Intervention de Michel Magras

Réunion du 8 avril 2013 à 14h30
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe — Article 1er

Photo de Michel MagrasMichel Magras :

Monsieur le président, madame le garde des sceaux, madame la ministre, mes chers collègues, invariablement, la jurisprudence a sans cesse rappelé le caractère sexué du mariage.

Juridiquement, il est sexué parce que le droit a vocation à « objectiver » les situations, non à se fonder sur les désirs des individus ou sur leurs orientations privées. C’est justement une garantie d’égalité : les désirs sont par nature variables et les orientations sexuelles relèvent de la vie privée, que le droit respecte.

En outre, la jurisprudence s’est appuyée non seulement sur un repère profondément ancré dans notre société, mais aussi sur un principe de réalité indéniable.

Le Conseil constitutionnel a ainsi rappelé que « le mariage constitue non seulement un statut du couple mais également l’acte de fondation d’une famille ».

À part dans les cas d’adoption, sur lesquels j’aurai l’occasion de revenir, la famille au sens nucléaire commence par l’engendrement, qui lui-même suppose la complémentarité des deux sexes opposés. Le mariage est donc le cadre juridique de la procréation. Plus qu’un contrat, il est une institution. Nous n’avons cessé de le rappeler.

Le projet de loi que nous examinons vise à ouvrir le mariage aux personnes de même sexe en se fondant sur leur orientation sexuelle, au nom de l’égalité. Au nom de mon attachement à l’égalité, je ne peux m’empêcher de rappeler, comme l’a d’ailleurs fait indirectement le Conseil constitutionnel, que l’égalité consiste à traiter de manière identique une situation identique.

Or, au regard de l’engendrement, finalité du mariage, nul ne peut soutenir qu’un couple de même sexe est dans la même situation qu’un couple de sexe différent. Le second, sauf exception, n’a pas besoin de recourir à un tiers pour la procréation, contrairement au premier.

Dès lors, il n’y a pas de discrimination puisque les situations sont différentes. Le psychiatre Pierre Lévy-Soussan rappelait à juste titre que « toute différence n’est pas une inégalité, voire une discrimination, mais une distinction ». Pour ma part, j’ajouterai que distinguer, c’est respecter.

En revanche, si l’on avait interdit le mariage aux personnes en tant qu’individus sexués en raison de leur orientation sexuelle, nous aurions là créé une discrimination.

En réalité, le mariage est déjà ouvert à tous dès lors que les conditions de fond sont réunies.

Ce projet de loi conduit ni plus ni moins à la disparition du mariage actuel puisqu’il efface la réalité à laquelle il renvoie. En effet, tel qu’il est actuellement rédigé, le texte cesse de faire du mariage l’institution de la procréation pour en faire le cadre juridique de l’union de deux adultes. Il en conserve le nom, mais pas le contenu.

À cet égard, le fait que le législateur originel ait limité le mariage à deux individus montre bien que le mariage est « hétérosexuel », non par orientation sexuelle, mais par réalité biologique. En résumé, je le répète, ce texte fait disparaître le mariage.

Pour autant, j’entends et je comprends la revendication d’un cadre protecteur de l’union des couples de même sexe. Le mariage est-il, compte tenu de notre droit, de notre lien ténu avec la filiation, le cadre le mieux adapté ? Je ne le pense pas.

L’union civile permettrait la reconnaissance sociale de l’amour de deux personnes de même sexe, de leur désir d’être ensemble, de leur volonté de s’engager – car c’est aussi en ces termes que le mariage est évoqué. Dès lors, on ne peut qu’y être favorable. J’en reviens à la jurisprudence du Conseil constitutionnel qui autorise la distinction de traitement. Qu’importe le cadre dès lors que les effets juridiques en termes d’union, c’est-à-dire de relation entre adultes consentants, sont les mêmes ? L’égalité se mesure d’abord en termes d’effets du droit.

En revanche, en matière de filiation, on ne peut objectivement parler d’égalité entre un couple de même sexe et un couple de sexe différent.

À cet égard, je rappelle que 170 juristes se sont alliés pour s’insurger contre la dénaturation du sens du lien filial par la loi. C’est une position dont je mesure la gravité, d’autant plus lorsque je mets en perspective l’égalité des droits accordés aux personnes de même sexe en matière de parentalité et la réalité de ces droits.

Soit il y a effectivement égalité et, une fois réglées les situations existantes, ce droit ne pourra être exercé dans la réalité puisque la PMA et la GPA restent interdites en France. Dans ce cas, l’égalité ne sera pas réelle.

Soit, pour passer de l’égalité à la réalité des droits, il faudra « produire » des enfants adoptables. Or, la PMA et la GPA étant interdites en France, les couples seront obligés de contourner la loi de leur pays pour passer à la réalité des droits.

Nous aurons bien entendu l’occasion de revenir sur la dimension filiale du projet de loi, mais il me paraissait important de l’évoquer à l’occasion de l’examen de l’article 1er, car la filiation, madame le garde des sceaux, madame la ministre, n’est pas détachable du mariage. Vous l’avez sans cesse rappelé. §

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