Intervention de Philippe Duron

Commission du développement durable, des infrastructures, de l'équipement et de l'aménagement du territoire — Réunion du 10 avril 2013 : 1ère réunion
Schéma national des infrastructures de transport snit — Audition de M. Philippe duRon président de la commission « mobilité 21 »

Philippe Duron, président de la commission « Mobilité 21 » :

Merci pour cette invitation, qui intervient à quelques semaines de la fin de la mission qui nous a été confiée. Elle me permet de faire le point sur notre méthode et l'état de nos réflexions. Dans la mesure où nous n'avons pas rendu tous les arbitrages, je n'indiquerai pas les projets retenus, ni leur ordre de classement.

Le SNIT appartient à une génération de documents qui a marqué la dernière décennie, comme la loi d'aménagement et de développement durable du territoire de 1999. Elle abordait la mobilité des passagers et celle des marchandises, avec une approche nouvelle qui consistait à répondre à la demande plutôt que d'opter pour une politique de l'offre. Mais elle était peu diserte sur les infrastructures à réaliser, les chaînons manquants, la modernisation des itinéraires... Le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, avec Gilles de Robien notamment, a alors mené une démarche d'inventaire, qui a abouti au comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) de 2003. Ce dernier a eu la vertu de poser, en même temps, la question des projets et celle des ressources. Les dividendes des sociétés d'économie mixte concessionnaires d'autoroutes (SEMCA) ont été affectés au transport. Mais ce document manquait de précision. Le SNIT est venu compléter cet exercice, en dressant une liste de projets mieux évalués et plus détaillés. Il comporte toutefois deux défauts : celui de ne pas être financé, alors que le CIADT de 2003 l'était, et celui de ne pas avoir été accompagné d'un exercice de planification et de programmation. Il recense 75 projets, qui représentent un budget de 245 milliards d'euros, sur un horizon de 25 ans, ce qui pose quelques difficultés en termes de soutenabilité financière...

L'objectif de la mission mixte et pluraliste que je préside est de faire des propositions en matière de mobilité en général, mais aussi de classer les projets. Elle est composée de parlementaires, de sachants et de haut-fonctionnaires. Les sénateurs sont représentés par Michel Delebarre, ancien ministre de l'équipement, ainsi que Louis Nègre, membre de votre commission, qui m'a demandé de bien vouloir l'excuser aujourd'hui. Bertrand Pancher, de l'UDI, André Chassaigne, président du groupe Gauche démocrate et républicaine, ainsi qu'Eve Assas, d'EELV, vice-présidente de la commission des finances, ainsi que votre serviteur représentent les députés. En font également partie Yves Crozet, spécialiste de l'économie des transports, président du Laboratoire d'économie des transports de Lyon, Jean-Michel Charpin, inspecteur général des finances, ancien directeur de l'INSEE, ancien Commissaire au Plan, Marie-Line Meaux, ancienne directrice-adjointe du cabinet de M. Gayssot, présidente de section au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) ainsi que Patrice Parisé, également président de section au CGEDD et ancien directeur des routes. Cette mission s'appuie sur trois rapporteurs : outre Dominique Ritz, sous-directeur de l'aménagement du réseau routier national à la direction générale des infrastructures de transport, rapporteur général de la commission, qui m'accompagne aujourd'hui, la commission s'est appuyée sur deux rapporteurs, l'un venant du Trésor, l'autre de la DATAR. L'équipe est donc pluridisciplinaire.

Le périmètre de travail de cette commission est celui des projets inscrits au SNIT, à l'exception de ceux qui ont déjà été engagés. Nous entendons par là les projets dont les travaux ont été lancés, ou pour lesquels des concessions ont été octroyées ou des contrats de partenariat public-privé conclus. Ce dernier cas est celui de l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes notamment. La ligne ferroviaire Lyon-Turin, qui fait l'objet d'un traité international, peut être considérée comme déjà engagée : nous ne pouvons qu'émettre un avis à ce sujet. En revanche, les projets qui ont déjà fait l'objet de débats publics ou d'une déclaration d'utilité publique peuvent encore être discutés ou classés. Un autre dossier a été ajouté par rapport au SNIT : celui de l'A51, dans les Alpes-de-Haute-Provence entre le col de Fau et la Saulce.

Quelle approche avons-nous retenue pour classer les projets ? Les outils à notre disposition se sont révélés insuffisants. Il y a certes des évaluations socio-économiques monétarisées, que ce soit le taux de rentabilité interne (TRI) ou la valeur actualisée nette (VAN) par euro investi, que nous avons d'ailleurs privilégiée. Nous y avons ajouté trois critères : l'adéquation aux objectifs de la politique des transports en France, définis par le Gouvernement, tels que la prise en compte des territoires de proximité, la lutte contre la fracture territoriale, l'amélioration de la compétitivité économique des territoires, etc., les critères environnementaux et enfin les critères sociétaux, qui mesurent l'impact des projets sur la vie de nos concitoyens. Celui-ci peut être positif, lorsque les déplacements domicile-travail sont facilités, ou négatif, lorsque les infrastructures créent des nuisances.

