Intervention de Benoît Battistelli

Commission des affaires économiques — Réunion du 10 avril 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Benoît Battistelli président de l'office européen des brevets

Benoît Battistelli, président de l'Office européen des brevets (OEB) :

L'OEB est une organisation intergouvernementale, et non une agence de l'Union européenne. Elle rassemble 38 États membres, une grande Europe allant de l'Islande à la Turquie, de la Finlande à Chypre et comprenant six cent millions d'habitants, soit autant que les États-Unis, le Japon et la Corée réunis.

La capacité d'innovation européenne constitue l'un des principaux atouts pour sortir de la crise financière. Le brevet, instrument juridique protégeant et valorisant l'investissement, doit donc figurer parmi les priorités. L'OEB, créé par la convention sur le brevet européen en 1973, est un outil intégré et très performant : il forme un système régional grâce auquel les entreprises peuvent obtenir, sur la base d'une seule demande, la protection de leurs inventions dans quarante pays d'Europe. Il offre ainsi une procédure uniforme et centralisée de recherche et d'examen des demandes de brevets présentant un niveau de qualité cohérent. Cela rend la protection plus simple, moins chère et plus attrayante pour les déposants, qu'ils viennent d'Europe ou du reste du monde.

Les pères-fondateurs de l'OEB estimaient que 30 000 dépôts annuels seraient le signe d'un beau succès. Ce chiffre a été dépassé en six ans, et les dépôts n'ont cessé d'augmenter depuis pour atteindre en 2012 le chiffre record de 257 750, en hausse de 5,2 % par rapport à 2011. C'est que l'OEB a acquis une réputation d'excellence parmi les offices de brevets. Nous examinons les demandes avec une telle rigueur, que nos brevets sont considérés comme les plus sûrs au monde. Pour atteindre ce niveau d'excellence, l'OEB s'est doté de moyens humains et techniques. Il compte 7 000 employés, ce qui en fait la deuxième institution publique européenne, après la Commission ; ses 4 100 ingénieurs scientifiques hautement spécialisés et tous trilingues couvrent l'ensemble des champs technologiques. Leurs rapports examinent la validité des demandes de brevet, en relevant toute antériorité de nature à affecter le caractère nouveau de l'invention présentée. Potentiellement dépourvu de limites spatiales et temporelles, ce travail est lourd et complexe. L'OEB est le seul organisme au monde capable de le conduire en six mois.

Ses outils de recherches sont devenus des standards mondiaux : EPOQUE est utilisé par quarante offices nationaux, comme en Chine, au Brésil, en Australie, ou au Canada, ainsi que dans la plupart des pays européens. Son outil de classification des brevets et de la littérature technologique vient d'être adopté par l'Office américain des brevets, et a donné naissance le 1er janvier 2013 au système Classification coopérative des brevets (CPC), commun à l'OEB et à l'Office américain. Avec ses 250 000 catégories, c'est l'outil le plus fin du monde, qui a fait de l'Europe le leader en la matière. La Chine, avec qui l'OEB coopère depuis trente ans, s'est appuyée sur le système européen pour développer ses propres outils, ce qui aide considérablement nos entreprises qui y investissent.

L'OEB a une forte dimension internationale : 62 % des brevets qu'il délivre le sont à des Etats non membres. Ses premiers clients sont les Etats-Unis (25 % des brevets), devant le Japon (20 %). Le premier client européen est l'Allemagne, avec 14 % des brevets. Suivent la Chine avec 7 %, la Corée du Sud avec 5,6 % et la France, pour moins de 5 %. Il y a deux ans, la Chine et la France étaient au même niveau. La demande de brevets est en hausse en 2012 : de 10 % en Asie, de 5,6 % aux États-Unis, et de 2,3 % en Europe, ce qui est assez positif pour être signalé. La demande de brevets avait baissé de 7 % en 2009, sous l'effet de la crise, avant de repartir en 2010, et de retrouver en 2012 le niveau de 2008.

Si ce système est efficace, pourquoi le changer ? Le système européen était en réalité bancal, car pour chaque brevet délivré par l'OEB, une démarche de validation devait être effectuée dans chaque Etat membre. Les brevets nationaux forment en quelque sorte un bouquet, mais chacun a sa vie propre : les contentieux qui peuvent survenir ici ou là font courir à l'entreprise qui les possède le risque d'une importante perte de temps et d'argent, sans parler des possibles divergences d'interprétation des juridictions nationales. C'est pourquoi la question d'un brevet unitaire est sur la table depuis quarante ans. Deux règlements du 20 janvier 2013 lui ont donné naissance, en application d'une décision de décembre 2012. Ce brevet unitaire, délivré à l'issue d'une unique démarche par l'OEB, sera directement applicable dans vingt-cinq États membres.

L'Espagne et l'Italie s'y sont en effet longtemps opposées pour des raisons linguistiques. Depuis sa création en 1973, à une époque où l'Espagne ne faisait pas partie de l'Union européenne, les langues de travail de l'OEB sont l'anglais, l'allemand et le français, langues de 80 % des brevets déposés. Depuis 2010, l'Espagne conteste le statut du français et de l'allemand, et l'Italie, la Pologne, et la Suède à sa suite. Malgré leur opposition, le statu quo a été décidé : le système a fait ses preuves, les entreprises s'y sont habituées, et le coût d'une traduction en trois langues seulement reste acceptable. Voilà pourquoi, le brevet de l'Union européenne a été, après le divorce international, le second exemple de coopération renforcée.

Pour la création de la juridiction unifiée, il a fallu innover et passer par le droit international : un traité a été signé en février 2013. Paris accueillera l'instance centrale de la Cour européenne des brevets (CEB), Londres et Munich deux chambres spécialisées. Des chambres décentralisées concilieront la technicité des contentieux avec la proximité des justiciables. Le brevet unitaire sera mis en oeuvre lorsque la CEB sera effectivement créée, c'est-à-dire lorsque le traité sera ratifié par treize des États parties dont l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France.

Pour maintenir son influence en matière de droit de la propriété intellectuelle, notre pays a tout intérêt à ratifier ce traité en premier. Certaines questions sont en effet restées en suspens : c'est le cas des règles procédurales, qu'un groupe préparatoire examine en ce moment. La France a une carte à jouer. Elle a été leader dans la création de l'OEB, comme elle l'a été dans cette matière depuis la convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle de 1883. Une grande partie de la doctrine du droit des brevets procède de la réflexion française. C'est la raison pour laquelle Paris accueillera la chambre centrale de la CEB.

L'Allemagne ne fera rien avant les élections générales de l'automne, ce qui laisserait envisager une ratification au milieu de l'année prochaine. Quant au Royaume-Uni, situé quelque part entre l'Europe et le reste du monde, son attitude est imprévisible. Il serait donc opportun que le Sénat intervienne auprès du gouvernement pour accélérer la ratification du traité. Politiquement, le sujet fait consensus. Le brevet unitaire réduira en outre d'environ 70 % les coûts que supportent les entreprises. Les principaux bénéficiaires en seront les PME, les centres de recherche et les universités, c'est à dire des structures moins bien protégées en Europe qu'elles pourraient l'être.

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