Intervention de Catherine Génisson

Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes — Réunion du 9 avril 2013 : 1ère réunion
Sécurisation de l'emploi — Examen du rapport d'information

Photo de Catherine GénissonCatherine Génisson, rapporteure :

La délégation aux droits des femmes a été saisie le 19 mars 2013 par la commission des Affaires sociales sur les dispositions du projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi. Dans un délai très court - quinze jours - nous avons procédé à de nombreuses auditions : chercheurs, juristes, organisations syndicales signataires et non-signataires de l'accord national interprofessionnel (ANI) du 11 janvier 2013, représentants du patronat... L'Assemblée nationale a adopté hier des modifications sur ce texte, dont certaines rejoignent mes recommandations.

Ayant toujours donné la priorité à la négociation sociale, je salue la méthode - un accord entre partenaires sociaux - comme préalable au dépôt d'un projet de loi. L'ANI du 11 janvier 2013 a un objectif ambitieux : prendre à bras-le-corps, comme l'a dit le Premier ministre, les principaux enjeux de notre marché du travail, pour fonder un nouvel équilibre entre le besoin d'adaptation des entreprises et l'aspiration des salariés à la sécurité. Le projet de loi est donc le résultat de compromis fragiles. Nous avons le souci de ne pas en déséquilibrer la structure générale, mais souhaitons aussi que le législateur joue tout son rôle.

L'objectif des auditions était double : recueillir l'avis de l'ensemble des organisations syndicales et mesurer l'impact des nouvelles dispositions sur la situation des femmes. En effet, comme le disait Brigitte Grésy devant notre délégation, l'ordre sexué de la société a été reproduit sur le marché du travail. Certes, les femmes constituent à présent 47 % de la population active. Mais on peut parler d'une spécificité de l'emploi féminin, dont les caractéristiques ont été analysées dans notre récent rapport « Pour un nouvel âge de l'émancipation des femmes » : surreprésentation des femmes dans les emplois précaires (80 % des personnes employées à temps partiel sont des femmes) ; persistance des inégalités professionnelles, en particulier salariales ; concentration dans un nombre limité de métiers, puisque 45 % de l'emploi féminin est concentré dans dix métiers.

Si les articles 7 et 8 relatifs aux contrats courts et à l'encadrement du travail à temps partiel ont fait l'objet d'un examen spécial, en raison des spécificités de l'emploi féminin, toutes les dispositions pourraient avoir un impact sur la situation des femmes, notamment l'article 4 relatif à la base de données unique, l'article 5 relatif à la désignation d'administrateurs salariés, l'article 10 sur les accords de mobilité interne, et l'article 15 relatif aux critères à prendre en compte dans l'ordre des licenciements.

La bonne application du projet de loi dépendra d'une part du respect des textes relatifs à l'égalité professionnelle, d'autre part de la mobilisation syndicale. Il est temps, nous l'avons dit à maintes reprises, de passer d'une égalité formelle à une égalité réelle. Les textes sont nombreux et complets, mais les obligations peu respectées. Il faut se donner les moyens de les faire appliquer : plan interministériel créant un réseau territorial de veille et de soutien à la négociation collective relative à l'égalité professionnelle, implication des déléguées et chargées de mission aux droits des femmes dans cette négociation, renforcement des moyens logistiques et budgétaires pour concrétiser l'égalité professionnelle sur les lieux de travail...

Je me félicite que les négociations aient abouti à privilégier le niveau de la branche professionnelle pour l'adaptation des mesures qui touchent à l'organisation du travail. Encore faut-il que la parole des négociateurs, en particulier celle des représentants des salariés, soit suffisamment forte. Après la mobilisation syndicale sur l'ANI, et la confirmation de la représentativité des principales organisations syndicales aux élections de mars 2013, il faut appeler les salariés à adhérer à un syndicat. Ils ne sont que 7 à 8 % à le faire aujourd'hui.

