Intervention de Dominique Lefebvre

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 avril 2013 : 1ère réunion
Audition de M. Dominique Lefebvre député co-auteur du rapport au premier ministre « dynamiser l'épargne financière des ménages pour financer l'investissement et la compétitivité »

Dominique Lefebvre, député :

Merci de votre invitation ; veuillez excuser Karine Berger, qui est en déplacement en Australie. Notre rapport a été remis au Premier ministre puis présenté à la commission des finances de l'Assemblée nationale la semaine dernière. Le communiqué du Gouvernement indique que certaines mesures seront intégrées dans la prochaine loi de finances. J'ai toutefois insisté auprès des ministres sur la nécessité de préciser rapidement certaines propositions sensibles.

Ne disposant pas des moyens des administrations et des cabinets, Karine Berger et moi avons choisi de nous focaliser sur une analyse et une logique politiques. Nous avons organisé plus de 150 heures d'audition, afin de comprendre l'état d'esprit de nos interlocuteurs. Au final, le rapport comporte dix recommandations et quinze propositions.

La première de nos recommandations est de poursuivre la politique de redressement des finances publiques et de réduction de la dette, car on ne peut imaginer mieux orienter l'épargne des Français vers les entreprises si celle-ci est excessivement mobilisée vers le financement de la dette. Le financement des entreprises suppose de restaurer leur taux de marge, car l'autofinancement reste la première manière de se financer. Mais tel n'était pas l'objet de nos travaux et je vous renvoie, sur ce point, au rapport de Louis Gallois.

En revanche, notre rapport évalue le besoin de financement de l'économie française à 100 milliards d'euros sur les quatre années à venir, dont 20 à 25 milliards pour les petites et moyennes entreprises (PME) : c'est à la fois beaucoup et peu... Les grandes entreprises n'ont pas de problème de financement, nous ont dit aussi bien le mouvement des entreprises de France (Medef) que l'Association française des entreprises privées (Afep), mais plutôt de nationalité du capital. En effet, 45 % du capital des entreprises du CAC 40 est détenu par des non-résidents. Pour le reste, les grandes entreprises bénéficient à la fois des taux bas des obligations d'Etat et d'une facilité d'accès au marché obligataire, c'est-à-dire d'un mouvement de désintermédiation.

Il en va autrement pour les PME. Selon le rapport de l'Observatoire du financement des entreprises, celles-ci ne connaissent pas de problème de financement global à l'instant t - sans que l'on sache si cela découle d'une anticipation négative des chefs d'entreprise ni si le système intermédié sera apte à réagir quand la croissance reviendra.

L'épargne des ménages français est importante. Leur patrimoine s'élève à 10 000 milliards d'euros nets, dont 3 600 milliards d'épargne financière. On note une préférence pour l'immobilier : il est vrai que lorsque le produit intérieur brut (PIB) augmente de 40 %, l'épargne financière augmente de 50 % et le patrimoine immobilier de 150 %, notamment à cause d'un effet prix. Rien ne sert de vouloir modifier la répartition entre ces deux types d'épargne si les 3 600 milliards d'euros d'épargne financière suffisent pour répondre aux besoins de l'économie. Il n'est pas non plus question d'inciter les ménages français à épargner davantage en période de croissance atone, le Gouvernement cherchant d'ailleurs plutôt à inciter les Français à consommer pour soutenir l'activité.

Reste l'épargne réglementée, qui a fait l'objet d'un débat : l'exonération fiscale totale pour ce placement liquide ne favorise pas la prise de risque. Cela dit, il est bon de rappeler que sur les trente dernières années, la part de l'épargne réglementée est passée de 30 % à 15 % de l'épargne financière totale tandis que, sur la même période, la part de l'assurance-vie a fortement augmenté, passant de 5 % à 40 % (15 milliards d'euros en 1980, 1 500 milliards aujourd'hui). Alors certes, les banques et les assureurs-vie nous ont expliqué que le doublement du plafond du livret A bénéficiera davantage aux ménages aisés. Néanmoins, considérant que le livret A et les contrats d'assurance-vie en euros ont, en réalité, la même stabilité et la même liquidité, Karine Berger et moi n'avons pas jugé opportun de critiquer les mesures prises en 2012 - il ne s'agit finalement que d'une « histoire de tuyaux ». De toute façon, je rappelle que le surcroît d'épargne réglementée venant de ce changement de plafond, soit une trentaine de milliards d'euros, doit être rapidement investi dans des programmes d'infrastructures ou en appui de la Banque publique d'investissement (BPI) ou de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

