Intervention de Dominique Watrin

Commission des affaires sociales — Réunion du 11 avril 2013 : 1ère réunion
Sécurisation de l'emploi — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Dominique WatrinDominique Watrin :

A mon tour de saluer le travail du rapporteur, en le remerciant des très nombreuses auditions, toutes utiles, qu'il a organisées. Notre lecture du texte est toutefois différente de la sienne ; nous voterons contre ses conclusions, non par défiance envers lui, mais parce que nous rejetons un texte qui nous semble déséquilibré, voire régressif.

Le Medef a détourné la feuille de route fixée par le Gouvernement au lendemain de la grande conférence sociale de juillet 2012, qui appelait à lutter contre la précarité du marché du travail, à progresser dans l'anticipation des évolutions de l'activité, de l'emploi et des compétences, à améliorer les dispositifs de maintien dans l'emploi et les procédures collectives de licenciement. D'améliorations, je n'en vois pas quand le texte facilite les licenciements plus qu'il ne sécurise les salariés. Derrière, il y a un cadre idéologique, l'éternel dogme de la baisse du coût du travail. On pense sans doute que les licenciements d'aujourd'hui sont les emplois de demain... Pourtant, après 25 ans de précarisation, le chômage ne fait qu'augmenter.

Cet accord est majoritaire, je ne le remets pas en cause. Mais il est abusif de dire qu'il est « majoritaire majoritaire », comme le fait M. Sapin. Les premier et troisième syndicats de salariés s'y sont opposés, les manifestants se comptent par centaines de milliers, et des dizaines de députés de gauche n'ont pas voté le texte.

Les syndicats des pays nordiques, souvent cités en exemple, disent aujourd'hui qu'il faudrait plus de loi et moins de négociation collective, car le système dual à remis en cause l'égalité des salariés devant le droit du travail. En Allemagne, certaines branches n'ont pas de Smic ! Même à droite, on envisage de rebrousser chemin.

Sur le fond, l'accord accumule les dérogations à la loi, autorisant une multitude d'accords de branche et d'entreprise, supprimant des règles protectrices des salariés, par exemple en matière de licenciement collectif. Le Medef avait énuméré devant nous tout ce qu'il souhaitait voir figurer dans l'accord : il a obtenu gain de cause sur toute la ligne ! Standard & Poor's estime que l'accord aura peu d'impact sur le taux de chômage mais interrompra la hausse des coûts salariaux en France. Voilà qui devrait interpeller les parlementaires de gauche...

Les avancées citées par le rapporteur sont virtuelles ou différées dans le temps, comme l'extension des complémentaires santé, qui pose d'ailleurs une question de fond : veut-on donner un rôle accru aux complémentaires santé ou une sécurité sociale qui couvre 100 % des risques ? En tout état de cause, cette avancée n'entrera pas en vigueur avant 2016. Les reculs, en revanche, sont immédiats. Les droits rechargeables à l'assurance chômage ? Très bien, mais la mesure, dont le coût est évalué à plusieurs milliards d'euros, n'est pas financée et le Medef a déjà dit qu'il ne mettrait pas un centime de plus. Cela se traduira donc par une hausse des cotisations des salariés et un recul des droits.

L'accord de maintien de l'emploi, noyau dur du texte, reprend l'accord compétitivité-emploi, que la gauche avait combattu. Si le salarié refuse la modification de son contrat de travail, il sera licencié pour motif économique à titre individuel : ce n'est pas rien ! Attention aux effets d'aubaine, cela peut être un moyen pour des employeurs malveillants de remettre en cause la convention collective et les droits des salariés. On fait comme si employeur et salarié négociaient d'égal à égal, en oubliant qu'il y a un lien de subordination entre les deux. Il est évident qu'un employeur a des moyens de chantage pour réduire les droits et garanties des salariés.

Autre point dur, inacceptable à nos yeux : l'affaiblissement des moyens des syndicats en cas de licenciement collectif. On assouplit les règles du PSE, qui permettaient que les prud'hommes soient saisis pour contester le motif économique du licenciement. C'est un recul, tout comme le changement de juridiction. En effet, la juridiction judiciaire étudiait et contestait parfois la réalité du motif économique du licenciement collectif.

L'homologation n'est pas une garantie suffisante. Il n'y a que 2 200 agents de contrôle des sections d'inspection du travail en France et les délais sont très courts. Nous avons l'expérience des autorisations administratives de licenciement : 85 % d'entre elles étaient accordées...

Les propositions de Catherine Génisson vont dans le bon sens et les rapports qu'elle demande seront utiles. Le temps partiel concerne les femmes à 85 %. On pose une durée minimale hebdomadaire de 24 heures, en l'assortissant immédiatement de nombreuses exceptions et possibilités de dérogation. L'accord de branche pourra ramener de 25 % à 10 % la majoration de la rémunération des heures complémentaires, déjà moins avantageuses que les heures supplémentaires. Encore une régression. A l'Assemblée nationale, un amendement de Jérôme Guedj proposait, au-delà de quatre avenants, une majoration garantie de 25 % ; retiré, repris par André Chassaigne, il a été adopté... avant que le Gouvernement demande une seconde délibération ! Y a-t-il une volonté réelle de prendre en compte les salariés à temps partiel ? Autorisées par les accords de branche, les dérogations au délai de prévenance quant à un changement d'horaires de travail n'amélioreront pas la conciliation avec la vie familiale...

Le texte traduit un accord déséquilibré qui fait la part belle au Medef, confirme l'inversion de la hiérarchie des normes et prépare de futurs reculs sociaux. Le groupe CRC ne peut l'accepter.

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