Merci de m'accueillir. J'ai pris la direction du CNED, établissement public administratif, il y a environ un an. L'établissement a en effet été cité dans le rapport de la Cour des comptes, car la transition vers le numérique avait pris du retard ; elle constitue l'objet essentiel du projet d'établissement « CNED 24/24 » adopté le 6 décembre dernier. Alors que le flux physique de papier était constitutif de l'établissement, celui-ci doit aujourd'hui se muer en établissement en ligne. Le numérique est au coeur de la transformation vers un établissement public connecté. Mes deux prédécesseurs avaient engagé une mutation progressive vers une formule associant papier et numérique, avec des outils de formation en ligne pour l'instruction obligatoire mais aussi le post-bac, l'enseignement supérieur, la préparation des concours. Le projet stratégique, approuvé par la tutelle, vous sera communiqué.
Comme bien des opérateurs de l'État, le CNED, qui occupait encore une position centrale au début des années 2000, est de plus en plus concurrencé par des opérateurs privés - sur les segments rentables. Comment prendre le virage du numérique, passer d'un établissement physique à un établissement en ligne, ouvert 24 heures sur 24, sachant que le CNED compte plus de 20 000 inscrits à l'international, répartis sur tous les fuseaux horaires ? Nous devons mettre en ligne la totalité de notre portefeuille de formations, et, au-delà, refondre complètement ce même portefeuille. Qu'est-ce qu'apprendre à l'ère du numérique ? Qu'est-ce qu'apprendre avec des outils en ligne ? Cette mutation est sensible car elle entraîne d'autres questions : qu'est-ce qu'un enseignant connecté ? Qu'est-ce qu'un enseignant tuteur, qu'est-ce que coacher un élève à Melbourne ou à Tananarive ?
Le passage au numérique, c'est l'inscription en ligne, le paiement en ligne, le travail sur une plateforme d'apprentissage en ligne, mais surtout, pour la moitié des personnels, c'est une mutation radicale du métier, d'autant plus délicate qu'elle renvoie à la définition même de l'enseignant. Qu'est-ce qu'être enseignant au XXIe siècle ? Qu'est-ce qu'être enseignant quand on n'a pas l'élève devant soi ?
Le CNED n'est pas visible car il n'est pas emblématisé par un lieu physique. De cet éloignement nous pouvons faire une force. La connectivité et la mobilité permettent déjà de penser ce que le CNED peut apporter via les technologies. Aujourd'hui, nos formations interrogent les nouvelles manières d'apprendre. Historiquement, le CNED ne s'adressait pas aux enseignants : c'était le rôle du centre national de documentation pédagogique (CNDP). La mission du CNED était d'apporter des contenus, de la grande section de maternelle au master, à ses inscrits. Nous avons entamé la bascule numérique de nos formations, nous réécrivons tous nos contenus des classes de sixième, de seconde et de sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA). Dès lors que les contenus sont écrits en numérique, peuvent-ils avoir une autre finalité, une autre utilisation ? Tous les cours du CNED sont déjà disponibles en ligne en format Pdf ; le corps enseignant vient y chercher des contenus. Faut-il réserver les nouveaux contenus numériques aux 72 000 élèves relevant de l'inscription obligatoire, les encapsuler dans les établissements, ou pouvons-nous en faire bénéficier d'autres personnes ? Les recteurs posent la question de l'accès des établissements physiques à ces contenus.
Le CNED s'est construit sur le modèle de l'empêchement : il s'adressait aux élèves « empêchés » qui ne se trouvent pas dans les établissements physiques, qu'ils soient enfants du voyage, malades, en mobilité ou dans des pays où aucune offre n'existe. Les professeurs sont aussi pour moitié des enseignants qui ne peuvent plus être en présentiel.
La demande croissante d'accéder à nos contenus de la part de publics qui ne sont pas « empêchés » - une académie de sportifs de haut niveau, par exemple - est impensée. Comment formuler l'interdit, le blocage ? Porter des contenus pour répondre à cette demande pose la question du service public numérique de l'éducation. M. Peillon nous a demandé de nous pencher sur l'accompagnement personnalisé des élèves - en d'autres termes, le soutien scolaire, qui est aujourd'hui un marché concurrentiel. Le CNED accompagnera 30 000 élèves qui entrent en sixième sans maîtriser les acquis fondamentaux en apportant gratuitement des contenus. Le CNED n'est pas un éditeur public, même s'il possède la bibliothèque de contenus la plus exhaustive qui soit dans toutes les matières. Nous avons présenté un dossier pour numériser ce patrimoine. Nous disposons d'un volume significatif de contenus pédagogiques scénarisés, plus qu'une simple académie ou une université. Comment le valoriser à l'ère du numérique ? Il faut aller au-delà du PDF, vers une vraie réécriture numérique. Qu'est-ce qu'apprendre à l'ère du numérique ? Absorber des contenus éditoriaux scannés ou utiliser des « exerciseurs », des outils d'évaluation, de remédiation, de suivi en ligne ?
Le métier est en train de changer. Voilà pourquoi on retrouve le CNED dans le service public numérique éducatif. Nous sommes détenteurs de savoirs de qualité, mais sous une forme datée. Nos contenus sont réalisés par des enseignants rémunérés au standard du marché. Ce sont les mêmes qui publient chez les éditeurs privés. À qui destiner ce corpus de formations pour qu'il se transforme en apport numérique ? En matière de soutien scolaire, nous sommes aussi mobilisés sur l'apprentissage de l'anglais au primaire et apportons gratuitement des contenus aux établissements. Le CNED doit vivre dans le monde physique et en même temps exister en ligne, avec une activité numérique 24 heures sur 24. D'où les questions d'identification, d'authentification, de confidentialité, et tout ce qui en découle...