Deux négociations sociales sont en cours, relatives à la qualité de vie au travail et aux instances représentatives du personnel (IRP). L'égalité professionnelle est intégrée à la première. J'appelle la délégation à la vigilance sur la question des limites géographiques de la mobilité interne : nous demandons un seuil acceptable pour la réorganisation des temps imposés aux salariés, et des garanties sur l'articulation des temps de vie personnelle et professionnelle.

L'article 1er précise le calendrier et les modalités selon lesquelles les branches, puis les entreprises, mettront en place un dispositif généralisé de couverture complémentaire santé. Le texte initial ne fournissait aucune indication sur la nature ou la qualité des prestations. Les députés ont apporté une garantie : aucune catégorie de salariés ne pourra être prise en charge à un niveau inférieur à la couverture minimale mentionnée à l'article L. 911-7 du code de la sécurité sociale. Restons toutefois vigilants sur le niveau de prise en charge des dépenses spécifiques aux femmes et à la maternité. Par ailleurs, en vertu d'une circulaire du 30 janvier 2009, il est admis que les salariés à temps très partiel devant acquitter une cotisation, forfaitaire ou proportionnelle au revenu, au moins égale à 10 % de leur rémunération, peuvent choisir de ne pas cotiser - l'employeur prenant alors en charge leur cotisation. Veillons à ce que les prestations incluent effectivement les dépenses liées à la maternité et à ce que le dispositif favorable aux très bas salaires soit reconduit.

L'article 4, relatif à l'amélioration de l'information et des procédures de consultation des IRP, crée une base de données unique permettant au comité d'entreprise et aux délégués syndicaux d'être informés de la stratégie de l'entreprise. Or dans le présent texte, le contenu de la base de données est très différent de ce qui avait été négocié ! Il serait bon d'inclure des informations relatives aux contrats précaires et aux contrats à temps partiel. Les députés ont précisé que devront figurer des chiffres relatifs à l'évolution et à la répartition des contrats précaires, des stages et des emplois à temps partiel. Mais pourquoi traiter la question du temps partiel au sein de l'investissement social ?

L'article 5 prévoit, dans les grandes entreprises, la participation aux conseils d'administration de représentants des salariés, avec voix délibérative. La délégation a toujours soutenu l'idée d'une représentation équilibrée des genres dans les instances stratégiques des entreprises. Je souhaite donc que, lorsque les candidatures seront nominales, le suppléant et le titulaire soient de sexe différent et que, lorsque les candidatures sont présentées par liste, celles-ci présentent une stricte alternance des sexes. Les députés ont modifié l'article 5 en ce sens. Je suggère de maintenir néanmoins notre recommandation afin de marquer notre position de principe.

De nombreux syndicalistes, juristes ou sociologues ont attiré notre attention sur l'impact, pour les femmes, des nouvelles dispositions de mobilité interne introduites à l'article 10. Car toute modification des conditions de travail a d'abord un impact sur les salariés dont le rendement est le plus fragile - les seniors par exemple - et sur ceux qui concilient le plus difficilement vie professionnelle et vie personnelle - les femmes. Derrière l'apparente neutralité de cette disposition se cachent des modifications majeures de l'organisation des journées de travail. Les femmes seront les premières touchées. Il me paraît donc essentiel, dans les modifications horaires et géographiques prévues par les accords de mobilité, de prendre en considération les contraintes spécifiques qu'elles subissent. C'est ainsi que l'Assemblée nationale a imposé, dans l'application de mesures de mobilité géographique, le respect de la vie personnelle et familiale du salarié ; des mesures d'accompagnement comprenant la participation de l'employeur à la compensation des frais de transport ; une concertation préalable. Nos préoccupations sont satisfaites.

