un homme et d’une femme, définition qui entrerait en contradiction avec l’ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe que nous voulons mettre en œuvre.

Nous avons tout d’abord étudié la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, adoptée en 1950 et modifiée, comme vous le savez, par les protocoles n° 11 et 14. Son article 12 dispose : « À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit. » En l’occurrence, nous sommes bien en train de faire évoluer la loi nationale.

De surcroît, en 2010, la Cour européenne des droits de l’homme, ayant été amenée à se prononcer, a estimé que, en cas de désaccord entre des États, il leur revient de s’entendre et que c’est bien la loi nationale qui détermine le régime matrimonial.

Quant au pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui date de 1966, son article 23 dispose :

« 1. La famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l’État.

« 2. Le droit de se marier et de fonder une famille est reconnu à l’homme et à la femme à partir de l’âge nubile. » Je le rappelle, ce droit est considéré comme une liberté individuelle de l’homme et de la femme. Il n’existe donc pas de contradiction avec la liberté individuelle de deux hommes ou de deux femmes de s’unir.

Ce même article poursuit : « 3. Nul mariage ne peut être conclu sans le libre et plein consentement des futurs époux. »

Vous le constatez, aucune contradiction n’apparaît entre le projet de loi et ce pacte.

La Convention sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement des mariages, elle, aurait pu contenir des dispositions particulièrement contraignantes. En fait, elle a pour objet la lutte contre des coutumes, des usages, des règles qui ne seraient pas conformes aux dispositions contenues, notamment, dans la Charte des Nations unies et dans la Convention européenne des droits de l’homme. En l’espèce, aucune incompatibilité n’est mentionnée.

Nous avons bien évidemment examiné la compatibilité du présent texte avec la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, à laquelle la France a pris une part significative, nous le savons tous, grâce au leadership de René Cassin. Son article 16 dispose : « À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution. » De ce point de vue, il n’existe pas non plus d’incompatibilité.

Enfin, j’en viens à la Convention de La Haye de 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d’adoption internationale. Elle est très claire. Elle ne définit pas les critères d’éligibilité à l’adoption, car cette compétence est reconnue aux États. Ce sont eux qui, dans leur droit, précisent les conditions d’adoption. En France, celles-ci sont inscrites dans le code civil.

Je rappelle à ceux qui parlent de « droit à l’enfant » que, dans le code civil, il n’en existe pas aujourd'hui pour les couples hétérosexuels qui accèdent au mariage et au droit à l’adoption, en termes ni de pratiques ni de procédures. À l’avenir, il n’y en aura pas davantage pour les couples homosexuels, puisque nous voulons leur ouvrir le mariage à droit constant. Nous prévoyons une possibilité d’adoption. En la matière, siégeant dans la chambre des représentants des collectivités locales, vous êtes nombreux, mesdames, messieurs les sénateurs, à être présidents de conseil général et vous savez bien que la procédure est rigoureuse, sérieuse et conduite avec sévérité et rigueur. C’est dans ces mêmes conditions que l’adoption par des couples homosexuels aura lieu.

Je le répète, il n’existe pas de « droit à l’enfant ». En revanche, les procédures d’adoption se déroulent dans le respect du droit. Et, aux termes de l’article 353 du code civil, le juge qui prononce l’adoption vérifie si celle-ci est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.

La Convention de La Haye renvoie la fixation des critères d’adoption aux États. Elle indique les dispositions, notamment procédurales, pour y accéder.

Néanmoins, se pose, bien évidemment, la question des conventions bilatérales. Vous avez pu le constater, le projet de loi initial introduisait une dérogation à la loi personnelle de l’un des futurs époux dans le cas où son pays d’origine ne reconnaît pas le mariage des couples de personnes de même sexe. Pour cela, il devait s’unir à un Français qui réside en France et lui-même devait posséder sa résidence en France. Par ailleurs, il était fait référence au cas particulier de conventions bilatérales qui excluraient explicitement cette dérogation à la loi personnelle.

Confortée par le vote de l’Assemblée nationale, la commission des lois a choisi de supprimer toute référence à celles-ci.

Nous sommes liés par une telle convention bilatérale avec douze différents pays, lesquels se situent tant en Europe de l’Est qu’au Maghreb ou en Asie du Sud-Est. Pour revenir à vos observations, monsieur le doyen Gélard, ou bien il n’y a pas de possibilité de déroger à la loi personnelle, ou bien les personnes intéressées peuvent saisir la justice et obtenir, sur la base de la jurisprudence, une dérogation. En tout état de cause, ce n’est pas l’officier d’état civil qui peut en décider. L’affaire serait donc traitée au sein de nos institutions judiciaires.

Par conséquent, il n’existe de difficulté ni dans les conventions multilatérales ni dans la plupart des conventions bilatérales, les douze auxquelles j’ai fait référence constituant les seules exceptions. En outre, vous le savez sans doute, la convention de Vienne relative à la délivrance d’extraits plurilingues d’actes de l’état civil est en cours de révision. Dans ce cadre, il est prévu d’introduire dans les annexes de nouveaux formulaires permettant de tenir compte, du fait de la possibilité pour des personnes de même sexe de se marier dans plusieurs pays, que ceux-ci puissent aussi être parents.

Monsieur le doyen Gélard, j’ai pris le temps de développer ma réponse. Au risque d’être inutilement longue, mais par respect pour la préoccupation que vous avez exprimée, je tenais à vous donner tous ces éléments d’information afin de vous montrer que nous avons étudié avec rigueur le contenu des conventions qui lient la France.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion