La commission procède à l'audition de M. Dominique Lefebvre, député, auteur avec Mme Karine Berger, députée, du rapport au Premier ministre « Dynamiser l'épargne financière des ménages pour financer l'investissement et la compétitivité ».
Nous accueillons M. Dominique Lefebvre, député du Val d'Oise, co-auteur avec Mme Karine Berger - députée des Hautes-Alpes - d'un rapport au Premier ministre intitulé « Dynamiser l'épargne financière des ménages pour financer l'investissement et la compétitivité ».
Dans sa lettre de mission, en date du 9 octobre 2012, le Premier ministre soulignait la nécessité de faire davantage contribuer l'épargne financière au financement à long terme de l'économie, alors même que les réformes prudentielles et de normalisation comptable en cours vont se traduire par des contraintes supplémentaires sur les banques et les assurances. Le Premier ministre soulignait également le peu de lisibilité et l'efficacité discutable des nombreux régimes fiscaux existants.
Simultanément, le Gouvernement choisissait, en loi de finances pour 2013, d'aligner la fiscalité des revenus patrimoniaux sur celle des revenus du travail et d'augmenter les plafonds des livrets d'épargne réglementés.
Vos travaux, très attendus, se sont déroulés dans une période de forte contrainte économique et budgétaire. Vous les avez néanmoins menés à bien et avez remis votre rapport au Premier ministre le 2 avril dernier. La commission est heureuse d'entendre vos conclusions et les réformes, réglementaires ou fiscales, qui vous semblent utiles.
Merci de votre invitation ; veuillez excuser Karine Berger, qui est en déplacement en Australie. Notre rapport a été remis au Premier ministre puis présenté à la commission des finances de l'Assemblée nationale la semaine dernière. Le communiqué du Gouvernement indique que certaines mesures seront intégrées dans la prochaine loi de finances. J'ai toutefois insisté auprès des ministres sur la nécessité de préciser rapidement certaines propositions sensibles.
Ne disposant pas des moyens des administrations et des cabinets, Karine Berger et moi avons choisi de nous focaliser sur une analyse et une logique politiques. Nous avons organisé plus de 150 heures d'audition, afin de comprendre l'état d'esprit de nos interlocuteurs. Au final, le rapport comporte dix recommandations et quinze propositions.
La première de nos recommandations est de poursuivre la politique de redressement des finances publiques et de réduction de la dette, car on ne peut imaginer mieux orienter l'épargne des Français vers les entreprises si celle-ci est excessivement mobilisée vers le financement de la dette. Le financement des entreprises suppose de restaurer leur taux de marge, car l'autofinancement reste la première manière de se financer. Mais tel n'était pas l'objet de nos travaux et je vous renvoie, sur ce point, au rapport de Louis Gallois.
En revanche, notre rapport évalue le besoin de financement de l'économie française à 100 milliards d'euros sur les quatre années à venir, dont 20 à 25 milliards pour les petites et moyennes entreprises (PME) : c'est à la fois beaucoup et peu... Les grandes entreprises n'ont pas de problème de financement, nous ont dit aussi bien le mouvement des entreprises de France (Medef) que l'Association française des entreprises privées (Afep), mais plutôt de nationalité du capital. En effet, 45 % du capital des entreprises du CAC 40 est détenu par des non-résidents. Pour le reste, les grandes entreprises bénéficient à la fois des taux bas des obligations d'Etat et d'une facilité d'accès au marché obligataire, c'est-à-dire d'un mouvement de désintermédiation.
Il en va autrement pour les PME. Selon le rapport de l'Observatoire du financement des entreprises, celles-ci ne connaissent pas de problème de financement global à l'instant t - sans que l'on sache si cela découle d'une anticipation négative des chefs d'entreprise ni si le système intermédié sera apte à réagir quand la croissance reviendra.