De manière plus générale, nous avons délibérément choisi de partir de la réalité du paysage français de l'épargne. Bien sûr, certains pourraient souhaiter un changement radical, avec moins d'intermédiation et plus de recours au marché, comme aux Etats-Unis. Bien sûr, d'autres peuvent regretter une culture du risque insuffisante ou encore invoquer la fiscalité. Cependant, de manière réaliste, nous n'avons pas les moyens de revenir sur les mesures de barémisation ou d'instaurer un prélèvement libératoire pour l'épargne longue. De même, dans la conjoncture économique et budgétaire, il ne serait pas opportun de proposer d'engager une grande réforme, au risque de déstabiliser le système actuel sans rien régler. C'est pourquoi, afin que notre rapport soit vraiment utile et exploitable, nous avons choisi de proposer des mesures pragmatiques.

Dans cette optique, nous nous sommes tournés vers l'assurance-vie pour d'évidentes raisons de masse financière.

En premier lieu, nous avons souligné que le système intermédié est contraint par les normes comptables et prudentielles, Bâle III et Solvabilité II. Le bon sens veut qu'avant d'envisager des incitations fiscales, nous regardions si la réglementation est adaptée. Or l'application de Bâle III fait débat. Les banques, qui ont un problème de bilan, souhaiteraient pouvoir commercialiser un produit concurrentiel de l'assurance-vie pour retrouver l'équilibre mais nous n'avons pas souhaité les suivre dans cette logique en raison du risque de déstabilisation de l'assurance-vie - d'où la nécessité d'une négociation sur les normes prudentielles. A cet égard - paradoxe fréquent - les assureurs, qui ont milité pour une réglementation européenne, sont aujourd'hui les premiers à protester, estimant qu'elle entrave leur capacité à financer l'économie. De fait, ces normes obligent les assureurs à adosser les primes à des actifs liquides : on préfère donc des obligations grecques à des actions d'entreprise. Solvabilité II impose de pouvoir rembourser 1 200 milliards d'euros de primes à un an : il faut reconnaître que c'est aberrant.

En deuxième lieu, s'agissant de la fiscalité, j'observe que la réduction de l'avantage fiscal au fil des années n'a pas empêché le maintien d'un important flux d'épargne vers l'assurance-vie. A l'inverse, l'épargne salariale et l'épargne retraite, qui coûtent chacune 2 milliards d'euros en dépense fiscale, ne se sont guère développées... Pour ce qui concerne la légitimité de l'imposition réduite de l'assurance-vie, est-il normal de pouvoir ouvrir un contrat avec 100 euros puis, huit ans plus tard, quand l'avantage fiscal est à son maximum, y déposer 100 000 euros ? Clairement non. Pour autant, « démonter » l'assurance-vie poserait un problème à la fois économique et politique, d'une part, parce qu'elle finance en partie notre économie et d'autre part, parce que l'on recense 20 millions de contrats pour 17 millions de ménages...

En troisième lieu, s'agissant de l'allocation des actifs de l'assurance-vie, notre rapport montre qu'il conviendrait de bouger des curseurs afin de l'optimiser : moins de 5 % des quelque 1 500 milliards d'encours sont investis en actions françaises, sachant que la durée moyenne des contrats est de huit à douze ans.

