Intervention de Catherine Génisson

Commission des affaires sociales — Réunion du 11 avril 2013 : 1ère réunion
Sécurisation de l'emploi — Présentation du rapport de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo de Catherine GénissonCatherine Génisson, rapporteure au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes :

Notre délégation a été saisie le 19 mars par votre commission de ce texte transposant l'accord national interprofessionnel (Ani) du 11 janvier 2013. En quinze jours, il nous a fallu entendre des sociologues, des chercheurs, des juristes, les organisations syndicales et les représentants du patronat. Ayant toujours souhaité donner la priorité à la négociation sociale, je salue la méthode d'un accord entre partenaires sociaux avant le dépôt du projet.

L'objectif de l'Ani est ambitieux : il s'agit, comme l'a dit le Premier ministre, de « prendre à bras-le-corps » les principaux enjeux de notre marché du travail pour concilier le besoin d'adaptation des entreprises et l'aspiration des salariés à la sécurité de l'emploi. C'est avec le souci de ne pas déséquilibrer des compromis fragiles, mais aussi avec la volonté de faire jouer tout son rôle au législateur, que nous avons mené nos travaux.

Nous voulions recueillir l'avis des organisations syndicales sur ce texte et surtout en mesurer l'impact sur la situation des femmes, car il y a toujours une spécificité de l'emploi féminin. Il est ressorti des auditions que toutes les dispositions pourraient avoir un impact sur la situation des femmes, notamment les articles 4 (base de données unique), 5 (désignation d'administrateurs salariés), 10 (accords de mobilité interne) et 15 (critères pris en compte pour les licenciements).

La délégation insiste sur le respect des textes relatifs à l'égalité professionnelle et sur le nécessaire renforcement de la mobilisation syndicale. Nous avons déjà rappelé à plusieurs reprises l'importance de passer d'une égalité formelle à une égalité réelle. Pour épauler les entreprises, je souhaite un plan interministériel pour structurer autour des déléguées et chargées de mission aux droits des femmes un réseau territorial de veille et de soutien à la négociation collective de branche et d'entreprise relative à l'égalité professionnelle. Il faudrait en outre des moyens logistiques et budgétaires pour concrétiser l'égalité professionnelle sur les lieux de travail, par exemple avec les contrats pour la mixité des emplois et l'égalité professionnelle. Je me félicite que les négociations aient privilégié le niveau de la branche professionnelle pour l'adaptation des mesures touchant à l'organisation du travail.

Après la réussite de la mobilisation syndicale sur l'Ani, et la confirmation de la représentativité des principales organisations syndicales, il faut appeler les salariés, qui ne sont que 7 à 8 % à adhérer à un syndicat, à le faire massivement. Deux négociations sociales relatives à la qualité de vie au travail et aux instances représentatives du personnel (IRP) sont en cours : la délégation restera attentive à l'égalité professionnelle.

L'article 1er précise le calendrier et les modalités selon lesquelles les branches, puis les entreprises, seront appelées à négocier et à mettre en place un dispositif généralisé de couverture complémentaire santé. En l'absence de précision sur la nature et la qualité des prestations prises en charge, la délégation restera vigilante sur le niveau de prise en charge des dépenses spécifiques aux femmes et, en particulier, des prestations liées à la maternité.

Une circulaire du 30 janvier 2009 autorise les entreprises à prendre en charge la cotisation des salariés à temps très partiel, quand elle est au moins égale à 10 % de leur rémunération. La délégation souhaite que ce dispositif favorable aux très bas salaires soit reconduit.

L'article 4 crée une base de données unique accessible à certaines institutions représentatives du personnel. Sans attendre les conclusions de la négociation sur les IRP, la délégation demande que l'accès soit aussi garanti aux délégués du personnel, comme l'a d'ailleurs prévu l'Assemblée nationale en première lecture. De plus, le contenu de la base de données apparaît très en deçà de l'Ani. La délégation insiste pour y intégrer « des données relatives aux contrats précaires et aux contrats à temps partiel », et non au sein de l'investissement social, comme l'a prévu l'Assemblée.

L'article 5 prévoit la participation au conseil d'administration des grandes entreprises de représentants des salariés avec voix délibérative. Nous insistions sur l'importance de garantir une représentativité genrée équilibrée dans les instances stratégiques des entreprises. La délégation avait proposé qu'en cas de candidatures nominales, le suppléant et le titulaire soient de sexe différent et qu'en cas de scrutin de liste, celles-ci observent une stricte alternance de sexe ; elle se réjouit que les députés aient modifié l'article en ce sens.

L'apparente neutralité de l'article 10 cache des modifications majeures de l'anticipation de l'organisation des journées de travail, qui incombe encore majoritairement aux femmes. Les modifications introduites par l'Assemblée nationale ont largement répondu aux préoccupations de la délégation, qu'il s'agisse des limites imposées à la mobilité géographique, des mesures d'accompagnement ou, pendant la phase de concertation, de la prise en compte par l'employeur des contraintes personnelles et familiales des salariés concernés.

La délégation a craint que le caractère prioritaire du critère des qualités professionnelles, affirmé à l'article 15, introduise un biais sexiste dans l'ordre des licenciements. Si cette priorité, supprimée à l'Assemblée nationale, venait à être rétablie, la délégation estime que le juge ne pourra prendre en compte ce critère que si l'appréciation des qualités professionnelles a eu lieu « dans le cadre d'un entretien d'évaluation du salarié concerné », afin d'éviter des appréciations purement subjectives qui peuvent être défavorables aux femmes.