L'épargne des ménages français est importante. Leur patrimoine s'élève à 10 000 milliards d'euros nets, dont 3 600 milliards d'épargne financière. On note une préférence pour l'immobilier : il est vrai que lorsque le produit intérieur brut (PIB) augmente de 40 %, l'épargne financière augmente de 50 % et le patrimoine immobilier de 150 %, notamment à cause d'un effet prix. Rien ne sert de vouloir modifier la répartition entre ces deux types d'épargne si les 3 600 milliards d'euros d'épargne financière suffisent pour répondre aux besoins de l'économie. Il n'est pas non plus question d'inciter les ménages français à épargner davantage en période de croissance atone, le Gouvernement cherchant d'ailleurs plutôt à inciter les Français à consommer pour soutenir l'activité.
Reste l'épargne réglementée, qui a fait l'objet d'un débat : l'exonération fiscale totale pour ce placement liquide ne favorise pas la prise de risque. Cela dit, il est bon de rappeler que sur les trente dernières années, la part de l'épargne réglementée est passée de 30 % à 15 % de l'épargne financière totale tandis que, sur la même période, la part de l'assurance-vie a fortement augmenté, passant de 5 % à 40 % (15 milliards d'euros en 1980, 1 500 milliards aujourd'hui). Alors certes, les banques et les assureurs-vie nous ont expliqué que le doublement du plafond du livret A bénéficiera davantage aux ménages aisés. Néanmoins, considérant que le livret A et les contrats d'assurance-vie en euros ont, en réalité, la même stabilité et la même liquidité, Karine Berger et moi n'avons pas jugé opportun de critiquer les mesures prises en 2012 - il ne s'agit finalement que d'une « histoire de tuyaux ». De toute façon, je rappelle que le surcroît d'épargne réglementée venant de ce changement de plafond, soit une trentaine de milliards d'euros, doit être rapidement investi dans des programmes d'infrastructures ou en appui de la Banque publique d'investissement (BPI) ou de la Caisse des dépôts et consignations (CDC).
De manière plus générale, nous avons délibérément choisi de partir de la réalité du paysage français de l'épargne. Bien sûr, certains pourraient souhaiter un changement radical, avec moins d'intermédiation et plus de recours au marché, comme aux Etats-Unis. Bien sûr, d'autres peuvent regretter une culture du risque insuffisante ou encore invoquer la fiscalité. Cependant, de manière réaliste, nous n'avons pas les moyens de revenir sur les mesures de barémisation ou d'instaurer un prélèvement libératoire pour l'épargne longue. De même, dans la conjoncture économique et budgétaire, il ne serait pas opportun de proposer d'engager une grande réforme, au risque de déstabiliser le système actuel sans rien régler. C'est pourquoi, afin que notre rapport soit vraiment utile et exploitable, nous avons choisi de proposer des mesures pragmatiques.
Dans cette optique, nous nous sommes tournés vers l'assurance-vie pour d'évidentes raisons de masse financière.
En premier lieu, nous avons souligné que le système intermédié est contraint par les normes comptables et prudentielles, Bâle III et Solvabilité II. Le bon sens veut qu'avant d'envisager des incitations fiscales, nous regardions si la réglementation est adaptée. Or l'application de Bâle III fait débat. Les banques, qui ont un problème de bilan, souhaiteraient pouvoir commercialiser un produit concurrentiel de l'assurance-vie pour retrouver l'équilibre mais nous n'avons pas souhaité les suivre dans cette logique en raison du risque de déstabilisation de l'assurance-vie - d'où la nécessité d'une négociation sur les normes prudentielles. A cet égard - paradoxe fréquent - les assureurs, qui ont milité pour une réglementation européenne, sont aujourd'hui les premiers à protester, estimant qu'elle entrave leur capacité à financer l'économie. De fait, ces normes obligent les assureurs à adosser les primes à des actifs liquides : on préfère donc des obligations grecques à des actions d'entreprise. Solvabilité II impose de pouvoir rembourser 1 200 milliards d'euros de primes à un an : il faut reconnaître que c'est aberrant.
