ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. - Je comprends les difficultés que vous rencontrez. Avec mes textes, cela devient une habitude ! Je ne cherche évidemment pas à brimer le Sénat. Comprenez-moi : l'emploi doit être, en France, la première des priorités. Le projet de loi portant création des contrats d'avenir était une première réponse, ponctuelle, apportée au problème du chômage des jeunes sans formation. Le texte relatif à la sécurisation de l'emploi que je vous présente aujourd'hui est plus profond et touche bien davantage de domaines. Il s'appuie sur l'accord signé par les partenaires sociaux, considéré quasi-unanimement comme une avancée majeure : à court terme en évitant les licenciements, à moyen et long termes en rendant l'économie plus apte à créer des emplois.
Ce texte est issu de la procédure de négociation engagée par la grande conférence sociale de juillet 2012, et de la feuille de route qui en a découlé. La négociation nationale interprofessionnelle existe depuis très longtemps : elle a permis la signature des grands accords de 1936, 1945, 1968, ainsi que d'importants accords relatifs à la formation professionnelle. Certes, cette méthode a aussi connu des échecs, comme celui de 1984, malgré l'engagement de tous les partenaires à travailler de concert sur l'ensemble des aspects du marché du travail.
Ce projet de loi fera date, notamment par l'ampleur des sujets qu'il traite. Sa genèse caractérise la singularité française, à l'heure où l'on parle beaucoup de modèles étrangers, notamment allemand. L'Allemagne fait certes des choses intéressantes : les employeurs et les salariés négocient davantage, et des accords importants de maintien de l'emploi ont pu être signés au plus fort de la crise. Mais si le chômage a effectivement baissé depuis 2008, le dualisme du marché du travail s'est accru et la précarité a progressé dans certains secteurs, à tel point que, sous l'impulsion des socio-démocrates et de la droite chrétienne notamment, un grand débat sur le salaire minimum a été ouvert.
Le dialogue social à la française se caractérise notamment par une absence d'« autonomie normative » des partenaires sociaux. Contrairement à ce qui se pratique dans certains pays du Nord de l'Europe comme les Pays-Bas, où il est des secteurs dans lesquels le législateur ne peut intervenir, les partenaires sociaux ne peuvent fixer eux-mêmes les règles qui s'imposeront à eux. La tradition française s'oppose à l'inversion de la hiérarchie des normes en droit social : la loi reste la norme supérieure. Le projet que je vous présente donne donc sa pleine valeur juridique à l'accord négocié par les partenaires sociaux.
Le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale qualifie cette procédure de « valse à trois temps ». Le Gouvernement saisit d'abord les partenaires sociaux d'une demande de négociation précise. C'était l'objet du document d'orientation que je leur ai transmis en septembre 2012. Tous les sujets y étaient abordés, y compris la recherche d'un repreneur en cas de fermeture d'un site, dont le Medef n'était guère enclin à discuter.
Deuxième étape : le dialogue social proprement dit. Celui-ci a donné lieu à l'accord du 11 janvier 2013, signé par le Medef, la CGPME et l'UPA pour les organisations patronales, ainsi que la CFTC, la CFDT et la CFE-CGC pour les organisations syndicales, soit une majorité d'entre elles, représentant 51,2 % des salariés. Cela n'ôte en aucun cas leur valeur aux arguments des non-signataires, auxquels nous continuons à prêter attention.
Troisième et dernier temps de la valse : sa retranscription. Ce terme suggère que le Gouvernement ne fait que recopier l'accord : ce n'est pas le cas. Cela serait d'ailleurs impossible tant certains de ses termes sont volontairement flous ou contradictoires. C'était inévitable, car la complémentaire santé obligatoire, la présence de représentants des salariés aux conseils d'administration des entreprises de plus de 5 000 salariés, ou encore les procédures de maintien dans l'emploi devaient recueillir le plus large accord possible. Le Gouvernement s'est donc attaché à préciser la nature de cette complémentaire santé, les modalités de désignation des représentants des salariés au sein des conseils d'administration, et les caractéristiques du retour de l'Etat-garant dans les procédures de licenciement collectif.
Le Gouvernement s'est imposé deux principes dans la retranscription de l'accord. D'une part, un principe de loyauté à l'égard des signataires de l'accord. Respecter leur volonté, c'est rendre la loi plus forte, plus stable, plus facile à mettre en oeuvre. D'autre part, un principe de transparence, car la loi ne s'applique pas seulement à ceux qui ont signé l'accord, elle s'applique à tous. Tout a été conduit dans le dialogue avec les non-signataires.
La force du projet de loi réside dans son ampleur. Il aborde tous les sujets. D'aucuns y voient un texte contre l'emploi, qui faciliterait le licenciement. Le débat parlementaire démontrera le contraire. Il y a en France une préférence pour le licenciement. Nous pouvons procéder autrement, en faisant participer les salariés plus tôt au processus, en favorisant l'activité partielle, en développant la formation afin de préserver les liens des salariés avec l'emploi. Les licenciements peuvent toutefois être inévitables. Jusqu'alors, l'employeur en décidait unilatéralement. Désormais, la procédure de licenciement collectif sera soumise aux salariés. En l'absence d'accord, le plan de licenciement devra être homologué par l'administration, qui tiendra compte de la santé de l'entreprise, de l'accompagnement des salariés et des possibilités de réindustrialisation et de revitalisation du bassin concerné. C'est le retour de l'Etat-garant.
Aujourd'hui, les plans sociaux peuvent être contestés devant la justice, ce que les syndicats font fréquemment. Les salariés ne sont pas mécontents lorsqu'ils obtiennent une indemnisation au bout de quatre ans de procédure, mais sans doute auraient-ils préféré conserver leur emploi. Ce texte permettra d'agir plus en amont. Ce n'est pas une déjudiciarisation : l'administration ne se substitue pas au juge, elle le précède. Le juge administratif est désormais compétent pour connaître du contentieux des actes de validation d'un accord ou d'homologation d'un plan de licenciement, tandis que le juge judiciaire conserve sa compétence pour les litiges individuels.