La rédaction initiale de l'article 15 consolidait la jurisprudence de la Cour de cassation concernant les critères pour déterminer l'ordre de licenciement : il autorisait à privilégier le critère des qualités professionnelles, à condition que soient également pris en compte les autres critères. Selon la CG-PME, cette priorité pourrait être une façon de ne pas stigmatiser systématiquement les salariés les plus âgés dans l'ordre des licenciements, l'ancienneté étant le critère le plus souvent retenu dans la pratique. Cependant, la majorité des organisations syndicales redoutent un biais sexiste. Les députés ont certes supprimé la qualité professionnelle comme critère prioritaire d'appréciation des licenciements. Recommandons néanmoins, pour le cas où elle serait réintroduite dans le texte, que le juge ne puisse valablement la prendre en compte que si les qualités professionnelles ont été appréciées dans le cadre d'un entretien d'évaluation.

L'article 7 autorise la modulation des taux de contribution d'assurance chômage en fonction de la nature du contrat de travail, du motif de recours à ce type de contrat, de l'âge du salarié ou de la taille de l'entreprise. Le but est de renchérir les cotisations des entreprises qui ont recours à des contrats courts. La délégation de l'Assemblée nationale a suggéré d'inclure les contrats à temps partiel dans cette disposition. Or l'emploi à temps partiel n'est pas, en soi, un contrat précaire, en particulier lorsqu'il est choisi.

Certes, il est parfois devenu une façon de gérer les flux pour certaines entreprises : c'est ce phénomène-là qu'il faut endiguer. Je vous proposerai donc de reprendre une proposition que j'avais déjà formulée lors de l'examen de la proposition de loi relative à l'égalité salariale, et de prévoir qu'à compter du 1er janvier 2013, les entreprises de plus de vingt salariés, dont le nombre de salariés à temps partiel est au moins égal à 20 % de l'effectif, soient soumises à une majoration de 10 % des cotisations employeur.

L'article 8 propose un nouvel encadrement du temps partiel : son application concernera au premier chef les femmes. Notre délégation a récemment appelé à une réforme du temps partiel, estimant que les horaires imposés étaient atypiques, instables et peu prévisibles. Nous avons donc favorablement accueilli cet article. Les deux principales modifications attendues sont, d'une part l'introduction d'une durée hebdomadaire minimale de vingt-quatre heures, d'autre part la modification de la rémunération des heures complémentaires. A défaut d'accord de branche fixant une durée minimale à partir du 1er janvier 2014, tout contrat à temps partiel devra être conclu pour vingt-quatre heures au moins. Je crois que l'on ne peut que se féliciter que l'ensemble des organisations représentatives ait abouti à ce seuil, dont les représentants des organisations patronales ont rappelé qu'il avait été fixé pour permettre l'accès des travailleurs à temps partiel à l'ensemble des droits sociaux. A l'heure actuelle, la plupart des conventions collectives prévoient des durées inférieures : la fixation d'une durée-plancher est une garantie minimale accordée aux salariés.

L'article 8 modifie la rémunération des heures complémentaires. Aujourd'hui, les heures travaillées, dites « complémentaires », ne donnent lieu à majoration - de 25 % par rapport au salaire initial - que lorsque le dépassement horaire dépasse le dixième de la durée inscrite dans le contrat de travail. A partir du 1er janvier 2014 la rémunération de ces heures complémentaires serait majorée de 10 % dès la première heure. Cependant le principe de la durée minimale de vingt-quatre heures hebdomadaires est fragilisé par la possible annualisation, en cas d'accord collectif conclu en ce sens sur le fondement de l'article L. 3122-2 du code du travail. L'annualisation est une solution pour certaines branches dont l'activité est saisonnière. Mais elle peut être aussi une façon de contourner la loi. Je vous propose donc de demander au Gouvernement un rapport sur l'application effective de l'annualisation.

L'employeur peut déroger à la durée des vingt-quatre heures à la demande du salarié, soit pour faire face à des contraintes personnelles, soit pour lui permettre de cumuler plusieurs activités. Quel est le sens d'une telle alternative ? Le premier motif exclurait-il le second ? L'ensemble des organisations syndicales et patronales interrogées reconnaissent une incohérence du texte. Il serait bon de rectifier la rédaction.