En deuxième lieu, s'agissant de la fiscalité, j'observe que la réduction de l'avantage fiscal au fil des années n'a pas empêché le maintien d'un important flux d'épargne vers l'assurance-vie. A l'inverse, l'épargne salariale et l'épargne retraite, qui coûtent chacune 2 milliards d'euros en dépense fiscale, ne se sont guère développées... Pour ce qui concerne la légitimité de l'imposition réduite de l'assurance-vie, est-il normal de pouvoir ouvrir un contrat avec 100 euros puis, huit ans plus tard, quand l'avantage fiscal est à son maximum, y déposer 100 000 euros ? Clairement non. Pour autant, « démonter » l'assurance-vie poserait un problème à la fois économique et politique, d'une part, parce qu'elle finance en partie notre économie et d'autre part, parce que l'on recense 20 millions de contrats pour 17 millions de ménages...
En troisième lieu, s'agissant de l'allocation des actifs de l'assurance-vie, notre rapport montre qu'il conviendrait de bouger des curseurs afin de l'optimiser : moins de 5 % des quelque 1 500 milliards d'encours sont investis en actions françaises, sachant que la durée moyenne des contrats est de huit à douze ans.
Que faire une fois ce constat dressé ? Pour ne pas entamer la confiance des épargnants, nous ne proposons pas de remise en cause du régime fiscal, même si elle pourrait se justifier, les contrats d'assurance-vie en euros, garantis à tout moment, représentant les trois quarts des encours, avec seulement 70 milliards d'euros d'actions pour 1 200 milliards d'euros d'encours. Nous préconisons plutôt de créer un nouveau contrat « Euro-Croissance », tirant les conséquences de l'échec du contrat « DSK ». L'assureur prendrait peu de risque, car le capital serait garanti à la fin du contrat. Ces nouveaux contrats permettraient d'investir davantage en actions, tout en étant cohérents avec les normes prudentielles et avec la durée moyenne de placement. Afin de dynamiser la mesure, nous proposons, dans la lignée de l'amendement Fourgous sur les contrats multi-supports, que les primes sur les contrats en euros puissent être transférées sur des contrats Euro-Croissance sans perdre l'avantage fiscal. Nous faisons le pari que les épargnants opteront pour ces produits offrant un taux de rendement plus élevé. En tout cas, les assureurs sont prêts à jouer le jeu, car ils ont de plus en plus de mal à servir le rendement annoncé aux épargnants. Pour l'heure, ils bénéficient de la faiblesse des taux des obligations d'État, mais une remontée des taux entraînerait un séisme dans l'assurance-vie ; le contrat Euro-Croissance aurait l'avantage de répondre à ce problème systémique.
En somme, notre rapport est une sorte de contrat d'assurance-vie... pour les assureurs ! La Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA) est toutefois réticente, car elle a du mal à accepter l'idée d'une distinction entre « riches » et « pauvres » dans l'assurance-vie. Pour notre part, nous proposons qu'au-delà de 600 000 euros d'encours, l'avantage fiscal sur les successions soit réservé non seulement aux contrats en unités de compte mais aussi aux contrats « Euro-Croissance ». Une telle mesure pourrait avoir des effets puissants car, si les 10 % des ménages les plus riches concentrent 25 % des revenus et 80 % du patrimoine, en matière d'assurance-vie, 1 % des ménages concentre un tiers des encours. Jusqu'au neuvième décile, les contrats sont en moyenne de 50 000 euros ; dans le dernier centile, ils vont jusqu'à 600 000 euros. Je suis sidéré d'entendre certains prétendre qu'en faisant cela, on favoriserait la fuite des pluri-patrimoines, et qu'il ne faut surtout pas toucher à l'assurance-vie sinon pour desserrer les normes prudentielles !
A côté de cela, nous proposons quelques mesures d'intérêt public, à commencer par le fichier central des contrats d'assurance, auquel la Fédération française des sociétés d'assurances (FFSA) a dit son opposition.
Les PME privilégient l'autofinancement, selon le président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), qui prône un impôt sur les sociétés spécifique, un « IS-PME », malheureusement impossible à mettre en place du fait de la situation budgétaire. Le principal problème vient du fait que les chefs d'entreprise ne veulent pas perdre le contrôle de leur entreprise en faisant appel au marché. D'où notre proposition de nous inspirer du droit allemand des actionnaires minoritaires, qui permettrait aux dirigeants de PME d'adosser leur entreprise à un grand groupe tout en restant en place.