Une fois ces critères fixés, il a fallu leur donner une consistance et les rendre opérationnels, ce qui n'était pas faisable avec nos moyens. Nous nous sommes donc appuyés sur le CGEDD. Nous avons également consulté le conseil d'analyse stratégique (CAS), qui travaille sur la révision des valeurs tutélaires. Enfin, pour interroger la pertinence des grands projets, nous avons fait appel aux équipes du Commissariat général à l'investissement.

Ce travail a duré plusieurs mois. Il a fallu compléter les évaluations, dans la mesure où tous les projets ne disposaient pas du même niveau de maturité. Certains sont très anciens, d'autres plus récents. L'évaluation n'est pas toujours complète au niveau de l'impact environnemental ou socioéconomique monétarisé. Comme il n'était pas possible, en six mois, de demander à chaque porteur de projet de compléter ces évaluations, nous avons demandé au CGEDD de se prononcer « à dire d'expert », afin d'avoir un échantillon le plus homogène possible. Voici ce que je souhaitais vous dire au sujet de la méthode que nous avons employée.

J'en viens aux principales considérations qui se sont dégagées de nos travaux. La nécessité de renforcer les réseaux de communication existants a été soulignée à de nombreuses reprises. Elle prévaut sur le lancement de grands projets. Ensuite, toute une série de noeuds, menacés de congestion, doit être prise en compte de façon prioritaire. Je prendrai l'exemple de Lyon qui est dans une situation extrêmement tendue : les TGV peuvent être ralentis avant leur entrée dans la métropole, les TER peuvent avoir 10 à 20 minutes de retard aux heures de pointe, les trains de marchandise ne peuvent plus y transiter.

Un autre sujet important réside dans l'amélioration systémique des transports. Je prendrai l'exemple de nos ports, qui sont dans une situation dramatique par rapport aux autres ports européens. Il est essentiel d'améliorer l'interface avec l'hinterland.

S'agissant des projets à grande vitesse, tous les modes de transport sont-ils nécessairement pertinents à tous les endroits ? Entre les TGV et les TER, il manque un chaînon, parce qu'on a laissé dépérir les trains Corail, qui étaient un mode intermédiaire. Rien n'a été imaginé pour les remplacer. Aujourd'hui, des propositions imparfaites sont formulées, qu'il s'agisse de la rénovation des TGV de première génération, ou du gonflement des Régiolis. Elles ne répondent pas à l'enjeu, qui est de trouver un outil robuste relativement rapide mais aussi confortable. Il faut permettre aux territoires de trouver des solutions adaptées, en fonction des distances ou de la population.

Enfin, un travail doit être réalisé au niveau de la soutenabilité financière. On travaille actuellement sur les chroniques financières de l'AFITF. La projection peut aller jusqu'à 2030, mais après, l'exercice est plus hasardeux. Les marges de manoeuvre sont très serrées, et les ressources sont déjà très largement engagées, puisque quatre lignes à grande vitesse sont lancées : la ligne Loire-Bretagne, la ligne Sud-Europe-Atlantique, la deuxième phase du TGV Est et le contournement Nîmes-Montpellier. Elles vont consommer l'essentiel des crédits de l'AFITF pour les six prochaines années, si tant est que ses moyens restent constants, à hauteur de 2,2-2,3 milliards d'euros par an.

Nous aurons ensuite une relative respiration financière, sous réserve que le Lyon-Turin et le canal Seine-Nord ne viennent s'ajouter aux quatre projets de lignes à grande vitesse. Il nous faut donc réfléchir selon trois temporalités :

- premièrement, l'achèvement des projets engagés. Deux lignes se feront en financement classique : la Lyon-Bordeaux et la LGV Est deuxième phase. Les deux autres lignes se feront en PPP : la Loire-Bretagne et le contournement de Montpellier-Nimes, qui seront donc des engagements de plus long terme. Les moyens disponibles vont donc s'élargir avec le temps. Les autres projets éventuellement financés ne pourront pas être majeurs, sauf à trouver des recettes nouvelles ;

- dans une deuxième phase, seront réalisés d'autres projets dont les études auront été engagées dès la première phase ;

- enfin, à l'horizon 2030-2050, resteront les projets qui ne pourront pas être financés de manière prioritaire. Ceux-ci relèvent de deux catégories : les projets qui ne sont pas mûrs aujourd'hui, et les projets de moindre pertinence économique, sociale ou territoriale.

Je conçois que cette typologie des projets que je vous présente puisse inquiéter chacun de nous, dans nos territoires respectifs. Mais je rappelle que l'Union européenne elle-même envisage la réalisation du réseau central européen à l'horizon 2030, et celle du réseau global européen à l'horizon 2050 seulement. Il s'agit de projets budgétivores, qui demandent forcément du temps d'études et de débats.

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