Conformément aux termes de l'ANI, l'article 8 permet aussi d'augmenter temporairement, par avenant, la durée du travail prévue au contrat : il s'agit des « compléments d'heures » prévus par un accord de branche étendu. Cet accord fixe à huit le nombre d'avenants autorisés annuellement, aucune limite n'étant fixée lorsqu'il s'agit de remplacer un salarié absent, nommément désigné. Pour l'ensemble des organisations syndicales, y compris celles qui ont signé l'ANI, cette disposition peut contredire le principe des vingt-quatre heures hebdomadaires - unanimement salué. Au fil des auditions, il est apparu que ces compléments d'heures par avenant pouvaient porter atteinte au principe de la fixation d'une durée minimale au travail à temps partiel. En particulier, le risque de requalification du contrat que pourrait engendrer le recours aux avenants est réel : l'article L. 3123-15 du code du travail prévoit que, lorsque pendant une période de douze semaines consécutives ou pendant douze semaines au cours d'une période de quinze semaines ou sur la période prévue par un accord collectif conclu sur le fondement de l'article L. 3122-2 du code du travail, l'horaire moyen réellement accompli par un salarié a dépassé de deux heures au moins par semaine l'horaire prévu dans son contrat, celui-ci est modifié. Une jurisprudence abondante confirme cette possibilité. Or, en l'absence d'indications sur le nombre d'heures et la durée sur laquelle peuvent être conclus les avenants, le risque de requalification sera réel !

Ces compléments d'heures ont été examinés à l'aune du principe d'égalité entre les salariés à temps partiel et les salariés à temps plein, ce qui suppose de mettre sur le même plan les heures complémentaires et les heures supplémentaires. Or la jurisprudence de la Cour de cassation interdit de déroger à la majoration des heures complémentaires en augmentant temporairement, par avenant, la durée contractuelle initiale du travail et en déterminant que ces heures effectuées ne feront l'objet d'aucune majoration. Cette discrimination ne saurait être justifiée par la situation économique des entreprises. Je vous propose d'en revenir au principe d'égalité, en prévoyant que toute heure effectuée en complément des heures prévues dans le contrat initial sera considérée comme une heure supplémentaire et qu'en conséquence, toute heure supplémentaire prévue par avenant sera systématiquement majorée. En première lecture, les députés ont adopté un amendement allant dans ce sens.

Dans le texte initial, les partenaires sociaux prévoyaient la possibilité d'une majoration des compléments d'heures prévus par avenant, sans aucune obligation. Les députés ont précisé qu'au-delà de quatre avenants par an et par salarié, quatre autres avenants pourraient être conclus, à la condition que les heures effectuées dans ce cadre soient majorées d'au moins 25 %. Nous regrettons que, par une seconde délibération, l'Assemblée nationale soit revenue sur cette avancée. Nous maintiendrons donc notre position, selon laquelle toute heure complémentaire est une heure supplémentaire. Cela modifie l'équilibre général de l'article 8, mais notre délégation doit être ferme sur ce point.

La fixation des modalités d'organisation du temps partiel - nombre et durée des périodes d'interruption d'activité, délai de prévenance préalable à la modification - est renvoyée à la négociation de branche. Il me semble que la loi doit fixer des seuils planchers auxquels les accords collectifs ne pourront déroger. Je vous propose de nous aligner sur le régime de l'aide à domicile : si les employeurs de ce secteur peuvent appliquer un délai de quatre jours, tous les autres y parviendront aussi. Ainsi modifié, l'article 8 conserverait les avancées contenues dans l'ANI et rétablirait l'égalité de l'ensemble des salariés dans l'entreprise, condition sine qua non d'un climat social apaisé.

Ce texte majeur va profondément marquer les relations de travail dans les entreprises. Nombre de dispositions sont des avancées. D'autres risquent de déstabiliser les salariés dont les conditions d'emploi sont les plus fragiles. C'est pourquoi je vous propose de demander un rapport sur l'impact réel des nouvelles mesures relatives au temps partiel, qui serait remis au Parlement avant le 31 décembre 2014.

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