La crise de confiance existe aussi entre les intermédiaires financiers et le secteur du capital-investissement. « Les assureurs se sont retirés, les intermédiaires ne nous aident pas », entend-on ; « les frais de gestion sont trop importants et les rendements insuffisants », disent les assureurs. Un rapport de l'Inspection générale des finances de 2010, jamais rendu public, balayait l'ensemble de l'épargne financière, dressant des constats sévères sur les fonds d'investissement de proximité (FIP) et les fonds communs de placement dans l'innovation (FCPI). Nous prenons acte de l'engagement de stabilité fiscale du Président de la République mais nous incitons à ne pas prévoir, à l'avenir, d'avantage fiscal à l'entrée. En outre, nous proposons des mesures afin que les assureurs puissent investir sur de plus longues durées.
Enfin, pour ce qui concerne l'immobilier, les assureurs-vie nous ont dit être prêts à investir dans le logement, à condition que la rentabilité ne soit pas inférieure à 4 % ; face à cela, les professionnels du secteur doivent être capables de proposer de tels produits.
Merci pour cette synthèse. Je pense que le rapporteur général a des questions à vous poser.
Je salue la performance de M. Lefebvre et Mme Berger, dont les propositions utiles ont vocation à prospérer, à fructifier avec les bourgeons de printemps. La lettre de mission du Premier ministre enserrait d'office leur mission dans nombre de contraintes : répondre aux besoins des épargnants, poursuivre les réformes engagées en loi de finances pour 2013, assurer une meilleure justice fiscale, s'inscrire dans un contexte de redressement des finances publiques en limitant la dépense fiscale, éviter le morcellement des produits, améliorer la lisibilité de la fiscalité... Ce n'était pas simple, mais vous avez su cheminer entre les récifs.
Le contrat « Euro-Croissance » dont vous proposez la création doit permettre à l'assureur d'effectuer des placements plus risqués, notamment en fonds propres de PME, tout en maintenant une garantie du capital investi mais seulement à terme. C'est une gageure. Comment inciter les épargnants à se tourner vers ce type de contrat, alors qu'en dessous de 500 000 euros d'encours - ou 600 000, comme vous l'avez indiqué à notre commission -, par ménage, l'avantage fiscal n'est pas plus élevé que pour les contrats en euros ? Comment avez-vous déterminé ce seuil ? Sera-t-il identique pour un célibataire et pour un couple ? Comment pourra-t-on consolider les différents contrats détenus par un ménage ? Seul 1 % des ménages sont concernés, dites-vous. Cela suffira-t-il à réorienter un volume d'épargne suffisant pour contribuer significativement au financement de l'économie ? En l'état actuel des conditions de marché, les assureurs restent très « liquides » et attendent que les taux d'intérêt remontent pour s'engager de façon plus déterminée dans la réallocation des moyens. Face à cette réticence, en quoi ce produit est-il incitatif ?
Quid de l'orientation d'une fraction des encours des contrats d'assurance-vie vers l'immobilier ? Avez-vous exploré cette piste, que le Gouvernement avait évoquée ?
En revanche vous prônez de pousser plus avant la négociation internationale sur les règles prudentielles et comptables qui pèsent sur les banquiers et les assureurs. Font-elles, selon vous, obstacle à la réorientation de l'épargne ? Seraient-elles de nature à limiter l'efficacité du nouveau contrat Euro-Croissance ? A-t-on identifié des goulots d'étranglement ?
De combien pensez-vous allonger la durée exigée pour bénéficier de l'avantage fiscal ? Il faut tenir compte de la durée effective de placement et de la maturité des titres, dites-vous. Selon quelles modalités ?
Quelle sera la fonction du fichier national des contrats d'assurance dont vous souhaitez la création ? S'agira-t-il d'améliorer le traitement des contrats non réclamés - et de faire remonter les fonds ainsi disponibles ?
Le nouveau type de plan d'épargne en actions (PEA), davantage orienté vers les PME, que vous préconisez ouvrirait-il droit à des avantages calqués sur ceux de l'actuel PEA ? Quel serait le public visé, ce nouveau produit étant a priori plus contraignant et plus risqué?