Que faire une fois ce constat dressé ? Pour ne pas entamer la confiance des épargnants, nous ne proposons pas de remise en cause du régime fiscal, même si elle pourrait se justifier, les contrats d'assurance-vie en euros, garantis à tout moment, représentant les trois quarts des encours, avec seulement 70 milliards d'euros d'actions pour 1 200 milliards d'euros d'encours. Nous préconisons plutôt de créer un nouveau contrat « Euro-Croissance », tirant les conséquences de l'échec du contrat « DSK ». L'assureur prendrait peu de risque, car le capital serait garanti à la fin du contrat. Ces nouveaux contrats permettraient d'investir davantage en actions, tout en étant cohérents avec les normes prudentielles et avec la durée moyenne de placement. Afin de dynamiser la mesure, nous proposons, dans la lignée de l'amendement Fourgous sur les contrats multi-supports, que les primes sur les contrats en euros puissent être transférées sur des contrats Euro-Croissance sans perdre l'avantage fiscal. Nous faisons le pari que les épargnants opteront pour ces produits offrant un taux de rendement plus élevé. En tout cas, les assureurs sont prêts à jouer le jeu, car ils ont de plus en plus de mal à servir le rendement annoncé aux épargnants. Pour l'heure, ils bénéficient de la faiblesse des taux des obligations d'État, mais une remontée des taux entraînerait un séisme dans l'assurance-vie ; le contrat Euro-Croissance aurait l'avantage de répondre à ce problème systémique.

En somme, notre rapport est une sorte de contrat d'assurance-vie... pour les assureurs ! La Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) est toutefois réticente, car elle a du mal à accepter l'idée d'une distinction entre « riches » et « pauvres » dans l'assurance-vie. Pour notre part, nous proposons qu'au-delà de 600 000 euros d'encours, l'avantage fiscal sur les successions soit réservé non seulement aux contrats en unités de compte mais aussi aux contrats « Euro-Croissance ». Une telle mesure pourrait avoir des effets puissants car, si les 10 % des ménages les plus riches concentrent 25 % des revenus et 80 % du patrimoine, en matière d'assurance-vie, 1 % des ménages concentre un tiers des encours. Jusqu'au neuvième décile, les contrats sont en moyenne de 50 000 euros ; dans le dernier centile, ils vont jusqu'à 600 000 euros. Je suis sidéré d'entendre certains prétendre qu'en faisant cela, on favoriserait la fuite des pluri-patrimoines, et qu'il ne faut surtout pas toucher à l'assurance-vie sinon pour desserrer les normes prudentielles !

A côté de cela, nous proposons quelques mesures d'intérêt public, à commencer par le fichier central des contrats d'assurance, auquel la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) a dit son opposition.

Les PME privilégient l'autofinancement, selon le président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), qui prône un impôt sur les sociétés spécifique, un « IS-PME », malheureusement impossible à mettre en place du fait de la situation budgétaire. Le principal problème vient du fait que les chefs d'entreprise ne veulent pas perdre le contrôle de leur entreprise en faisant appel au marché. D'où notre proposition de nous inspirer du droit allemand des actionnaires minoritaires, qui permettrait aux dirigeants de PME d'adosser leur entreprise à un grand groupe tout en restant en place.

La crise de confiance existe aussi entre les intermédiaires financiers et le secteur du capital-investissement. « Les assureurs se sont retirés, les intermédiaires ne nous aident pas », entend-on ; « les frais de gestion sont trop importants et les rendements insuffisants », disent les assureurs. Un rapport de l'Inspection générale des finances de 2010, jamais rendu public, balayait l'ensemble de l'épargne financière, dressant des constats sévères sur les fonds d'investissement de proximité (FIP) et les fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI). Nous prenons acte de l'engagement de stabilité fiscale du Président de la République mais nous incitons à ne pas prévoir, à l'avenir, d'avantage fiscal à l'entrée. En outre, nous proposons des mesures afin que les assureurs puissent investir sur de plus longues durées.

Enfin, pour ce qui concerne l'immobilier, les assureurs-vie nous ont dit être prêts à investir dans le logement, à condition que la rentabilité ne soit pas inférieure à 4 % ; face à cela, les professionnels du secteur doivent être capables de proposer de tels produits.

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