Concernant l'article 7, notre délégation estime qu'on ne peut assimiler un contrat à temps partiel à un contrat précaire. En effet, le contrat à temps partiel n'est pas, en soi, un contrat précaire, surtout quand il a été choisi. Cependant, certaines entreprises en ont usé pour gérer les flux. Aussi suggérons-nous de reprendre la proposition que j'avais formulée lors de l'examen de la proposition de loi relative à l'égalité salariale : « à compter du 1er janvier 2013, les entreprises de plus de vingt salariés dont le nombre de salariés à temps partiel est au moins égal à 20 % du nombre total de salariés de l'entreprise sont soumises à une majoration de 10 % des cotisations dues par l'employeur au titre des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales pour l'ensemble de leurs salariés ».

L'article 8 propose un nouvel encadrement du temps partiel, dont l'application concernera en premier chef les femmes. Notre délégation souhaite l'introduction d'une durée minimale de 24 heures et la majoration de 10 % dès la première heure complémentaire. Nous nous réjouissons que toutes les organisations représentatives aient abouti au seuil des 24 heures, les représentants des organisations patronales rappelant que ce dernier avait été fixé pour que les travailleurs à temps partiel bénéficient de tous les droits sociaux. Toutefois, la possibilité d'annualisation fragilise ces deux avancées. Certes, elle peut répondre aux besoins de certaines branches à l'activité saisonnière et qui seraient obligées de déroger à la durée minimale hebdomadaire, mais elle peut aussi minorer la garantie apportée par la loi. Aussi demandons-nous au gouvernement un rapport spécifique sur l'application de l'annualisation.

L'employeur pourra également déroger à la durée de 24 heures à la demande du salarié, pour faire face à des contraintes personnelles ou pour cumuler plusieurs activités. Un salarié faisant face à des contraintes personnelles ne pourra-t-il pas également souhaiter cumuler plusieurs activités ? La délégation souhaite donc qu'un salarié puisse invoquer l'un ou l'autre de ces motifs à l'appui de sa demande.

La question des compléments d'heures par avenants - 8 au maximum par an - a retenu notre attention. Le risque de requalification du contrat créé par le recours aux avenants est réel. Ainsi, l'article L. 3123-15 du code du travail prévoit que, lorsque pendant une période de 12 semaines consécutives ou pendant 12 semaines au cours d'une période de 15 semaines ou sur la période prévue par un accord collectif conclu sur le fondement de l'article L. 3122-2 du code du travail, l'horaire moyen réellement accompli par un salarié a dépassé l'horaire prévu de 2 heures au moins par semaine, son contrat est modifié, comme le confirme une jurisprudence importante. C'est ce qui pourrait se passer en l'absence d'indications sur le nombre d'heures et la durée sur laquelle peuvent être conclus les avenants. Certaines organisations d'employeurs, telle la Fédération des entreprises de propreté, estiment ce dispositif indispensable pour leur secteur d'activité. D'autres, comme celle de l'aide à domicile, sollicitent un délai pour l'application des 24 heures plancher, et une expérimentation du dispositif pendant deux ans. Toutefois, le principe d'égalité entre les salariés à temps partiel et les salariés à temps plein suppose de mettre sur le même plan heures complémentaires et heures supplémentaires.

La jurisprudence de la Cour de cassation interdit de déroger à la règle d'ordre public de majoration des heures complémentaires en augmentant temporairement, par avenant, la durée contractuelle initiale du travail. C'est pourquoi nous avons souhaité revenir au principe d'égalité en prévoyant que toute heure effectuée en complément des heures prévues dans le contrat initial soit considérée comme une heure supplémentaire et, qu'en conséquence, toute heure supplémentaire prévue par avenant soit systématiquement majorée. Ainsi serait modifié le b) de l'article L. 3123-25 à l'alinéa 25 de l'article 8.

Les députés avaient adopté un amendement précisant qu'au-delà de quatre avenants par an et par salarié, les quatre derniers avenants ne pourront être conclus qu'à la condition que les heures effectuées soient majorées d'au moins 25 %. La délégation regrette que le gouvernement soit revenu sur cette avancée lors d'une seconde délibération.

Enfin, les modalités d'organisation du temps partiel sont renvoyées à la négociation de branche. La délégation souhaite que le délai de sept jours ne puisse être ramené en dessous de quatre jours. Si les employeurs de l'aide à domicile peuvent respecter ce délai, les autres employeurs doivent pouvoir s'aligner. Elle a aussi demandé que le rapport d'évaluation prévu en 2014 précise les modalités réelles des interruptions d'activité applicables aux contrats de travail à temps partiel.

Ce texte majeur va profondément marquer les relations de travail dans les entreprises. Beaucoup de dispositions sont favorables, mais d'autres pourraient déstabiliser les salariés dont les conditions d'emploi sont les plus fragiles. Aussi est-il essentiel que nous restions vigilants à leur incidence sur les emplois les plus exposés. C'est pourquoi nous avons demandé qu'un rapport, remis au Parlement avant le 31 décembre 2014, mesure l'impact de ce texte sur l'organisation des contrats à temps partiel et des CDD et sur l'application de l'annualisation des 24 heures.

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