Vous proposez de budgétiser les dispositifs de défiscalisation outre-mer ou de leur substituer un mécanisme de crédit d'impôt. Avez-vous recueilli l'avis du ministère des outre-mer et du ministère des finances ? Cette proposition préfigure-t-elle les préconisations des rapports à venir sur le sujet ? Le crédit d'impôt ne fait-il pas courir le risque d'une année blanche pour les entreprises ultramarines ? Vous savez que le Sénat est sensible à ces questions !
Permettez-moi d'ajouter trois brèves questions à celles du rapporteur général. Pensez-vous qu'au-delà de l'ancien plafond de 15 300 euros, le livret A mérite encore d'être qualifié d'outil d'épargne populaire ?
Par ailleurs, « le total de la dépense fiscale pour le soutien à divers dispositifs d'épargne s'élève à 11 milliards d'euros » écrivez-vous dans votre rapport. Vos propositions conduisent-elle à diminuer ce coût budgétaire ? Si oui, de combien ?
D'autre part, vous évoquez la mise en place d'un PEA-PME. Or la valorisation de PME non cotées étant complexe et fluctuante, les investissements ne correspondant pas à une vraie liquidité de marché, peut-il réellement s'agir d'un outil de placement du type PEA ? Comment surmontez-vous la contrainte de non-liquidité ?
Enfin, votre proposition de renforcer les droits des actionnaires minoritaires après adossement d'une PME à un groupe ou après investissement d'un fonds de capital-investissement n'entraîne-t-elle pas une modification substantielle du droit des sociétés ? En souhaitant à la fois drainer de l'argent mais conserver l'autonomie managériale, les dirigeants d'une catégorie d'entreprises ne veulent-ils pas le beurre et l'argent du beurre ?
Je ne répondrai peut-être pas dans l'ordre des questions... Nous ne pouvions ignorer l'outre-mer en raison du caractère très favorable du mécanisme de défiscalisation de l'épargne. La formule que nous avons retenue ne gênait ni Bercy ni le ministère des outre-mer. Je participe au comité de pilotage et au groupe de travail sur ce sujet, qui devrait rendre ses conclusions d'ici deux mois. Faut-il rebudgétiser tout ou partie sur le logement social ? Des hypothèses sont sur la table, elles seront discutées. La question du crédit d'impôt est également au menu ; en tout état de cause, il n'y aura pas d'année blanche, le Gouvernement s'est engagé à travailler à enveloppe constante.
Le PEA-PME, qui figurait déjà dans le rapport Gallois, est en discussion interministérielle et sera évoqué lors des Assises de l'entreprenariat. Ne pouvant compter sur un investissement direct des ménages dans les PME, risqué et peu liquide, nous proposons d'autoriser des fonds à investir, en ciblant les entreprises destinataires.
Comment motiver les souscripteurs de contrats d'assurance-vie à demander le transfert vers un contrat Euro-Croissance, moins liquide ? En donnant aux assureurs la possibilité d'offrir des rendements plus élevés. Il ne serait guère opportun de donner l'impression que l'on touche à la fiscalité de l'assurance-vie. Mais nous proposons de réserver l'avantage fiscal au-delà d'un niveau d'encours par ménage, en laissant au Gouvernement le soin de fixer le seuil au terme des discussions qu'il conduira avec les acteurs. Le chiffre de 500 000 euros cible les contrats les plus élevés. On attend de ces deux mesures respectivement 20 milliards d'euros et 50 milliards d'euros de placements en actions.
Le contrat Euro-Croissance est un produit intéressant, il offre à l'épargnant une garantie à terme et aux assureurs une possibilité de rendement supérieur. Nous n'avons pas trouvé mieux.
Nous n'avons pas suggéré au Gouvernement de revenir sur les avantages fiscaux existants, d'une part parce que l'assurance-vie est un contrat de confiance, d'autre part parce que nous avons compris, lors de l'audition de l'Association française d'épargne et de retraite (AFER), la puissance de feu du secteur... N'allons pas créer une crise.
Cette mission nous a été confiée car ce point n'avait pas été arbitré dans la loi de finances pour 2013 et qu'il y avait une proposition assez bouleversante, systémique, qui pouvait être source de rendement budgétaire pour l'État - au moins 3 milliards de recettes fiscales. Toutefois, la question que le Premier ministre nous a posée, à Karine Berger et moi, était celle du financement de l'économie, pas celle des économies budgétaires. La question du régime successoral est évidemment sensible car elle concerne les plus hauts patrimoines - qui sont les plus mobiles.
L'immobilier ? Nous proposons que dans les contrats Euro-Croissance ou en unités de compte, pour les plus hauts revenus, l'avantage fiscal soit conditionné à l'existence de compartiments. Cela pourrait donc aussi concerner l'immobilier même si nous n'avons pas donné de chiffre précis dans notre rapport.
Dès qu'on aborde ce type de raisonnement, les assureurs soulignent que la réglementation européenne interdit de leur imposer l'allocation de leurs actifs. Nous pouvons néanmoins utiliser le levier fiscal. Je relève d'ailleurs que les assureurs tiennent d'ailleurs parfois un discours contradictoire : ainsi, récemment, j'ai fait observer à l'un d'entre eux, qui en appelait à une fiscalité plus favorable au risque, que les assurances-vie en euros, en euros diversifié ou en unité de compte étaient soumises à une fiscalité identique qu'alors qu'elles ne présentaient nullement le même niveau de risque pour l'épargnant.
On entend l'argument selon lequel les titulaires de contrats les plus importants seraient des chefs d'entreprises achevant leur vie professionnelle, auxquels il ne serait pas raisonnable de demander une prise de risques. Mais l'Euro-Croissance n'est pas si risqué. Surtout, si les plus gros épargnants ne veulent pas prendre de risques, il y a de quoi s'inquiéter. Qui en prendra ? Le petit épargnant ? Le débat portera précisément sur cette question de savoir s'il doit s'agir d'une mesure générale.
Néanmoins, il est vrai que les normes prudentielles sont excessives en ce qu'elles exigent de garantir la liquidité d'un portefeuille à un an, alors que la durée moyenne du placement est de dix ans. De même, pour les normes comptables, la valeur de marché pose problème. Dans les règles qui ont été adoptées, tout incite les intermédiaires à privilégier des placements plus liquides. On nous a confié que le problème était l'opposition des assureurs - alors qu'à l'origine, certains y étaient favorables. A la direction générale du Trésor, la négociation avec eux n'a peut-être pas été très bien menée...
Oui, et qui nous dit que les discussions communautaires n'ont pas été menées correctement. Une réglementation européenne inspirée de principes anglo-saxons s'applique désormais au système français. De même, culturellement, l'immobilier n'a pas le même statut en France, au Royaume-Uni et en Espagne. Les comportements sont donc différents.
L'épargne financière en France correspond à des attentes spécifiques des Français. Attentes diverses : le chef d'entreprise veut rester maître dans son entreprise, les ménages veulent des placements liquides et peu risqués. Certains tiennent un discours en faveur de la désintermédiation. Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, estime que la crise empêche les intermédiaires de faire correctement leur métier et qu'il conviendrait par conséquent d'aller vers davantage de désintermédiation. Ne serait-ce pas brûler les étapes, quand on ne sait même pas faire fonctionner l'intermédiation ?
L'alternative qui figure dans notre rapport est la suivante. Il est exclu de distinguer entre riches et pauvres, mais peut-être pourrions-nous imposer une durée plus longue aux plus gros contrats ? Cela aurait pour effet d'augmenter la capacité de placement. Reste que j'ai été très étonné d'entendre les assureurs affirmer, lors de la présentation du rapport à la FFSA, qu'ils ne trouvent pas suffisamment d'entreprises de croissance rentables ! Régler la question des normes prudentielles leur ôterait tout prétexte en faveur d'une gestion sans risque, mais il faut aussi qu'elles engagent le dialogue avec les fonds d'investissement. Les professionnels doivent aller chercher le rendement : s'ils continuent de n'offrir que des rendements à peine supérieur au livret A, le système ne fonctionnera pas. Comment font les fonds anglo-saxons pour dégager des niveaux de rentabilité de 8 à 10 % quand ils investissent dans des sociétés françaises ?
En conclusion, encore une fois, du fait de notre système de retraite par répartition, c'est l'assurance-vie qui joue dans notre pays le rôle des fonds de pension. C'est donc sur le levier qu'il faut agir en priorité.
Vos propos traduisent une évolution remarquable. J'avais moi-même déposé en 2003 un amendement tendant à affecter 6 milliards d'euros de l'assurance-vie au financement des entreprises non cotées, ce qui fut fait par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, l'année suivante. Je trouve d'ailleurs intéressant de constater que vous rejoignez sa position...
Toutefois, tout cela n'aura d'efficacité que si le Gouvernement ne prend pas dans le même temps des mesures contradictoires, comme il le fait par exemple en empêchant les entreprises de taille intermédiaires (ETI) de déduire les frais financiers liés à leurs investissements.
Il faut aussi veiller à ce que les investisseurs soient intéressés à l'emploi de leur épargne, comme ils le sont lorsqu'ils investissent les sommes dues au titre de l'impôt sur la fortune (ISF). Mais que s'est-il passé pour les 6 milliards d'euros que j'ai évoqués ? Contrairement à l'objectif initial, les assureurs les ont utilisés pour des leverage buy-out (LBO), c'est à dire sans y intéresser les investisseurs. Je crains qu'il ne se produise la même chose avec ce que vous proposez.
Par ailleurs, lorsque vous évoquez la réorientation d'un montant de 100 milliards d'euros d'encours d'assurance-vie au bout de cinq ans, s'agit-il d'un montant annuel ou du cumul des cinq années ?
Du cumul des cinq années.
N'ayant jamais eu de vision caricaturale de la vie publique, je ne considère pas que tout ce qui a été fait par l'opposition soit mauvais. Je note toutefois que le contrat « NSK » a eu le même sort que le contrat « DSK »...
Comment pensez-vous faire en sorte que les investisseurs soient intéressés à leurs placements ?
La relance de l'économie ne saurait reposer sur les seuls moyens publics. Cela dit, au vu de notre histoire, il faut agir avec doigté. Ainsi, nous ne pouvons pas envisager de remettre en cause le régime d'exonération totale de l'épargne réglementée, auquel les Français sont très attachés, surtout dans le contexte actuel. Mais nous pouvons agir sur l'utilisation de cette épargne. Une partie a d'ailleurs déjà été dirigée vers les fonds d'épargne gérés par la banque publique d'investissement (BPI) et la Caisse des dépôts et consignations (CDC). La commission des finances de l'Assemblée nationale auditionnera d'ailleurs demain MM. Emmanuelli et Jouyet, respectivement président de la commission de surveillance et directeur général de la CDC, sur l'emploi de ce surcroît d'épargne de 30 milliards d'euros issu du doublement du plafond du livret A.
En somme, nous avons fait des propositions qui nous semblent pouvoir être comprises par les épargnants et acceptées par les assureurs avec lesquels nous avons débattu franchement. Bien sûr, certains voudront sans doute durcir le dispositif au cours du débat parlementaire. Face à eux, les compagnies d'assurances brandiront la menace des rachats, comme on agite une bouteille de nitroglycérine en faisant valoir qu'elle peut exploser. Mais j'espère qu'au terme du débat, la raison l'emportera.
En conclusion, l'assurance-vie représente 40 % de l'épargne financière des Français et je fais appel à la responsabilité des assureurs. Je leur explique qu'hors période de crise, j'aurais proposé des mesures systémiques, comme j'ai su le faire lorsque je travaillais avec Michel Rocard - nous avons créé la contribution sociale généralisée (CSG). La responsabilité du Gouvernement est aujourd'hui de faire appel au patriotisme économique des groupes d'assurance, en contrepartie d'une libération des contraintes liées aux normes et avec l'assurance de garantie sur dix ans de préservation de notre modèle d'assurance-vie. Tel est l'esprit de ce rapport.